MISSION « RECHERCHE ET ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR » MM. Philippe Adnot et Maurice Blin, rapporteurs spéciaux


A titre liminaire, vos rapporteurs spéciaux tiennent à indiquer qu'ils n'ont pu obtenir du ministère, très tard, que quelques éléments très parcellaires et datant d'ailleurs le plus souvent de 2004 pour juger de la performance de la recherche et de l'enseignement supérieur nationaux en 2005.

En conséquence, leur contribution demeurera limitée et ne pourra tout à fait correspondre à ce que devrait être un rapport sur le projet de loi de règlement respectant les lignes directrices de la LOLF. Ils s'attacheront, le plus souvent, à estimer l'adaptation de l'organisation du ministère et des opérateurs aux exigences de la LOLF , ne s'appuyant sur des résultats concrets de 2005 que dans les rares cas où cela leur est possible.

Ils souhaitent donc très vivement que le ministère prenne toutes les mesures nécessaires afin que, dès l'année prochaine, ils puissent disposer, dans un délai raisonnable, de l'ensemble des données actualisées leur permettant, à l'occasion du débat sur le projet de loi de règlement, de donner un avis éclairé sur la qualité de la gestion des crédits de la mission.

I. IL EST NÉCESSAIRE DE FAIRE ENTRER L'UNIVERSITÉ DANS LE CADRE DE LA LOLF

A. UNIVERSITÉ ET PERFORMANCE : UNE DÉMARCHE QUI RESTE À ACHEVER

1. Il faut se donner les moyens d'évaluer réellement la performance des universités

Dans son avis sur le programme « Recherche et enseignement supérieur », rendu le 5 mai 2006, le Comité interministériel d'audit des programmes (CIAP) note, certes, avec satisfaction qu'un début de contractualisation par objectifs, cohérent avec la LOLF, se met en place entre le ministère et les établissements, essentiellement les universités. Cependant, il pointe aussitôt les faiblesses du dispositif :

- la liste d'indicateurs renseignée par les établissements comporte 122 indicateurs, avant tout destinés à dresser le bilan administratif du contrat et pas encore à nourrir le dialogue budgétaire dans le cadre de la LOLF ;

- l'évaluation comparative des établissements (mesure de la performance) en vue de l'allocation de moyens n'existe donc pas encore ;

- ce dispositif ne permet pas d'intégrer , au niveau national, dans le système d'information dédié à la LOLF, une consolidation de données annuelles issues des établissements .

Vos rapporteurs spéciaux souhaitent que les corrections demandées par le CIAP soient réalisées au plus vite. En effet, il convient de passer rapidement à un dispositif de contrats objectifs/moyens englobant une part plus importante des moyens alloués aux établissements, ce qui nécessite une connaissance beaucoup plus fine des activités et des résultats des établissements.

2. Une plus grande liberté de gestion devrait alors être dévolue aux universités

A partir du moment où les établissements devraient accomplir un effort important d'adaptation et de transparence, et où l'allocation des moyens dont ils disposent devrait dépendre de leur performance, il conviendrait qu'ils bénéficient d'une plus grande autonomie de gestion. Or, à ce jour, la masse salariale des personnels n'entre pas dans le budget des établissements et la fongibilité asymétrique reste centralisée au niveau du ministère.

Vos rapporteurs spéciaux n'ignorent pas la sensibilité d'un tel sujet. Ils invitent cependant le gouvernement à avancer sur ce dossier , en se limitant par exemple, dans un premier temps, à un ou plusieurs établissements pilotes. Dans le même esprit de prudence, ils considèrent que l'expérimentation pourrait ne concerner, au début du processus, que les seuls personnels non enseignants.

B. DES ÉTUDIANTS DÉSORIENTÉS

Vos rapporteurs spéciaux ont souligné, dans leur dernier rapport budgétaire 71 ( * ) , les conséquences néfastes des problèmes d'orientation des jeunes au sein de l'université.

Le seul indicateur disponible en la matière n'est renseigné que pour l'année 2002 : il indique que la part des étudiants de premier cycle d'études supérieures partant sans diplôme s'élevait à 23 % de l'ensemble des sortants du supérieur. Or, cet indicateur intègre les étudiants des instituts universitaires de technologies (IUT) et des sections de techniciens supérieurs (STS). Il est donc permis de penser que ce ratio est encore moins bon pour les seuls étudiants inscrits à l'université pour obtenir un diplôme d'études universitaires générales (DEUG).

Les problèmes d'orientation ont d'autres conséquences qu'un taux d'échec trop élevé aux examens universitaires . Ils se traduisent également :

- d'une part, par une réorientation trop fréquente des étudiants . Vos rapporteurs spéciaux indiquaient, dans le rapport précité, que plus de la moitié des étudiants n'achevaient pas le DEUG dans lequel ils s'étaient inscrits au départ. Une telle situation est source de perte de temps pour les étudiants, et est coûteuse pour les finances publiques ;

- d'autre part, par une inadéquation manifeste entre les effectifs des filières universitaires et le marché du travail .

