EXAMEN DES ARTICLES

Article premier
(chapitre III nouveau du titre unique du livre premier de la première partie
du code général des collectivités territoriales,
art. L.O. 1113-1 à L.O. 1113-7 nouveaux du code général
des collectivités territoriales)
Expérimentation par les collectivités territoriales

Cet article a pour objet, en application du quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution, de déterminer les conditions dans lesquelles les collectivités territoriales pourront être habilitées, selon les cas par la loi ou le règlement, à déroger à titre expérimental aux dispositions législatives ou réglementaires régissant l'exercice de leurs compétences.

Sur le plan formel, il tend à insérer un chapitre III , intitulé « Expérimentation », dans le titre unique (« Libre administration des collectivités territoriales ») du livre premier (« Principes généraux de la décentralisation ») de la première partie (« Dispositions générales ») du code général des collectivités territoriales. Ce chapitre ne comporterait pas de section mais sept articles , numérotés L.O. 1113-1 à L.O. 1113-7.

Le projet de loi organique relatif au référendum local, en instance de deuxième lecture au Sénat, tend quant à lui à transformer le chapitre II, relatif à la « coopération décentralisée », en un chapitre IV, afin de le remplacer par un nouveau chapitre, intitulé « Participation des électeurs aux décisions locales » et composé d'une section unique consacrée au référendum local. Rappelons enfin que le premier chapitre de ce titre unique énonce les principes de la décentralisation.

Le quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution soumet la faculté, pour les collectivités territoriales et leurs groupements, de déroger à titre expérimental aux dispositions législatives ou réglementaires régissant l'exercice de leurs compétences à un certain nombre de conditions :

- l'expérimentation sera subordonnée, selon le cas, à une habilitation législative ou réglementaire ;

- elle devra avoir un objet et une durée limités ;

- elle ne pourra porter que sur les dispositions législatives ou réglementaires régissant l'exercice des compétences des collectivités territoriales ;

- en tout état de cause, elle ne pourra avoir lieu lorsque sont en cause les conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique ou d'un droit constitutionnellement garanti.

Les articles L.O. 1113-1 à L.O. 1113-7 nouveaux du code général des collectivités territoriales ont pour objet de préciser ce cadre.

Article L.O. 1113-1 nouveau
du code général des collectivités territoriales
Contenu de la loi d'habilitation

Cet article a pour objet de déterminer le contenu de la loi habilitant des collectivités territoriales à déroger, à titre expérimental, à certaines dispositions législatives régissant l'exercice de leurs compétences.

Six mentions étaient exigées dans la rédaction initiale du projet de loi organique, destinées à définir l'objet de l'expérimentation, sa durée et les conditions requises pour pouvoir y participer.

Sur proposition de sa commission des Lois et avec l'avis favorable du Gouvernement, l'Assemblée nationale a réécrit cet article afin d'en clarifier le contenu.

• L'objet de l'expérimentation

En premier lieu, la loi d'habilitation devra définir l' objet de l'expérimentation et mentionner les dispositions auxquelles il pourra être dérogé .

Dans sa rédaction initiale, le projet de loi organique disposait que l'objet de l'expérimentation devrait être « d'intérêt général ». Comme le rappelait M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice, lors des débats consacrés à la révision constitutionnelle, seul un motif d'intérêt général pourrait en effet justifier une dérogation, temporaire et expérimentale, au principe d'égalité.

L'Assemblée nationale a opportunément supprimé cette précision inutile. Toute disposition législative est en effet censée répondre à un objet d'intérêt général. En tout état de cause, nul n'est mieux placé que le législateur pour l'apprécier, le juge ne pouvant censurer que les erreurs manifestes d'appréciation.

En revanche, le présent article ne reprend pas la condition posée par le quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution, exigeant que l'objet de l'expérimentation soit « limité ». La loi d'habilitation n'en devra pas moins respecter cette obligation lorsqu'elle mentionnera les dispositions législatives auxquelles les collectivités territoriales pourront déroger. Ainsi que le précise le rapporteur de la commission des Lois de l'Assemblée nationale, M. Michel Piron, elle devra en dresser une liste détaillée 16 ( * ) .

Il reviendra au Conseil constitutionnel d'apprécier l'ampleur des dérogations susceptibles d'être autorisées et d'indiquer si une loi d'habilitation pourra autoriser des collectivités territoriales à déroger, par exemple, au code forestier, à la loi « littoral » ou à la loi « montagne » dans leur ensemble, ou à certaines de leurs dispositions seulement, cette seconde hypothèse s'avérant la plus probable.

Le présent article ne rappelle pas non plus l'interdiction, prévue par le quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution, d'engager une expérimentation lorsque sont en cause les conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique ou d'un droit constitutionnellement garanti .

Relèvent notamment de la première catégorie : la liberté d'association, la liberté d'enseignement, la liberté de conscience, la liberté d'aller et venir, corollaire de la liberté individuelle, le droit d'asile, les droits de la défense, le droit d'agir en justice, la liberté d'expression, la liberté de communication, la liberté de la presse.

Figurent parmi les droits constitutionnellement garantis des droits économiques et sociaux tels que le droit à la protection de la santé, le droit de grève, la liberté syndicale, le droit au travail, la liberté d'entreprendre, le droit de propriété, les droits de la famille, l'intégrité du corps humain...

Lors des débats consacrés à la loi constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République, les membres du groupe communiste républicain et citoyen du Sénat et ceux du groupe communiste de l'Assemblée nationale avaient proposé d'interdire toute habilitation lorsque seraient en cause les conditions, et non pas les conditions « essentielles », d'exercice des libertés publiques. Cet adjectif a été maintenu après que M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales, eut déclaré que les règles de procédure seraient ouvertes à l'expérimentation puisqu'elles ne touchaient pas à l'essentiel 17 ( * ) .

Comme le souligne M. Michel Piron, rapporteur de la commission des Lois de l'Assemblée nationale : « d'origine jurisprudentielle, la définition des droits et libertés est appelée à évoluer ; il n'est dès lors pas paru judicieux d'opérer, dans la loi organique, une énumération des droits et libertés entrant dans le champ de la rédaction de la loi constitutionnelle ; il reviendra ainsi au Conseil constitutionnel, éventuellement saisi de la loi d'habilitation, d'apprécier si les dérogations ainsi autorisées portent atteinte à ces principes 18 ( * ) . »

Il convient enfin de rappeler que les lois d'habilitation adoptées en application du quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution auront pour objet de permettre aux collectivités territoriales de modifier, à titre expérimental, les conditions d'exercice de leurs compétences et non pas de leur en confier de nouvelles . Les expérimentations concernant les transferts de compétences relèvent en effet de l'article 37-1 de la Constitution, dont la mise en oeuvre ne nécessite pas l'adoption d'une loi organique.

