B. UNE REPONDÉRATION DES VOIX AU SEIN DU CONSEIL ACCOMPAGNÉE D'UN NOUVEAU SYSTÈME D'ÉVALUATION DE LA MAJORITÉ QUALIFIÉE

Dès la mise en place du système communautaire, les Etats membres se sont vu attribuer un nombre de voix différent en fonction de l'importance de leur population respective. Toutefois, une certaine surreprésentation des Etats les moins peuplés a toujours été admise.

Parallèlement, le seuil de la majorité qualifiée nécessaire pour l'adoption d'une décision, exprimé en pourcentage du total des voix, a été maintenu à un niveau légèrement supérieur à 70 % -niveau intermédiaire entre la majorité simple et l'unanimité.

Grâce à la combinaison de ce seuil et du système de pondération des voix, la majorité qualifiée a représenté une large majorité de la population de l'Union et, au moins, la moitié du nombre des Etats.

Symétriquement, la minorité de blocage peut être réunie soit par trois Etats membres les plus peuplés, soit par un groupe de « petits » pays représentant depuis 1973 environ 12 % de la population totale de l'Union.

Cependant, l'équilibre entre la prise en compte du critère démographique et les garanties nécessaires aux intérêts des « petits pays est apparu au fil des élargissements de plus en plus fragile. Le nombre de « grands » et de « petits » Etats avait augmenté dans une proportion comparable jusqu'à la dernière vague d'adhésions. Celles-ci n'ont concerné que des pays faiblement peuplés. Les prochains élargissements -parmi les pays candidats seuls trois sur treize présentent un poids démographique supérieur à la moyenne des pays membres actuels- risquent encore d'accentuer cette tendance.

Aussi, si le système actuel de pondération est maintenu inchangé, une décision à la majorité qualifiée représentera une part toujours plus réduite de la population de l'Union. Cette part est passée de 70 % (dans une Europe à 10 membres) à 58 % (quinze Etats membres). Dans une Union élargie à 27 Etats membres, elle pourrait encore être abaissée à un éventail compris entre 51,35 % et 46,41 % de la population totale de l'Union selon le seuil de majorité qualifiée retenu.

C'est là un risque qu'il convenait de conjurer au regard du principe de légitimité démocratique qui doit demeurer la base du processus de décision européen. Tel était, du reste, la préoccupation exprimée dans le cadre du protocole sur les institutions annexé au traité d'Amsterdam.

Les négociations se sont engagées sur la base de plusieurs propositions :

- la Commission proposait un système relativement simple : la décision à la majorité qualifiée devrait représenter la majorité simple des Etats membres, représentant une majorité de la population totale de l'Union ; cette proposition n'aurait cependant guère modifié l'équilibre actuel ;

- la présidence française privilégiait une repondération.

La prise en compte du critère démographique présentait le risque, non seulement d'aiguiser les tensions entre « grands » et « petits » pays, mais aussi au sein de chacune de ces catégories.

Les pays sont, en effet, regroupés entre groupes en fonction du nombre de voix qui leur est reconnu. Mais ces groupes eux-mêmes ne présentent pas toujours une grande homogénéité. L'Allemagne compte 20 millions d'habitants de plus que ses trois partenaires au sein du même groupe ; de même, la population des Pays-Bas représente une fois et demie celle des autres pays de son groupe. Le débat pouvait donc donner lieu à une recomposition et à un reclassement des positions établies. Ainsi l'Allemagne et les Pays-Bas demandaient davantage de voix que celles attribuées aux autres Etats de leurs groupes respectifs.

Les négociations se sont avérées effectivement très délicates et n'ont trouvé leur dénouement que dans la dernière nuit du Conseil européen de Nice.

La CIG a procédé à une repondération des voix et ajouté de nouvelles règles pour atteindre la majorité qualifiée. Ce dispositif, prévu dans le cadre du protocole sur l'élargissement de l'Union européenne, entrera en vigueur à compter du 1 er janvier 2005.

1. Un rééquilibrage en faveur des pays les plus peuplés

Le nombre de voix attribué à chaque Etat a été augmenté, mais selon un coefficient multiplicateur variable. Il est plus fort pour les pays les plus peuplés que pour les autres.

La Conférence a en outre décidé quelle serait la position commune de l'Union pour fixer le nombre de voix des Etats candidats lors des conférences d'adhésion.

La nouvelle pondération des voix dans une Europe élargie

Etats membres

Population

(en millions d'habitants)

Part de la population dans l'Union élargie

(en %)

