ARTICLE ADDITIONNEL APRES L'ARTICLE 6 - Introduction d'un régime de résident fiscal temporaire sur agrément

Commentaire : le présent article propose d'introduire un nouvel article 4 C dans le code général des impôts, créant un nouveau régime de résident fiscal temporaire octroyé sur agrément et dans certaines conditions. Inspiré du régime britannique des « résidents fiscaux non domiciliés », il complèterait le dispositif d'impatriation et permettrait à certains contribuables de n'être imposés que sur leurs revenus de source française et biens situés en France.

I. LE DROIT ET LE CONTEXTE FISCAL ACTUELS

A. LE RÉGIME DES IMPATRIÉS, UN DISPOSITIF D'ATTRACTIVITÉ

L'article 23 de la loi de finances rectificative pour 2003, codifié dans l'article 81 B du code général des impôts, a introduit un régime spécial d'imposition sur les revenus des « impatriés », ouvert aux salariés et dirigeants qui n'ont pas été fiscalement domiciliés en France au cours des dix années civiles précédant celle de leur prise de fonctions dans l'entreprise établie en France. Ce régime prévoit deux mesures dont l'objectif est d'inciter les salariés et les cadres dirigeants français ou étrangers à venir exercer leur activité en France :

- d'une part, cet article a prévu l'exonération de la « prime d'impatriation » , c'est-à-dire des suppléments de rémunération directement liés à un détachement temporaire en France, comme la compensation du surcoût du logement, de la prime de responsabilité ou du différentiel de pression fiscale et sociale. L'exonération est accordée jusqu'au 31 décembre de la cinquième année suivant celle de la prise de fonctions des intéressés en France, soit une durée maximale de six ans.

Afin d'éviter qu'une partie de la rémunération de base soit transformée en indemnité exonérée , le II de l'article 81 B dispose préventivement que si cette rémunération « est inférieure à la rémunération versée au titre de fonctions analogues dans l'entreprise ou, à défaut, dans des entreprises similaires établies en France, la différence est réintégrée dans les bases imposables de l'intéressé », selon une approche relativement classique des « comparables » ;

- d'autre part, le dispositif prévoit la déductibilité des cotisations sociales des salariés (versées dans leur pays d'origine aux régimes légaux de sécurité sociale et aux régimes de prévoyance et de retraite complémentaire) exerçant temporairement leur activité professionnelle en France.

L'article 54 de la loi de finances rectificative pour 2005 a amélioré ce régime spécial d'imposition, pour les prises de fonctions en France et l'imposition des revenus perçus à compter du 1 er janvier 2005, sur deux points :

- concernant l'exonération des suppléments de rémunération, le délai de non-domiciliation en France requis a été réduit de dix ans à cinq ans ;

- en outre, les salariés et personnes éligibles à l'exonération des suppléments de rémunération bénéficient sur option d'une exonération de la part de la rémunération se rapportant à leur activité exercée à l'étranger . Toutefois, le montant de cette exonération est plafonné à 20 % de la rémunération imposable. Il s'agit de procurer un avantage fiscal aux impatriés qui sont amenés, par exemple, à effectuer des déplacements réguliers dans leur pays d'origine.

Le dispositif a ensuite été précisé par l'instruction fiscale 5F-12-05 du 21 mars 2005.

B. UN RÉGIME QUI NE GARANTIT PAS LE RETOUR OU L'INSTALLATION EN FRANCE DE CADRES DE HAUT NIVEAU ET DEMEURE PEU UTILISÉ

Le régime des impatriés atténue le caractère dissuasif de la fiscalité française des cadres et salariés des centres de décision , qui contribue à renchérir le coût d'implantation de sièges et fonctions de direction, ainsi que le relevait notre collègue Christian Gaudin, dans le rapport d'information de juin 2007 de la mission sur les centres de décision économique, dont votre rapporteur général était le président 36 ( * ) .

Une étude conduite en 2006 par le Bureau Francis Lefebvre pour Paris-Europlace, portant sur le taux global de prélèvement obligatoire sur un cadre supérieur dans quatre cas de figure distincts, en France et dans quatre pays européens concurrents (Allemagne, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suisse), aboutit ainsi au constat que la France est le pays où la pression fiscale et sociale est la plus forte.

