UN DISPOSITIF LÉGISLATIF SATISFAISANT MAIS ENCORE INÉGALEMENT APPLIQUÉ

Votre rapporteur s'est attaché à rencontrer un grand nombre de responsables publics ou privés qui sont intéressés sous des aspects divers aux problèmes posés par la défense de notre langue.

Ces auditions lui ont permis de recueillir le point de vue de ces différents interlocuteurs sur les dispositions de la proposition de loi de notre collègue Philippe Marini, et, plus généralement, de tirer un bilan des forces et faiblesses de la « loi Toubon » de 1994, à la lumière de ses dix premières années d'application.

Le sentiment qui prévaut de ces différents entretiens est globalement très positif : les dispositions de la loi couvrent bien les différents domaines de la défense de notre langue, et aucun secteur significatif n'a été laissé de côté. En outre, la rédaction de son dispositif a su s'élever à un niveau de généralité suffisant pour s'adapter aux évolutions de la société, ou à celles de la technique. C'est une qualité qui mérite d'être saluée, à une époque où de nombreux textes législatifs ne craignent pas de déchoir en entrant dans des détails qui relèvent en principe du pouvoir réglementaire, et doivent être, de ce fait, constamment remaniés.

Malgré sa cohérence juridique d'ensemble, la loi de 1994 reste en pratique encore inégalement appliquée. Votre commission vous proposera, en conséquence, d'adopter une disposition autorisant les associations agréées de consommateurs à pouvoir se porter partie civile dans les affaires intéressant l'emploi de la langue française.

Cette réforme législative devrait contribuer à améliorer le respect effectif de la loi.

Mais par-delà cette réforme, votre commission adressera un appel pressant à certaines administrations, qui ne se sont pas jusqu'à présent suffisamment impliquées dans la défense de l'emploi du français, à exercer un contrôle plus vigilant dans leurs secteurs de compétences.

LE CONTRÔLE RÉGULIER DES DISPOSITIONS RELATIVES AU COMMERCE ET À LA PUBLICITÉ

Dans son article 2, la loi du 4 août 1994 rend obligatoire l'emploi du français « dans la désignation, l'offre, la présentation, le mode d'emploi ou d'utilisation, la description de l'étendue et des conditions de garantie d'un bien, d'un produit ou d'un service, ainsi que dans les factures et quittances » , ou encore dans la publicité.

Cette disposition qui répond au souci d'assurer au consommateur une bonne information dans sa langue est une des clefs de voûte les plus essentielles de toute législation linguistique : ce n'est pas un hasard si un dispositif analogue constituait déjà le coeur de la précédente loi française de 1975, et si les différentes lois étrangères évoquées plus haut comportent des prescriptions voisines des nôtres.

Cette disposition se trouve placée aujourd'hui dans une situation paradoxale :

- c'est sans doute la disposition dont le respect est aujourd'hui le mieux assuré, au plan interne, grâce en particulier à un dispositif de contrôle administratif qui a fait la preuve de son efficacité ;

- c'est une disposition qui se trouve confrontée aux défis de l'ouverture des frontières et de la mondialisation des échanges : la conciliation de ses modalités d'application avec les exigences de la libre circulation européenne est un sujet de discussion entre les autorités françaises et la Commission européenne ; le développement du commerce électronique et la déterritorialisation des transactions qui l'accompagnent posent le problème de la définition de son champ d'application géographique.

UN RESPECT EFFECTIF GARANTI PAR UN CONTRÔLE EFFICACE

Le respect de ces prescriptions est assuré grâce à des mécanismes de contrôle efficaces.

Le soin de rechercher et constater les infractions en ce domaine n'est en effet pas seulement confié aux officiers et agents de police judiciaire auxquels le code de procédure pénale reconnaît une compétence générale et de droit commun, mais aussi à certains corps de fonctionnaires spécialisés, et notamment aux agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et à ceux de la Direction générale des douanes et des droits indirects (DGDI).

En outre, les associations agréées de défense de la langue française peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne ces mêmes infractions.