Il n'en demeure pas moins qu'une même loi pourra bien évidemment, à titre expérimental, prévoir un transfert de compétences au profit de certaines collectivités territoriales et, dans le même temps, les autoriser à déroger aux dispositions législatives qui en régissent l'exercice .

• La durée de l'expérimentation

En deuxième lieu, la loi d'habilitation devra définir la durée de l'expérimentation, celle-ci ne pouvant toutefois excéder cinq ans , et préciser le délai dans lequel les collectivités territoriales pourront demander à en bénéficier.

Pour être concluante, une expérimentation doit en effet, d'une part, avoir une durée telle que sa portée puisse être évaluée mais que ses conséquences ne deviennent pas irréversibles, d'autre part, être engagée et achevée simultanément par les collectivités dont la candidature aura été retenue. Si l'on ne fixait qu'une durée maximale, sans imposer un délai pour engager l'expérimentation, cette dernière risquerait de ne jamais prendre fin : chaque année, une ou plusieurs nouvelles collectivités pourraient en effet demander à en bénéficier. Le travail d'évaluation s'en trouverait également compliqué.

Ainsi, les articles 104 et 105 de la loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité ont-ils prévu, d'une part, qu'une expérimentation serait engagée dans un délai d'un an à compter de sa promulgation, afin de permettre aux régions de se voir confier la gestion de ports d'intérêt national et aux collectivités territoriales celle d'aérodromes civils, d'autre part, qu'elle serait close au 31 décembre 2006. De la même façon, l'article 111 de la loi du 27 février 2002 a ouvert aux collectivités territoriales la possibilité de demander, dans un délai de douze mois suivant sa promulgation, à exercer certaines compétences de l'Etat en matière culturelle, pour une durée ne pouvant excéder trois ans.

La rédaction initiale du projet de loi organique pouvait laisser croire que la loi d'habilitation ne serait pas tenue d'imposer aux collectivités territoriales un délai pour se porter candidates à l'expérimentation mais aurait la faculté d'en prévoir un, en tant que de besoin. L'Assemblée nationale a dissipé cette ambiguïté : il s'agira bien d'une obligation.

La durée de cinq ans prévue par le projet de loi organique constitue une durée maximale , susceptible d'être réduite par la loi d'habilitation. A l'inverse, le texte proposé pour insérer un article L.O. 1113-6 dans le code général des collectivités territoriales ouvre au législateur la faculté , par une nouvelle loi, de prolonger l'expérimentation, pour une durée maximale de trois ans , si l'évaluation de ses résultats en révélait la nécessité. Il est également prévu que le dépôt d'un projet ou d'une proposition de loi ayant pour objet de prolonger, de généraliser ou d'abandonner une expérimentation aurait pour effet de la proroger pendant une durée maximale d'un an à compter du terme fixé par la loi d'habilitation. La durée totale des expérimentations ne pourrait donc excéder neuf ans.

L'adoption de la loi d'habilitation n'aura pas pour effet d'entraîner le dessaisissement du Parlement pendant la durée de l'expérimentation , contrairement au mécanisme prévu par l'article 38 de la Constitution pour les ordonnances. Dans ce dernier cas, le Gouvernement bénéficie d'une délégation totale de compétence et peut, en application de l'article 41 de la Constitution, opposer l'irrecevabilité à toute proposition de loi et à tout amendement contraire à cette délégation. Les collectivités territoriales bénéficieront quant à elles, dans le cadre des expérimentations prévues par le quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution, d'une délégation partielle de compétences. Le Parlement conservera la possibilité de supprimer ou de modifier les dispositions législatives auxquelles il aura autorisé les collectivités territoriales à déroger. Un tel cas de figure devrait toutefois être rare, puisque les expérimentations auront précisément pour objet de tester les évolutions possibles de la législation. On imagine mal le législateur décider une expérimentation puis la remettre en cause avant même d'en connaître le bilan. Toutefois, si tel était le cas, il lui appartiendrait de préciser les conséquences de la modification législative sur les conditions de la poursuite de l'expérimentation.

• Les conditions requises pour bénéficier de l'habilitation

En troisième et dernier lieu, la loi d'habilitation devra fixer les conditions requises pour qu'une collectivité territoriale puisse participer à l'expérimentation. Ces conditions devront être d'autant plus précises que, dès lors qu'elles seront remplies, l'habilitation sera de droit sur simple demande des collectivités candidates.

Le législateur devra tout d'abord préciser « la nature juridique et les caractéristiques » des collectivités territoriales autorisées à participer à l'expérimentation. L' Assemblée nationale a préféré cette rédaction à celle du projet de loi organique initial, aux termes de laquelle la loi d'habilitation devait déterminer, « en fonction de leur nature juridique et de leurs caractéristiques, les catégories de collectivités territoriales » auxquelles l'expérimentation s'appliquerait.

Ces deux rédactions ont pour objet de permettre au législateur non seulement de distinguer les catégories de collectivités territoriales habilitées à participer à l'expérimentation - communes, départements, régions, collectivités à statut particulier, collectivités d'outre-mer - mais également, au sein de ces catégories, d'établir des distinctions entre collectivités, en fonction par exemple de leur situation géographique, démographique ou financière...

L'exposé des motifs du projet de loi organique précise ainsi que « ces catégories pourront comporter des collectivités territoriales répondant à des situations particulières telles que des villes dépassant un seuil de population, des communes de montagne, des collectivités situées sur le littoral ... ».

Selon les indications communiquées à votre rapporteur, l'expression « nature juridique » permettra de distinguer non seulement les différentes catégories de collectivités territoriales (communes, départements, régions, collectivités à statut particulier...) mais également, par exemple, les communes de leurs groupements ou les communes de 3.500 habitants et plus de celle de moins de 3.500 habitants.

Dans son rapport au nom de la commission des Lois de l'Assemblée nationale, M. Michel Piron indique, à juste titre, que ces critères pourront - et même devront - être bien plus précis, afin d'éviter « que des collectivités n'ayant pas la solidité juridique ou financière requise se portent candidates », dans la mesure où le Gouvernement aura compétence liée pour l'établissement de la liste des collectivités territoriales habilitées à participer à l'expérimentation.

Il écrit par ailleurs que les collectivités territoriales habilitées à participer à l'expérimentation devront relever de la même catégorie juridique, estimant qu'« il n'est pas envisageable de penser qu'une même expérimentation pourrait être conduite, par exemple, par un département et une commune, puisque l'expérimentation est une dérogation à la loi régissant une compétence donnée. Or il paraît exclu, compte tenu du principe de répartition par blocs de compétences entre collectivités qu'une même compétence soit exercée à différents niveaux 19 ( * ) . »

Si cette préoccupation est tout à fait légitime, la rédaction retenue ne semble pas lui donner satisfaction. Elle n'interdit en effet nullement au législateur de permettre à la fois à un département et une région de déroger à des dispositions législatives régissant une compétence partagée. Il est inutile de rappeler combien le principe fondateur des lois de décentralisation d'une répartition par blocs des compétences entre collectivités territoriales a été battu brèche au fil des ans.