Vos rapporteurs spéciaux ont bien pris note de la volonté de M. François Goulard, ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche , exprimée lors de son audition devant votre commission des finances dans le cadre du présent projet de loi de règlement, de s'orienter vers une « politique de l'offre universitaire » . Dans une telle optique, les recrutements d'enseignants-chercheurs ne devraient plus se fonder uniquement sur les inscriptions des étudiants en première année d'université, mais également sur des critères tels que la politique de recherche nationale ou la qualité des emplois occupés, à l'issue de leurs études, par les diplômés des différentes filières. Estimant prometteuse une telle approche, ils se montreront particulièrement attentifs à sa mise en oeuvre effective.

II. LA RECHERCHE : ACCOMPAGNER LA PRIORITÉ BUDGÉTAIRE AFFICHÉE D'UNE MEILLEURE CULTURE DE LA VALORISATION

L'exercice 2005, objet du présent rapport est non seulement le dernier exercice « pré-LOLF », mais aussi le dernier précédant l'adoption de la loi de programme n° 2006-450 du 18 avril 2006 pour la recherche.

Certaines des orientations défendues par vos rapporteurs spéciaux ont trouvé des réponses dans cette loi, ce qu'ils souligneront quand cela sera nécessaire. Néanmoins, dans le respect du principe d'évaluation de la gestion du gouvernement qui sied à la loi de règlement, leur constat s'appuiera sur les données passées dont ils disposent.

A. MIEUX ORIENTER LA RECHERCHE VERS L'APPLICATION

1. Inciter les acteurs publics de recherche français à valoriser les résultats de leurs recherches

La recherche publique demeurant une composante essentielle des dépenses de recherche et de développement nationales 72 ( * ) , il est indispensable pour notre économie que les chercheurs exerçant dans le secteur public aient le souci et les moyens de valoriser les résultats de leurs recherches.

L'un de vos rapporteurs spéciaux vient d'ailleurs de consacrer un rapport d'information consacré aux moyens d'encourager la valorisation de la recherche universitaire 73 ( * ) .

Or, les dernières données dont disposent vos rapporteurs spéciaux ne sont guère encourageantes pour les universités :

- en 2003, la part des ressources apportées par les redevances sur titres de propriété intellectuelle dans les « ressources recherche totales 74 ( * ) » des universités ne s'élevait qu'à 0,17 %. L'objectif pour 2008 consiste d'ailleurs à faire passer ce taux à 0,2 %, ce qui semble modeste ;

- cette même année, la part des contrats de recherche passés avec des entreprises dans les « ressources recherche totales » des universités s'élevait à 3,3 %, contre 3,9 % en 2001. Là encore, la cible définie pour 2008, soit 3,5 %, c'est-à-dire moins qu'en 2001, paraît assez peu ambitieuse à vos rapporteurs spéciaux.

La tendance était la même pour les organismes publics de recherche , pour lesquels vos rapporteurs spéciaux disposent des chiffres relatifs à l'année 2004 :

- la part des ressources apportées par les redevances sur titres de propriété intellectuelle dans les « ressources recherche totales » des principaux établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST) 75 ( * ) s'élevaient à 1,9 % (chiffre stable par rapport à 2003), tandis que, pour les principaux autres opérateurs publics de recherche 76 ( * ) , ce chiffre déclinait, passant de 4,3 % en 2003 à 3,4 % en 2004 ;

- en revanche, en ce qui concerne la part des contrats de recherche passés avec des entreprises dans les « ressources recherche totales » de ces opérateurs, les EPST restaient stables en 2004 (à 1,6 %), mais les autres opérateurs progressaient, passant de 8,6 % en 2003 à 9,7 % en 2004.

L'article 28 de la loi de programme pour la recherche précitée, qui légalise l'exonération d'impôt sur les sociétés des établissements publics de recherche pour leurs activités de valorisation, constitue, certes, une première réponse. La possible remise en cause de cette exonération était jusqu'alors un frein majeur, à la fois financier et administratif, pour les établissements concernés. En votant cette disposition, le législateur a donc envoyé un signe fort d'encouragement au développement de ces activités.

Mais il faut une ambition plus grande. A cet égard, vos rapporteurs spéciaux ont prêté une grande attention aux propos tenus par M. François Goulard, ministre délégué à l'enseignement supérieur et à la recherche, quant aux suites devant être données au rapport précité de M. Philippe Adnot. Ils ont relevé avec satisfaction qu'une des propositions dudit rapport avait déjà été suivie d'effet, à savoir la suppression de la procédure de fonds de concours spécifique pour les dépenses de rémunération des personnels des universités affectés dans leurs services d'activités industrielles et commerciales (SAIC). Ils ont, de plus, apprécié l'intention manifesté par le ministre délégué de mettre en oeuvre la plupart des recommandations dudit rapport , notamment l'harmonisation des régimes de TVA sur les subventions versées par l'Agence nationale de la recherche (ANR) , qui diffèrent actuellement selon que ces subventions sont versées à un établissement public à caractère scientifique et technologique (EPST), qui peut récupérer la TVA, ou à un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP), qui ne le peut pas. Ils se montreront particulièrement attentifs quant à la traduction effective de ces intentions.