Les actions de la Direction générale de la concurrence

Le rapport au Parlement sur l'emploi de la langue française présente chaque année un bilan des actions conduites par le DGCCRF qui permet de mesurer leur efficacité.

Le contrôle effectué par les services de la DGCCRF sur l'ensemble du territoire national, y compris les départements d'outre-mer, porte sur les produits importés comme sur ceux qui sont issus de la production nationale, ainsi que sur les services offerts aux consommateurs.

Les statistiques relatives à ces contrôles sont encourageantes : le nombre de contrôles est progressivement passé d'un millier au début des années 90 (sous l'empire de l'ancienne loi de 1975) à dix mille environ en 2002 et 2004 ; dans le même temps, le taux d'infraction a été divisé par deux , tombant en 10 ans de 20 % à 10 %.

Les services de la DGCCRF estiment aujourd'hui que la majorité des professionnels et en particulier ceux des secteurs industriels et des services, ont une bonne connaissance de la législation relative à l'emploi de la langue française et des obligations qu'elle leur impose.

Ceux-ci tiennent compte, dans la majorité des cas, des observations qui leur sont faites et engagent des actions correctrices.

Dans l'ensemble, les manquements sont le plus souvent de faible gravité et donnent lieu davantage à des rappels de la réglementation qu'à la mise en oeuvre de procédures contentieuses.

Ainsi, en 2004, sur plus de 10 000 interventions réalisées par la DGCCRF, 645 ont donné lieu à un rappel de la réglementation, et 248 à la rédaction d'un procès-verbal. Sur les 68 décisions de justice qui sont intervenues au cours de l'année, seules une trentaine ont abouti à un jugement définitif, les autres ayant été, suivant les cas, classées sans suite ou amnistiées.

Les actions de la Direction générale des douanes et des droits indirects

En proportion, le nombre des interventions de la Direction générale des douanes et des droits indirects est beaucoup plus limité. Il a cependant fortement progressé sur les trois dernières années, passant de 1 092 en 2002 à 2 284 en 2004. Le nombre des infractions relevées est passé de 31en 2002 à 39 en 2004 mais reste situé à un taux marginal : 1,7 %.

L'intervention des services des douanes se concentre sur les opérations d'importation de marchandises provenant de pays extérieurs à l'Union européenne, lors de l'accomplissement des formalités de dédouanement. Les infractions à la législation linguistique sont découvertes de manière incidente lors des contrôles connexes aux contrôles douaniers habituels.

Les actions du Bureau de vérification de la publicité

Le Bureau de vérification de la publicité (BVP) est un organisme d'autodiscipline interprofessionnelle compétent en matière de presse, de télévision, d'affichage, de radio et de cinéma.

Il mène une action de contrôle des messages publicitaires avant et après diffusion.

? Avant diffusion

Il exerce un contrôle facultatif, à la demande des professionnels. Il constate, dans cette activité que le rappel des dispositions de la « loi Toubon » reste indispensable pour insister sur la nécessité d'une traduction en français de toutes les mentions de langues étrangères, et notamment celles des slogans accompagnant des marques.

Les 4 684 contrôles facultatifs opérés entre le 1 er mai 2004 et le 30 avril 2005 n'ont cependant donné lieu qu'à 12 interventions au titre de la législation linguistique.

? Le contrôle obligatoire avant diffusion

Il a porté sur la même période 2004-2005, sur plus de 19 000 messages, dont plus de 1 100 ont fait l'objet d'une demande de modification.

242 de ces demandes de modification portaient sur le respect de la « loi Toubon ».

La nécessité de stimuler les autres administrations concernées

Les interventions de la DGCCRF et de la Direction des douanes et des impôts indirects ont fait la preuve de leur utilité et de leur efficacité. La pression qu'elles exercent sur les acteurs économiques a contribué à la notoriété et au respect des prescriptions de la loi de 1994.

Votre rapporteur souhaite que les autres administrations chargées d'exercer, chacune dans leur domaine, le respect des prescriptions de l'article 2 de la loi, s'en acquittent avec la même diligence et le même souci d'en rendre compte.

