EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er
(article 2 de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française)
Communication au public par voie électronique

Dans sa rédaction initiale, l'article 1 er de la présente proposition de loi préconisait de compléter l'article 2 de la loi du 4 août 1994 relative à la présentation commerciale et à la publicité sur les biens, produits et services, pour préciser que ses dispositions sont applicables aux messages informatiques dès lors qu'ils ne sont pas exclusivement conçus pour des personnes de nationalité étrangère.

Votre commission partage sans réserve la préoccupation de l'auteur de la proposition de loi d'éviter que le monde de l'Internet n'échappe aux prescriptions de la loi sur la langue française, et déplore qu'en pratique les messages électroniques adressés à des internautes français soient trop souvent rédigés en langue étrangère.

Elle vous proposera cependant un dispositif différent, retouchant à la marge l'article 2 de la loi de 1994 précitée, pour prendre en compte les conséquences de l'entrée en vigueur de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique.

? Les notions et critères dégagés par la loi sur la confiance dans l'économie numérique

Compte tenu de la relative imprécision qui s'attache à la notion de « messages informatiques » et des difficultés pratiques que soulève le critère de leur « conception non exclusive pour des personnes de nationalité étrangère » , votre commission articulera plutôt son approche sur les notions qu'a dégagées la loi du 21 juin 2004 précitée qui a respectivement défini les notions de « communication au public par voie électronique » , de « communication au public en ligne » , de « courrier électronique » (article 1 er ), ainsi que les notions de « commerce électronique (article 11) et de « publicité par voie électronique » (article 20).

En outre, compte tenu de la difficulté pratique de déterminer la nationalité de l'ensemble des personnes susceptibles de consulter un site dans le monde sans frontières de l'Internet, la directive européenne 2000/31 sur le commerce électronique a choisi d'axer son dispositif sur le critère lié à l'origine du prestataire de services, et l'article 17 de la loi sur la confiance dans l'économie numérique a transposé ce principe dans le droit français. C'est sans doute cette approche qu'il convient ici aussi de privilégier.

? Le champ d'application de la « loi Toubon » englobe le commerce électronique

L'article 2 de la loi du 4 août 1994 impose l'usage du français « dans la désignation, l'offre, la présentation, le mode d'emploi ou d'utilisation, la description de l'étendue et des conditions de garantie d'un bien, d'un produit ou d'un service, ainsi que dans les factures et quittances. »

L'utilisation de termes très généraux (« biens », « produit », « service ») ouvre un champ d'application très vaste aux prescriptions de la loi.

La circulaire du Premier ministre en date du 19 mars 1996 précise que sont ainsi concernés par cette obligation « tous les documents destinés à informer l'utilisateur ou le consommateur : étiquetages, prospectus, bons de livraison, certificats de garantie, modes d'emploi, menus et cartes des vins, factures, quittances, reçus et tickets de caisse, programmes de spectacles, titres de transport, contrats d'adhésion (contrats d'assurance, offres de services financiers...) ».

Dérogent en revanche à cette obligation « les factures et autres documents échangés entre professionnels, personnes de droit privé françaises et étrangères, qui ne sont pas consommateurs ou utilisateurs finaux des biens, produits ou services ».

Rien dans la rédaction de la loi, ni dans celle de la circulaire ne permet de penser que ces prescriptions seraient réservées aux supports traditionnels et qu'y échapperait en revanche le commerce électronique , défini par l'article 14 de la loi sur la confiance dans l'économie numérique précitée comme « l'activité économique par laquelle une personne propose ou annonce à distance et par voie électronique la fourniture de biens et de services », la loi ajoutant, et cette précision est importante, que la notion de commerce électronique englobe des services « tels que ceux consistant à fournir des informations en ligne, des communications commerciales et des articles de recherche, d'accès et de récupération de données, d'accès à un réseau de communication ou d'hébergement d'information, y compris lorsqu'ils ne sont pas rémunérés par ceux qui les reçoivent ».

La circulaire de 1996 précitée n'ignorait d'ailleurs pas le monde du numérique, puisqu'elle précisait que « les modes d'utilisation intégrés dans les logiciels d'ordinateur et de jeux vidéo et comportant des affichages sur écran ou des annonces sonores sont assimilés à des modes d'emploi. En conséquence, les modes d'utilisation des logiciels d'application et des logiciels d'exploitation doivent être établis en français qu'ils soient en papier ou intégrés dans le logiciel ».