2. Stimuler une recherche privée qui reste trop faible

La modicité des investissements privés de recherche et de développement est un point faible de l'économie française : ceux-ci sont loin des 2 % du PIB fixés comme objectif cible en 2010 par le Conseil européen réuni à Barcelone (15 et 16 mars 2002) afin de discuter de la « Stratégie de Lisbonne ».

Or, là aussi, non seulement le niveau absolu n'est pas satisfaisant, mais les derniers indicateurs dont disposent vos rapporteurs spéciaux sont mal orientés : alors que les dépenses de recherche et de développement des entreprises s'élevaient à 1,36 % du PIB en 2003, ce chiffre est passé à 1,34 % du PIB en 2004, le ministère estimant même le résultat 2005 à 1,32 % du PIB. Dans ces conditions, l'objectif de 1,8 % du PIB en 2008 risque de ne pas être atteint.

Vos rapporteurs spéciaux s'inquiètent de cette tendance et souhaitent que soit réalisée au plus vite une évaluation de l'effet incitatif du crédit d'impôt en faveur de la recherche , qui représente une dépense fiscale de l'ordre de 730 millions d'euros pour l'Etat, et que l'article 22 de la loi de finances pour 2006 a encore renforcé.

B. OÙ EST LE PILOTE DE LA RECHERCHE PUBLIQUE FRANÇAISE ?

L'Agence nationale de la recherche (ANR), créée le 7 février 2005 et transformée en établissement public par la loi de programme pour la recherche précitée, est un outil puissant de pilotage de la recherche et de renforcement de l'esprit de performance dans la communauté des chercheurs.

Vos rapporteurs spéciaux ne peuvent donc que regretter que les crédits d'intervention de l'ANR , soit 350 millions d'euros en 2005 (et 596,4 millions d'euros en 2006), figurent, non dans les crédits du ministère, mais au sein du compte d'affectation spéciale n° 902-24 « Participations financières de l'Etat » 77 ( * ) . L'ANR est en effet financée par une partie du produit des privatisations. L'absence de ces crédits du périmètre de l'actuelle mission « Recherche et enseignement supérieur » rend plus difficile la mesure de la performance des investissements publics de recherche. De plus, elle jette un doute quant à la pérennité du financement des crédits d'investissements de l'Agence, qui doit pourtant s'affirmer durablement comme un acteur de premier plan dans le pilotage de la recherche française.

Vos rapporteurs spéciaux relèvent d'ailleurs que, dans son avis précité, le CIAP recommande le transfert des crédits des allocations de recherche au sein du programme « Formations supérieures et recherche universitaire » et, de là, la suppression du programme « Orientation et pilotage de la recherche » qui serait amputé des deux tiers de ses crédits.

Une telle suppression constituerait un symbole cruel, qui ne serait que le reflet d'un paradoxe : les crédits de ce programme devraient être constitués principalement des crédits de l'ANR mais, ceux-ci n'y figurant pas, il a fallu y inclure des crédits ayant moins vocation à y figurer afin qu'il ne soit pas dit (dans la maquette budgétaire) que l'Etat n'oriente ni ne pilote la recherche publique nationale.

* 71 Rapport général n° 99 (2005-2006) - Tome III - annexe 21 de MM. Philippe Adnot et Maurice Blin, Recherche et enseignement supérieur

* 72 Selon le rapport 2004 de l'Observatoire des sciences et des techniques, les dépenses publiques de recherche et de développement s'élevaient à 1 % du PIB, soit plus que la moyenne des pays de l'OCDE.

* 73 Rapport d'information n° 341 (2005-2006) de M. Philippe Adnot, « La valorisation de la recherche dans les universités : une ambition nécessaire ».

* 74 Expression employée dans la définition de l'indicateur figurant dans l'actuel projet annuel de performance de la mission. Cette valeur représente l'ensemble des ressources dont dispose l'établissement pour conduire ses activités de recherche, y compris la dotation de l'Etat.

* 75 C'est-à-dire les EPST opérateurs de l'actuel programme « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » (CNRS, INSERM...).

* 76 C'est-à-dire les opérateurs de l'actuel programme « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » n'ayant pas le statut d'EPST (CEA, Institut Pasteur...).

* 77 Au titre de l'année 2006, les crédits d'intervention de l'ANR ne figurent toujours pas dans la mission « Recherche et enseignement supérieur ».

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