Il appartiendra donc au législateur de décider, dans la loi d'habilitation, s'il entend permettre à des collectivités territoriales appartenant à des catégories différentes de déroger en même temps à des dispositions régissant l'exercice de compétences partagées ou, ce qui semble plus probable compte tenu de l'exigence évidente de cohérence des normes applicables, s'il confie cette faculté à des collectivités « chefs de file ».

Le projet de loi organique donne par ailleurs au législateur la faculté, « en tant que de besoin » selon le texte initial, « le cas échéant » selon la rédaction retenue par l'Assemblée nationale, de déterminer les cas dans lesquels l'expérimentation pourra être entreprise. Cette disposition reprend les termes de la décision du Conseil constitutionnel n° 93-322 DC du 28 juillet 1993 autorisant la loi à procéder à des expérimentations, à condition « de définir précisément la nature et la portée de l'expérimentation et les cas dans lesquels celle-ci peut être entreprise . » Selon les indications communiquées à votre rapporteur, cette précision a pour objet d'autoriser le législateur à circonscrire le champ de l'expérimentation en fonction de situations matérielles.

L' initiative de la loi d'habilitation reviendra uniquement au Premier ministre et aux parlementaires, conformément à l'article 39 de la Constitution, mais ces derniers seront informés des propositions émanant des collectivités territoriales par le rapport annuel du Gouvernement au Parlement prévu par le texte proposé pour insérer un article L.O. 1113-5 dans le code général des collectivités territoriales.

Votre commission des Lois vous demande d'adopter le texte proposé par cet article pour insérer un article L.O. 1113-1 dans le code général des collectivités territoriales sans modification .

Article L.O. 1113-2 nouveau
du code général des collectivités territoriales
Procédure d'habilitation

Cet article a pour objet de déterminer la procédure suivant laquelle les collectivités territoriales pourront être habilitées à déroger, à titre expérimental, à certaines dispositions législatives régissant l'exercice de leurs compétences.

La demande d'habilitation pourra être formulée par toute collectivité territoriale remplissant les conditions requises par la loi autorisant l'expérimentation, visée à l'article L.O. 1113-1 du code général des collectivités territoriales.

Elle prendra la forme d'une délibération motivée de son assemblée délibérante, transmise au représentant de l'Etat dans le délai prévu par cette même loi d'habilitation.

Le représentant de l'Etat devra alors adresser la demande, en l'accompagnant de ses observations , au ministre chargé des collectivités territoriales.

Enfin, il reviendra au Gouvernement, d'une part, de vérifier le respect des conditions légales, d'autre part, de publier, par décret , la liste des collectivités territoriales autorisées à participer à l'expérimentation . La rédaction initiale du projet de loi organique prévoyait que le Gouvernement publierait la liste des collectivités territoriales autorisées à « déroger à la loi ». L' Assemblée nationale , sur proposition de sa commission des Lois acceptée par le Gouvernement, a souhaité éviter de donner le sentiment que les collectivités territoriales disposeraient d'une habilitation générale à déroger à la loi.

Les députés ont par ailleurs supprimé une mention inutile, toujours sur proposition de leur commission des Lois et avec l'accord du Gouvernement.

La rédaction de cet article implique que le Gouvernement aura compétence liée : il sera tenu de faire droit aux demandes de toutes les collectivités remplissant les conditions posées par la loi d'habilitation. L'obligation d'une motivation de leur demande imposée aux collectivités candidates n'est pas pour autant dépourvue d'intérêt : elle permettra au Gouvernement d'apprécier plus aisément si les conditions requises pour participer à l'expérimentation sont remplies, celles-ci risquant de s'avérer parfois ambiguës, et facilitera le travail d'évaluation.

Ces dispositions sont conformes au principe du volontariat , mis en exergue lors des débats consacrés à la révision constitutionnelle du 28 mars dernier : seules participeront à l'expérimentation les collectivités ayant déposé une demande en ce sens et l'habilitation ne pourra leur être refusée dès lors qu'elles rempliront les conditions posées par la loi.

M. Michel Piron souligne ainsi, dans son rapport au nom de la commission des Lois de l'Assemblée nationale, que le Gouvernement serait tenu de lancer une expérimentation quand bien même une seule collectivité territoriale s'y porterait candidate.

Votre commission des Lois vous demande d'adopter le texte proposé par cet article pour insérer un article L.O. 1113-2 dans le code général des collectivités territoriales sans modification .

Article L.O. 1113-3 nouveau
du code général des collectivités territoriales
Entrée en vigueur des actes des collectivités territoriales dérogeant
à des dispositions législatives régissant l'exercice de leurs compétences

Cet article a pour objet de déterminer les conditions d'entrée en vigueur des actes des collectivités territoriales dérogeant à certaines dispositions législatives régissant l'exercice de leurs compétences.

En règle générale, les actes des collectivités territoriales sont exécutoires de plein droit dès lors qu'il a été procédé, selon les cas, à leur publication ou affichage 20 ( * ) ou à leur notification aux intéressés 21 ( * ) . Le Conseil d'Etat a ainsi souligné que le délai de recours contre un acte administratif ne commençait à courir qu'à compter de la date à laquelle il était régulièrement porté à la connaissance de ses destinataires 22 ( * ) .

Les décisions individuelles doivent ainsi faire l'objet d'un double mode de publicité : la notification, qui fait courir le délai à l'égard des destinataires 23 ( * ) , et l'affichage qui fait courir le délai à l'égard des tiers 24 ( * ) .

Les actes réglementaires des communes de 3.500 habitants et plus, des départements et des régions doivent être publiés dans un recueil des actes administratifs 25 ( * ) .

Pour être exécutoires, nombre d'actes doivent, de surcroît, avoir été transmis au représentant de l'Etat. La liste de ces actes figure aux articles L. 2131-2, L. 3131-2 et L. 4141-2 du code général des collectivités territoriales. Il s'agit des délibérations des assemblées locales, des actes relevant d'un pouvoir de police, des actes réglementaires, des conventions relatives aux marchés, aux emprunts ou aux concessions et affermages de services publics locaux, des principales décisions individuelles concernant les agents territoriaux, des ordres de réquisition du comptable, des décisions relevant de l'exercice de prérogatives de puissance publique prises par des sociétés d'économie mixtes locales pour le compte d'une collectivité territoriale et, s'agissant des communes, de diverses dispositions relatives à l'urbanisme.

