II. LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE PRÉVOIT UNE RÉVISION LIMITÉE DE LA CONSTITUTION

La révision de la Constitution prévue par le projet de loi constitutionnelle adopté par l'Assemblée nationale le 1 er février 2005 a pour seul objet de lever les obstacles juridiques mais également politiques à la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe.

A. UNE RÉVISION NÉCESSAIRE

Dans sa décision du 19 novembre 2004, le Conseil constitutionnel a estimé que l'inscription dans le traité du principe de la primauté du droit de l'Union sur le droit des Etats membres et l'octroi d'une valeur juridique à la Charte des droits fondamentaux n'étaient pas incompatibles avec la Constitution.

Dans le droit fil de sa jurisprudence antérieure, il a en revanche considéré que certaines clauses du traité établissant une Constitution pour l'Europe affectaient les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale en transférant à l'Union européenne des compétences nouvelles ou en lui permettant d'exercer certaines de ses compétences selon des modalités nouvelles.

Enfin, il a observé que la mise en oeuvre des nouvelles prérogatives reconnues par le traité aux parlements nationaux manquait de base constitutionnelle.

1. La compatibilité du principe de primauté du droit de l'Union et de la Charte des droits fondamentaux avec la Constitution

Comme on l'a vu , le principe de primauté du droit de l'Union européenne sur le droit interne de ses Etats membres est déjà reconnu par les juridictions européennes et nationales. Toutefois, elles ne lui donnent pas la même portée.

Pour la Cour de justice des Communautés européennes, cette primauté est absolue : les Etats membres ne peuvent invoquer aucune disposition de leur doit interne, même constitutionnelle, pour faire obstacle à la mise en oeuvre du droit de l'Union.

Pour nombre de juridictions nationales, cette primauté n'est que relative, le droit de l'Union ne pouvant être appliqué lorsqu'il méconnaît certaines dispositions de droit interne ayant valeur constitutionnelle.

Dans ses décisions précitées du 10 juin, du 1 er juillet et du 29 juillet 2004, le Conseil constitutionnel a ainsi observé que la transposition d'une directive communautaire résultait d'une obligation posée par l'article 88-1 de la Constitution mais qu'une disposition contraire, expresse et spécifique, de la Constitution pouvait y faire obstacle.

L'inscription du principe de primauté du droit de l'Union sur le droit des Etats membres à l'article I-6 du traité établissant une Constitution pour l'Europe aurait pu être jugée contraire à la Constitution dans la mesure où la déclaration annexée à ce texte prévoit qu'elle reflète la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes.

Le Conseil constitutionnel a estimé qu'il n'en était rien, en faisant valoir qu'il résultait de l'ensemble des stipulations du traité, en particulier de son article I-5, aux termes duquel l'Union respecte l'identité nationale des Etats membres « inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles », des explications du praesidium qui y sont annexées, ainsi que de la commune intention des parties, reflétée par les travaux préparatoires à sa signature, que ce traité ne modifiait ni la nature de l'Union européenne, ni la portée du principe de primauté du droit de l'Union posé par l'article 88-1 de la Constitution.

Les divergences d'appréciation entre la Cour de justice et le Conseil constitutionnel sur la portée du principe de primauté du droit de l'Union risquent donc de perdurer .

Le commentaire de la décision du 19 novembre 2004 aux cahiers du Conseil constitutionnel souligne toutefois que : « Les inconvénients pratiques d'une telle lecture pour la cohérence de la construction européenne sont négligeables, car la réserve de constitutionnalité qu'elle laisse subsister, conforme à la décision bioéthique, ne touche qu'un petit nombre de matières (laïcité, égalité d'accès aux emplois publics, délai d'un mois imparti au Conseil constitutionnel pour statuer...) sur lesquelles il est fort douteux que l'Union entende interférer . » Si tel devait être le cas, la mise en oeuvre du droit de l'Union nécessiterait une nouvelle révision de la Constitution.

Le Conseil constitutionnel s'est également attaché à examiner si, par le contenu de ses articles ou par ses effets sur les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, la Charte des droits fondamentaux appelait une révision de la Constitution.

Il a considéré qu'il n'en était rien, au moment où il statuait, pour plusieurs motifs :

- la Charte ne s'applique aux Etats membres que pour la mise en oeuvre du droit de l'Union ;

- lorsque la Charte reconnaît des droits résultant des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres, l'article II-112 du traité dispose que « ces droits doivent être interprétés en harmonie avec lesdites traditions » ; dès lors sont respectés les articles premier à 3 de la Constitution qui s'opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit ;

- aux termes de son préambule, la Charte doit être interprétée en prenant en compte les explications établies sous l'autorité du praesidium qui l'a élaborée ; or celui-ci renvoie, pour certains droits, à la Convention européenne des droits de l'homme et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme qui tient compte des traditions constitutionnelles de chaque Etat ;

- l'article II-112 du traité autorise les limitations des droits reconnus par la charte à condition que ces limitations respectent le principe de proportionnalité, soient nécessaires et répondent au besoin de protection et de liberté d'autrui, ainsi qu'à des objectifs d'intérêt général reconnus par l'Union au nombre desquels figurent, selon l'article I-5 du traité, les « fonctions essentielles de l'Etat, notamment celles qui ont pour objet d'assurer son intégrité territoriale, de maintenir l'ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale. »

Une nouvelle fois le commentaire de la décision aux Cahiers du Conseil constitutionnel relève qu' « Il est cependant clair que toute interprétation jurisprudentielle future des Cours de Luxembourg ou de Strasbourg allant au-delà des dispositions de la Charte ou restreignant la portée de ses clauses de limitation particulières ou générales conduirait à altérer les données au vu desquelles s'est prononcé le Conseil constitutionnel pour arriver à la conclusion que la deuxième partie du traité n'appelait pas de révision . ».

Notons à cet égard que l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme, mentionné pour la première fois dans les visas du Conseil constitutionnel et sur lequel ce dernier se fonde pour considérer que l'article II-70 du traité n'est pas contraire au principe de laïcité résultant de l'article premier de la Constitution, est un arrêt de première chambre et a été renvoyé devant la grande chambre de la cour 10 ( * ) .

* 10 Arrêt n° 4774/98 de la Cour européenne des droits de l'homme du 29 juin 2004, affaire Leyla Sahin c. Turquie,

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