Ainsi, pour un cadre marié avec deux enfants, rémunéré environ 70.000 euros nets par an, le coût global en base 100 est de 216 en France, 188 en Allemagne, 166 aux Pays-Bas, 158 au Royaume-Uni et 149 en Suisse. Ce sont essentiellement les charges sociales patronales qui expliquent cet écart , puisqu'elles se révèlent en France 4,5 fois plus élevées qu'en Allemagne et 7,9 fois plus élevées qu'aux Pays-Bas. L'impôt sur le revenu français est en revanche inférieur à la moyenne des autres pays.

Un raisonnement en termes de revenu brut aboutit à un résultat moins contrasté, mais toujours en défaveur de la France . Ainsi pour un cadre marié avec deux enfants bénéficiant d'une rémunération brute de 125.000 euros, le revenu net s'établit en France à 81.093 euros, soit 2,4 % de moins que la moyenne des cinq pays considérés, mais le coût pour l'employeur se situe au niveau le plus élevé avec 182.543 euros 37 ( * ) .

Le régime des impatriés nécessite dans la pratique de procéder à des retraitements assez complexes pour établir la prime d'impatriation, en particulier dans certains métiers de l'industrie financière qui n'ont pas toujours leur strict équivalent dans des entreprises du même secteur. Bien qu'il soit perçu de manière positive , il présente également certains inconvénients qui contribuent à expliquer son succès très relatif, en particulier pour les impatriés de nationalité française.

On peut ainsi relever le fait de devoir demander à l'administration fiscale une attestation sur la comparaison établie avec un poste analogue, et surtout la nécessité de faire référence à un salaire net déclarable (plutôt que la rémunération brute imposable) intégrant un bonus , qui par définition n'est pas réellement déterminable ni comparable à l'avance puisqu'il est adossé à une performance individuelle future.

A ces griefs s'ajoutent le risque de requalification en rémunération des plans de retraites (« pensions plans ») dont bénéficient nombre de cadres du secteur financier 38 ( * ) .

C. LE RÉGIME ATTRACTIF DE LA RÉSIDENCE FISCALE AU ROYAUME-UNI

1. Trois notions de résidence fiscale

Le droit britannique distingue trois notions de résidence fiscale, correspondants à des liens personnels de plus en plus étroits et durables avec le Royaume-Uni : la résidence (ou « résidence non ordinaire »), la « résidence ordinaire » (« ordinary residence »), et le domicile. Il est possible d'être à la fois « résident » et « résident ordinaire », par exemple lorsqu'une personne résidant habituellement au Royaume-Uni se rend à l'étranger pour de courts séjours (déplacements professionnels ou vacances).

Une personne est réputée résidente si pour chaque année fiscale (du 6 avril au 5 avril de l'année suivante), elle a séjourné au moins 183 jours (soit 6 mois) au Royaume-Uni sur une ou plusieurs périodes. Elle peut également être considérée comme résidente :

- si elle a séjourné chaque année fiscale au Royaume-Uni pendant 91 jours au moins en moyenne, durant quatre années consécutives. Le statut de résident est alors accordé à compter de la cinquième année ;

- ou si elle dispose au Royaume-Uni d'un « lieu de résidence affecté à son usage » et y séjourne, durant une période quelconque, au cours de l'année d'imposition.

La résidence ordinaire implique un lien plus étroit avec le territoire britannique et traduit davantage la volonté du contribuable. Elle est ainsi applicable aux personnes physiques ayant l'intention , des leur arrivée, de résider au Royaume-Uni pendant au moins trois ans et d'y effectuer des séjours d'au moins 91 jours annuels pendant quatre années fiscales consécutives, et en tout état de cause, à partir de la troisième année suivant leur arrivée au Royaume-Uni.

En pratique, une personne venant au Royaume Uni comme salariée n'est pas habituellement considérée comme un résident ordinaire tant qu'elle n'y est pas restée pendant trois années fiscales, à moins qu'elle n'ait prouvé y disposer d'un logement.

Enfin le domicile correspond au lieu dont une personne est originaire, en général le lieu de séjour permanent de son père, ou le lieu de son propre séjour permanent si ce séjour a une durée au moins égale à quinze ans et si les liens avec le domicile d'origine ont été rompus. Une personne considérée comme domiciliée au Royaume-Uni perd difficilement cette qualité, et a contrario , une personne qui n'y est pas domiciliée l'acquiert difficilement, de telle sorte que le domicile est en pratique peu accessible à un ressortissant non britannique . Le critère de l'intention est déterminant : aussi longtemps que le contribuable prévoit de quitter le Royaume-Uni à une quelconque date future, il ne peut être considéré comme y ayant acquis un domicile.

