Rapport n° 93 (2004-2005) de M. André BOYER , fait au nom de la commission des affaires étrangères, déposé le 2 décembre 2004

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N° 93

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2004-2005

Annexe au procès-verbal de la séance du 2 décembre 2004

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant l'adhésion à la convention relative à la conservation et à la gestion des stocks de poissons grands migrateurs dans le Pacifique occidental et central (ensemble quatre annexes),

Par M. André BOYER,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Serge Vinçon, président ; MM. Jean François-Poncet, Robert Del Picchia, Jacques Blanc, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Jean-Pierre Plancade, Philippe Nogrix, Mme Hélène Luc, M. André Boyer, vice-présidents ; MM. Simon Loueckhote, Daniel Goulet, Jean-Guy Branger, Jean-Louis Carrère, André Rouvière, secrétaires ; MM. Bernard Barraux, Jean-Michel Baylet, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Pierre Biarnès, Didier Borotra, Didier Boulaud, Robert Bret, Mme Paulette Brisepierre, M. André Dulait, Mme Josette Durrieu, MM. Jean Faure, Jean-Pierre Fourcade, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Gisèle Gautier, MM. Francis Giraud, Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Robert Hue, Joseph Kergueris, Robert Laufoaulu, Louis Le Pensec, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Charles Pasqua, Jacques Pelletier, Daniel Percheron, Jacques Peyrat, Xavier Pintat, Yves Pozzo di Borgo, Jean Puech, Yves Rispat, Josselin de Rohan, Roger Romani, Gérard Roujas, Mme Catherine Tasca, MM. André Trillard, André Vantomme, Mme Dominique Voynet.

Voir le numéro :

Sénat : 45 (2004-2005)

Traités et conventions.

Mesdames, Messieurs,

La convention sur la conservation et la gestion des stocks de poissons grands migrateurs dans le Pacifique occidental et central vise à étendre à cette vaste zone géographique des dispositions de préservation et de gestion raisonnée des stocks halieutiques qui sont déjà en vigueur dans la plus grande partie des océans .

La zone du Pacifique central et occidental, particulièrement riche en poissons « grands migrateurs », c'est-à-dire, pour l'essentiel, les thons, s'est dotée, avec la présente convention signée à Honolulu en 2000, des instruments de régulation indispensables à leur préservation à long terme .

La France, impliquée dans cet accord par la présence de trois C.O.M. (Collectivités d'Outre-Mer : Nouvelle-Calédonie, Polynésie, Wallis-et-Futuna) dans cette zone, s'est engagée de longue date dans les travaux qui aboutissent aujourd'hui au présent projet de convention.

I. UNE CONVENTION QUI S'INSCRIT DANS UN EFFORT CONTINU DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE POUR INSTAURER UN DROIT ÉCONOMIQUE DES PÊCHES

A. LA NÉCESSITÉ D'UNE EXPLOITATION RAISONNÉE DES RESSOURCES HALIEUTIQUES DE HAUTE MER S'EST TRADUITE PAR PLUSIEURS ACCORDS INTERNATIONAUX

La convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 , accorde des droits souverains aux Etats côtiers dans leur zone économique exclusive (ZEE), et appelle à la coopération entre Etats pour une gestion rationnelle des poissons grands migrateurs .

Plusieurs accords instaurant des organisations régionales de pêche ont été conclus pour gérer cette ressource convoitée de haute mer. Ainsi, dès 1949, une commission interaméricaine du thon tropical , portant sur la partie orientale du Pacifique a été créée. Puis ont été instituées la commission internationale pour la conservation du thon de l'Atlantique, en 1969, et la commission des thons de l'Océan Indien, en 1996 . La France siège dans ces trois commissions, ce qui lui permet de participer à cette gestion raisonnée au bénéfice de Mayotte, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de la Polynésie française.

Par ailleurs, la convention des Nations-Unies sur le droit de la mer, entrée en vigueur en 1994, a défini les compétences des organisations régionales de pêche pour la gestion, d'une part, des « stocks chevauchants » - les migrations de certaines espèces de poissons réclament une harmonisation des actions nationales- et, d'autre part, des poissons « grands migrateurs ».

La zone du Pacifique occidental et central , qui recèle de nombreuses richesses halieutiques, s'est dotée à son tour d'une convention du même type, signée à Honolulu en septembre 2000, et entrée en vigueur le 19 juin 2004.