Elle ne prend cependant pas en compte tous les développements qu'a connus, depuis sa publication, l'économie numérique, et qu'elle ne pouvait pas prévoir.

Votre commission incite donc le Gouvernement à engager rapidement la préparation d'une nouvelle directive actualisant les modalités d'application des principes généraux posés par la « loi Toubon », et en particulier par son article 2, aux nouvelles réalités de la communication électronique, pour prendre en compte les difficultés pratiques évoquées par votre rapporteur dans l'exposé général.

Elle n'a pas jugé en revanche nécessaire de remanier la loi elle-même qui sera d'autant plus forte qu'elle sera stable, et d'autant plus apte à s'appliquer aux évolutions rapides de la technologie, qu'elle en restera au niveau de généralité qui est actuellement le sien.

? La publicité par voie électronique : une retouche ponctuelle à droit constant

L'article 2 de la loi du 4 août 1994 précise que l'obligation d'employer le français s'applique également à « toute publicité écrite, parlée ou audiovisuelle ».

Dans sa rédaction initiale, la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication donnait une définition très extensive de la communication audiovisuelle, englobant les réseaux électroniques. Dans ce contexte, les prescriptions linguistiques s'appliquaient sans ambiguïté à la publicité électronique qui n'avait pas encore d'existence juridique propre et n'était considérée que comme un sous-ensemble de la publicité audiovisuelle.

Depuis lors, cependant, la loi du 21 juin 2004 précitée, prenant acte à juste titre de la spécificité et du développement de la communication électronique, a opéré une distinction nette entre ces deux formes de communication. Dorénavant, la notion de communication audiovisuelle recouvre les services de radio et de télévision alors que celle de communication au public par voie électronique est définie comme « toute mise à disposition du public ou de catégories du public, par un procédé de communication électronique, de signes, de signaux, d'écrits, d'images, de sons de toute nature qui n'ont pas le caractère d'une correspondance privée ».

Certes, on pourrait soutenir que la publicité par voie électronique, dont le régime juridique est désormais défini par les articles 20 et suivants de la loi du 21 juin 2004, constitue une des formes de la publicité écrite ou parlée et n'échappe donc pas à l'application de la « loi Toubon ». Mais pour éviter toute ambiguïté, votre commission vous proposera de compléter le deuxième alinéa de l'article 2 de la loi du 4 août 1994, pour ajouter aux formes déjà mentionnées de publicité, la « publicité par voie électronique ».

Elle insiste sur le fait que cette retouche législative, qui n'est en quelque sorte qu'une coordination imposée par l'adoption de la loi du 21 juin 2004, n'a pas pour objet de modifier le champ d'application de la loi mais au contraire de le confirmer dans ses frontières initiales.

Article 2
(article 3 de la loi n° 94-665 du 4 août 1994)
Enseignes dans les lieux publics et annonces dans les transports internationaux

Le présent article a pour objet d'ajouter à l'article 3 de la loi du 4 août 1994 relatif aux annonces et inscriptions sur la voie publique et dans les transports en commun, deux alinéas fournissant des précisions complémentaires en matière d'enseignes et de transports internationaux.

I. Le régime des enseignes

Dans sa rédaction actuelle, l'article 3 de la loi du 4 août 1994 impose la formulation en français de « toute inscription ou annonce apposée ou faite sur la voie publique, dans un lieu ouvert au public ou dans un moyen de transport en commun, et destinée à l'information du public ».

Le non-respect de cette prescription est puni, aux termes du décret d'application du 3 mars 1995, d'une amende maximale de 750 euros correspondant aux contraventions de 4 e classe.

La circulaire d'application en date du 19 mars 1996 précise la portée de l'obligation résultant de la loi de 1994 en définissant les inscriptions ou annonces destinées à l'information du public comme « les informations de nature non commerciale effectuées sous forme d'inscription ou d'annonces apposées ou faites sur la voie publique ou dans un lieu ouvert au public (gares, aéroports, stations de bus, salles de spectacle, cafés, restaurants, musées, galeries marchandes, commerces...) et dans les moyens de transport en commun quel que soit leur mode d'exploitation, public ou privé ».

Il va de soi que des informations de nature commerciale apposées ou faites sur la voie publique ne sont pas pour autant dispensées de l'obligation de recourir à la langue française. Cette obligation est au contraire d'autant plus forte qu'elle résulte à la fois des dispositions de l'article 2 (offres commerciales) et de celles de l'article 3 (inscriptions sur la voie publique).