2. Un effritement de l'avantage procuré par la « remittance basis »

Les résidents britanniques sont en principe imposables sur leurs revenus mondiaux. Néanmoins les salariés étrangers qui perçoivent des rémunérations à la fois au Royaume-Uni et à l'étranger bénéficient d'un régime fiscal favorable, par l'application de la règle de la « remittance basis », applicable aux résidents et/ou aux résidents ordinaires non domiciliés. Cette exception a pour effet d'exonérer les revenus salariaux et non salariaux de source exclusivement étrangère tant que ceux-ci ne sont pas transférés au Royaume-Uni.

En outre, les résidents ordinaires bénéficient généralement de deux contrats de travail dual contract »), afin de percevoir des rémunérations hors du Royaume-Uni, susceptibles d'échapper à toute taxation lorsqu'elles proviennent de sociétés off shore . Un cas fréquent consiste ainsi, pour les banquiers d'affaire et traders , à transférer leurs bonus hors de la City dans le cadre d'un contrat de travail distinct.

L'application de la remittance basis revêt un intérêt particulier pour les cadres de haut niveau et contribue, dans l'industrie financière, à la concentration des talents à Londres . Ce régime est conforté par la fiscalité favorable de Jersey, qui a développé une activité de gestion de fonds privés 39 ( * ) .

Des changements substantiels vont cependant affecter le régime des résidents non domiciliés à compter du 6 avril 2008 et le rendre financièrement moins attractif. Les résidents non-domiciliés qui auront passé 7 des 10 dernières années sur le territoire britannique devront en effet s'acquitter d'un droit annuel de 30.000 livres sterling pour pouvoir bénéficier de la « remittance basis ». De nombreux non-domiciliés devront donc arbitrer entre ce prélèvement et la déclaration de l'ensemble de leurs revenus de source britannique ou étrangère.

II. LE DISPOSITIF DE RÉSIDENT FISCAL TEMPORAIRE PROPOSÉ PAR VOTRE COMMISSION DES FINANCES

Votre rapporteur général considère que la France peut s'inspirer de l'expérience britannique pour permettre à des cadres - impatriés français ou expatriés étrangers - ayant à titre temporaire leur domiciliation fiscale en France de n'être imposés que sur leurs revenus et de source française et leurs biens situés en France . Il s'agirait donc d'une forme de « territorialisation » de l'impôt sur le revenu.

Il vous propose ainsi un nouveau régime de fiscalité des revenus, complémentaire de celui des impatriés et ayant pour objectif de faciliter le retour ou la venue en France de personnes disposant de compétences élevées, notamment dans le domaine bancaire et financier.

Le contexte est aujourd'hui d'autant plus porteur que l'attractivité de la Place de Paris est désormais perçue comme une nécessité (et a de fait donné lieu à l'installation d'un Haut comité de place le 5 octobre 2007), et surtout que le régime britannique de la « remittance basis » devrait perdre dès avril 2008 une partie de son intérêt pour les cadres étrangers de la City (cf. supra ). Il y a donc une réelle « fenêtre d'opportunité » à saisir.

Le bénéfice de ce dispositif, qui serait inséré après l'article 4B du code général des impôts qui définit la domiciliation fiscale, serait accordé sur agrément pour une durée maximale de cinq ans 40 ( * ) . Le bénéficiaire ne devrait pas avoir été fiscalement domicilié en France au cours des cinq années précédant la demande et avoir satisfait à l'ensemble de ses obligations fiscales et sociales. Il serait un résident à statut particulier et temporaire, fiscalement domicilié en France mais imposé de la même manière qu'une personne domiciliée hors de France.

Afin de justifier le bénéfice d'un tel régime, de le réserver aux contribuables disposant de hauts revenus (prioritairement ceux du secteur financier) et de l'orienter vers la création de richesses, l'octroi de l'agrément serait soumis au respect de l'une des trois conditions alternatives suivantes, correspondant à trois catégories de bénéficiaires :

- exercer à titre principal une activité dont la rémunération est soumise au taux maximal de la taxe sur les salaires. Cette condition entend contribuer au renforcement de la place financière de Paris en attirant des cadres « hauts potentiels » d'établissements financiers ;

- ou figurer sur une liste établie par décret, en raison du caractère spécifique des compétences requises ou de difficultés de recrutement. Il s'agit, par exemple, de cibler des professeurs de grandes universités étrangères dont le recrutement se révèle aujourd'hui difficile compte tenu des niveaux de traitement requis.