La difficulté des négociations a consisté à trouver un terrain d'entente entre deux groupes de pays dont les intérêts étaient divergents : d'une part, les Etats insulaires du Pacifique, réunis au sein de l'Agence des pêches du Forum du Pacifique Sud , qui souhaitent protéger les ressources halieutiques et les exploiter de manière durable et rentable et, d'autre part, les grands Etats pêcheurs asiatiques soucieux d'exploiter ces ressources à moindre coût en étant soumis à des contraintes minimales, les Etats-Unis se trouvant dans une situation intermédiaire entre ces deux groupes.

Ces négociations, débutées en 1997, ont donc réuni tous les Etats membres du Forum du Pacifique sud, les Etats côtiers et les territoires du Pacifique, ainsi que les Etats du pavillon pratiquant la pêche aux thonidés dans la région. Les territoires français (Nouvelle Calédonie, Polynésie française et Wallis-et-Futuna) ont été invités aux travaux dès 1997, et la France en 1998.

Après la signature de l'accord, des conférences préparatoires se sont tenues pour préciser les modalités d'organisation et de fonctionnement de la Commission des pêches instituée par la Convention , et portant sur le règlement intérieur, le budget et le règlement financier, les mesures de contrôle et de surveillance.

B. LA FRANCE APPORTERA SES CAPACITÉS DE SURVEILLANCE À L'APPLICATION DE LA PRÉSENTE CONVENTION

Sur ces bases, le Conseil Interministériel de la Mer du 16 février 2004 a décidé que la France devait désormais adhérer à la Convention d'Honolulu , pour plusieurs raisons.

D'abord, la ratification par la France, le 19 décembre 2003, de l'accord de New York sur les stocks chevauchants l'a engagée à adhérer aux organisations régionales de pêche ou à coopérer avec elles. Si elle n'était pas partie à la présente convention, la France serait donc néanmoins tenue d'appliquer les mesures prises par la Commission des pêches du Pacifique central et occidental, en vertu de l'Accord de New York précité. Il était donc préférable qu'elle puisse participer en tant qu'Etat membre aux travaux de la Commission, et non en qualité de simple observateur, afin de pouvoir exposer ses vues, et défendre les intérêts de ses collectivités d'Outre-Mer.

Grâce aux droits qui leur ont été reconnus, les collectivités françaises du Pacifique bénéficieront d'une situation privilégiée au sein de cette organisation régionale de pêche , alors que celles-ci n'acceptent généralement pas la participation de territoires qui ne bénéficient pas du statut de sujet du droit international.

Enfin, l'élaboration du règlement intérieur de la commission régissant les travaux de la Convention d'Honolulu a donné à nos C.O.M. l'assurance de pouvoir y disposer d'un droit de vote, malgré leur absence de statut d'Etat indépendant. La ratification de la Convention par la France va lui permettre de siéger comme membre à part entière au sein de cette commission. Or, il faut rappeler que la France est un acteur de premier plan dans le Pacifique Sud en matière de lutte contre la pêche illicite . Elle a signé un accord de coopération en la matière avec l'Australie le 24 novembre 2003, et en négocie actuellement un second avec le Vanuatu.

Cette zone du Pacifique est, en l'état actuel, très poissonneuse, mais la surexploitation opérée par des acteurs légaux, comme le Japon et la Corée, ou des flottes clandestines est en voie de compromettre la pérennité de cette ressource.

II. LA CONVENTION CONTRIBUERA À PRÉSERVER LES ESPÈCES DE  POISSONS  GRANDS MIGRATEURS, ACTUELLEMENT  SOUMISES À SURPÊCHE DANS LE PACIFIQUE OCCIDENTAL ET CENTRAL

A. L'INTÉRÊT ÉCONOMIQUE DES THONIDÉS PEUT MENACER LEUR PÉRENNITÉ, PARTICULIÈREMENT DANS CETTE ZONE

La plus grande partie des zones océaniques étant déjà protégée par différents accords, la pression des captures s'est portée sur le Pacifique occidental et central. Les thonidés, très recherchés pour leurs grandes qualités nutritives, sont menacés par ces prises sans cesse accrues.

