III. LES NEGOCIATIONS MULTILATÉRALES

Les positions défendues par l'Union européenne pour les négociations multilatérales dans le cadre de l'OMC se fondent sur un mandat du 26 octobre 1999, qui fixe l'objectif d'un cycle global combinant la poursuite de l'ouverture commerciale et le renforcement des règles pour la conférence de Doha.

A. LES PROGRÈS EFFECTUÉS DANS LE CADRE DE L'OMC

1. Les avancées en direction des pays en voie de développement

L'Union européenne a pris un certain nombre d'initiatives afin d'accroître le soutien des pays en faveur de l'ouverture d'un cycle global de négociations. Ainsi, le Conseil a adopté, le 26 février 2001, le règlement qui permettra à la Communauté d'accorder en 2009, à l'ensemble des produits originaires des pays les moins avancés (PMA), une pleine franchise de droits et de quotas. Il accorde un accès en franchise de droits et de quotas à tous les produits industriels, y compris les textiles, et agricoles en provenance des PMA sans aucune exclusion. Une libéralisation totale est prévue pour la banane, le sucre et le riz, sur la base d'un régime d'ouverture progressive s'échelonnant de 2006 à 2009 selon les produits 6( * ) .

L'Union européenne a souhaité prendre en compte les difficultés de mise en oeuvre des accords de l'OMC par les pays en voie de développement, qui contestent l'asymétrie entre les droits et les obligations prescrites dans ces accords, notamment dans le cas de l'agriculture et du textile 7( * ) . On rappellera que les accords de Marrakech conclus en 1994 prévoyaient une entrée en vigueur différenciée des engagements. La plupart d'entre eux sont désormais d'application, même si certains d'entre eux comportent des périodes de transition au bénéfice des pays en développement, ainsi que des possibilités d'allongement de ces périodes.

L'Union européenne a également considéré que la mise en oeuvre effective des accords de l'OMC impliquait un renforcement de l'assistance technique fournie aux pays en voie de développement notamment dans les domaines des normes sanitaires et phytosanitaires, des obstacles techniques au commerce, de l'évaluation en douane et de la propriété intellectuelle. Elle a fait des propositions particulières sur le thème de la santé et de l'accès aux médicaments, portant notamment sur des prix différenciés des médicaments.

Enfin, une proposition portant révision triennale (pour la période allant du 1 er janvier 2002 au 31 décembre 2004) du système de préférences généralisées (SPG) de la Communauté a été présentée en juin 2001 par la Commission, dans le cadre des orientations décennales définies en 1994. Cette révision précédera la réforme générale du système prévue pour 2004.

L'objectif principal de la proposition est de rendre au dispositif communautaire en faveur des pays en développement l'attractivité qu'il a perdu du fait de sa complexité et de l'érosion des préférences résultant du démantèlement des droits de douane programmé par les accords de l'OMC. Le taux d'utilisation du SPG est ainsi passé en une dizaine d'années, pour les produits les plus sensibles, de 55 % ou 60 % à 30 % ou 40 %, beaucoup d'importateurs renonçant à bénéficier de la faible marge préférentielle accordée par le système. La commission propose d'atteindre l'objectif recherché grâce à deux modifications :

- le classement des produits couverts par le SPG communautaire en deux catégories : les « non sensibles », exemptés de droits, et les « sensibles », regroupant les anciennes catégories « très sensibles », « sensibles » et « semi-sensibles » ;

- un abattement uniforme de 3,5 points du tarif douanier de la Communauté (sauf exceptions) pour les droits ad valorem sur les produits sensibles.

En outre, afin de renforcer l'attractivité du régime spécial d'encouragement à la protection des droits des travailleurs, la commission propose de doubler la marge fixe préférentielle consentie dans le cadre du SPG « de droit commun » en contrepartie d'un engagement des pays candidats à respecter les huit conventions fondamentales de l'organisation internationale du travail (OIT). La clause de retrait temporaire du SPG pourrait être activée en cas de manquement grave et systématique à l'ensemble des huit conventions fondamentales de l'OIT.

Par ailleurs, le régime d'encouragement à la protection de l'environnement verrait la marge préférentielle doublée sur les produits couverts.

2. Le succès des règles et procédures de règlement des différends dans le cadre de l'OMC

Le mémorandum sur les règles et procédures de règlement des différends (MRD) constitue l'un des mécanismes les plus efficients du système commercial multilatéral. Depuis le 1 er janvier 1995, l'Organe de règlement des différends (ORD), qui est une formation spécifique du conseil général de l'OMC, a eu à connaître 239 demandes de consultations (dont 29 demandes au cours de l'année 2001, à la date du 24 septembre).