- ou souscrire au capital d'une petite ou moyenne entreprise (PME) établie dans un Etat de la Communauté européenne, dans les conditions d'exonération définies à l'article 885 I ter du code général des impôts 41 ( * ) , pour un montant excédant la limite supérieure de la première tranche du barème de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), soit 750.000 euros. Les titres souscrits devraient être conservés par le bénéficiaire pendant toute la durée de l'agrément. Cette condition vise plus particulièrement les entrepreneurs et « business angels » ayant constitué un patrimoine élevé à l'étranger et susceptibles de le réinvestir en France ;

Une disposition introduite à l'article 885 A du code général des impôts, définissant les personnes assujetties à l'ISF, permettrait d'imposer ces résidents temporaires à raison de leurs biens situés en France.

Afin de limiter de possibles contestations sur les fondements du principe constitutionnel d'égalité des citoyens devant l'impôt et du principe communautaire de liberté d'établissement, les caractéristiques suivantes devraient être prises en considération :

- les conditions de délivrance de l'agrément ministériel seraient définies avec suffisamment de précision, par la référence à l'article 1649 nonies du code général des impôts 42 ( * ) ;

- la qualification d'aide d'Etat (directe ou indirecte) pourrait être évitée, dès lors que le dispositif ferait explicitement référence à l'article 885 I ter du même code (qui renvoie lui-même au régime communautaire des aides d'Etat aux PME) et n'inciterait pas au transfert d'activités sur le territoire national, mais constituerait simplement une incitation à l'investissement dans les PME.

L'introduction de ce régime impliquerait sans doute de réexaminer certaines conventions fiscales , en particulier la clause anti « remittance basis » de la convention franco-britannique, dans la mesure où les pays d'origine des cadres étrangers pourraient demander à être en quelque sorte subrogés dans le droit d'imposition auquel la France aurait renoncé, pour imposer à leur tour les revenus de source étrangère.

Décision de la commission : votre commission vous demande d'adopter cet article additionnel.

* 36 « La bataille des centres de décision : promouvoir la souveraineté économique de la France à l'heure de la mondialisation », rapport d'information n° 347 (2006-2007) déposé le 27 juin 2007.

* 37 Dans les quatre autres pays, le coût varie entre 131.147 euros (Pays-Bas) et 144.600 euros (Suisse).

* 38 Risque d'autant plus élevé que le bénéfice de ces plans est reporté à une date lointaine.

* 39 Les dépôts bancaires à Jersey s'élevaient ainsi à 274 milliards d'euros en 2006.

* 40 Plus précisément jusqu'au 31 décembre de la cinquième année suivant celle de l'acquisition de la domiciliation fiscale en France.

* 41 Cet article dispose :

« I. - Sont exonérés les titres reçus par le redevable en contrepartie de sa souscription au capital, en numéraire ou en nature par apport de biens nécessaires à l'exercice de l'activité, à l'exception des actifs immobiliers et des valeurs mobilières, d'une société répondant à la définition des petites et moyennes entreprises figurant à l'annexe I au règlement (CE) n° 70/2001 de la Commission, du 12 janvier 2001, concernant l'application des articles 87 et 88 du traité CE aux aides de l'Etat en faveur des petites et moyennes entreprises si les conditions suivantes sont réunies au 1 er janvier de l'année d'imposition :

« a. La société exerce exclusivement une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, à l'exclusion des activités de gestion de patrimoine mobilier définie à l'article 885 O quater , et notamment celles des organismes de placement en valeurs mobilières, et des activités de gestion ou de location d'immeubles ;

« b. La société a son siège de direction effective dans un État membre de la Communauté européenne.

« II. - Un décret fixe les obligations déclaratives incombant aux redevables et aux sociétés ».

* 42 Qui dispose :

« I. Nonobstant toute disposition contraire, les agréments auxquels est subordonné l'octroi d'avantages fiscaux prévus par la loi sont délivrés par le ministre de l'économie et des finances. Sauf disposition expresse contraire, toute demande d'agrément auquel est subordonnée l'application d'un régime fiscal particulier doit être déposée préalablement à la réalisation de l'opération qui la motive.

« Des arrêtés du ministre pourront instituer des procédures simplifiées et déléguer le pouvoir de décision à des agents de l'administration des impôts ayant au moins le grade de directeur départemental.

« II. Des arrêtés du ministre de l'économie et des finances, pris après avis d'un organisme désigné par décret, peuvent définir, compte tenu de l'importance, de la nature ou du lieu d'exercice des activités considérées, les conditions des agréments auxquels des exonérations fiscales sont attachées en vertu des dispositions législatives ou réglementaires ».

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