Aux termes du présent article, les actes des collectivités territoriales dérogeant, à titre expérimental, à certaines dispositions législatives régissant l'exercice de leurs compétences devraient, pour devenir exécutoires :

- d'une part, être transmis au représentant de l'Etat dans la collectivité territoriale, afin qu'il exerce le contrôle de légalité dans les conditions définies par le texte proposé pour insérer un article L.O. 1113-4 dans le code général des collectivités territoriales ;

- d'autre part, être publiés au Journal officiel de la République française, leur entrée en vigueur étant subordonnée à cette publication.

Le texte proposé pour insérer un article L.O. 1113-7 dans le code général des collectivités territoriales tend à soumettre aux mêmes conditions les actes des collectivités territoriales dérogeant à titre expérimental à des dispositions réglementaires régissant l'exercice de leurs compétences.

Le présent article précise opportunément que seuls seraient concernés par cette double obligation les actes à caractère général et impersonnel , c'est-à-dire les actes modifiant ou supprimant une disposition législative, et non les actes individuels pris sur leur fondement, dont le régime juridique resterait inchangé.

S'agissant des modalités de la publication, il est simplement indiqué que ces actes feraient l'objet d'une publication au Journal officiel après leur transmission au représentant de l'Etat.

Cette précision s'inscrit dans le droit fil de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui a censuré, dans une décision du 25 février 1982, une disposition rendant les actes des collectivités territoriales exécutoires de plein droit « avant même leur transmission au représentant de l'Etat, c'est-à-dire alors qu'il n'en connaît pas la teneur », considérant que ses prérogatives en matière de contrôle administratif et de respect des lois, reconnues au dernier alinéa de l'article 72 de la Constitution, ne pouvaient être ni restreintes ni privées d'effet, même temporairement.

Elle laisse entendre qu'il incomberait au préfet, en pratique, de déterminer les actes relevant du champ de l'expérimentation et de les transmettre au Secrétariat général du Gouvernement, afin que ce dernier les fasse publier au Journal officiel des lois et décrets.

Il importe de souligner, à l'instar de M. Michel Piron, rapporteur de la commission des Lois de l'Assemblée nationale, que cette procédure n'a en aucun cas pour objet et ne saurait avoir pour effet de conférer au représentant de l'Etat un droit de contrôle a priori de la légalité de l'acte et, ainsi, de rétablir une forme de tutelle sur les collectivités territoriales ayant recours à l'expérimentation.

Le rôle du préfet se limitera, à ce stade de la procédure, à celui d'un intermédiaire. Il exercera le contrôle de légalité, dans les conditions prévues par le texte proposé pour insérer un article L.O. 1113-4 dans le code général des collectivités territoriales, une fois que l'acte aura été publié.

Si inhabituelle soit-elle, l'obligation d'une publication au Journal officiel des actes des collectivités territoriales dérogeant aux dispositions législatives ou réglementaires régissant l'exercice de leurs compétences semble pleinement justifiée.

Dans sa décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999, le Conseil constitutionnel, a considéré, d'une part, que l' accessibilité et l' intelligibilité de la loi constituaient un objectif de valeur constitutionnelle, d'autre part, que « l'égalité devant la loi énoncée par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen et « la garantie des droits » requise par son article 16 pourraient ne pas être effectives si les citoyens ne disposaient pas d'une connaissance suffisante des normes qui leur sont applicables ».

La loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l'administration dispose ainsi, dans son article 2, que « Les autorités administratives sont tenues d'organiser un accès simple aux règles de droit qu'elles édictent. La mise à disposition et la diffusion des textes juridiques constituent une mission de service public au bon accomplissement de laquelle il appartient aux autorités administratives de veiller. »

Pour les expérimentations impliquant des dérogations aux dispositions législatives, il s'avère donc indispensable de prévoir des formes de publicité comparables à celles prévues pour la loi.

Au demeurant, les lois du pays adoptées par le Congrès de Nouvelle-Calédonie sont publiées non seulement au Journal officiel de la Nouvelle-Calédonie mais également au Journal officiel de la République.

L'article L. 4424-17 du code général des collectivités territoriales prévoit, quant à lui, la publication au Journal officiel des propositions, demandes et avis de l'Assemblée de Corse concernant l'adaptation des dispositions réglementaires nationales aux spécificités de l'île.

L'obligation d'une publication au Journal officiel des actes à caractère général et impersonnel des collectivités territoriales dérogeant à la loi ne les dispensera pas de l'accomplissement des formalités de publicité de droit commun, en particulier la publication au recueil des actes administratifs.

Sur proposition de sa commission des Lois acceptée par le Gouvernement, l' Assemblée nationale a imposé que ces actes mentionnent leur durée de validité . Cette précision, destinée elle aussi à garantir l'accessibilité et l'intelligibilité de la norme expérimentale, selon les termes de M. Michel Piron, rapporteur, s'avère d'autant plus indispensable que le projet de loi organique n'indique nulle part que les mesures prises par les collectivités territoriales dans le cadre de l'expérimentation cessent de produire leurs effets une fois cette dernière expirée. Le texte proposé pour insérer un article L.O. 1113-6 dans le code général des collectivités territoriales dispose en effet, d'une part, que le législateur a la possibilité de prolonger, de maintenir et de généraliser ou d'abandonner l'expérimentation, d'autre part, que cette dernière ne peut être poursuivie en l'absence de décision de sa part. En revanche, il ne précise pas que, dans ce cas, le droit antérieur à l'expérimentation redevient applicable. L'amendement adopté par l'Assemblée nationale permet de dissiper toute ambiguïté sur le caractère temporaire des normes édictées par les collectivités territoriales dans le domaine législatif ou réglementaire.

Votre commission des Lois vous demande d'adopter le texte proposé par cet article pour insérer un article L.O. 1113-3 dans le code général des collectivités territoriales sans modification .

Article L.O. 1113-4 nouveau
du code général des collectivités territoriales
Suspension, sur déféré préfectoral, de l'exécution des actes
des collectivités territoriales dérogeant à la loi

Cet article a pour objet de prévoir la suspension de droit, sur demande du représentant de l'Etat, des actes des collectivités territoriales dérogeant aux dispositions législatives régissant l'exercice de leurs compétences qui, en application de l'article L.O. 1113-3 du code général des collectivités territoriales, devraient obligatoirement lui être transmis.

Le texte proposé pour insérer un article L.O. 1113-7 dans le code général des collectivités territoriales tend à soumettre aux même régime les actes des collectivités territoriales dérogeant à titre expérimental à des dispositions réglementaires régissant l'exercice de leurs compétences.

1. La soumission au contrôle de légalité des actes des collectivités territoriales dérogeant aux dispositions législatives ou réglementaires régissant l'exercice de leurs compétences

Le préfet aurait tout d'abord la faculté de déférer au juge administratif les actes des collectivités territoriales dérogeant aux dispositions législatives régissant l'exercice de leurs compétences.

La question de la place dans la hiérarchie des normes des actes pris par les collectivités territoriales dans le cadre de ces expérimentations et du contrôle auxquels ils devaient être soumis a été posée lors des débats consacrés à la loi constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République. Intervenant dans le domaine législatif, devaient-ils relever du contrôle du Conseil constitutionnel ou de celui du juge administratif ?