Aux termes de la loi, c'est l'ensemble des agents énumérés aux paragraphes 1, 3 et 4 de l'article L. 215-1 du code de la consommation qui sont investis de cette responsabilité. : votre rapporteur souhaiterait disposer à l'avenir de davantage d'informations sur les contrôles opérés par les vétérinaires inspecteurs, les préposés sanitaires, les agents techniques sanitaires, et les médecins inspecteurs départementaux de la santé, même s'il est vraisemblable que leurs secteurs d'intervention, plus restreints, ne sont pas nécessairement les plus concernés par le respect de prescriptions linguistiques.

LIBRE CIRCULATION DES MARCHANDISES ET INFORMATION DU CONSOMMATEUR DANS SA LANGUE : LA RECHERCHE D'UN POINT D'ÉQUILIBRE

Un débat s'est engagé depuis quelques années entre les autorités françaises et les autorités européennes sur la conciliation entre la libre circulation des marchandises au sein de l'Union et le droit des consommateurs à être informés dans leur langue.

La position de la Commission européenne

S'appuyant sur une jurisprudence fournie de la Cour de justice des Communautés européennes 3 ( * ) , la Commission européenne reconnaît aux Etats membres le droit d'adopter les mesures nationales exigeant que certaines mentions relatives à la désignation et à l'étiquetage des produits soient libellées dans une langue aisément compréhensible par le consommateur, qui peut être la langue nationale.

Elle estime cependant que le respect du principe de proportionnalité qui s'impose aux Etats dans l'exercice de leurs compétences doit permettre « l'emploi éventuel de moyens alternatifs assurant l'information des consommateurs, tels que des dessins, des symboles ou des pictogrammes » . Elle ajoute que cette obligation doit être limitée aux mentions auxquelles l'Etat membre attribue un caractère obligatoire et pour lesquelles l'emploi d'autres moyens que leur traduction ne permet pas d'assurer une information des consommateurs appropriée.

La recherche d'un compromis

Mis en demeure par la Commission européenne, en juin 2002, de tirer les conséquences de la jurisprudence européenne, le Gouvernement français - à l'issue, semble-t-il, d'une difficile négociation avec la commission - a procédé à un aménagement par voie de circulaire des modalités d'application de l'article 2 de la loi d'août 1994.

Cette circulaire, en date du 20 septembre 2001 , précisait que cet article ne faisait pas obstacle à la possibilité d'utiliser d'autres moyens d'information du consommateur, tels que des dessins, symboles ou pictogrammes, pouvant être accompagnés de mentions en langue étrangère non traduites en français.

Cette rédaction avait donné satisfaction à la Commission qui a classé, le 24 avril 2003, la procédure d'infraction ouverte contre la France.

Dans son avis sur les crédits inscrits au titre de la francophonie dans le projet de loi de finances pour 2003 4 ( * ) , votre rapporteur s'était interrogé sur la conformité de cette circulaire « interprétative » avec le dispositif de la « loi Toubon ».

Dans un arrêt rendu le 30 juillet 2003 5 ( * ) , le Conseil d'Etat a jugé que ces interrogations étaient pleinement fondées. Il a annulé pour incompétence les dispositions attaquées estimant qu'elles ne s'étaient pas bornées à interpréter la loi, mais qu'elles avaient fixé une règle nouvelle, de caractère impératif, que les auteurs de la circulaire n'avaient pas compétence pour édicter.

Cette annulation a réouvert le débat avec la Commission qui, après plusieurs échanges de lettres, a adressé, le 9 juillet 2004 , une nouvelle mise en demeure à la France.

En réponse à cette procédure, le Gouvernement s'est, en liaison avec les services de la Commission, attaché à rechercher une autre solution qui permette de concilier le cadre légal français, la protection du consommateur et les engagements européens.

Cette réflexion a débouché sur la publication au Bulletin officiel de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (BOCCRF) du 26 avril 2005, d'une instruction à l'intention des services de contrôles de la DGCCRF.

