ANNEXES

TABLEAU COMPARATIF DES ACCORDS ENTRE DIFFUSEURS ET PRODUCTEURS

Diffuseurs

Contenu des accords interprofessionnels signés au 24/12/2008

Périmètre des accords

TF1

L'accord concerne la chaîne TF1.

France Télévisions

L'accord concerne France Télévisions, tel que défini par la loi sur l'audiovisuel qui devrait être votée par le Parlement d'ici la fin de l'année 2008.

Canal+

L'accord concerne Canal+ et les chaînes thématiques contrôlées à 50% ou plus par Canal+ France contribuant au COSIP, et dont la programmation comporte un volume significatif d'oeuvres audiovisuelles et qui, de ce fait, sont assujetties aux obligations de production audiovisuelle.

M6

L'accord concerne la chaîne M6.

Orange Cinéma Séries

L'accord concerne les 5 chaînes thématiques d'Orange Cinéma Séries.

Contribution à la production d'oeuvres audiovisuelles

TF1

Pas de quota d'oeuvres audiovisuelles distinct du patrimonial.

France Télévisions

Pas de quota d'oeuvres audiovisuelles distinct du patrimonial.

Canal+

Quota de 3,6% pour les oeuvres audiovisuelles non-patrimoniales.

M6

Les accords USPA/SPFA/SPI/SATEV retiennent un quota de 15%.

Orange Cinéma Séries

Pas de quota d'oeuvres audiovisuelles distinct du patrimonial.

Contribution à la production d'oeuvres audiovisuelles patrimoniales

TF1

Principe : 12,5% du CA annuel net de l'exercice précédent.

A partir de 2010, ce taux est au moins de 12,5% et il est porté en année n :

- à 12,8% si les ressources ont une croissance comprise entre +5% et +8% entre l'année n-1 et l'année n-2 ;

- à 13% si les ressources ont une croissance supérieure à 8% ;

- si pour le décompte des engagements 2010, il est constaté que les ressources baissent sur 2 exercices consécutifs, les parties conviennent de se réunir afin de prendre en compte la situation nouvellement créée.

France Télévisions

- 18,5% de l'assiette de l'exercice précédent en 2009 ;

- 19% en 2010 ;

- 19,5% en 2011 ;

- 20% en 2012

Canal+

- 3,6% du CA annuel pour les « oeuvres audiovisuelles patrimoniales et les reportages autres que ceux diffusés dans les journaux télévisés » ;

- 3,4% du CA annuel pour les « oeuvres audiovisuelles patrimoniales » ;

- 12% du CA annuel pour les chaînes thématiques pour les « oeuvres patrimoniales » et 12,5% avec les reportages autres que ceux diffusés dans les JT ;

- La contribution à la production s'élèvera à 3,5% si le CA abonnements en année n-1 connaît une croissance comprise entre +6% et +9% (3,6% au-delà de 9% de croissance du CA)

M6

- 10,5% au titre de l'exercice 2009 ;

A partir de 2010 :

- Taux d'obligation patrimoniale : 10,75%

- si le CA de l'année n augmente de 5% ou plus, alors ce taux est de 11% pour l'année n

- si le CA de l'année n augmente de moins de 3%, alors ce taux est de 10,5%

- si le CA baisse sur 2 exercices consécutifs, alors les parties se réunissent pour prendre en compte la situation nouvelle

Orange Cinéma Séries

- au moins 6% des ressources totales nettes de l'exercice précédent à des oeuvres audiovisuelles patrimoniales indépendantes (fiction, documentaire de création, captation et récréation de spectacles vivants, vidéomusiques), dont au moins 0,6% de ces ressources à des oeuvres audiovisuelles d'animation.

Contribution à la production d'oeuvres audiovisuelles indépendantes

TF1

9,25% du CA annuel net de l'exercice précédent (sur des oeuvres audiovisuelles patrimoniales)

France Télévisions

- 18,5% de l'assiette de l'exercice précédent en 2009 ;

- 19% en 2010 ;

- 19,5% en 2011 ;

- 20% en 2012

Canal+

3,6% du CA annuel pour les oeuvres audiovisuelles patrimoniales incluant les reportages autres que ceux diffusés dans les JT

M6

9% du CA annuel pour des oeuvres audiovisuelles patrimoniales

Orange Cinéma Séries

- au moins 6% des ressources totales nettes de l'exercice précédent à des oeuvres audiovisuelles patrimoniales indépendantes (fiction, documentaire de création, captation et récréation de spectacles vivants, vidéomusiques), dont au moins 0,6% de ces ressources à des oeuvres audiovisuelles d'animation.