Votre commission des Lois avait alors considéré que ces actes, y compris ceux qui dérogeraient à des dispositions législatives, resteraient des actes administratifs susceptibles d'un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif et soumis au respect tant de la Constitution et de la loi organique que des principes généraux du droit 26 ( * ) .

Cette analyse fut confirmée par M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales, lors des débats à l'Assemblée nationale : « à la différence de ce qui était prévu par les accords de Matignon [pour la Corse], qui envisageaient un transfert du pouvoir législatif en 2004, lorsque le législateur autorisera une dérogation, les actes pris dans ce cadre par une collectivité territoriale auront un caractère réglementaire. La philosophie du Gouvernement sur cette question est profondément différente de celle du gouvernement précédent 27 ( * ) » .

Leur régime juridique peut ainsi être comparé à celui des ordonnances prises par le Gouvernement en application de l'article 38 de la Constitution. Tant qu'elles n'ont pas été ratifiées par une loi, ces dernières demeurent des actes administratifs, susceptibles de recours pour excès de pouvoir 28 ( * ) devant le Conseil d'Etat. Celui-ci vérifie leur conformité à la loi d'habilitation et, si celle-ci ne fait pas écran, à la Constitution, aux engagements internationaux et aux principes généraux du droit 29 ( * ) .

De la même façon, tant que les mesures prises à titre expérimental n'auront pas été validées par la loi prévue par le texte proposé pour insérer un article L.O. 1113-6 dans le code général des collectivités territoriales, elles demeureront des actes administratifs susceptibles de recours pour excès de pouvoir.

La faculté reconnue au préfet de déférer au juge administratif les actes d'une collectivité territoriale dérogeant aux dispositions législatives régissant l'exercice de ses compétences est implicite dans la rédaction du projet de loi organique. Elle se déduit de la disposition permettant au représentant de l'Etat d'assortir son recours d'une demande de suspension.

Lors des débats à l'Assemblée nationale, M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales, a confirmé que les actes pris dans le cadre des expérimentations normatives autorisées par le quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution seraient soumis aux règles de contrôle applicables aux délibérations et aux actes des collectivités territoriales. M. Michel Piron, rapporteur, a donc retiré en séance publique un amendement de la commission des Lois de l'Assemblée ayant pour objet de le prévoir explicitement.

En revanche, l' Assemblée nationale , sur proposition de sa commission des Lois et avec l'avis favorable du Gouvernement, a précisé que les recours devraient être portés devant le tribunal administratif .

Votre rapporteur observe que l'article 74 de la Constitution confie au Conseil d'Etat le contentieux des actes des collectivités d'outre-mer régies par le principe de spécialité législative intervenant dans le domaine de la loi. L'article 73 de la loi fondamentale renvoie quant à lui à une autre loi organique le soin de déterminer les conditions dans lesquelles les départements et régions d'outre-mer pourront eux aussi déroger, à titre pérenne, à des dispositions législatives. Le projet de loi organique en préparation devra notamment déterminer quelle sera la juridiction compétente pour examiner les recours dirigés contre ces actes.

Considérant que l'expérimentation normative a notamment pour objet de rendre aux lois leur solennité et de laisser au pouvoir réglementaire des collectivités territoriales une plus grande latitude pour régler des situations différentes, votre commission des Lois approuve le choix effectué par l'Assemblée nationale de confier aux tribunaux administratifs le contentieux des actes des collectivités territoriales dérogeant aux dispositions législatives ou réglementaires régissant l'exercice de leurs compétences. Une telle solution est conforme au mouvement de la décentralisation et ces juridictions disposeront de la faculté de saisir le Conseil d'Etat, dans les conditions prévues à l'article L. 113-1 du code de justice administrative, d'une question préjudicielle en cas de difficulté.

2. La suspension automatique, sur demande du préfet, des actes des collectivités territoriales dérogeant aux dispositions législatives ou réglementaires régissant l'exercice de leurs compétences

En second lieu, le préfet aura la faculté d'assortir son recours en annulation d'une demande de suspension . L'exécution de l'acte déféré sera alors automatiquement interrompue jusqu'à ce que le juge des référés 30 ( * ) ait statué. Celui-ci disposera d'un délai d' un mois pour se prononcer sur la demande de suspension, au delà duquel l'acte redeviendra exécutoire.

Cette procédure de suspension automatique, sur demande du représentant de l'Etat, va à l'encontre du principe fondamental du caractère exécutoire des décisions administratives. Elle n'est cependant pas inédite.

Dans sa décision n° 92-316 DC du 20 janvier 1993, le Conseil constitutionnel avait censuré les dispositions de l'article 83 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques. En ayant pour effet de permettre au représentant de l'Etat de provoquer, à tout moment et pendant un délai de trois mois, la suspension des actes des collectivités locales dans des domaines importants relevant de leurs compétences, jusqu'à ce que le juge administratif ait statué définitivement sur le recours en annulation, ces dispositions portaient en effet atteinte au principe de libre administration de ces collectivités.

Toutefois, le quatrième alinéa de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales prévoit la suspension de droit, à l'initiative du préfet, de l'exécution des actes des communes en matière d'urbanisme, de marchés et de délégations de service public. Le représentant de l'Etat dispose d'un délai de dix jours pour formuler sa demande de suspension et le juge des référés d'un délai d'un mois pour se prononcer, au-delà duquel l'acte redevient exécutoire.

Il en va de même, aux termes de l'article L. 4423-1 du code général des collectivités territoriales, des délibérations de l'Assemblée de Corse ayant pour objet d'adapter des dispositions réglementaires aux spécificités de l'île.

S'agissant des autres actes des collectivités territoriales, les articles L. 2131-6, L. 3132-1 et L. 4142-1 du code général des collectivités territoriales reconnaissent au représentant de l'Etat la faculté d'assortir son recours en annulation d'une demande de suspension et prévoient qu'il est fait droit à cette demande si l'un des moyens invoqués paraît, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'acte attaqué. Le juge des référés, c'est-à-dire le président du tribunal administratif ou le magistrat délégué par lui, doit statuer dans un délai d'un mois, ramené à quarante-huit heures lorsque l'acte attaqué est de nature à compromettre l'exercice d'une liberté publique ou individuelle. Dans ce cas, sa décision est susceptible d'appel devant le Conseil d'Etat, alors qu'aux termes de l'article L. 523-1 du code de justice administrative, le juge des référés statue habituellement en dernier ressort.

Votre commission des Lois estime que la suspension automatique des actes des collectivités territoriales dérogeant aux dispositions législatives et, aux termes du texte proposé pour insérer un article L.O. 1113-7 dans le code général des collectivités territoriales, réglementaires régissant l'exercice des compétences des collectivités territoriales s'avère justifiée compte tenu des conséquences potentielles de ces actes.

