EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Sans doute est-il devenu un lieu commun que d'affirmer que le contrat d'assurance sur la vie est le placement préféré des Français. Les chiffres sont cependant là pour attester de la faveur de nos concitoyens pour cet instrument financier qui, par sa souplesse, peut être utilisé tant pour préparer sa retraite, que pour opérer un placement à moyen terme ou pour transmettre une somme d'argent en franchise de droits.

De fait, compte tenu de l'environnement législatif et réglementaire actuel, l'assurance sur la vie procure une rentabilité souvent plus élevée que des placements bancaires traditionnels. 1 ( * ) La fiscalité sur les plus-values en cas de rachat au cours de la vie est par ailleurs avantageuse lorsque le contrat a été conclu depuis plus de quatre ans. 2 ( * ) En outre, les droits de mutation à titre gratuit ne sont pas applicables aux sommes versées au bénéficiaires, sous réserve d'un plafond variable selon l'âge du souscripteur 3 ( * ) .

Ainsi, on estime généralement qu'environ 14,6 millions de ménages, soit environ 22 millions d'individus en France, détiennent une assurance sur la vie. Selon les chiffres 4 ( * ) communiqués par la Fédération française des sociétés d'assurances, au 31 décembre 2006, le montant cumulé des avoirs placés sur des supports d'assurance sur la vie 5 ( * ) a atteint 1.045 milliards d'euros 6 ( * ) .

Pour autant, la législation applicable au contrat d'assurance sur la vie, telle qu'elle est actuellement prévue tant par le code des assurances que par le code de la mutualité, suscite certaines difficultés pratiques récurrentes qui n'ont pas été réglées à ce jour, malgré les avancées intervenues à l'occasion de la loi n° 2005-1564 du 15 décembre 2005 portant diverses mesures d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de l'assurance. Or, il est nécessaire d'éviter que ces difficultés ternissent la confiance qu'ont les Français dans cet instrument.

C'est dans ce contexte que nos collègues députés Jean-Michel Fourgous et Yves Censi ont déposé le 21 septembre 2007, sur le bureau de l'Assemblée nationale, une proposition de loi visant à permettre la recherche des bénéficiaires des contrats d'assurance-vie non réclamés et en déshérence .

A l'occasion de sa séance d'initiative réservée du 11 octobre 2007, l'Assemblée nationale a adopté cette proposition de loi en première lecture, en y apportant plusieurs compléments qui en ont élargi la portée. Le titre de ce texte reflète cette évolution puisqu'il fait désormais référence tant à la question des contrats non réclamés qu'à celle plus large des garanties des droits des assurés 7 ( * ) .

Le Sénat est aujourd'hui saisi, en première lecture, de ce texte qui, en raison de sa teneur, a été renvoyé pour son examen au fond à votre commission des Lois, la commission des Finances s'en étant saisie pour avis 8 ( * ) .

I. LES DIFFICULTÉS POSÉES PAR LES RÈGLES RELATIVES AU BÉNÉFICE DU CONTRAT D'ASSURANCE SUR LA VIE

Le contrat d'assurance sur la vie a pour objet le versement par un assureur, en échange d'une prime, d'une somme déterminée -sous la forme d'une rente ou d'un capital- au souscripteur du contrat ou au tiers qu'il désigne. Ce versement intervient soit à raison du décès de la personne assurée 9 ( * ) ( assurance en cas de décès ), soit à raison de sa survie à une date déterminée par le contrat ( assurance en cas de vie ) 10 ( * ) .

La possibilité de stipuler qu'une personne autre que le souscripteur du contrat pourra obtenir le versement du capital ou de la rente prévu constitue une spécificité du contrat d'assurance sur la vie. Pour autant, un tel contrat peut être conclu sans bénéficiaire désigné : cette circonstance n'affecte pas sa validité juridique ; elle a pour seule conséquence que le bénéfice du contrat est alors attribué au contractant lui-même ou à sa succession 11 ( * ) .

Ce mécanisme, prévu par l'article L. 132-8 du code des assurances, soulève actuellement deux difficultés que la présente proposition de loi s'efforce d'atténuer.