Définition des oeuvres patrimoniales

TF1

Sont considérées comme patrimoniales, les oeuvres audiovisuelles d'expression originale française ou européennes suivantes : fiction, documentaires, animation, captation et récréation de spectacles vivants, vidéomusiques. L'article 7 de l'accord signé par TF1 spécifie que l'entrée en vigueur de l'accord est « subordonnée à la condition du maintien de la définition de l'oeuvre audiovisuelle dite « patrimoniale » telle qu'elle résulte du 3° de l'article 27 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée par la loi du 5 mars 2007, selon lequel « en matière audiovisuelle, cette contribution doit comporter une part significative dans la production d'oeuvres de fiction, d'animation, de documentaires de création, de vidéo-musiques et de captation ou de recréation de spectacles vivants ».

France Télévisions

Constituent des oeuvres audiovisuelles patrimoniales, celles visées au dernier alinéa du 3° de l'article 27 de la loi n°86-1067 du 30/09/1986 modifiée, à savoir les oeuvres d'expression originale française et européennes de fiction, de documentaire, d'animation, de captation de spectacles vivants, et de vidéomusiques.

Canal+

Sont considérés comme patrimoniales, les oeuvres audiovisuelles d'expression originale française ou européennes suivantes : « la fiction y compris les sketches, le documentaire de création, l'animation, la captation ou la recréation de spectacles vivants, les vidéomusiques ».

M6

Est considérée comme obligation patrimoniale « la production d'oeuvres de fiction, d'animation, de documentaires de création, de vidéo-musiques et de captation ou de recréation de spectacles vivants ».

Orange Cinéma Séries

Constituent des oeuvres patrimoniales les oeuvres d'expression originale française ou européennes de fiction, de documentaire de création, de captation et de récréation de spectacles vivants, et de vidéomusiques.

Définition de la production indépendante

TF1

La production indépendante est définie en tenant compte du seul critère capitalistique. Est réputée indépendante de TF1, une entreprise de production dans laquelle elle ne détient pas, directement ou indirectement, plus de 15% du capital social ou des droits de vote.

France Télévisions

Est réputée indépendante de France Télévisions, une entreprise de production dans laquelle il ne détient pas, directement ou indirectement, plus de 15% du capital social ou des droits de vote.

Canal+

La production indépendante est définie en tenant compte du seul critère capitalistique. Est réputée indépendante du groupe Canal+, une entreprise de production dans laquelle il ne détient pas, directement ou indirectement, plus de 15% du capital social ou des droits de vote.

Orange Cinéma Séries

Est réputée indépendante des chaînes d'Orange cinéma séries :

- une entreprise de production dans laquelle Orange cinéma séries SA ou France Télécom SA ne détient pas directement ou indirectement plus de 15% du capital social ou des droits de vote ;

- l'entreprise de production qui n'a pas réalisé, au cours des trois exercices précédents, plus de 80% de son volume horaire cumulé de production audiovisuelle ou de son chiffre d'affaires cumulé de producteur audiovisuel avec Orange cinéma séries.

Droits à recettes pour le diffuseur

TF1

- OEuvres audiovisuelles patrimoniales hors animation : droit à recettes de 1% par pourcentage apporté au-delà de 40% du devis CNC, en tout état de cause ce droit à recettes ne pouvant excéder 35% des recettes du producteur ;

- OEuvres audiovisuelles d'animation : droit à recettes de 1% par pourcentage apporté au-delà de 30% du devis CNC

France Télévisions

Le droit à recettes s'applique dans les conditions définies dans des tableaux annexées à l'accord (et font des distinctions par genre et en fonction du niveau de financement).

Canal+

- OEuvres audiovisuelles hors animation : droit à recettes de 1% par pourcentage apporté au-delà de 40% du devis CNC, en tout état de cause ce droit à recettes ne pouvant excéder 35% des recettes du producteur ;

- OEuvres d'animation : droit à recettes s'applique dans les conditions définies dans des annexes de l'accord

M6

- OEuvres audiovisuelles indépendantes hors animation et documentaire de création : droit à recettes de 25% des recettes nettes du producteur ;

- OEuvres audiovisuelles de documentaire de création : droit à recettes de 1% par pourcentage apporté au-delà de 50% du devis CNC, en tout état de cause ce droit à recettes ne pouvant excéder 25% des recettes du producteur, et si M6 contribue à hauteur de 60% minimum dans le budget de production ;

- OEuvres audiovisuelles d'animation : droit à recettes de 1% par pourcentage apporté au-delà de 30% du budget CNC.