La façon dont ces prescriptions s'articulent avec le droit des marques suscite une mention particulière.

Si le droit des marques dispose d'une réelle autonomie, au regard de prescriptions de la loi de 1994, il n'en va pas de même des mentions et messages enregistrés avec la marque , qui sont assujettis à l'obligation d'employer le français.

La circulaire d'application de 1996 en déduit que « les dispositions de la loi ne s'étendent ni aux dénominations sociales, ni aux enseignes, ni aux noms commerciaux, ni aux marques de fabrique, de commerce ou de service ».

Ce cadre législatif, assez bien délimité au premier abord, n'a pas empêché la floraison de termes étrangers non traduits à la devanture de bien des magasins dans de nombreuses villes de France. Phénomène plus préoccupant, une promenade dans certains quartiers des grandes concentrations urbaines montre que le français, et parfois même l'alphabet latin, tendent à s'absenter de la quasi-totalité des devantures de certaines rues, traduisant des tentations d'un repli sur soi, d'une forme de « ghettoïsation » .

Certes, cet état de choses témoigne, d'abord et avant tout, d'un respect insuffisant des prescriptions actuelles de la loi du 4 août 1994.

Mais l'on peut aussi se demander si l'exception consentie aux enseignes, dont la nature juridique n'est, au demeurant, pas très clairement établie, ne contribue pas à alimenter un certain laxisme dans l'application de la loi.

Pour y remédier, l'auteur de la proposition de loi préconise d'imposer une traduction en français de toute inscription en langue étrangère sur une enseigne ou devanture d'un local commercial.

Cette obligation de traduction systématique risquerait cependant de soulever des difficultés qui tiennent à la nature ambiguë de l'enseigne .

L'enseigne est en effet à la fois un support placé sur la voie publique pour informer le consommateur potentiel, et la dénomination ou l'emblème servant à désigner le fonds de commerce : à ce titre, elle peut se confondre avec le nom commercial, comme elle peut en être tout à fait distincte. Le choix de cette enseigne n'est actuellement assujetti à aucune obligation particulière. Il résulte essentiellement de la volonté du commerçant qui, en vertu de la liberté du commerce, doit pouvoir choisir la dénomination et les emblèmes sous lesquels il exerce son activité.

En pratique, ceux-ci peuvent découler du nom ou du prénom du commerçant, ou prendre la forme d'une dénomination de fantaisie évoquant (mais pas toujours) la nature de l'activité concernée, sans se priver, le cas échéant, d'emprunt à des termes ou locutions étrangers.

Votre commission hésite devant les difficultés pratiques et juridiques que ne manquerait pas de susciter une obligation trop rigide.

Faudrait-il aller jusqu'à imposer la traduction française d'une enseigne constituée par exemple à partir d'un prénom ou d'un nom propre étrangers ?

Est-il indispensable d'exiger la traduction d'une enseigne de fantaisie dont les termes choisis pour leur connotation ou leur sonorité n'apportent en eux-mêmes pas d'indication particulière sur la nature de l'activité exercée ?

En imposant l'adjonction du terme français à l'enseigne d'établissements français d'une chaîne connue sous une dénomination étrangère, du type « Quick » ou « Go sport », ne risque-t-on pas, au rebours de l'objectif recherché, de jeter le doute dans l'esprit du chaland sur l'appartenance de ces établissements au groupe dont ils se réclament ?

Ces considérations conduisent votre commission à vous recommander l'adoption d'un dispositif plus souple :

- celui-ci impose la traduction des termes étrangers utilisés, ou leur explicitation, parfois plus parlante pour désigner la nature de l'activité exercée (par exemple « restauration rapide » ou « articles de sport ») ;

- cette obligation n'est pas systématique mais proportionnée à l'objectif qu'elle se propose : elle ne s'impose que lorsque les termes étrangers utilisés sont susceptibles de contribuer à l'information du consommateur.

II. Transports internationaux

Les prescriptions linguistiques de l'article 3 de la « loi Toubon » s'appliquent également aux transports en commun .

Certes, la circulaire du 28 septembre 1999 cosignée par le ministre des transports et celui de la culture précise bien que cette obligation s'impose sur le territoire français aux transporteurs publics ou privés, qu'ils accomplissent leur activité dans le domaine des transports nationaux ou internationaux.