A. UN NOMBRE IMPORTANT DE CONTRATS D'ASSURANCE SUR LA VIE NON RÉCLAMÉS PAR LEURS BÉNÉFICIAIRES

La désignation du bénéficiaire du contrat d'assurance intervient par acte unilatéral du souscripteur du contrat d'assurance, sans que l'accord de l'assureur soit requis. En revanche, lorsque le souscripteur n'est pas l'assuré, ce dernier doit donner son consentement 12 ( * ) . Surtout, la désignation d'un tiers comme bénéficiaire du contrat d'assurance n'impose pas l'information de ce dernier.

De fait, dans notre pays, de nombreuses personnes sont bénéficiaires d'un contrat d'assurance souscrit par un tiers, sans en avoir connaissance. Une telle situation se rencontre en particulier lorsque le contrat d'assurance sur la vie est utilisé comme un instrument de libéralité au profit d'une personne étrangère à la famille du souscripteur.

A ce jour, le législateur n'a jamais envisagé d'imposer une formalité d'information du tiers bénéficiaire sur la stipulation faite en sa faveur. Comme le relève le rapporteur de l'Assemblée nationale, une telle discrétion, offerte par le droit, permet sans doute, dans une certaine mesure, « d'assurer la paix des familles » 13 ( * ) . Elle n'en conduit pas moins à ce que le bénéfice de nombreux contrats d'assurance ne soit pas réclamé au décès de l'assuré.

La quantification précise du phénomène, qui concerne essentiellement les entreprises et les mutuelles d'assurance 14 ( * ) , reste cependant difficile. Selon les organismes professionnels représentatifs des assurances et des mutuelles, ce phénomène ne touche cependant pas l'ensemble des contrats d'assurance sur la vie, mais seulement les 20 % d'entre eux qui ne connaissent pas leur dénouement au cours de la vie de l'assuré. Pour ces derniers contrats, il est d'ailleurs estimé que le conjoint et les enfants de l'assuré sont désignés bénéficiaires dans environ 80 % des cas, ce qui réduit les risques de non réclamation du bénéfice du contrat, du moins si les liens familiaux n'ont pas été distendus depuis la souscription.

Si, en 2005, le stock des contrats d'assurance non réclamés a pu être évalué entre 150.000 et 170.000 unités par notre collègue Philippe Marini 15 ( * ) , le montant total des capitaux non versés est estimé entre 1 et 2 milliards par le Gouvernement 16 ( * ) , mais seulement à 950 millions d'euros par les assureurs 17 ( * ) . Ces chiffres n'en sont pas moins contestés, certaines associations estimant que les capitaux concernés approcheraient 4 milliards d'euros.

Face à cette situation, le législateur n'a pas été sans réaction.

En premier lieu, il a saisi l'occasion de la transposition d'une directive sur l'intermédiation en assurance pour renforcer, à l'occasion de la loi n° 2005-1564 du 15 décembre 2005 précitée, les conditions d'information des bénéficiaires d'un contrat d'assurance sur la vie.

D'une part, il a prévu que le contrat d'assurance doit comporter une information sur les conséquences de la désignation du ou des bénéficiaires et sur les modalités de cette désignation qui peut intervenir par un acte sous seing privé ou un acte authentique 18 ( * ) .

D'autre part, il a donné la possibilité à toute personne physique ou morale de demander à un ou plusieurs organismes professionnels du secteur de l'assurance ou de la mutualité à être informée de l'existence d'une stipulation effectuée à son profit dans une police souscrite par une personne physique dont elle doit apporter la preuve du décès . Dans les quinze jours suivant la réception de cette demande, l'organisme doit transmettre celle-ci aux entreprises d'assurance ou aux mutuelles. Si la personne morale ou physique est effectivement désignée dans une police comme bénéficiaire, ces entreprises disposent d'un délai d'un mois pour l'informer de l'existence d'un capital ou d'une rente garantis payables à son bénéfice 19 ( * ) .

Pour satisfaire à cette obligation légale, les organismes professionnels susmentionnés 20 ( * ) ont créé une structure juridique commune sous la forme d'une association : l'Association pour la gestion des informations relatives aux risques en assurance (AGIRA). Depuis mai 2006, cette association fait office de « guichet unique » en centralisant toutes les demandes relatives à l'existence d'une stipulation et en les transmettant aux entreprises gestionnaires des contrats d'assurance concernés. Pour autant, le nombre des contrats dénoués par ce biais est encore faible 21 ( * ) . Dans son Rapport annuel 2006 , le Médiateur de la République a souligné ces résultats décevants au regard de l'objectif affiché.