Celle-ci prend appui sur l'un des considérants de la décision précitée du Conseil d'Etat de juillet 2003. Dans celui-ci, le Conseil avait rappelé qu'il appartenait, « le cas échéant, aux ministres, dans l'hypothèse où des dispositions législatives se révéleraient incompatibles avec des règles communautaires, de donner instruction à leurs services de n'en point faire application » .

L'instruction du 26 avril 2005 se borne en conséquence à recommander aux services de suspendre l'application de l'article 2 de la loi dans les seuls cas où il contreviendrait aux directives communautaires.

La solution qui consiste à écarter, par une instruction ministérielle, l'application d'une disposition législative, dès lors que celle-ci s'avérerait contraire à une norme européenne (dont la valeur est, il est vrai, supérieure à celle des lois, en vertu de l'article 55 de notre Constitution) ne satisfait pas pleinement votre commission, qui la juge cependant acceptable à titre transitoire .

Elle invite donc le Gouvernement français à se rapprocher des nouveaux membres de l'Union européenne qui ont intégré dans leur droit des dispositions législatives proches des nôtres garantissant l'information du consommateur dans sa langue nationale, pour faire évoluer la position des instances européennes .

Elle réaffirme pour sa part son attachement au caractère intangible du principe posé par la loi de 1994 , et en particulier son article 2.

L'INFORMATION DU CONSOMMATEUR DANS LE MONDE NUMÉRIQUE

En proposant, dans son article premier, de rendre les dispositions de l'article 2 de la « loi Toubon » « applicables à tous les messages informatiques dès lors qu'ils ne sont pas exclusivement conçus pour des personnes de nationalité étrangère » , la proposition de loi de notre collègue Philippe Marini soulève une véritable question -celle de l'usage du français dans le monde numérique et dans celui de l'Internet- même si d'après votre commission, la réponse à cette question doit plutôt être cherchée du côté d'une meilleure application de la loi que d'une réécriture de son dispositif.

Le champ d'application de la loi englobe déjà l'univers numérique

L'article 2 de la « loi Toubon » impose l'usage du français « dans la désignation, l'offre, la présentation, le mode d'emploi ou d'utilisation, la description de l'étendue et des conditions d'un bien, d'un produit, ou d'un service, ainsi que dans les factures et quittances » . Cette obligation s'étend également à la publicité.

De par la généralité des termes qu'elle utilise, cette disposition s'applique bien à l'ensemble des informations relatives à un bien, un produit ou un service, quel que soit le support matériel ou électronique sur lequel celles-ci figurent.

La circulaire d'application de 1996 n'ignorait pas le monde du numérique, puisqu'elle précisait que « les modes d'utilisation intégrés dans les logiciels d'ordinateur et de jeux vidéo comportant des affichages sur écran ou des annonces sonores sont assimilées à des modes d'emploi. En conséquence, les modes d'utilisation des logiciels d'application et des logiciels d'exploitation doivent être établis en français qu'ils soient sur papier ou intégrés dans le logiciel » .

Certes, la directive de 1996 ne prend pas en compte tous les développements qu'a connus, depuis sa publication, l'économie numérique, et qu'elle ne pouvait d'ailleurs pas prévoir, qu'il s'agisse de la multiplication des sites à vocation commerciale, ou du développement des services en ligne. Mais ces lacunes, qui sont propres à la circulaire, sont une invitation à remanier celle-ci et non à retoucher une loi qui sera d'autant plus forte qu'elle sera stable, et d'autant plus apte à s'appliquer aux évolutions technologiques rapides qu'elle ne dérogera pas au niveau de généralité qui lui sied .

Dans un rapport public de 1998 intitulé « Internet et les réseaux numériques » , le Conseil d'Etat recensait les difficultés que pouvait susciter l'application à l'Internet de la législation sur l'emploi de la langue française.