Mais les accrocs réguliers à cette obligation et les tentations régulières de certaines compagnies aériennes étrangères de s'en affranchir, rendent indispensable aux yeux de votre commission une réaffirmation solennelle et explicite dans la loi de l'application des prescriptions linguistiques aux transports internationaux , dès lors qu'ils sont en provenance ou à destination du territoire national .

Article 3
(article L. 123-1 du code de commerce)
Dénominations sociales inscrites au registre du commerce et des sociétés

L'auteur de la proposition de loi se proposait avec cet article d'imposer une formulation en français ou, à défaut, une traduction en français des dénominations sociales inscrites au registre du commerce et des sociétés. Il préconisait, en outre, dans un article 4, de sanctionner le manquement à cette obligation par un refus d'immatriculation.

Votre commission vous recommandera d'adopter un dispositif qui, tout en respectant pleinement la liberté des candidats à l'immatriculation de se doter de la dénomination sociale de leur choix, s'efforcera de conserver au français un minimum de visibilité dans la formulation de ces dénominations.

? Le cadre juridique du registre : l'absence de prescriptions linguistiques générales

Le registre du commerce et des sociétés est régi par les dispositions des articles L. 123-1 à L. 123-11-1 du code de commerce, complétées par celles du décret d'application n° 84-406 du 31 mai 1984, et de l'arrêté du 9 février 1988.

Aux termes de l'article L. 123-1 du code précité, l'immatriculation audit registre s'impose à toute personne physique ayant la qualité de commerçant, ainsi qu'aux sociétés et groupements d'intérêt économique ayant leur siège en France, et aux établissements publics industriels et commerciaux. Cette obligation s'impose en outre aux sociétés commerciales dont le siège est à l'étranger, mais qui ont un établissement en France, ainsi qu'aux représentations commerciales et agences commerciales des établissements, collectivités territoriales, et établissements publics étrangers établis dans un département français.

La demande d'inscription s'accompagne de la présentation d'un certain nombre de pièces et actes destinés à figurer au registre pour être portés à la connaissance du public, ainsi que d'une déclaration d'activité suivant une nomenclature définie par décret.

Ces informations sont fournies en français mais aucune prescription linguistique de portée générale n'est en revanche imposée quant à la formulation de la dénomination sociale, du nom commercial ou de l'enseigne.

Cette latitude, conforme au principe de la liberté du commerce et de l'industrie, souffre cependant une exception strictement circonscrite aux seules personnes morales de droit public ainsi qu'aux personnes morales de droit privé chargées d'une mission de service public , dans l'exécution de celle-ci. L'article 14 de la loi du 4 août 1994 interdit à celles-ci l'emploi d'une marque de fabrique, de commerce ou de service constituée d'une expression ou d'un terme étranger, dès lors qu'il existe une expression ou un terme français de même sens.

Les autres personnes jouissent, en revanche, d'une grande latitude dans le choix de leur dénomination sociale. Dans la pratique, celle-ci peut s'inspirer de la nature de leur activité commerciale, ou de toute autre de leurs caractéristiques. Les noms de fantaisie sont d'usage courant : les sociétés ne s'en tiennent pas au vocabulaire français autorisé, mais choisissent aussi des mots inventés, des vocables étrangers, voire des signes ou des abréviations. Il n'est pas rare ainsi qu'elles se dotent de noms originaux constitués, par exemple, avec des initiales ou des syllabes abrégées, sans se priver de recourir à des emprunts à des langues étrangères.

? La recherche d'une exigence minimale

Dans ce contexte d'absence totale de prescription linguistique, un certain nombre de grandes sociétés françaises, et notamment des établissements financiers, se sont autorisés, lorsqu'ils créaient des filiales spécialisées dans certains métiers, à leur assigner des dénominations désignant dans « une langue usuelle en matière financière » la nature de leur activité. Aussi a-t-on vu fleurir les mentions « Asset management » ou « Private equity » accolées au titre français de la maison mère, alors que dans la quasi totalité des cas, ces établissements spécialisés continuent de s'adresser à une clientèle française pour l'essentiel.

Ces pratiques qui relèvent davantage de l'effet de mode que de la rationalité économique, desservent l'image de notre langue, accréditent l'idée qu'en dehors des méthodes anglo-saxonnes, il n'est point de gestion efficace, et ne contribuent pas à la bonne information du consommateur français.