Les Etats-Unis et l'Union européenne demeurent les plus gros utilisateurs du mécanisme de règlement des litiges, ce qui est logique compte tenu de leur poids respectif dans les échanges commerciaux internationaux. Les pays en développement (PED) ont toutefois de plus en plus recours au système de règlement des différends, tant d'une manière offensive que défensive, tant vis à vis des pays développés qu'à l'égard des autres pays en développement. Le tableau ci-dessous montre que les PED ont eu gain de cause au titre de 18 affaires et ont été condamnés dans 17 cas. Au total, les PED ont donc initié autant de cas « offensifs » que les Etats-Unis.

Etat des différends au 24 septembre 2001 (Source OMC)


 

Panels gagnés

Panels perdus

Union européenne

19

5

Etats-Unis

16

16

Japon

6

2

Pays en développement

18

17

Les Etats membres de l'OMC reconnaissent la crédibilité d'un mécanisme qui a su donner les preuves de son efficacité depuis sa création en 1995. Ils estiment toutefois que ce système mériterait d'être amélioré en particulier au bénéfice des pays en développement, soucieux de recevoir une assistance technique soutenue face à des procédures de plus en plus longues et coûteuses.

Au total, six ans et demi après l'institution de l'OMC, et en dépit de l'échec de la conférence de Seattle, le fonctionnement du système commercial multilatéral, rénové et renforcé par les accords de Marrakech, peut être globalement considéré comme satisfaisant. Certaines questions demeurent néanmoins pendantes, notamment afin de résoudre les problèmes que rencontrent les pays en développement, et tout spécialement les pays les moins avancés, dans leur intégration au commerce mondial, et pour répondre aux attentes exprimées par la société civile.

3. Les insuffisances des modalités de préparation des négociations multilatérales

Le fonctionnement de l'Organisation mondiale du commerce a fait l'objet de nombreuses critiques et suscité l'insatisfaction de nombreux pays en développement pendant la préparation et lors de la conférence ministérielle de Seattle.

La préparation de la conférence s'était effectuée par la coexistence à Genève de deux processus parallèles : processus formel dans le cadre du Conseil Général ; processus informel, sous la conduite du directeur général, dans le cadre des "chambres vertes" (groupes restreints réunis à la discrétion du Directeur général, dans un format ad hoc en fonction du sujet traité).

Outre qu'ils n'ont pas permis de présenter des solutions opérationnelles pour la déclaration, ces processus parallèles ont conduit à un manque évident de cohérence et de transparence, notamment à l'égard des pays en développement, et notamment les moins avancés d'entre eux africains, tout qui, exclus des "chambres vertes", ont pu éprouver un sentiment de marginalisation.

L'organisation des travaux de la conférence à Seattle a révélé de semblables insuffisances : exercices formels de transparence, dans le cadre de cinq comités spécialisés devant faire rapport à la conférence ministérielle ; poursuite des véritables négociations dans le cadre informel et restreint des "chambres vertes", convoquées cette fois à la discrétion de la présidence américaine.

Il est donc absolument nécessaire de trouver un nouveau compromis entre la recherche de l'efficacité et la volonté d'améliorer le fonctionnement de l'Organisation.

L'Union européenne a proposé, dès juillet 1998, des avancées dans la transparence externe (mise en distribution générale rapide d'un grand nombre de documents ; accroissement des échanges d'information entre le Secrétariat de l'OMC et les ONG ; organisation chaque année d'une réunion des parlementaires des membres de l'OMC). Plus récemment, en octobre 2000, elle a présenté une contribution sur la réforme de l'Organisation, qu'elle considère comme une question devant rester hors du champ de la négociation du cycle, proposant d'explorer trois pistes :

Des mesures visant à améliorer le processus de prise de décisions :

Les consultations informelles devraient avoir pour objet de renforcer le consensus et non de se substituer au processus de décision formel. Décidées par le Président des conseils et comités compétents ou par le secrétariat, elles devraient garantir un niveau de représentativité satisfaisant pour les différents niveaux de développement et les différentes opinions en présence. Le résultat de ces consultations devrait être présenté devant les organes formels.

Des mesures visant à favoriser les flux d'information et la participation de tous les Membres :

L'Union européenne estime nécessaire d'adopter des mesures ciblées en vue de faciliter la participation des délégations de pays n'ayant pas de représentation permanente à Genève et de petits pays en développement. Elle souhaite que s'associent à cet effort le Secrétariat de l'OMC, en particulier dans les dispositifs d'assistance technique et pour l'organisation des réunions. A plus long terme, une réflexion pourrait être engagée sur le nombre des Comités, des regroupements pouvant être envisagés.