Nombre actuel de voix au Conseil

Coefficient multiplicateur

Nombre de voix révisé

Allemagne

82,04

17,05

10

2,9

29

Royaume-Uni

59,25

12,31

10

2,9

29

France

58,97

12,25

10

2,9

29

Italie

57,61

11,97

10

2,9

29

Espagne

39,39

8,19

8

3,375

27

Pays-Bas

15,76

3,28

5

2,6

13

Grèce

10,53

2,19

5

2,4

12

Belgique

10,21

2,12

5

2,4

12

Portugal

9,98

2,07

5

2,4

12

Suède

8,85

1,84

4

2,5

10

Autriche

8,08

1,68

4

2,5

10

Danemark

5,31

1,10

3

2,33

7

Finlande

5,16

1,07

3

2,33

7

Irlande

3,74

0,78

3

2,33

7

Luxembourg

0,43

0,09

2

2

4

Etats candidats

Pologne

38,67

8,04

-

-

27

Roumanie

22,49

4,67

-

-

14

Rép. tchèque

10,29

2,14

-

-

12

Hongrie

10,09

2,10

-

-

12

Bulgarie

8,23

1,71

-

-

10

Slovaquie

5,39

1,12

-

-

7

Lituanie

3,70

0,77

-

-

7

Lettonie

2,44

0,51

-

-

4

Slovénie

1,98

0,41

-

-

4

Estonie

1,45

0,30

-

-

4

Chypre

0,75

0,16

-

-

4

Malte

0,38

0,08

-

-

3

TOTAL

481,18

100

87

345

Les pays se répartissent entre 9 groupes au lieu de 6 aujourd'hui : un nouveau groupe (13 voix) a été constitué pour satisfaire la revendication des Pays-Bas dont la population dépasse de 50 % celle de son groupe actuel ; par ailleurs, deux nouvelles catégories seront créées lors de l'adhésion prochaine de Malte (3 voix) et de la Roumanie (14 voix).

La parité entre les quatre pays les plus peuplés a été maintenue malgré la tentative allemande d'obtenir un « décrochage » en sa faveur.

Avec 29 voix au Conseil, la France et l'Allemagne auront 8,41 % des voix chacune contre 7,46 % si la pondération actuelle avait été maintenue.

Conséquence singulière du compromis nécessaire pour obtenir l'accord de la Belgique à cette nouvelle pondération, le Conseil européen tiendra à Bruxelles, à partir de 2002, une réunion par présidence et, lorsque l'Union comptera dix-huit membres, toutes ses réunions (déclaration n° 22).

2. Une majorité qualifiée soumise à de nouvelles conditions

La majorité qualifiée est soumise à de nouvelles conditions. Elle ne correspondra pas seulement, comme c'est le cas aujourd'hui, à un nombre de voix déterminé (« le seuil » de la majorité qualifiée), elle devra aussi réunir la majorité des Etats membres. Enfin, un Etat membre peut demander de vérifier que la majorité qualifiée corresponde à 62 % de la population totale de l'Union.

- Le relèvement du seul de la majorité qualifiée

La majorité qualifiée reste inchangée jusqu'au 1 er janvier 2005. A cette date, elle sera fixée à 169 voix , soit un niveau proche du seuil actuel (71,26 % des voix) si l'Union compte encore 15 Etats membres.

Ensuite, et jusqu'à l'adhésion des douze pays avec lesquels l'Union a déjà engagé les négociations d'adhésion, le seuil de la majorité qualifiée évoluera en fonction du rythme des adhésions dans une fourchette comprise entre 71,26 % -niveau inférieur au pourcentage actuel- et 73,4 %.

Enfin, lorsque l'Union comptera 27 membres, le seuil de la majorité qualifiée sera porté à 255 voix sur 345 -soit 73,91 % des voix . Le seuil de la majorité qualifiée sera donc plus élevé qu'actuellement.

- Une nouvelle condition requise : le vote favorable d'une majorité d'Etats

Certes, aujourd'hui, le nombre de voix nécessaire pour atteindre la majorité qualifiée requiert de fait l'accord d'une majorité d'Etats membres. Ce ne serait plus systématiquement le cas avec la nouvelle pondération des voix -dans une Union à 27, le seuil de la majorité qualifiée peut être atteint par 13 Etats. C'est pourquoi les petits pays ont demandé et obtenu l'introduction, dans le traité, d'une nouvelle condition fondée sur la majorité d'Etats membres.

Ainsi dans une Union à 27, les quatorze Etats les moins peuplés -11,6 % de la population totale de l'Union- pourront s'opposer à l'adoption d'une décision.

- La clause de vérification démographique

Avant l'adoption d'une décision à la majorité qualifiée, un membre du Conseil peut demander que cette majorité qualifiée représente au moins 62 % de la population totale de l'Union. S'il s'avère que ce n'est pas le cas, la décision n'est pas adoptée.

Cette clause constitue une faculté laissée à l'appréciation de chaque Etat membre. Introduite dans le traité à la demande de l'Allemagne, elle pourrait permettre à trois des cinq Etats membres les plus peuplés de constituer une minorité de blocage.

Si elle laisse en fait à l'Allemagne la liberté de s'associer avec les deux partenaires de son choix, les trois autres grands pays réunis ne sont pas en mesure de faire jouer la clause démographique en leur faveur : ils devront nécessairement s'allier à l'Allemagne.

La clause de vérification démographique ne pourra s'appliquer qu'aux mesures qui concernent la totalité des Etats membres : elle ne concernera pas en revanche les procédures de décision qui excluent par principe un pays (le mécanisme de sanction pour la violation des droits fondamentaux) ou n'intéressent qu'une partie des Etats membres (coopérations renforcées, mesures prises dans le cadre de la zone euro).

Les deux nouvelles conditions ajoutées à Nice pour le calcul de la majorité qualifiée n'auront en pratique qu'une portée limitée :

- aujourd'hui, la majorité qualifiée suppose de facto l'accord de la majorité des Etats membres ;

- la vérification de la clause démographique revêt le caractère d'une simple garantie reconnue à l'Allemagne en guise de compensation à sa déception sur la pondération.

On imagine mal d'ailleurs qu'une décision importante puisse être imposée à l'une des principales puissances de l'Union. L'expérience et la pratique de la construction européenne en témoignent : ainsi le compromis de Luxembourg de 1966, jamais remis en cause depuis lors, a fait droit à la position française selon laquelle lorsqu'un intérêt national très important est en cause, les discussions doivent se poursuivre jusqu'au moment où l'on parvient à un accord unanime.

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