Votre commission ne vous proposera pas pour autant d'introduire dans le droit français une disposition comparable à celles qui figurent, par exemple, dans la charte de la langue française au Québec et réservent l'obtention de la personnalité morale et l'inscription au registre des entreprises et des sociétés à la possession d'un nom en français.

Une solution aussi contraignante ne paraît pas envisageable dans le contexte français et européen.

Restreindre la liberté de choix de ces sociétés aux seuls vocables français admis, ou leur imposer, à défaut une traduction en français qui, dans beaucoup de cas, n'aurait pas beaucoup de sens (comme par exemple dans le cas d'EURONEXT) soulèverait des difficultés pratiques, qui iraient à l'encontre de la volonté du Gouvernement de simplifier les démarches administratives pour favoriser la création d'entreprises.

Elle soulèverait en outre un certain nombre d'objections juridiques .

Elle risquerait tout d'abord d'encourir la censure du Conseil constitutionnel, au nom de la défense du principe de la liberté du commerce et de l'industrie . Dans la décision qu'il a rendue le 29 juillet 1994 sur la loi d'août 1994, il avait en effet estimé que l'article 14 de ladite loi, relatif aux marques de fabrique, de commerce ou de service n'était pas contraire à la Constitution dès lors qu'il ne s'appliquait qu'aux personnes morales de droit public et aux personnes morales de droit privé chargées d'une mission de service public , dans l'exécution de celui-ci.

Le Conseil constitutionnel ayant par ailleurs explicitement considéré dans ce même arrêt que le législateur ne pouvait « imposer à des personnes privées, hors l'exercice d'une mission de service public, l'obligation d'user sous peine de sanctions, de certains mots ou expressions définis par voie réglementaire » , on peut en déduire qu'il aurait très vraisemblablement censuré une disposition plus générale relative aux dénominations sociales et aux marques de fabrique.

Ces prescriptions linguistiques risqueraient en outre de soulever des difficultés particulières pour les sociétés étrangères souhaitant ouvrir un établissement ou une filiale sur le territoire français.

L'impossibilité pour elles de conserver leur dénomination sociale sans la compléter par une traduction française souvent problématique, ne contribuerait pas à améliorer l'attractivité du territoire français aux yeux des sociétés et des investisseurs étrangers. Elle risquerait en outre d'être considérée, au regard du droit communautaire, comme une restriction au libre établissement et à la libre circulation des prestataires de services.

Ces considérations conduisent votre commission à vous recommander un dispositif plus souple, prévoyant la traduction ou l'explicitation des vocables étrangers utilisés, et limitant cette obligation aux cas où les termes en question sont susceptibles de fournir une indication sur la nature de l'activité de la société concernée, de façon à proportionner la contrainte imposée par la loi à l'objectif d'information du consommateur et du public qu'elle se propose.

Article 4
(article L. 210-2 du code de commerce)
Dénominations sociales des sociétés

L'article L. 210-2 du code de commerce assigne aux statuts d'une société commerciale l'obligation de fixer sa forme, sa durée, sa dénomination sociale, son siège social, son objet social et le montant de son capital social.

Par coordination avec la rédaction proposée par l'article 3 pour l'article L. 123-1 du code de commerce, le présent article propose d'introduire dans l'article L. 210-2 précité une disposition analogue prévoyant la traduction ou l'explicitation en français des termes étrangers utilisés dans une dénomination sociale, dès lors qu'ils sont susceptibles de fournir une indication sur l'activité de la société.

Article 5
(article 2-14 du code de procédure pénale)
Action en justice des associations agréées de défense des consommateurs

L'article 2-14 du code de procédure pénale, issu de l'article 19 de la loi du 4 août 1994, autorise les associations de défense de la langue française régulièrement déclarées et agréées à exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne un certain nombre d'infractions.

Ce droit, pour les associations, d'ester en justice, peut s'exercer à l'encontre des infractions aux dispositions des textes pris pour l'application des articles 2 (publicité et transactions commerciales) , 3 (inscriptions et annonces dans les lieux publics) , 4 (présentation des textes français et étrangers) , 6 (organisation de colloques) , 7 (publications et revues) et 10 (offres d'emplois) .

Actuellement, trois associations ont reçu l'agrément ministériel nécessaire pour exercer ce droit. Il s'agit de :

- l'Association francophone d'amitié et de liaison (AFAL) ;

- l'Avenir de la langue française (ALF) ;

- la Défense de la langue française (DLF).