Enfin, le législateur a posé le principe d'une obligation de recherche du bénéficiaire par l'entreprise ou la mutuelle d'assurance, lorsque le décès de l'assuré est connu et que les coordonnées du bénéficiaire sont portées au contrat 22 ( * ) .

En second lieu, la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006 de financement de la sécurité sociale a prévu que les montants des contrats d'assurance sur la vie non réclamés par leurs bénéficiaires au terme d'un délai de 30 ans, seront affectés au Fonds de réserve des retraites, à compter du 1 er janvier 2007.

Selon le Gouvernement, cette ressource devrait s'élever à 15 millions d'euros en 2007. Elle ne sera néanmoins versée qu'en début d'année 2008 tout en se rattachant aux comptes 2007. En revanche, comme l'indique le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, « pour les années à venir, aucun produit n'est à attendre de cette recette . » 23 ( * )

Si elles ont incontestablement amélioré la situation antérieure, ces modifications législatives n'ont cependant pas réglé totalement la question de la non réclamation du bénéfice des contrats d'assurance .

Aussi d'autres modifications de la législation ont-elles été récemment envisagées sans pour autant aboutir.

Ainsi, lors de la discussion de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, l'Assemblée nationale, relayée par le Sénat, avait souhaité la mise en place d'un fichier national des assurances sur la vie, dont les modalités de constitution et d'accès auraient été calquées sur celles applicables au fichier central des dispositions de dernières volontés, géré par les notaires. Face à l'hostilité du Gouvernement, une telle mesure n'a cependant pu être adoptée.

Par ailleurs, le projet de loi en faveur des consommateurs, déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale par le Gouvernement de M. Dominique de Villepin en novembre 2006, aujourd'hui frappé de caducité, prévoyait un dispositif autorisant l'accès des organismes professionnels de l'assurance, de la prévoyance et de la mutualité au répertoire national d'identification des personnes physiques (RNIPP), fichier géré par l'Insee.

Sans attendre un changement de la législation, certains organismes d'assurance ont du reste entamé de leur propre chef une recherche des bénéficiaires de contrats dont les souscripteurs sont ou devraient être très âgés. Lors de son audition, le Médiateur de la République a souligné à votre rapporteur l'intérêt d'une généralisation de cette démarche à l'ensemble des assureurs.

B. DES CONDITIONS ET DES EFFETS D'ACCEPTATION DU CONTRAT D'ASSURANCE SUR LA VIE MAL DÉFINIS

Fortement inspiré des dispositions du code civil sur la stipulation pour autrui 24 ( * ) , l'article L. 132-9 du code des assurances prévoit que la stipulation en vertu de laquelle le bénéfice de l'assurance est attribué à un bénéficiaire déterminé devient irrévocable par l'acceptation expresse ou tacite du bénéficiaire . Cette irrévocabilité comporte cependant certaines exceptions. Ainsi, lorsque la désignation du bénéficiaire intervient à titre de libéralité, il est possible de la révoquer pour ingratitude, en application des règles du code civil relatives aux donations entre vifs 25 ( * ) .

Comme la stipulation, l'acceptation du bénéfice s'opère par un acte unilatéral du bénéficiaire. Il en résulte qu'à l'heure actuelle, aucune disposition légale n'interdit que l'acceptation intervienne sans que le stipulant en ait été informé, voire contre son accord .

Dès lors, le stipulant peut se trouver privé de la libre disposition des sommes placées dans le contrat d'assurance qu'il a souscrit, ce qui, en pratique, peut conduire à des situations personnelles très difficiles, en particulier si le souscripteur entendait, par exemple dans une période de difficultés financières, exercer sa faculté de rachat.

En outre, la crainte de se voir privé de la disponibilité du capital placé sur un support d'assurance sur la vie conduit de nombreux stipulants à ne pas informer le bénéficiaire de sa qualité. Une telle attitude ne peut que favoriser l'absence de réclamation du bénéfice des contrats d'assurance après le décès de l'assuré.

A l'inverse, le droit en vigueur ne définit pas les effets de l'acceptation du bénéfice du contrat d'assurance sur les facultés d'avance, de rachat ou de nantissement dont dispose alors le stipulant . Cette situation est source de grandes disparités dans la pratique des assureurs, ce qui n'apparaît guère satisfaisant dans un contexte de protection des épargnants.