Orange Cinéma Séries

- OEuvres audiovisuelles de fiction : droit à recettes de 1% par pourcentage apporté au-delà de 40% du devis CNC, en tout état de cause ce droit à recettes ne pouvant excéder 35% des recettes du producteur ;

- OEuvres audiovisuelles de documentaire de création et de spectacle vivant : droit à recettes de 1% par pourcentage apporté au-delà de 50% devis CNC, en tout état de cause ce droit à recettes ne pouvant pas excéder 25% des recettes nettes du producteur.

- OEuvres audiovisuelles d'animation : droit à recettes de 1% par pourcentage apporté au-delà de 25% du devis CNC

CONTRIBUTIONS AU DÉVELOPPEMENT DE LA PRODUCTION AUDIOVISUELLE PAR LES PRINCIPAUX DIFFUSEURS

Obligations en 2006

Réalisations en 2006

Obligations en 2007

Réalisations en 2007

TF1

Obligation globale

16% du CA en EOF

soit : 239,670M€

CA 2005 : 1 497,90M€

16,09% du CA

soit : 240,998M€

16% du CA en EOF

soit : 250,370M€

CA 2006 : 1 5641,813M€

16,04% du CA

soit : 250,957M€

OEuvres inédites

2/3 de l'obligation

soit : 159,780M€

94,32% de l'obligation

soit : 226,027M€

2/3 de l'obligation

soit : 166,913M€

96,34% de l'obligation

soit : 241,197M€

OEuvres indépendantes

2/3 de l'obligation

soit : 159,780M€

67,22% de l'obligation

soit : 161,101M€

2/3 de l'obligation

soit : 166,913M€

67,82%

soit : 169,796M€

France 2

Obligation globale

18,5% du CA

soit : 181,320M€

CA 2005 : 980,112M€

19,81% du CA

soit : 194,191M€

18,5% du CA

soit : 185,643M€

CA 2006 : N/C

19,1% du CA

soit : 191,180M€

OEuvres inédites

3/4 de l'obligation

soit : 135,990M€

>3/4 de l'obligation

soit : 193,230M€

3/4 de l'obligation

soit : 139,232M€

>3/4 de l'obligation

soit : 189,595M€

OEuvres indépendantes

2/3 de l'obligation

soit : 120,880M€

> 2/3 de l'obligation

soit : 139,930M€

2/3 de l'obligation

soit : 123,762M€

> 2/3 de l'obligation

soit : 130,968M€

Obligations en 2006

Réalisations en 2006

Obligations en 2007

Réalisations en 2007

France 3

Obligation globale

19% du CA

soit : 117,752M€

CA 2005 : 619,748M€

21,18% du CA

soit : 131,274M€

19% du CA

soit : 123,123M€

CA 2006 : 648,014M€

20,6% du CA

soit : 133,498M€

OEuvres inédites

3/4 de l'obligation

soit : 88,314M€

>3/4 de l'obligation

soit : 126,847M€

3/4 de l'obligation

soit : 92,342M€

>3/4 de l'obligation

soit : 130,805M€

OEuvres indépendantes

2/3 de l'obligation

soit : 78,502M€

>2/3 de l'obligation

soit : 93,908M€

2/3 de l'obligation

soit : 80,082M€

>2/3 de l'obligation

soit : 102,492M€

France 4

Obligation globale

14% du CA

soit : 1,912M€

CA 2005 : 13,660M€

31,16% du CA

soit : 4,256M€

16% du CA

soit : 3,320M€

CA 2006 : 20,751M€

30,9% du CA

soit : 6,422M€

OEuvres inédites

4,66% du CA

soit : 636 592 €

16,79% du CA

soit : 2,294M€

5,33% du CA

soit : 1,106M€

18,7% du CA

soit : 3,871M€

OEuvres indépendantes

9,33% du CA

soit : 397 122€

15,22% du CA

soit : 2,079M€

10,6% du CA

soit : 2,213M€

13,4% du CA

soit : 2,773M€

France 5

Obligation globale

16% du CA

soit : 26,808M€

CA 2005 : 167,553M€

28,64% du CA

soit : 47,990M€

16% du CA

soit : 27,931M€

CA 2006 : 174,571M€

27,2% du CA

soit : 47,479M€

OEuvres inédites

3/4 de l'obligation

soit : 20,106M€

170% de l'obligation

soit : 45,582M€

3/4 de l'obligation

soit : 20,949M€

>3/4 de l'obligation

soit : 44,906M€

OEuvres indépendantes

2/3 de l'obligation

soit : 17,872M€

75,44% de l'obligation

soit : 20,224M€

2/3 de l'obligation

soit : 18,621M€

>2/3 de l'obligation

soit : 21,821M€

Obligations en 2006

Réalisations en 2006

Obligations en 2007

Réalisations en 2007

Canal +

Obligation globale

4,5% des ressources totales annuelles net de l'exercice 2005, en EOF ou européennes