Reprenant une suggestion formulée par le rapport rendu par M. Hubert Astier et évoquée en Conseil des ministres par le ministre de la culture et de la communication, le 17 mars 2005, l'auteur de la proposition de loi suggérait de reconnaître à des agents assermentés de ces associations et des associations de défense des consommateurs, le pouvoir de constater les infractions à la plupart des dispositions précitées. Votre commission n'a pas voulu s'engager sur cette voie, considérant que la constatation des infractions à la « loi Toubon » devait rester, comme aujourd'hui, le fait d'agents publics . La compétence pour rechercher et constater les infractions aux dispositions de la loi est actuellement confiée aux officiers et agents de police judiciaire, et, pour les infractions aux dispositions de l' article 2 (publicité et transactions commerciales) , à certains agents publics énumérés à l'article L. 215-1 du code de la consommation (notamment les agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, et ceux de la Direction générale des douanes et des droits indirects). La loi définit en outre très précisément les pouvoirs dévolus à ces agents et la portée des contrôles qu'ils sont amenés à opérer.

Pour améliorer le contrôle effectif des dispositions de la loi, votre commission vous propose donc plutôt d'étendre aux associations régulièrement déclarées et agréées de défense des consommateurs, la capacité d'exercer les droits reconnus à la partie civile déjà dévolus aux associations de défense de la langue française.

L'article L. 421-1 du code de la consommation reconnaît déjà à ces associations la capacité d'exercer les droits reconnus à la partie civile relativement aux fait portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs.

L'intervention de ces 18 associations agréées 11 ( * ) contribuera, à n'en pas douter, à renforcer sensiblement la pression exercée par le secteur associatif en faveur du respect effectif des prescriptions de la « loi Toubon ».

Article 6
(article L. 122-39-1 du code du travail)
Documents destinés aux salariés

Le paragraphe II de l'article 9 de la loi du 4 août 1994 rend obligatoire l'emploi du français dans la rédaction de « tout document comportant des obligations pour le salarié, ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire à celui-ci pour l'exécution de son travail » .

Cette règle est justifiée par la nécessité d'assurer une bonne information des salariés et répond à la fois à des exigences de sécurité et au souci d'éviter certaines formes de discrimination au sein de l'entreprise.

La loi n'interdit pas pour autant d'assortir ces documents de traduction dans une ou plusieurs langues étrangères.

Elle prévoit deux exceptions à cette exigence d'une rédaction en français :

- pour les documents reçus de l'étranger ;

- pour les documents destinés à des étrangers.

L'existence d'une dérogation pour les documents destinés à des étrangers ne soulève pas d'objection aux yeux de votre rapporteur.

En revanche, l'instauration d'une dérogation en faveur de l'ensemble des documents « reçus de l'étranger » paraît aujourd'hui trop générale au regard des objectifs poursuivis par la loi.

Qu'ils proviennent ou non de l'étranger, des documents rédigés en langue étrangère sont également susceptibles d'être une source d'incompréhension et de gêne pour des salariés français.

Or, la mondialisation et la multiplication des groupes de dimension internationale d'une part, et le développement des technologies de l'information et notamment de l'Internet, d'autre part, contribuent à une augmentation sensible du volume et de la fréquence des documents reçus de l'étranger.

Un certain nombre d'affaires judiciaires témoignent d'ailleurs d'une nouvelle vigilance du monde du travail en ce domaine.

Sur saisine du comité d'entreprise et du comité d'hygiène et de sécurité de la société, le tribunal de grande instance de Versailles a condamné, par un jugement du 11 janvier 2005, la société General Electric Medical System SCS (GEMS), filiale du groupe General Electric, à mettre à la disposition de ses salariés en France une version française des logiciels informatiques, des documents relatifs à la formation du personnel, à l'hygiène et à la sécurité et des documents relatifs aux produits de la société.

Cette issue positive tient notamment, comme le relève un des attendus du jugement, à ce que l'origine étrangère des documents incriminés n'était pas formellement établie.

On peut craindre qu'aujourd'hui la plupart des documents rédigés en langue étrangère destinés à des salariés français proviennent de l'étranger et que l'exception inscrite dans la loi de 1994 n'ouvre une brèche trop importante dans un dispositif qui répond aussi à des objectifs de sécurité du travail .