Bien évidemment, l'action du préfet n'empêchera pas tout requérant ayant intérêt à agir de former un recours contre les actes des collectivités territoriales pris dans le cadre de l'expérimentation et d'assortir ce recours d'une demande de suspension, dans les conditions prévues à l'article L. 521-1 du code de justice administrative.

L'exposé des motifs du projet de loi organique précise également que le représentant de l'Etat pourra présenter une nouvelle demande de suspension, dans les conditions de droit commun, en l'absence de décision du juge des référés dans le délai d'un mois.

Votre commission des Lois vous demande d'adopter le texte proposé par cet article pour insérer un article L.O. 1113-4 dans le code général des collectivités territoriales sans modification .

Article L.O. 1113-5 nouveau
du code général des collectivités territoriales
Evaluation de l'expérimentation

Cet article a pour objet de déterminer les conditions d'évaluation de l'expérimentation.

En premier lieu, le Gouvernement devrait remettre au Parlement, avant l'expiration de la durée de l'expérimentation, un rapport assorti des observations des collectivités territoriales y ayant participé. Ce document devrait exposer les effets des mesures prises par les collectivités en ce qui concerne notamment :

- le coût et la qualité des services rendus aux usagers ;

- l'organisation des collectivités territoriales et des services de l'Etat ;

- leurs incidences financières et fiscales.

Ce rapport est destiné à éclairer les parlementaires sur les suites à donner à l'expérimentation, le texte proposé pour insérer un article L.O. 1113-6 dans le code général des collectivités territoriales leur reconnaissant la faculté de la prolonger, de la généraliser ou de l'abandonner.

De plus, chaque année, le Gouvernement devrait remettre au Parlement un rapport retraçant l'ensemble des demandes d'expérimentation qui lui auraient été adressées ainsi que les suites qui leur auraient été réservées.

Sur proposition de sa commission des Lois et avec l'avis favorable du Gouvernement, l' Assemblée nationale a prévu que ce rapport annuel devrait :

- d'une part, dresser le bilan des demandes d'habilitation présentées par les collectivités territoriales en application d'une loi autorisant une expérimentation normative ;

- d'autre part, retracer les propositions d'expérimentation que les collectivités territoriales et leurs groupements pourraient formuler en vue de la mise en place d'expérimentations nouvelles.

Le Gouvernement devrait exposer, dans le rapport, les suites réservées à ces demandes d'habilitation et propositions d'expérimentation.

Votre rapporteur tient à souligner que l'évaluation constitue l'indispensable corollaire de toute expérimentation. Elle seule permet de vérifier la pertinence des hypothèses retenues, d'adapter les solutions initialement envisagées, de prendre en compte d'éventuelles conséquences imprévues.

Le Conseil constitutionnel en a d'ailleurs fait une condition de la constitutionnalité des expérimentations, « considérant qu'il est même loisible au législateur de prévoir la possibilité d'expériences comportant des dérogations [...] de nature à lui permettre d'adopter par la suite, au vu des résultats de celles-ci, des règles nouvelles [...] ; que, toutefois, il lui incombe alors de définir [...] les conditions et les procédures selon lesquelles elles doivent faire l'objet d'une évaluation conduisant à leur maintien, à leur modification, à leur généralisation ou à leur abandon ». Dans cette décision n° 93-329 du 13 janvier 1994, il a ainsi a annulé la disposition en cause, au motif que l'évaluation instaurée par le législateur était facultative et non obligatoire.

Si cette obligation d'évaluation ne figure pas explicitement au quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution, elle a néanmoins été maintes fois rappelée lors des débats consacrés à la révision constitutionnelle.

Votre commission des Lois vous demande d'adopter le texte proposé par cet article pour insérer un article L.O. 1113-5 dans le code général des collectivités territoriales sans modification .

Article L.O. 1113-6 nouveau
du code général des collectivités territoriales
Suites réservées à l'expérimentation

Cet article a pour objet de déterminer les suites réservées à l'expérimentation.

En premier lieu, une nouvelle loi devrait, avant l'expiration de chaque expérimentation, retenir l'une des trois options suivantes :

- la prolongation ou la modification de l'expérimentation, pour une durée ne pouvant excéder trois ans ;

- le maintien et la généralisation des mesures prises à titre expérimental ;

- l'abandon de l'expérimentation.

Sur proposition de sa commission des Lois et avec l'avis favorable du Gouvernement, l' Assemblée nationale a logiquement précisé que l'adoption d'une nouvelle loi déterminant les suites de l'expérimentation devrait intervenir au vu de son évaluation.

Ces trois possibilités s'inscrivent dans le droit fil de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, selon laquelle l'expérimentation n'a de sens que si elle constitue le prélude à l'adoption de règles nouvelles.

La prolongation de l'expérimentation peut s'avérer nécessaire en raison soit de la trop grande brièveté du délai initial soit de l'apparition de conséquences imprévues. Le délai supplémentaire ne doit pas pour autant être trop long, sous peine de rendre irréversibles les mesures prises à titre expérimental et d'introduire des disparités dans le droit applicable sur le territoire national, qui seraient contraires au principe d'égalité.

Le succès de l'expérimentation pourra conduire le législateur soit à généraliser, à titre pérenne, les mesures prises par une collectivité à titre expérimental, soit à élaborer une norme nouvelle faisant la synthèse des différentes règles retenues par les collectivités territoriales.

Lorsqu'elles relèveront du domaine réglementaire, les dispositions adoptées par chaque collectivité pourront par ailleurs être maintenues, le législateur se contentant alors de tracer un cadre pour l'exercice du pouvoir réglementaire local.

Une fois le cadre commun tracé par le législateur, assurant l'égalité des citoyens devant la loi, pourquoi ne pas laisser au pouvoir réglementaire local le soin de fixer des modalités d'application adaptées aux spécificités de chaque territoire ?

Votre commission des Lois en était persuadée et avait proposé, lors de l'examen en première lecture de la loi constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République, de modifier l'article 21 de la Constitution afin de séparer clairement le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales de celui du Premier ministre. Le législateur aurait ainsi pu renvoyer au pouvoir réglementaire local, à l'exclusion de celui du Premier ministre, le soin de déterminer les modalités d'application de telle ou telle disposition législative.

Cette proposition n'ayant pas abouti, le pouvoir réglementaire national conservera la faculté de préciser à tout moment les conditions d'application d'une loi. Les mesures prises à titre expérimental par les collectivités territoriales n'en pourront pas moins, le cas échéant, être « délégalisées » et maintenues, à titre pérenne, dans le cadre du pouvoir réglementaire local d'application des lois.