soit : 61,600M€

5,51% du CA

soit : 75,446M€

4,5% des ressources totales annuelles net de l'exercice 2006, en EOF ou européennes

soit : 65,62M€

5,48% du CA

soit : 79,95M€

OEuvres inédites

2/3 de l'obligation

soit : 41,067M€

117,13% de l'obligation

soit : 72,153M€

2/3 de l'obligation

soit : 43,74M€

113,26% de l'obligation

soit : 74,26M€

OEuvres indépendantes

2/3 de l'obligation

soit : 41,067M€

74,23% de l'obligation

soit : 45,726M€

2/3 de l'obligation

soit : 43,74M€

72,4% de l'obligation

soit : 47,526M€

M6

Obligation globale

18% du CA

soit : 98,497M€

CA 2005 : 547,208M€

18,21% du CA

soit : 99,625M€

18% du CA en EOF

soit : 102,278M€

CA 2006 : N/C

18,3% du CA

soit : 103,799M€

OEuvres inédites

2/3 de l'obligation

soit : 65,665M€

88,26% de l'obligation

soit : 86,897M€

2/3 de l'obligation

soit : 68,185M€

>2/3 de l'obligation

soit : 87,680M€

OEuvres indépendantes

2/3 de l'obligation

soit : 65,665M€

72,99%

soit : 71,889M€

2/3 de l'obligation

soit : 68,185M€

>2/3 de l'obligation

soit : 70,676M€

RÉSUMÉ DU RAPPORT « CINÉMA ET CONCURRENCE » D'ANNE PERROT ET DE JEAN-PIERRE LECLERC

Le 25 septembre 2007, Christine Lagarde, ministre de l'Économie, de l'industrie et de l'emploi, et Christine Albanel, ministre de la Culture et de la communication, ont demandé la réalisation d'une étude portant sur l'application du droit de la concurrence dans le domaine du cinéma.

Il s'agissait de répondre à des préoccupations concrètes touchant principalement au fonctionnement du marché de l'exploitation des films en salle, qui se sont multipliées dans la période récente : dégradation des conditions de sortie des films en salle ; craintes de « guerres des prix » ; conflits autour du renouvellement de l'agrément des formules d'abonnement illimitées ; contestation devant les tribunaux de la concurrence faite par des salles exploitées ou subventionnées par des municipalités ; interrogations sur l'avenir du régime d'autorisation d'ouverture des multiplexes ; remise en cause de la chronologie des médias ; projets d'équipement des salles de cinéma en technologies de projection numérique susceptibles de transformer les relations commerciales et financières entre les distributeurs et les exploitants.

La première partie du rapport tente d'éclairer comment, de manière générale, les règles de concurrence peuvent se combiner avec la régulation sectorielle propre au cinéma.

La seconde partie examine plus précisément les questions concrètes que posent différentes formes de concurrence sur les marchés de l'exploitation des films en salle et dans les différents médias et formule des propositions pour remédier aux problèmes identifiés.

1. Quel équilibre entre les mécanismes de concurrence et la régulation sectorielle du cinéma ?

1.1 Les caractéristiques particulières de l'économie du cinéma

L'économie du cinéma est marquée par des caractéristiques particulières : la production, la distribution et l'exploitation des films engagent essentiellement des coûts fixes ou irrécupérables. Or le succès commercial est aléatoire : chaque film est une oeuvre unique, un prototype, et les recettes du film à succès, les stars à l'affiche, l'importance des budgets de production ou de promotion, les stratégies de sorties massives ne protègent pas contre les échecs.

Le cinéma est une activité très risquée, ce qui explique les fortes tendances à la concentration dans ce secteur - même si en France elle reste modérée, du fait notamment des politiques de soutien de l'Etat qui ont permis à des entreprises indépendantes ou de petite taille de continuer à exister. D'autre part, les marchés du cinéma sont fragmentés : la concurrence entre les exploitants de salle s'exerce au sein de zones de chalandise locales ; les films à l'affiche sont en concurrence mais ne sont pas entièrement substituables.

Ceci favorise la constitution de positions dominantes nationales mais aussi locales, qui peuvent se renverser selon les circonstances. Dans la période actuelle, ce sont plutôt les exploitants qui disposent d'une ressource rare, les écrans, face à une offre de films pléthorique, et qui bénéficient d'une position de force dans les négociations commerciales.