Celles-ci ne tenaient pas à ce que certains secteurs de l'économie numérique auraient échappé, juridiquement, à l'application de la loi et qu'il aurait été nécessaire de compléter celle-ci pour les y réintégrer. Le Conseil, considérait au contraire que la loi était en théorie applicable par le juge français à tous les sites étrangers, et craignait que son champ d'application, trop large , ne conduise à des violations systématiques par des sites étrangers accessibles du territoire national, mais qu'il serait en pratique impossible de sanctionner . La clarification du champ d'application de la loi, qu'il appelait de ses voeux, tendait donc plutôt à sa restriction qu'à son extension .

Les contrôles menés par la DGCCRF : des chiffres rassurants ?

La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a réalisé en 2004 une enquête spécifique sur l'application des prescriptions linguistiques de l'article 2 de la loi de 1994 dans le domaine des matériels et des logiciels informatiques .

Ses services indiquent qu'ils ont réalisé des contrôles dans 141 points de vente sis dans 16 départements et que ces contrôles ont donné lieu à 22 rappels de réglementation et à 6 procédures contentieuses.

Le taux de manquement , qui s'établit à près de 20 % est très supérieur à la moyenne, qui s'établit à 9 %.

Malgré cela, la DGCCRF estime que la tendance générale révèle une amélioration progressive, tant pour les logiciels que les matériels.

Les enquêtes réalisées sur l' Internet par le réseau de surveillance de l'Internet ont donné lieu à 1 221 contrôles en 2004. Votre rapporteur est surpris de constater que ces contrôles n'ont donné lieu qu'à deux procès-verbaux , et s'interroge sur les raisons de cette disproportion manifeste, alors que le monde de l'Internet, du fait précisément de sa mondialisation, lui paraît un des secteurs où l'emploi de notre langue est le plus menacé.

Les clarifications nécessaires

Votre commission estime qu'une nouvelle circulaire d'application devrait apporter les clarifications nécessaires à la bonne application de la loi sur l'emploi de la langue française à l'univers numérique, de façon à renforcer le cadre dans lequel doivent s'inscrire les contrôles.

? Messages d'erreurs relatifs à l'utilisation d'un ordinateur

La circulaire de 1996 avait déjà précisé que les modes d'utilisation des logiciels d'application et des logiciels d'exploitation devaient être établis en français. Il conviendrait de préciser que cette obligation s'applique bien à l'ensemble des messages, y compris les messages d'erreur, qui sont délivrés par voie électronique et qui apportent à l'utilisateur une information de nature à l'aider dans l'utilisation de son ordinateur et des logiciels qui y sont installés.

La question peut en revanche se poser pour les messages d'erreur système qui dénoncent un dysfonctionnement grave du coeur de l'ordinateur.

Une traduction en français pourrait, compte tenu des problèmes techniques qu'elle soulève, ne pas être exigée, dès lors que les messages en question présenteraient une dimension hautement technique et ne s'adresseraient, en pratique, pas à l'utilisateur final mais à un professionnel de l'informatique, pour le guider dans la restauration du système.

? Messages d'erreur liés à l'utilisation de services de messagerie électronique

Dans une réponse à une question écrite 6 ( * ) , le ministre de la culture et de la communication avait posé le principe que l'emploi du français s'imposait dans tous les messages délivrés à un internaute dans le cadre de l'utilisation d'un service de messagerie électronique. Il considérait à juste titre que le « message, délivré par voie électronique, apporte à l'internaute une information de nature à l'aider dans son utilisation du service fourni ».

Votre rapporteur ne peut cependant ignorer le fossé qui sépare cette position de principe, conforme à la lettre comme à l'esprit de la « loi Toubon », et la réalité bien différente à laquelle est confronté tout internaute.

La réponse à la question écrite précitée n'ignorait pas, semble-t-il, cette difficulté, puisqu'elle indiquait que les services du ministère de la culture et de la communication comptaient saisir la DGCCRF « afin qu'une réflexion s'engage avec les fournisseurs d'accès à Internet et les hébergeurs de courriers électroniques pour trouver à cette question techniquement complexe une solution qui tienne compte des besoins des utilisateurs et des contraintes économiques des fournisseurs d'accès ».