Ces considérations conduisent votre commission à recommander une rédaction plus restrictive de l'exception consentie aux documents reçus de l'étranger : ceux-ci ne devraient être dispensés de l'obligation de recourir à la langue française que s'ils sont destinés à des salariés dont l'emploi suppose une parfaite connaissance de la langue étrangère concernée.

Article 7
(article L. 439-2 du code du travail)
Rapport annuel sur l'utilisation de la langue française dans l'entreprise

Cet article fait obligation au chef d'entreprise de soumettre pour avis au comité d'entreprise un rapport annuel écrit sur l'utilisation de la langue française.

La présentation au comité d'entreprise d'un rapport sur l'utilisation de la langue française dans l'entreprise présente un double avantage alors que, sous l'effet de la mondialisation et de l'internationalisation des sociétés, les pratiques linguistiques commencent à devenir un sujet sensible dans le monde du travail :

- elle est de nature à inciter les entreprises à réfléchir à leur politique linguistique ;

- elle érige les pratiques linguistiques en élément du dialogue social.

L'article L. 432-3 du code du travail définit le rôle du comité d'entreprise au regard des problèmes généraux de l'organisation du travail. Il énumère les sujets sur lesquels il doit être informé et consulté.

Les articles suivants imposent au chef d'entreprise la présentation d'un certain nombre de rapports portant notamment :

- sur la situation comparée des conditions générales d'emploi et de formation des femmes et des hommes dans l'entreprise (article L. 432-3-1) ;

- sur les garanties apportées aux personnes assurées contre certains risques (article L. 432-3-2) ;

- sur l'activité de l'entreprise, le chiffre d'affaires, les bénéfices et les pertes (article L. 432-4).

Le I du présent article insère dans le code du travail un nouvel article L. 432-3-3 relatif à la présentation d'un rapport sur l'utilisation de la langue française.

Votre commission vous propose de ne rendre obligatoire la présentation de ce rapport annuel et sa discussion devant le comité d'entreprise que dans les entreprises de plus de 500 salariés, dans lesquelles se manifestent, en pratique, la plupart des problèmes linguistiques.

Toutefois, pour maintenir la possibilité d'un débat dans des entreprises de plus faible taille, où certains problèmes peuvent toutefois se rencontrer, elle vous proposera de prévoir un second dispositif plus souple et facultatif, permettant au comité d'entreprise ou aux délégués du personnel d'évoquer la question en demandant au chef d'entreprise la présentation d'un rapport.

Le II complète l'article L. 439-2 du code précité pour étendre cette obligation aux comités de groupe , dont il importe qu'ils soient informés de la politique linguistique conduite par un groupe dans les différentes entreprises qui en dépendent.

Article 8
(articles L. 434-3 et L. 439-4 du code du travail)
Ordre du jour et procès-verbaux des comités d'entreprise, de groupe ou d'établissement

La loi du 4 août 1994 comporte déjà plusieurs dispositions destinées à garantir l'emploi du français dans l'entreprise. Ses articles 8, 9 et 10 ont ainsi rendu obligatoire l'usage de notre langue dans la rédaction du contrat de travail, dans celle du règlement intérieur, dans celle des conventions et accords collectifs, dans celle des offres d'emploi, ainsi que dans celle des documents comportant des obligations pour le salarié.

Votre commission vous propose de compléter ce dispositif pour rendre obligatoire l'emploi du français dans la rédaction de l'ordre du jour sur lequel sont convoqués les comités d'entreprise, les comités de groupe et les comités d'établissement, ainsi que dans celle des procès-verbaux dans lesquels sont consignées leurs délibérations.

Les comités d'entreprise , dont la création est obligatoire dans toute entreprise ou organisme de plus de cinquante salariés, constituent l'instance privilégiée du dialogue social dans l'entreprise.

Constitué des chefs d'entreprise et des délégués du personnel, le comité est investi d'une compétence générale : « il est obligatoirement informé et consulté sur les questions intéressant l'organisation, la gestion et la marche générale de l'entreprise, et notamment, sur les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail, les conditions d'emploi, de travail et de formation professionnelle du personnel » , comme le prévoit l'article L. 432-1 du code du travail.

A ce titre, il joue un rôle essentiel dans l'information dispensée aux salariés , sur la marche de leur entreprise et l'évolution de leurs conditions de travail. Cette information ne peut cependant être convenablement assurée que si l'ordre du jour sur lequel il est convoqué, et les procès-verbaux dans lesquels sont consignés ses délibérations, sont rédigés en français.

