B. UN BILAN DÉCEVANT

La convention de Lomé reposait sur le postulat d'une progression parallèle des différents pays vers le développement. Force est de constater que cet espoir ne s'est pas concrétisé.

Les pays ACP, malgré des situations souvent très différentes, demeurent les laissés pour compte du mouvement de mondialisation. Quelques éléments en témoignent :

- le revenu par habitant de l'Afrique subsaharienne n'a progressé que de 0,4 % par an entre 1960 et 1992, contre 2,3 % pour l'ensemble des pays en développement. Cette évolution décevante résulte d'une croissance économique plus faible (3,3 % par an) combinée à un taux d'accroissement démographique plus élevé (2,9 % par an).

- les pays les moins avancés ont bénéficié de moins de 1 % des flux d'investissements directs privés vers les pays du Sud. L'Afrique, en particulier, est demeurée à l'écart d'un mouvement dont le monde en développement a largement bénéficié : l'investissement direct étranger ne représente que 10 % du financement extérieur des pays de la zone.

- l'Afrique subsaharienne ne représente enfin que 2 % du commerce international.

Dans ce contexte, les instruments mis en place par Lomé n'ont pas suffisamment joué leur rôle.

D'une part, les bénéfices du régime commercial sont demeurés limités. Ainsi, la part du marché des pays ACP sur le marché communautaire est passée de 6,7 % à 2,7 % entre 1975 et 1995. Cette évolution contraste avec la progression des parts du marché communautaire détenues par les pays asiatiques passées sur la même période de 4,2 % à 13 %.

D'autre part, l'aide n'a pas vraiment représenté le levier de développement attendu.

Il importe de mieux mesurer les raisons de cette double déception.

- la portée limitée des préférences commerciales

Les avantages du régime commercial se sont érodés au fil des ans . En outre, ils n'ont pas toujours été utilisés au mieux.

En premier lieu, la moyenne des droits pour les produits industriels a été ramenée de 10,4 % à 6,4 % par les accords de Tokyo et à 3,6 % par les accords de Marrakech dans le cadre des négociations multilatérales conduites dans le cadre du GATT -et désormais de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Parallèlement, l'Union européenne a reconnu aux pays méditerranéens -pour les produits industriels- ainsi qu'à tous les pays les moins avancés des avantages commerciaux aussi généreux que ceux accordés dans le cadre de Lomé. Ainsi, d'après la Commission européenne, près des deux tiers des exportations ACP ne bénéficient d'aucune marge préférentielle par rapport aux ventes des autres pays en développement sur la marché communautaire.

Par ailleurs, comme l'a souligné le rapport de M. Dominique Bocquet au ministre français de l'économie et des finances sur le partenariat entre l'Union européenne et les pays ACP 1 ( * ) ,les pays ACP n'ont sans doute pas suffisamment tiré parti du dispositif de Lomé pour favoriser le développement d'industries de transformation. En effet, dans la mesure où les tarifs douaniers appliqués aux exportations des pays non ACP sont souvent plus élevés pour les produits transformés que pour les biens primaires, les pays ACP -dispensés quant à eux de tous droits de douane- disposaient d'un avantage comparatif encore plus fort pour la vente de produits transformés vers l'Union européenne. Or la spécialisation dans les produits tropicaux et les matières premières n'a pas été remise en cause et la localisation d'activités de transformation sur le territoire de la zone ne s'est pas réellement confirmée.

Une exception s'est toutefois présentée avec le cas de Maurice dont les exportations grâce au textile comprennent 2/3 de produits manufacturés.

Ces difficultés à saisir les opportunités ouvertes par le système de Lomé s'expliquent principalement par l'insuffisance des investissements mais aussi une certaine méconnaissance des clauses commerciales de la part des producteurs ou exportateurs potentiels.

- Le bilan décevant de l'aide

Les volumes d'aide affichés en faveur des ACP ne doivent pas faire illusion : une partie, seulement, a été effectivement versée. En outre, les fonds effectivement décaissés n'ont pas toujours montré leur efficacité.

En fait, 35 à 40 % seulement des ressources disponibles au titre du FED ont été à ce jour dépensées. Dans ces conditions, le montant du reliquat s'élève à la somme impressionnante de près de 10 milliards d'euros .

La lenteur des décaissements -encore plus préoccupante pour les pays de la Méditerranée couverts par le fonds MEDA- trouve son origine dans plusieurs facteurs. La Commission a mis en avant l'insuffisance des effectifs. Les volumes d'aide communautaire ont été multipliés par 2,8 au cours des dix dernières années, alors même que le nombre de postes supplémentaires n'avait été multiplié que par 1,8. La Commission a dû alors recourir à la sous-traitance (l'aide extérieure représente 90 % des dépenses totales de sous-traitance de la communauté). L'utilisation de bureaux extérieurs ne favorise pas réellement un contrôle rigoureux de l'utilisation des fonds.

Cependant, les retards ne s'expliquent pas seulement par l'insuffisance des effectifs, ils sont aussi, pour une large part, liés à l'extrême complexité des procédures et à la lourdeur des circuits de décision . La Commission a elle-même admis que la « gestion [de son aide] est devenue extrêmement complexe et onéreuse en raison de l'hétérogénéité des procédures et l'éclatement ou l'inadéquation des systèmes de communication ».

Quant aux fonds versés, ils n'ont pas toujours répondu aux objectifs fixés. L'évaluation de 335 projets engagés au cours des années 80 a ainsi mis en évidence un taux d'efficacité de 70 % pour le secteur des transports mais de moins de 30 % pour l'agriculture et le développement rural 2 ( * ) .

En premier lieu, le contexte institutionnel et la politique économique n'ont pas été évalués à leur juste mesure alors même qu'ils conditionnent l'efficacité de l'aide. Le caractère automatique des versements n'a pas permis d'ajuster l'aide en fonction de la qualité de gestion des Etats bénéficiaires.

En outre, les conditions de mise en oeuvre des projets -décidés depuis Bruxelles- ne facilitent guère leur appropriation par les pays bénéficiaires. Dès lors, leur pérennité apparaît compromise faute des moyens nécessaires de fonctionnement et d'entretien.

Par ailleurs, la multiplicité des instruments d'aide mobilisés pour des objectifs différents dans des domaines souvent proches soulève un problème de cohérence.

Enfin, l'Union européenne n'est pas parvenue à fixer de réelles priorités qui auraient permis, en accord avec les pays ACP, de mieux concentrer l'aide et de lui conférer ainsi un impact plus significatif.

* 1 Dominique Bocquet, « Quelle efficacité économique pour Lomé ? » - Rapport au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie (1998).

* 2 Livre vert sur les relations entre l'Union européenne et les pays ACP à l'aube du XXIème siècle : défis et options pour un nouveau partenariat.

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