Votre rapporteur ne sous-estime pas ces difficultés, qui sont d'ordre technique et juridique.

Compte tenu de la dimension internationale et du fonctionnement du réseau Internet, comment imposer en effet l'emploi du français dans des messages générés dans le cadre d'une communication entre serveurs distants ?

D'après les informations communiquées par l'Association des fournisseurs d'accès et de services Internet, un serveur situé hors de France et qui reçoit des messages du monde entier, ne saurait deviner la nationalité de l'utilisateur de n'importe quelle adresse « courriel », à supposer d'ailleurs qu'il traite cette information, car la plupart du temps il ne communique qu'avec le serveur distant.

Faut-il envisager d'imposer au serveur d'un client français l'obligation de traduire les messages des serveurs distants qu'il transmet ?

Outre les difficultés techniques qu'elle présente, cette obligation soulèverait des objections d'ordre juridique : le message en question constitue une correspondance privée et les traductions et modifications que lui apporterait le fournisseur d'accès français pourraient tomber sous le coup de l'article L. 226-15 du code pénal, qui sanctionne le fait d'intercepter et de détourner des correspondances émises, transmises ou reçues par voie électronique.

Votre commission souhaite que la réflexion annoncée par la réponse gouvernementale précitée s'engage rapidement, de façon à fixer un cadre réaliste aux prescriptions linguistiques applicables aux services en ligne.

? Commerce électronique

Le commerce électronique a connu, au cours des années récentes, une progression spectaculaire , dont tout indique qu'elle devrait se poursuivre.

Le chiffre d'affaires du commerce en ligne est passé de 0,70 milliard d'euros en 2000 à 5,52 milliards d'euros en 2004. Sa progression a été de 53 % au cours de la seule année 2004.

Dans le même temps, la proportion des ventes en ligne dans le chiffre d'affaires global des ventes à distance est passée de 8 % en 2000, à 46 % en 2004.

Ces nouvelles pratiques concernent très largement les ventes aux particuliers : 76 % des foyers ont procédé au cours des 12 derniers mois à un achat à distance auprès d'un peu plus de 7 000 sites marchands 7 ( * ) .

Compte tenu de son importance croissante, le commerce électronique constitue l'un des domaines cruciaux pour le respect effectif de la loi sur l'emploi de la langue française .

Dans son rapport précité sur « Internet et les réseaux numériques », le Conseil d'Etat partait du constat que si la loi française était théoriquement applicable à des sites étrangers accessibles sur le territoire national, la sanction de sa violation par ces derniers était en pratique irréaliste, particulièrement dans le cas de services téléchargés en ligne.

Il préconisait en conséquence de restreindre le champ d'application de la loi du 4 août 1994 précitée en limitant les prescriptions de la loi aux seuls messages des services en ligne expressément destinés au consommateur français.

Votre commission juge tout à fait pertinentes les questions soulevées par le rapport du Conseil d'Etat. Pour autant les voies qu'il préconise dans la recherche d'une solution ne lui paraissent pas de nature à clarifier véritablement les choses, le critère du consommateur destinataire n'étant pas en pratique facile à déterminer. Elle relève d'ailleurs que la directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 sur le commerce électronique a choisi, pour ces raisons, de privilégier un critère lié au lieu d'établissement du prestataire de service . Celle-ci a posé le principe, dans son article 3, que les services de la société de l'information fournis par un prestataire étaient assujettis aux dispositions nationales de l'Etat membre sur le territoire duquel il est établi.

C'est ce principe que la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique a transposé dans le droit français. Son article 17 dispose que le commerce électronique (consistant dans la fourniture à distance de biens et services par voie électronique ou dans la fourniture d'informations en ligne) est soumis à la loi de l'Etat membre sur le territoire duquel la personne qui l'exerce est établie , sous réserve de la commune intention de cette personne et de celle à qui sont destinés les biens et services.