L' ordre du jour est, aux termes de l'article L. 434-3 du code du travail, arrêté par le chef d'entreprise et le secrétaire désignés par le comité parmi ses membres titulaires. Il doit être communiqué aux membres trois jours au moins avant la séance.

Le procès-verbal dans lesquels sont consignées les délibérations est établi par le secrétaire, et communiqués au chef d'entreprise et aux membres du comité (article R. 434-1 du code précité). Après avoir été adopté, il peut être affiché ou diffusé dans l'entreprise (article L. 434-4).

Votre commission vous propose dans un paragraphe I de compléter l'article L. 434-3 du code du travail, relatif aux réunions du comité d'entreprise , par un alinéa prévoyant que « l'ordre du jour ainsi que le procès-verbal dans lequel sont consignés les délibérations du comité d'entreprise doivent être rédigés en français » tout en prévoyant qu'ils peuvent être accompagnés de traduction dans une ou plusieurs langues étrangères, ne serait-ce que pour permettre la bonne information des salariés étrangers.

Ces dispositions s'appliqueront en outre aux comités d'établissement qui sont créés dans les entreprises comportant des établissements distincts et dont la composition et le fonctionnement sont identiques à ceux des comités d'entreprise, comme le prévoit l'article L. 435-1.

Le paragraphe II propose l'insertion d'une mesure identique dans l'article L. 439-4 du code, pour les comités de groupe qui sont constitués au sein de groupes formés par une entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle.

Article 9
(article 22 de la loi n° 94-665 du 4 août 1994relative à l'emploi de la langue française)
Amélioration du suivi de la loi à travers la présentation du rapport au Parlement sur l'emploi de la langue française

Le présent article a pour objet d'améliorer le suivi de l'application de la loi relative à l'emploi de la langue française, en incitant les différentes administrations concernées à apporter une participation effective à sa rédaction, et en prévoyant la possibilité, pour les assemblées, d'organiser un débat parlementaire à l'occasion de son dépôt.

Dans sa version initiale, la proposition de loi préconisait de créer dans chacune des deux assemblées du Parlement, une délégation parlementaire à la langue française.

La création de ce nouvel organisme n'est cependant pas, aux yeux de votre commission, le meilleur moyen d'améliorer le suivi par le parlement de ce sujet.

La création d'une semblable délégation présenterait à ses yeux un double inconvénient :

- elle dissocierait la défense de la langue française en France de la promotion de la francophonie et de la diversité culturelle dans le monde alors qu'il s'agit des deux volets d'une seule et même politique ;

- elle isolerait la politique de la langue de ses prolongements éducatifs et culturels ;

Pour ces deux raisons, votre commission considère que la défense de la langue française sera mieux assurée, au sein du Parlement, si elle reste une des compétences de référence des commissions permanentes chargées des affaires culturelles au sein du Sénat et de l'Assemblée nationale.

A ses yeux, le renforcement du contrôle exercé par le Parlement passe par une amélioration des outils existants .

Elle déplore vivement que le rapport annuel que le Gouvernement est tenu, aux termes de l'article 22 de la loi du 4 août 1994, de présenter sur l'application de la loi sur l'emploi de la langue française, ne comporte, à de rares exceptions, aucun compte rendu de la façon dont plusieurs des ministères concernés et notamment celui de l'emploi, de la cohésion sociale, et du logement, celui de la justice, ou celui de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche ou encore celui des transports s'acquittent de leur mission de veille dans les secteurs de leur compétence.

Pour ces raisons, elle vous proposera, à titre incitatif de compléter l'article 22 relatif au rapport annuel au Parlement par une phase invitant les différentes administrations concernées par les dispositions de la loi à y apporter leur contribution.

Elle insiste, en outre et plus particulièrement, sur la nécessité pour le ministère de la justice de tracer un bilan des procès verbaux constatant les infractions à la loi, et des suites judiciaires qui leur sont réservées, de façon à permettre au Parlement de disposer des éléments lui permettant de s'assurer du respect effectif des prescriptions linguistiques.

Elle prévoit en outre que ce rapport pourra faire l'objet d'un débat en séance publique.

* 11 La liste de ces associations nationales est reproduite en annexe à la fin de ce rapport.

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