1.2 Mécanismes de concurrence et objectifs de politique culturelle

Dans ces conditions, les instruments de la concurrence constituent des mécanismes utiles pour protéger les opérateurs les plus fragiles contre les pratiques discriminatoires, les abus de position dominante ou de dépendance économique, qu'ils soient le fait de distributeurs ou d'exploitants. Pour sanctionner ces pratiques, les autorités de la concurrence s'adaptent à la diversité des produits, des entreprises et des rapports de domination qui caractérisent le secteur : même lorsqu'un opérateur dispose seulement d'une position dominante locale, son comportement abusif peut être sanctionné comme le Conseil de la concurrence l'a récemment démontré.

Par contre, les mécanismes de la concurrence ne peuvent à eux seuls remplir les objectifs de la politique culturelle : diversité de l'offre, renouvellement des talents, aménagement du territoire, soutien à un tissu industriel national et européen. En effet, le seul jeu du marché tempéré par les règles de concurrence pourrait aboutir à une offre de films plus uniformisée, à la disparition des salles dans les zones les moins riches et les moins peuplées du territoire, et aussi à la disparition d'un certain nombre d'entreprises : les règles de la concurrence ne protègent pas les opérateurs économiques contre leurs concurrents plus dynamiques ou plus innovants.

1.3 Les principes de la régulation sectorielle : enrichir mais pas exclure les règles de concurrence

Ces objectifs culturels relèvent d'une régulation sectorielle, qui peut venir enrichir les mécanismes de concurrence, mais pas s'y substituer ou les exclure. La prise en compte des objectifs légitimes de protection de la culture n'a jamais été considérée, jusqu'à présent, comme une justification pour écarter purement et simplement les règles de concurrence. Celles-ci ont été constamment appliquées au secteur du cinéma par les autorités de la concurrence. Le fait que la production, la distribution et l'exploitation de films mettent en jeu l'exercice de droits de propriété intellectuelle n'exonère pas non plus ces activités du respect des règles de concurrence.

De plus, une dérogation aux règles de concurrence propre au cinéma serait contraire à nos engagements européens. Les traités européens ne prévoient pas d'exception aux règles de concurrence pour les produits ou les services culturels. Ainsi, dans la mesure où le marché communautaire pourrait être affecté, la régulation sectorielle du cinéma ne doit pas favoriser la conclusion par les professionnels d'ententes interdites ou la constitution de positions dominantes. Elle ne doit pas non plus limiter la libre circulation des marchandises ou la liberté de prestation de services au sein de l'Union européenne, sauf dans une mesure strictement nécessaire et proportionnée par rapport aux objectifs d'intérêt général poursuivis.

1.4 Les modalités de la régulation sectorielle du cinéma

La régulation publique, au nom de la défense et de la promotion de la culture, doit donc être conçue pour porter les atteintes les plus limitées possibles au bon fonctionnement des marchés et être strictement proportionnée aux objectifs poursuivis. De ces principes découlent des recommandations sur les modalités d'une régulation sectorielle.

Le recours à une autorégulation de la profession par la voie de protocoles d'accords ou de codes de bonne conduite, qui a souvent été privilégié, ne doit être envisagé qu'avec prudence.

Malgré l'intérêt pratique que pourrait représenter cette autorégulation, les possibilités d'y recourir sont juridiquement limitées : en principe, une concertation entre des entreprises qui aboutirait à un encadrement des prix, à une répartition des marchés, ou à la fixation de quotas de production ou de vente est interdite.

Par contre, certains accords qui apporteraient des progrès sensibles dans la distribution des films, profitant aussi bien aux entreprises du secteur qu'aux spectateurs, pourraient obtenir une « exemption ». La mission préconise de sécuriser la négociation d'accords en recourant à la procédure prévue à l'article L. 420-4 du code de commerce : autorisation par décret après avis conforme du Conseil de la concurrence.

En dehors de ces cas d'exemptions, c'est à l'État qu'il incombe d'exercer une régulation économique du secteur conforme à l'intérêt général, s'il l'estime nécessaire. Le cinéma est une industrie déjà très encadrée, alors que la diversité des situations, des acteurs, des marchés locaux en est le trait dominant. Dans ces conditions, la mission préconise de recourir aux instruments de régulation les plus souples, individualisés possible et qui entravent le moins le jeu de la concurrence.

La mission estime tout d'abord essentiel que soit respectée l'obligation de formaliser les relations commerciales dans des contrats écrits, sous peine de sanctions. Il semble en effet que les professionnels du cinéma ont perdu l'habitude de conclure des contrats formalisés que les instances judiciaires ou de médiation professionnelle pourraient faire respecter. Pourtant, ces contrats peuvent déterminer avec souplesse les engagements réciproques de ces partenaires en matière de rémunération, de conditions d'exposition des films et de coopération commerciale, et d'éviter que les relations entre distributeurs et exploitants soient gouvernées par la loi du plus fort. Les formalités pourraient être allégées grâce à la conclusion de contrats sous forme électronique.