Cette disposition entraîne l'obligation d'employer le français dans l'exercice de son activité de commerce électronique à toute personne établie en France, c'est-à-dire au sens qu'en donne l'article 14 de la loi de 2004 précitée :

- à toute personne installée en France d'une manière durable et stable pour y exercer effectivement son activité ;

- à toute personne morale dont le siège social est implanté en France.

Le contrôle du respect de cette obligation par l'administration française et par les agents de la DGCCRF ne devrait pas poser de difficultés.

La question de l'application de l'article 2 de la « loi Toubon » de 1994 aux transactions commerciales passées entre un consommateur français et un prestataire établi dans un autre Etat s'avère en revanche plus délicate. Certes, ce prestataire n'est, en première analyse, pas soumis à la loi française mais à celle de l'Etat dans lequel il est établi. L'article 17 de la loi de 2004 sur la confiance dans l'économie numérique précise toutefois que la compétence de principe de la loi du pays d'établissement ne peut avoir pour effet « de priver un consommateur ayant sa résidence habituelle sur le territoire national de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi française relatives aux obligations contractuelles, conformément aux engagements internationaux souscrits par la France ».

L'article 20 de la « loi Toubon » précisant que cette dernière est d'ordre public , ne doit-on pas considérer que le consommateur français peut se réclamer des garanties qu'elle apporte, même quand il procède à un achat par voie électronique auprès d'un prestataire étranger ?

Cette exigence paraîtrait paradoxale dans le cas d'un consommateur qui se serait connecté à un site extérieur entièrement rédigé dans une langue étrangère. Elle serait sans doute plus légitime si la transaction en question avait été précédée d'une offre commerciale présentée en français.

Au demeurant, le contrôle du respect effectif de cette obligation par un prestataire établi en dehors du territoire national ne pourrait être assuré que par le développement d'une coopération administrative transfrontière entre les services du ministère de l'économie français et ses homologues européens ou étrangers. Il convient donc de les développer.

Votre commission n'a pas la prétention d'apporter ici une solution définitive à cette question complexe, mais souhaite qu'une réflexion s'engage sur ce sujet.

La publicité par voie électronique : une retouche législative nécessaire pour rester à droit constant

L'article 2 de la loi du 4 août 1994 précise que ses prescriptions s'appliquent à « toute publicité parlée, écrite, ou audiovisuelle ».

La notion de publicité audiovisuelle englobait initialement toute forme de publicité empruntant des réseaux électroniques, du fait de la définition très large que donnait de l'audiovisuel la loi n° 86-1667 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

Depuis lors, toutefois, la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 sur la confiance dans l'économie numérique a réservé la notion de communication audiovisuelle aux seuls services de radio et de télévision, et érigé en notion distincte la communication au public par voie électronique définie comme « toute mise à disposition du public ou de catégories du public, par un procédé de communication électronique de signes, de signaux, d'écrits, d'images et de sons de toute nature qui n'ont pas le caractère d'une correspondance privée ».

Pour éviter qu'un doute ne s'installe sur l'application des prescriptions de l'article 2 de la « loi Toubon » à la publicité électronique, votre commission vous proposera d'ajouter aux mots « publicité écrite, parlée et audiovisuelle » les mots « publicité par voie électronique ».

Cette retouche au dispositif ne doit en aucun cas être considérée comme une extension des prescriptions initiales de la loi. Au contraire, elle ne modifie la lettre de la loi que pour garantir la stabilité et la permanence de son champ d'application .

* 3 Arrêt Piageme - 18 juin 1991.

Arrêt Piageme II - 12 octobre 1995

Arrêt Goerres - 14 juillet 1998

Arrêt Colim - 3 juin 1999

* 4 Avis n° 75 - tome XII (2004-2005) fait par M. Jacques Legendre au nom de la commission des affaires culturelles.

* 5 Arrêt n° 245076 du 30 juillet 2003 - Association « avenir de la langue française ».

* 6 Question écrite n° 30424 de M. Jacques GODFRAIN et réponse du ministre de la culture et de la communication, publiée au JO du 16 mars 2004 p. 2041.

* 7 Source : fédération des entreprises de vente à distance www.fevad.com.

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