Sur ces deux points, le projet de loi en faveur des consommateurs, précité, prévoyait des dispositifs qui n'ont pu être examinés par l'Assemblée nationale avant la fin de la XIIème législature.

* 1 Les rendements constatés se situent en règle générale entre 4 % et 4,5 % net de frais de gestion, pour les contrats en euros ou pour les fonds euros de contrats multi-supports.

* 2 Pour les contrats souscrits depuis le 1 er janvier 1999 : imposition à 15 % des plus-values de cession lorsque le contrat a une ancienneté de 4 à 8 ans ; imposition à 7,5 % au-delà.

* 3 Pour les souscripteurs âgés de moins de 70 ans, la somme transmise en franchise de droits s'élève à 152.000 euros ; elle s'élève à 30.500 euros lorsque le souscripteur est âgé de plus de 70 ans. Toutefois, cet instrument a perdu une partie de son intérêt pour les transmissions au conjoint survivant du souscripteur depuis que la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat exonère le conjoint survivant des droits de mutation par décès.

* 4 Ces chiffres concernent uniquement les organismes soumis au code des assurances (entreprises ou mutuelles d'assurances).

* 5 Assurance sur la vie stricto sensu et capitalisation.

* 6 Selon les chiffres communiqués à votre rapporteur par la Fédération française des sociétés d'assurances, l'encours moyen d'assurance en cas de vie par personne est d'environ 80.000 euros, ce montant pouvant néanmoins être réparti sur plusieurs contrats à adhésion individuelle ou contrats collectifs.

* 7 A l'initiative de sa commission des lois, l'Assemblée nationale a retenu le titre suivant : « Proposition de loi permettant la recherche des bénéficiaires des contrats d'assurance sur la vie non réclamés et garantissant les droits des assurés. »

* 8 Voir l'avis de notre excellent collègue Philippe Marini au nom de la commission des Finances.

* 9 Cette personne pouvant être le souscripteur lui-même ou un tiers.

* 10 Certains contrats peuvent cependant couvrir ces deux éventualités ; ils sont alors qualifiés de contrats d'assurance mixtes ou de contrats d'assurance à terme fixe.

* 11 Article L. 132-11 du code des assurances.

* 12 Article L. 132-2 du même code.

* 13 Rapport n° 274 (A. N., XIIIème législature) de M. Eric Straumann au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale, p. 7.

* 14 Le Centre technique des institutions de prévoyance, entendu par votre rapporteur, a indiqué que les institutions de prévoyance, qui offrent essentiellement des contrats collectifs aux entreprises comportant des garanties décès pour les salariés en activité, connaissaient un nombre extrêmement réduit de contrats non réclamés.

* 15 Rapport n° 368 (2004-2005) au nom de la commission des finances sur le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de l'assurance, p. 62.

* 16 Montants évoqués dans le cadre de l'examen de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006 de financement de la sécurité sociale.

* 17 Rapport « L'assurance française en 2006 » de la Fédération française des sociétés d'assurance, p. 23.

* 18 Article L. 132-9-1 du code des assurances.

* 19 Article L. 132-9-2 du même code.

* 20 La Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA), le Centre technique des institutions de prévoyance (CTIP) et le Groupement des entreprises mutuelles d'assurance (GEMA), auxquels s'est jointe la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF) en avril 2007.

* 21 Depuis sa création en mai 2006, AGIRA a reçu près de 15.000 dossiers représentant 27.340 bénéficiaires. En 2006, 625 bénéficiaires de contrats non réclamés ont été trouvés, représentant un montant cumulé de 12 millions d'euros.

* 22 Article L. 132-8 du code des assurances.

* 23 Annexe 8 au projet de loi de financement de la sécurité sociale, p. 48.

* 24 Aux termes de l'article 1121 du code civil : « On peut pareillement stipuler au profit d'un tiers lorsque telle est la condition d'une stipulation que l'on fait pour soi-même ou d'une donation que l'on fait à un autre. Celui qui a fait cette stipulation ne peut plus la révoquer si le tiers a déclaré vouloir en profiter. »

* 25 Selon l'article 955 du code civil : « La donation entre vifs ne pourra être révoquée pour cause d'ingratitude que dans les cas suivants : 1° Si le donataire a attenté à la vie du donateur ; 2° S'il s'est rendu coupable envers lui de sévices, délits ou injures graves ; 3° S'il lui refuse des aliments. »

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