La mission recommande en outre l'extension de l'intervention du médiateur du cinéma. C'est en effet l'institution la plus adaptée pour assurer avec efficacité et rapidité une régulation du secteur qui favorise le fonctionnement concurrentiel des marchés en même temps que la réalisation d'objectifs d'intérêt général.

À l'heure actuelle, son rôle consiste essentiellement à examiner les difficultés d'accès des exploitants aux copies et les décisions des commissions départementales d'équipement cinématographique. Son intervention pourrait se développer pour répondre à des problématiques nouvelles, sur lesquelles il pourrait se prononcer de manière précontentieuse, à titre de conciliation ou en formulant des recommandations : pratiques discriminatoires ou abusives dans l'accès des films aux écrans, relations commerciales entre distributeurs et exploitants, concurrence entre salles municipales et salles privées, litiges en matière de politique tarifaire et de rémunération des distributeurs. Ses moyens devraient être renforcés en conséquence.

Le contenu des engagements de programmation, qui seront renouvelés en 2009, peut également être adapté pour répondre à ces problématiques nouvelles ; le champ d'application des engagements de programmation pourrait être étendu à l'ensemble des multiplexes et aux salles gérées par des collectivités territoriales.

Enfin, l'octroi d'incitations financières constitue le meilleur moyen de réaliser des objectifs de politique culturelle que les mécanismes de marché ne pourraient pas eux-mêmes atteindre, mais la mission recommande de procéder à un audit des aides au cinéma afin de vérifier que la multiplication des dispositifs et le saupoudrage des crédits ne nuisent pas à l'efficacité de ces aides, et d'examiner si leur sélectivité doit être renforcée. Par contre, les effets du régime d'autorisation d'ouverture des multiplexes, qui est susceptible de restreindre la concurrence entre exploitants au niveau local, devraient être évalués. La mission ne considère néanmoins pas qu'il y aurait nécessairement lieu de lier le sort de ce régime à celui des autorisations d'ouverture de grandes surfaces, qui pourrait être prochainement réformé.

2. Quelles réponses aux questions de concurrence dans le secteur du cinéma ?

2.1 La concurrence par les prix entre les exploitants

La décision du Conseil de la concurrence du 10 mai 2007 qui a invalidé le code de bonne conduite de 1999 sur les politiques promotionnelles des exploitants suscite au sein de la profession des craintes de relance de « guerres des prix ».

La mission souhaite tout d'abord rappeler que la concurrence par les prix est a priori un phénomène positif : tout en offrant aux spectateurs la possibilité de voir plus de films à meilleur prix, elle peut relancer la fréquentation et donc apporter à toute la filière des recettes supplémentaires. C'est seulement si elle n'a pas d'effet sur la fréquentation globale que la concurrence par les prix peut entraîner une diminution de la remontée de recettes. Il appartient normalement aux exploitants de déterminer la politique tarifaire qui leur permettra de valoriser au mieux les investissements réalisés. Mais leurs décisions ont un impact sur l'ensemble de la profession, parce que la rémunération des distributeurs, des producteurs et des auteurs est calculée de manière proportionnelle aux recettes en salle.

Plusieurs solutions sont envisageables pour remédier à cette situation. Une première solution consisterait à limiter la liberté tarifaire des exploitants en donnant aux distributeurs, représentants des ayants droits, un droit de regard sur leurs politiques de prix. Sur le plan juridique, cet encadrement des prix par les ayants droits devrait nécessairement reposer sur des dispositions législatives. Sur le plan économique, le fait de retirer aux exploitants la maîtrise des prix pratiqués constituerait une contrainte importante sur la gestion de leur activité et aboutirait sans doute à uniformiser les prix des places. Cette solution constitue une limitation substantielle, peu opportune, au libre jeu de la concurrence.

D'autres solutions consisteraient au contraire à conserver toute liberté aux exploitants dans la détermination de leurs politiques tarifaires, en déconnectant en partie la rémunération versée aux distributeurs du prix des places de cinéma. Différentes modes de rémunération des distributeurs sont possibles : la location du film pourrait se faire contre une somme forfaitaire par copie ou par entrée ; alternativement, la location du film pourrait continuer d'être consentie moyennant une rémunération proportionnelle aux recettes, mais un minimum garanti serait versé aux distributeurs, ou encore un tarif de référence serait appliqué pour chaque billet vendu à un prix réduit en deçà de ce tarif.

Ces modes de rémunération auraient l'avantage de limiter les aléas subis par les distributeurs, et de réintroduire un seuil en dessous duquel les prix pratiqués par les exploitants pourraient être considérés comme abusivement bas, car inférieurs à leurs coûts. Les conséquences de ces nouvelles formules de rémunération des distributeurs sur les recettes reversées aux auteurs sont également examinées par le rapport.