Si des mesures adoptées à titre dérogatoire devaient être maintenues, sans pouvoir être transposées sur l'ensemble du territoire national ni relever de la compétence du pouvoir réglementaire local, le législateur aurait la faculté, en application de l'article 72 de la Constitution, de doter d'un statut particulier la collectivité territoriale les ayant adoptées.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales, déclarait ainsi à l'Assemblée nationale lors de l'examen de la loi constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République, à propos d'une expérimentation réussie mais ne pouvant être généralisée 31 ( * ) : « ayant une durée limitée, elle risque en effet d'être interrompue alors qu'elle fonctionnait bien, ce qui serait un peu absurde. Par ailleurs, sa généralisation à d'autres régions ou à d'autres collectivités territoriales n'aurait aucun sens. En fait, la dernière loi sur la Corse a parfaitement traité ce problème, puisqu'elle permet au législateur de passer par le statut particulier. Néanmoins, cette solution devra demeurer l'exception parce qu'il n'est pas question de construire une France disparate » .

Enfin, il importe de permettre au législateur de tirer les leçons d'un échec, d'abandonner une expérimentation et de rétablir l'application de la norme commune sur le territoire des collectivités territoriales habilitées à y déroger, le cas échéant en prévoyant un dispositif transitoire. La réversibilité de l'expérimentation ne devra pas conduire pour autant à une remise en cause des « droits acquis » sous l'empire de la norme expérimentale, par exemple l'obtention d'un permis de construire.

En deuxième lieu, le présent article prend en compte l' hypothèse où aucune loi ne serait adoptée pour déterminer les suites de l'expérimentation : son dernier alinéa précise opportunément que l'expérimentation ne pourrait être poursuivie au delà du terme fixé par la loi d'habilitation.

Tout comme dans le cas d'une loi expresse d'abandon, les actes dérogatoires à caractère général et impersonnel, adoptés à titre expérimental par les collectivités territoriales, deviendraient caducs, seules restant valides les mesures individuelles prises sur leur fondement. L'Assemblée nationale a ainsi prévu, dans le texte proposé pour insérer un article L.O. 1113-3 dans le code général des collectivités territoriales, que ces actes à caractère général et impersonnel devraient porter mention de la durée de leur validité. Cette précision était d'autant plus justifiée que, sans elle, les citoyens n'eussent pas été informés du rétablissement de l'application de la règle de droit commun.

En troisième et dernier lieu, afin d'assurer la sécurité juridique des expérimentations et de ne pas faire dépendre leur sort de l'encombrement de l'ordre du jour parlementaire, le présent article prévoit que le dépôt d'un projet de loi ayant pour objet de prolonger, de modifier, de maintenir, de généraliser ou d'abandonner l'expérimentation aurait pour effet de la proroger pendant une durée maximale d'un an . Cette prorogation devrait faire l'objet d'une publication au Journal officiel .

L'exposé des motifs du projet de loi organique explique ainsi que « dans un souci de sécurité juridique, cet article prévoit une période de transition jusqu'à la décision du législateur ». Pendant cette période, non seulement les mesures déjà prises par les collectivités territoriales resteraient en vigueur, mais elles pourraient en adopter de nouvelles.

Sur proposition de sa commission des Lois acceptée par le Gouvernement, l'Assemblée nationale a prévu que le dépôt d'une proposition de loi ayant pour objet de prolonger, de modifier, de maintenir, de généraliser ou d'abandonner une expérimentation aurait pour effet , à l'instar de celui d'un projet de loi ayant l'un de ces objets, de la proroger dans la limite d'un an à compter du terme prévu dans la loi ayant autorisé l'expérimentation , mention devant être faite de cette prorogation au Journal officiel. Cette prolongation d'un an s'ajouterait à la prolongation de trois ans susceptible d'être décidée par le législateur.

Ce dispositif original s'inspire de celui de l'article 38 de la Constitution, aux termes duquel les ordonnances « deviennent caduques si le projet de loi de ratification n'est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d'habilitation ». Toutefois, le dépôt du projet aurait pour conséquence de prolonger la durée de l'expérimentation alors que, dans le cas des ordonnances, il ne fait que modifier la nature juridique des mesures prises.

La loi n° 2003-6 du 3 janvier 2003 portant relance de la négociation collective en matière de licenciements économiques a quant à elle prévu, dans son article premier, la suspension de certaines dispositions du code du commerce et du code du travail pour une durée de dix-huit mois, cette suspension étant susceptible d'être maintenue pour un an en cas de dépôt d'un projet de loi au cours de cette période. La mention de la date du dépôt du projet de loi maintenant la suspension fera l'objet d'un avis publié au Journal officiel.

S'il paraît singulier que des dispositions législatives puissent être prorogées non pas par l'adoption d'une autre loi mais par le simple dépôt d'un projet ou d'une proposition de loi, le dispositif introduit par le texte proposé pour insérer un article L.O. 1113-6 dans le code général des collectivités territoriales n'est donc pas sans précédent. Il se justifie par un impératif de sécurité juridique et ses conséquences seront limitées dans la mesure où la durée maximale de prolongation sera d'un an, le législateur gardant la possibilité, soit par le biais de l'ordre du jour prioritaire, soit par celui de l'ordre du jour complémentaire, de réduire ce délai en examinant plus rapidement le projet ou la proposition de loi. Néanmoins, dans la mesure où la loi du 3 janvier 2003 n'a pas été soumise au Conseil constitutionnel, on ne peut préjuger sa décision sur le présent projet de loi organique.

Sos le bénéfice de ces observations, votre commission des Lois vous demande d'adopter le texte proposé par cet article pour insérer un article L.O. 1113-6 dans le code général des collectivités territoriales sans modification .

Article L.O. 1113-7 nouveau
du code général des collectivités territoriales
Dérogation aux dispositions réglementaires régissant l'exercice
des compétences des collectivités territoriales

Cet article a pour objet de déterminer les conditions dans lesquelles les collectivités territoriales pourraient être habilitées à déroger, à titre expérimental, aux dispositions réglementaires régissant l'exercice de leurs compétences. Il procède par renvoi aux dispositions du code général des collectivités territoriales applicables aux expérimentations dans le domaine législatif.

L'habilitation serait délivrée par un décret en Conseil d'Etat . Ce décret devrait comporter les mentions imposées aux lois d'habilitation par l'article L.O. 1113-1 du code général des collectivités territoriales, et préciser l'objet de l'expérimentation, sa durée et le délai dans lequel les collectivités territoriales pourraient demander à y participer, ainsi que les conditions requises pour obtenir l'habilitation.

La procédure d'habilitation serait identique à celle prévue par l'article L.O. 1113-2 du code général des collectivités territoriales en matière de dérogation aux dispositions législatives régissant l'exercice des compétences des collectivités locales.

De même, le régime des actes adoptés par les collectivités territoriales dans le domaine réglementaire et les conditions d'exercice du contrôle de légalité seraient identiques à ceux des actes pris dans le domaine de la loi, respectivement définis aux articles L.O. 1113-3 et L.O. 1113-4 nouveaux du code général des collectivités territoriales.