C'est pourquoi la convention porte essentiellement sur les quatre espèces de thons exploitées dans le Pacifique occidental et central : la bonite, le germon, le thon jaune et le thon obèse. Les évaluations sur l'état des stocks de ces espèces menées par les scientifiques du Secrétariat Général de la Communauté du Pacifique (CPS), indiquent que seuls les stocks de bonite et de germon sont capables de supporter leurs niveaux actuels d'exploitation, mais pas les thons jaunes et surtout les thons obèses. Pour ces espèces, il est recommandé de ne pas augmenter leur mortalité par pêche. L'étude de mesures de gestion concernant les thons jaune et obèse a été inscrite à l'ordre du jour de la première réunion de la commission tenue en décembre 2004.

En effet, en 2003, l'estimation des captures de ces quatre espèces de thons dans le Pacifique central et occidental fait état de 1,941 million de tonnes, soit le second plus haut niveau de captures après 1998 (1,985 million de tonnes). Cela représente environ la moitié des captures mondiales . Les captures de bonites en 2003 ont atteint 1,253 million de tonnes, et celles de thon jaune ont été les plus fortes enregistrées sur les cinq dernières années avec 457 000 tonnes. A l'inverse, les captures de thon obèse (96 000 tonnes) ont été les plus basses enregistrées durant les sept dernières années. Celles de germon (135 000 tonnes) ont été légèrement en retrait par rapport à 2002, année record avec 140 000 tonnes.

En termes de marché, les produits destinés à la conserve et aux autres modes d'utilisation non fraîche (bonite, thons jaunes et obèse congelés) sont envoyés vers la Thaïlande et le Japon (volumes des importations de l'ordre de 600 000 tonnes et 70 000 tonnes respectivement en 2003). Les Etats-Unis enregistrent des volumes d'importation beaucoup plus faibles (environ 10 000 tonnes en 2003), en partie via leurs conserveries du Pacifique (germon). S'agissant des marchés du sashimi et des produits frais (thons jaune et obèse, essentiellement, le Japon a importé de l'ordre de 180 000 tonnes en 2003 et les Etats-Unis, environ 20 000 tonnes.

B. LA PÊCHE HAUTURIÈRE CONSTITUE UNE RESSOURCE ÉCONOMIQUE CROISSANTE POUR LA NOUVELLE-CALÉDONIE ET LA POLYNÉSIE

Ces deux territoires s'efforcent de diversifier leurs revenus, tirés pour l'essentiel du tourisme et, pour la Nouvelle-Calédonie, de l'exploitation minière, en développant une flotte commerciale de pêche.

Ainsi, la flottille thonière néo-calédonienne se compose de 29 palangriers (bateaux munis de longues lignes porteuses d'hameçons), opérant uniquement dans la zone économique exclusive de ce territoire. La production augmente régulièrement depuis 5 ans ; en 2003, elle s'est élevée à 2 466 tonnes de poissons, dont 45 % de thons blancs, 31 % de thons jaunes et 6% de thons obèses, pour un chiffre d'affaire d'un milliard de Francs CFP. 1200 tonnes (soit 50 %) de thons blancs ou jaunes et de prises secondaires ont été vendues sur le marché local ; 420 tonnes, essentiellement des thons jaunes, ont été vendues sur les marchés aux enchères japonais ; 185 tonnes, surtout des thons blancs, ont été exportées pour tenter de trouver de nouveaux débouchés ; enfin 670 tonnes, surtout des thons blancs, ont été expédiées vers les conserveries du Pacifique lorsque les marchés plus rémunérateurs ne pouvaient absorber la production.

La filière de la pêche thonière représentait, en 2003, un chiffre de 500 millions de Francs CFP à l'exportation. Elle se situe ainsi en deuxième position du secteur primaire, derrière l'aquaculture de crevette, et loin devant les exportations de produits agricoles (239 millions de Francs CFP). Le nombre d'emplois induits est estimé, pour ce type de filière, à deux ou trois fois le nombre d'emplois directs, soit 400 à 600.