Le choix entre ces différentes formules, le montant du forfait ou du tarif de référence devraient normalement être librement négociés entre distributeurs et exploitants. La profession est néanmoins soucieuse des discriminations et les abus auxquels cette négociation est susceptible de donner lieu ainsi que la fragilisation des distributeurs et exploitants indépendants qui pourrait en résulter. Elle pourrait donc souhaiter qu'une rémunération minimale des distributeurs soit fixée par une négociation collective ou par la voie réglementaire.

Une solution intermédiaire, inspirée des pratiques actuelles en matière de cartes illimitées, pourrait consister à appliquer le mécanisme du tarif de référence aux opérations promotionnelles, aux tarifs réduits et aux formules d'abonnement non illimitées.

Tout en maintenant le principe de la rémunération proportionnelle aux recettes en salles, le législateur pourrait imposer aux distributeurs et aux exploitants de fixer contractuellement un tarif de référence, ce qui offrirait aux distributeurs et aux ayants droit une rémunération minimale. En cas de non-respect de cette obligation, un tarif de référence minimal fixé par la voie réglementaire pourrait s'appliquer. Une plus grande transparence sur les recettes réalisées serait alors nécessaire, pour que cette négociation tarifaire puisse se dérouler dans de bonnes conditions.

Alternativement, aucune obligation particulière ne serait imposée par le législateur mais, dans le cadre juridique actuel, l'extension du tarif de référence pourrait être expérimentée par des distributeurs et des exploitants qui y seraient disposés. Cette expérience pourrait être évaluée et servir de modèle à un éventuel dispositif législatif.

2.2 La concurrence entre salles municipales ou subventionnées et salles privées

La concurrence entre salles municipales et salles privées constitue un sujet nouveau de préoccupation au sein de la profession. Pourtant, la mission constate que les salles gérées par des collectivités territoriales, en régie ou dans le cadre d'une délégation, ne captent qu'une très faible part du marché au niveau national.

La mission estime en outre que l'intervention des collectivités territoriales dans le secteur de l'exploitation en salle est légitime, qu'il s'agisse de poursuivre des objectifs d'aménagement du territoire, d'intégration sociale ou de revitalisation urbaine. La politique culturelle, qui vise à permettre au public d'accéder à une offre de films plus riche et plus ambitieuse, peut aussi justifier un soutien des collectivités territoriales, aux côtés de celui déjà assumé par le CNC, en faveur des salles qui font des efforts pour assurer une programmation diversifiée et de qualité.

Sur les marchés locaux où des salles municipales cohabitent avec des exploitants privés, la concurrence doit cependant s'exercer à armes égales. Ainsi, les prix pratiqués par les salles publiques doivent refléter leurs coûts d'investissement et de fonctionnement. Si des subventions leur sont versées par les collectivités, elles doivent avoir pour contrepartie des obligations d'animation et de programmation imposées dans l'intérêt général. Ces obligations devraient être définies par la collectivité de rattachement sous la forme d'un cahier des charges ; elles pourraient aussi relever du régime des engagements de programmation.

Des principes identiques devraient encadrer les subventions qui peuvent être versées par les collectivités territoriales à certaines salles privées ou associatives, sur le fondement de l'article L. 2251-4 du code général des collectivités territoriales.

2.3 La concurrence entre les films pour l'accès aux salles

La mission a constaté la persistance des tensions décrites dans le rapport de 2006 sur les conditions de sortie des films en salle : encombrement du calendrier de sortie des films, saturation des écrans du fait du nombre de films et de copies, rotation accélérée des films en salle, dégradation des relations entre distributeurs et exploitants. Le passage à la projection numérique pourrait en outre accentuer ces tensions.

La concurrence entre films pour l'accès aux écrans et le raccourcissement de la durée de leur exploitation en salle constitue sans doute une évolution irrémédiable. Cette situation est néanmoins très pénalisante pour les films plus fragiles, qui peinent à trouver un espace pour exister et rencontrer leur public. Or, il serait très dommageable que les efforts consentis pour soutenir la production soient annihilés par des conditions de sortie excessivement dégradées.

Plusieurs propositions ont été faites, tant en 2006 au cours de la mission Leclerc qui avait examiné plus précisément ces questions, qu'à l'occasion des auditions conduites par la présente mission, pour limiter l'inflation du nombre de copies, inciter les exploitants à améliorer la durée d'exploitation des films, soutenir les distributeurs dans leurs investissements de promotion des films. La mission souligne que bon nombre de ces propositions ne mettent pas en cause les principes de la concurrence.