Des mesures visant à améliorer les réunions ministérielles et le Conseil général :

L'Union européenne propose en premier lieu d'établir une distinction claire entre le rôle du pays hôte et celui du directeur général. Le rôle du pays hôte devrait se limiter à présider la séance plénière, les processus informels étant gérés par le directeur général, avec l'aide de ses directeurs généraux adjoints.

Par ailleurs, la structure des négociations devrait être définie, les présidents des groupes de travail devraient être nommés suffisamment à l'avance par rapport à la réunion ministérielle, laquelle devrait offrir le temps nécessaire pour la négociation des textes proprement dite. Enfin, la périodicité des conférences ministérielles (tous les deux ans à ce stade) pourrait être augmentée, pour passer à une réunion par an, à l'instar de la plupart des autres organisations internationales.

Les discussions concernant la réforme de l'OMC se poursuivent. Votre rapporteur spécial regrette cependant que ces travaux n'aient pas marqué de progrès notables depuis Seattle.

B. LA CONFÉRENCE DE DOHA : UN SYMBOLE IMPORTANT

Le 14 novembre 2001, après six jours de négociation, les 142 Etats membres de l'OMC sont parvenus à un accord sur le calendrier du nouveau cycle de négociation, intitulé « programme de développement de Doha ». Ce programme prend en compte de manière plus marquée qu'auparavant les attentes des pays en voie de développement.

Un accord a été trouvé sur l'accès aux médicaments des pays confrontés aux grandes pandémies comme le Sida ou la tuberculose, grâce à une interprétation souple et compréhensive de l'accord sur les droits de propriété intellectuelle (ADPIC ou TRIPS en anglais). Au terme de l'accord, des pays comme le Brésil ou l'Inde sont autorisés à fabriquer des médicaments génériques moins chers pour la lutte contre le Sida. Votre rapporteur spécial se félicite de cette conclusion qui souligne que les règles régissant le commerce mondial doivent prendre en compte les situations spécifiques des pa ys en voie de développement.

Sur le chapitre agricole, l'Union européenne a réussi à intégrer un programme de tarifs préférentiels pour les pays en développement et les aspects non-agricoles de l'agriculture, comme la protection des paysages ou la qualité sanitaire des produits. Elle a également réussi à défendre son point de vue sur les appellations d'origine contrôlées. Enfin, elle a réussi à obtenir une formule acceptable par tous sur les subventions à l'exportation 8( * ) , qui permet de préserver les intérêts de la France.

L'environnement a également été pris en considération, en vue de rechercher une cohérence entre les engagements découlant des accords internationaux (convention de Kyoto par exemple) et les règles régissant le commerce mondial. Cette avancée a cependant été particulièrement difficile à obtenir, compte tenu de l'opposition de nombreux pays.

Le programme de Doha prévoit que plusieurs dossiers majeurs relatifs aux règles de l'investissement et de la concurrence seront étudiés en deux temps, et ce, afin de rassurer les pays en voie de développement. Ainsi, le lancement de négociations sera décidé par consensus à la cinquième conférence ministérielle, dans deux ans. Les pays pauvres ont également obtenu une série de promesses et de mesures immédiates concernant l'application de certains accords commerciaux, ainsi que l'engagement qu'une négociation sera engagée sur les règles anti-dumping.

Enfin, la conférence aura été marquée par un double événement considérable : l'acceptation formelle de la Chine et de Taïwan, respectivement 4 ème et 14 ème exportateurs mondiaux, qui doivent devenir membres à part entière de l'OMC avant la fin de l'année. Cet événement est important pour l'OMC, dont il accentue la dimension universelle. C'est surtout un événement politique considérable, qui symbolise l'ouverture de la Chine au commerce international et aux investisseurs étrangers.

Au total, la conférence de Doha permet de déboucher sur des résultats satisfaisants, même si, sur plusieurs dossiers importants, les compromis ne constituent que de vagues déclarations d'intention. Symboliquement, la réussite de cette conférence était indispensable pour ne pas affaiblir davantage l'OMC, largement contestée depuis la conférence de Seattle, et pour ne pas donner un nouveau signal négatif aux acteurs économiques, dont la confiance dans les perspectives de l'économie mondiale a considérablement diminué depuis les attentats du 11 septembre 2001.

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