La Polynésie mise également sur les captures de thon, qui ont atteint un volume d'environ 6.500 tonnes en 2003 . L'évolution de ces prises, effectuées par sa flotte palangrière, est retracée dans le graphique suivant :

Evolution de la production palangrière de Polynésie

(Source : secrétariat général de la Communauté du Pacifique)

Les espèces commercialisables totalisent 6 065 tonnes soit 93 % des captures totales . Le thon germon domine largement les captures avec 58 % de la production totale (64 % des prises commerciales). Le thon à nageoires jaunes est redevenu la seconde espèce capturée avec 10 % des prises ; viennent ensuite les espèces à rostres avec 8 % des captures et composées de marlin bleu (56 %), de marlin rayé (22 %) et d'espadon (22 %). Le thon obèse représente 7 % du total (soit 16 % pour les thons à chair rouge). Bien que non ciblées, les diverses espèces de requins totalisent 5 % de la production.

Ces prises sont ainsi récapitulées :

Espèce

Production (tonnes)

Germon

3846

Thon obèse

439

Thon jaune

621

Rostres

541

Requins

329

Divers commercialisables

572

Divers non commercialisables

183

Total

6530

On mesure donc l'importance économique de la pêche de haute mer pour la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie, qui donne toute sa pertinence à leur participation aux instances établies par la présente convention.

CONCLUSION

La mise en oeuvre de cette convention est salutaire, et sa ratification par la France permettra à notre pays de défendre la nécessité d'une gestion à long terme des ressources, tout en préservant les intérêts économiques de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie.

Notre pays verra ainsi sa présence géo-politique dans cette vaste zone confortée.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission a examiné le présent rapport lors de sa séance du 1 er décembre 2004.

Après avoir entendu l'exposé du rapporteur et suivant son avis, la commission a adopté le projet de loi .

PROJET DE LOI

(Texte proposé par le Gouvernement)

Article unique

Est autorisée l'adhésion à la convention relative à la conservation et à la gestion des stocks de poissons grands migrateurs dans le Pacifique occidental et central (ensemble quatre annexes), faite à Honolulu le 5 septembre 2000, et dont le texte est annexé à la présente loi. 1 ( * )

ANNEXE N° 1 -
FICHE D'IMPACT JURIDIQUE2 ( * )

La Politique Commune de la Pêche ne s'applique pas aux Territoires d'Outre-Mer français. La France a donc participé aux négociations de la Convention d'Honolulu, ainsi qu'aux Conférences préparatoires à l'établissement de la Commission au titre de ses collectivités d'outre-mer du Pacifique (Nouvelle-Calédonie, Polynésie française et Wallis et Futuna). Ses engagements au titre de la future Commission concernent essentiellement les zones économiques exclusives de ces trois territoires d'outre-mer.

Certains des domaines traités par la présente Convention relèvent de la compétence des territoires jouissant d'un statut d'autonomie interne (Nouvelle-Calédonie, Polynésie française), c'est le cas notamment des mesures de gestion et de conservation de la zone économique exclusive (ZEE). D'autres dispositions demeurent de la compétence exclusive de la France (obligations de l'Etat du pavillon, mise en oeuvre de poursuites judiciaires, police des pêches dans la ZEE ou en haute mer, règlement des différends).

Les intérêts français pour les unités de pêche métropolitaine dans la haute mer couverte par la zone de la Convention sont représentés par la Communauté européenne. Il n'y a pas de navire métropolitain actif dans la zone couverte par la future Commission, mais il y a des navires communautaires (espagnols). La Communauté européenne a participé en qualité d'observateur aux négociations antérieures à l'adoption de la Convention, ainsi qu'aux Conférences qui se sont tenues après l'adoption de la Convention.

L'article 1 paragraphe g) de l'instrument définit le concept d'organisation régionale d'organisation économique et l'article 35 précise qu'après l'entrée en vigueur de la Convention, les Parties Contractantes pourront inviter par consensus d'autres Etats ou des organisations régionales d'intégration économique dont les ressortissants et les navires souhaitent capturer des stocks de poissons hautement migrateurs dans la zone de la Convention, à adhérer à la Convention.

La Convention étant entrée en vigueur le 19 juin 2004 à l'égard des Etats l'ayant ratifiée, les Parties contractantes peuvent désormais inviter la Communauté européenne à participer à la Commission.

L'adhésion de la France à cette Convention ne suppose aucune modification au droit existant.

ANNEXE N° 2 -
CARTE DES ZONES DE COMPÉTENCE
DES COMMISSIONS DES PÊCHES DANS
L'OCÉAN PACIFIQUE

* 1 Voir le texte annexé au document Sénat n° 45 (2004-2005).

* 2 Texte transmis par le Gouvernement pour l'information des parlementaires.

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