Il paraît tout d'abord difficile, au regard du bon fonctionnement des marchés, de limiter le nombre de copies d'un même film comme cela a été proposé par certains professionnels. En revanche, un accord qui viserait à mieux répartir dans le temps le calendrier de sortie des films en salle pourrait être examiné positivement par les autorités de concurrence, compte tenu des avantages qui seraient ainsi apportés aux spectateurs, et bénéficier d'une exemption.

De plus, il paraît nécessaire de s'assurer que le système de financement à la production n'aboutit pas à un saupoudrage favorisant une trop forte croissance du nombre de films distribués.

Par contre, les incitations qui sont données aux exploitants de salles pour faire une place aux films qui ont des difficultés d'accès aux écrans pourraient être renforcées. La vocation des aides à l'art et essai est précisément de soutenir les films les plus audacieux, or ce label s'est banalisé : au-delà du recentrage de la recommandation art et essai, les aides accordées à ce titre pourraient être pondérées en fonction du nombre de films ou de spectateurs.

Enfin, les efforts de promotion des films faits par les distributeurs devraient également être soutenus par des aides sélectives, mais aussi par un intéressement aux recettes dégagées, grâce à leurs investissements de promotion, sur les autres supports d'exploitation des films.

2.4 La concurrence entre modes d'exploitation des films : le développement de la vidéo à la demande

La mission a également estimé nécessaire d'évoquer la concurrence entre modes d'exploitation des films, dont les enjeux lui paraissent revêtir un caractère prééminent même s'ils excèdent le cadre de la présente mission.

Depuis la libéralisation du secteur audiovisuel, l'exploitation des films sur différents supports (salle, vidéo, télévision payante puis gratuite) a, grâce au cadre réglementaire mis en place, efficacement contribué au développement de la production française. Ce circuit économique est aujourd'hui à la croisée des chemins du fait de l'émergence d'Internet comme support concurrent de la télévision, de la vidéo, et dans une moindre mesure de la salle pour la diffusion des films. La lutte contre le piratage constitue évidemment un préalable mais ne résout pas toutes les questions. Il importe, notamment, de garantir que le marché de la vidéo à la demande (VoD) fournira au cinéma français les sources de financement dont il a besoin, sans tarir les circuits financiers existants.

Ce nouveau marché est en devenir, et ses modes de fonctionnement encore mal connus. Des études sont en cours de réalisation par le CNC. A ce stade, la mission souhaite insister sur la nécessité de préserver la discrimination temporelle et tarifaire entre les différents supports d'exploitation des films : salle, DVD, VoD, télévision payante, télévision gratuite. Chaque support doit bénéficier d'une fenêtre d'exclusivité et les prix qui y sont pratiqués doivent refléter non seulement les services spécifiques offerts au spectateur mais aussi la « fraîcheur » de la fenêtre d'exploitation.

Les principes de la chronologie des médias, c'est-à-dire de fenêtres d'exploitation successives et nécessairement exclusives, doivent donc être préservés. Pour la définition du délai d'exploitation des films en VoD, la voie d'un accord professionnel paraît pouvoir être retenue : il s'agirait certes d'une restriction de concurrence, mais qui peut sans doute justifier une exemption.

La chronologie des médias constitue en effet un usage légitime des droits de propriété intellectuelle, qu'elle permet de valoriser au mieux, et répond à un objectif d'intérêt général, le financement de la création. Ces observations n'interdisent d'ailleurs pas de raccourcir les différentes fenêtres d'exclusivité, comme l'avait proposé le rapport de la mission Olivennes, pour tenir compte de l'accélération du rythme d'exploitation des films en salle.

Une autre approche consisterait à ouvrir des négociations individuelles entre les ayants droit et les différents diffuseurs de services pour déterminer la chronologie d'exploitation propre à chaque film. Cette libéralisation permettrait probablement de mieux valoriser individuellement les films. Mais, dans la mesure où elle aboutirait à démanteler la chronologie des médias, cette solution impliquerait aussi de reconstruire l'ensemble du circuit de financement du cinéma français afin de garantir une répartition équitable de cette charge financière entre les différentes catégories de diffuseurs et de maintenir le niveau global de ce financement. En principe, la chronologie des médias ne peut fonctionner efficacement que si le prix payé par le spectateur décroît d'une fenêtre d'exploitation à une autre. Mais il n'apparaît pas possible de coordonner les prix pratiqués par les services de VoD sans aboutir à une restriction substantielle de la concurrence. La mission préconise donc plutôt de transposer aux services de VoD les solutions déjà envisagées dans le secteur de l'exploitation en salle, pour garantir aux ayants droit une rémunération minimale, notamment par la définition d'un tarif de référence.

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