En revanche, les modalités d' évaluation des expérimentations seraient fixées par le décret d'habilitation. Le Parlement ne serait pas informé au cas par cas des suites de chaque expérimentation ; il serait simplement destinataire d'un bilan récapitulant l'ensemble des évaluations concernant les expérimentations normatives dans le domaine réglementaire.

Enfin, il est indiqué que l'expérimentation ne pourrait être poursuivie au-delà du délai prévu par le décret d'habilitation si un nouveau décret en Conseil d'Etat ne prévoyait, dans les conditions prévues par le texte proposé pour insérer un article L.O. 1113-6 dans le code général des collectivités territoriales, sa prolongation, sa modification, son maintien, sa généralisation ou son abandon. Point n'est besoin de prévoir, comme pour les expérimentations législatives, un dispositif qui s'apparenterait à celui de la prorogation automatique en cas de dépôt d'un projet de loi, la question de l'encombrement de l'ordre du jour des assemblées ne se posant pas.

L'intérêt d'une expérimentation dans le domaine réglementaire est limité, puisque la plupart des dispositions régissant les collectivités territoriales relèvent du domaine de la loi.

Néanmoins, comme le souligne M. Michel Piron, rapporteur de la commission des Lois de l'Assemblée nationale, « une telle expérimentation peut être pertinente si elle est faite concomitamment à une expérimentation législative dans un domaine donné, conférant ainsi aux collectivités locales candidates la pleine maîtrise du corpus normatif régissant une compétence 32 ( * ) . »

Votre commission des Lois vous demande d'adopter le texte proposé par cet article pour insérer un article L.O. 1113-7 dans le code général des collectivités territoriales sans modification .

Elle vous propose d'adopter l'article premier du projet de loi organique sans modification .

Article 2
(art. L.O. 5111-5 nouveau du code général des collectivités territoriales)
Possibilité pour les établissements publics regroupant exclusivement des collectivités territoriales de participer à des expérimentations normatives

Cet article a pour objet d'insérer un article L.O. 5111-5 dans le code général des collectivités territoriales, afin de permettre aux établissements publics regroupant exclusivement des collectivités territoriales de déroger, dans les mêmes conditions que les collectivités territoriales, aux dispositions législatives ou réglementaires régissant l'exercice de leurs compétences.

A l'initiative du Sénat et de nos collègues Daniel Hoeffel et Jean-Claude Gaudin, la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République a ouvert aux groupements de collectivités territoriales le bénéfice du droit à l'expérimentation normative.

Le projet de loi organique précise le champ de cette faculté en la limitant aux établissements regroupant exclusivement des collectivités territoriales. En seraient ainsi privés les syndicats mixtes dits « ouverts », composés de communes et d'établissements publics de coopération intercommunale, et les syndicats mixtes dits « fermés », qui regroupent des institutions d'utilité commune interrégionales, des régions, des ententes ou des institutions interdépartementales, des départements, des établissements publics de coopération intercommunale, des communes, des chambres de commerce et d'industrie, d'agriculture, de métiers et d'autres établissements publics, en vue d'oeuvres ou de services présentant une utilité pour chacune de ces personnes morales.

L'ensemble des autres groupements de collectivités territoriales pourrait bénéficier de la faculté de déroger à titre expérimental à des dispositions législatives ou réglementaires régissant l'exercice de leurs compétences. Les débats parlementaires montrent que le Constituant a ouvert cette possibilité en ayant à l'esprit les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, qui constituent les structures les plus intégrées de coopération intercommunale ; néanmoins, en l'absence de précision formelle dans la Constitution, il paraissait difficile d'opérer une telle distinction dans la loi organique. Il reviendra aux lois ou décrets d'habilitation de déterminer les critères pertinents de participation à l'expérimentation, au vu notamment des compétences transférées par les communes et des modalités de financement du groupement.

La rédaction de l'article 2 a le mérite de la simplicité ; il n'a pas été jugé utile de décliner pour les groupements les articles de la loi organique applicables aux collectivités territoriales. Ils sont transposables sans difficulté, sous réserve néanmoins de préciser que c'est à l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale qu'il reviendra de prendre une délibération motivée pour se porter candidat à l'expérimentation.

Votre commission des Lois vous propose d'adopter l'article 2 sans modification .

* 16 Rapport n° 955 (Assemblée nationale XII e législature) de M. Michel Piron au nom de la commission des Lois de l'Assemblée nationale, page 25.

* 17 Journal officiel des débats de l'Assemblée nationale, deuxième séance du 22 novembre 2002, page 5618.

* 18 Rapport n° 955 (Assemblée nationale XII e législature) de M. Michel Piron au nom de la commission des Lois de l'Assemblée nationale, page 25.

* 19 Rapport n° 955 (Assemblée nationale - XII e législature) de M. Michel Piron au nom de la commission des Lois de l'Assemblée nationale, page 27.

* 20 L'article 6 de la loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité a reconnu l'affichage comme un mode de publicité suffisant, au même titre que la publication, pour rendre exécutoires les actes des collectivités territoriales. Il a par ailleurs consacré la possibilité d'assurer la publicité de ces actes, à titre complémentaire et non exclusif, sur support numérique.

* 21 Articles L. 2131-1, L. 2131-3, L. 3131-1, L. 3131-4, L. 4141-1 et L. 4141-4 du code général des collectivités territoriales.

* 22 Conseil d'Etat,19 février 1993, Nainfa.

* 23 Conseil d'Etat, 12 juin 1998, Mme Lemaire.

* 24 Conseil d'Etat, 11 octobre 1957, Pierrotet.

* 25 Articles L. 2122-29, L. 3131-3 et L. 4141-3 du code général des collectivités territoriales.

* 26 Rapport n° 27 (Sénat, 2002-2003) de M. René Garrec, président de la commission des Lois du Sénat, page 107.

* 27 Journal Officiel des débats de l'Assemblée nationale, deuxième séance du 22 novembre 2002, page 5621.

* 28 Décision du 8 août 1985 du Conseil constitutionnel.

* 29 Conseil d'Etat, 4 novembre 1996, Association de défense de sociétés de course des hippodromes de province.

* 30 Selon les termes de l'article L. 511-1 du code de justice administrative, le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal et doit se prononcer dans les meilleurs délais.

Sont juges des référés les présidents des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, ainsi que les magistrats qu'ils désignent à cet effet parmi ceux ayant une ancienneté d'au moins deux ans et au moins le grade de premier conseiller.

* 31 Journal officiel des débats de l'Assemblée nationale, deuxième séance du 22 novembre 2002, page 5620.

* 32 Rapport n° 955 (Assemblée nationale, XII e législature) de M. Michel Piron, rapporteur de la commission des Lois de l'Assemblée nationale, page 39.

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