EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

La proposition de loi déposée par notre collège Daniel Raoul et les membres du groupe socialiste, vise à introduire un nouvel outil d'intervention des entités décentralisées avec la création de sociétés publiques locales par les collectivités territoriales et leurs groupements.

Ce dispositif est destiné à permettre à celles-ci, pour l'exercice de leurs compétences, d'intervenir dans le domaine concurrentiel dans le respect des dispositions régissant ce champ. Il introduit dans notre arsenal législatif les instruments qui, dans les autres Etats-membres de l'Union européenne, assurent aux collectivités publiques, la liberté de contracter avec une société locale conformément aux exigences communautaires : la jurisprudence, en effet, sous certaines conditions, dispense une collectivité de l'application des règles édictées en matière de marchés publics (principe du « in house » ou des « prestations intégrées »).

C'est pourquoi les auteurs de la proposition de loi proposent d'adapter la loi française aux principes européens pour renforcer la capacité d'action des collectivités locales en leur permettant d'agir plus rapidement.

Précisons que notre collègue Jean-Léonce Dupont a déposé une proposition de loi qui poursuit le même objectif 1 ( * ) .

La proposition de M. Daniel Raoul modifie, par ailleurs, le régime des sociétés publiques locales d'aménagement introduites par la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement, afin de remédier aux difficultés survenues dans leur mise en place.

I. LES PRINCIPES DE LA JURISPRUDENCE DITE « DES PRESTATIONS INTÉGRÉES » OU DU « IN HOUSE »

La Cour de justice des Communautés européennes a élaboré au fil des années une jurisprudence fixant les conditions permettant à une personne qui est un pouvoir adjudicateur au sens de la réglementation communautaire (l'Etat, les collectivités territoriales, les organismes de droit public, les associations formées par une ou plusieurs de ces collectivités ou de ces organismes de droit public) de confier à un tiers la réalisation d'opérations qualifiées de « prestations intégrées » non soumises aux procédures de passation des marchés publics.

Ces règles communautaires sont destinées à garantir le jeu de la concurrence, à s'assurer que celui-ci n'est pas faussé et que le principe d'égalité de traitement des intéressés est respecté. En revanche, ce souci n'est pas justifié dans le cas d'une entreprise travaillant essentiellement au profit d'une collectivité publique dont elle est en quelque sorte le prolongement. Il est pris en compte par la jurisprudence communautaire du « in house » qui exige la réunion de deux conditions pour écarter l'application des règles de la concurrence.

Ces deux critères ont été fixés par l'arrêt du 18 novembre 1999 Teckal :

1) l'autorité publique doit exercer sur la personne en cause un contrôle analogue à celui qu'elle exerce sur ses propres services ;

2) celle-ci réalise l'essentiel de son activité avec la ou les collectivités qui la détiennent.

La Cour a précisé, dans des décisions ultérieures, ces deux circonstances.

1. La réalité du contrôle analogue

Ce contrôle n'implique pas qu'il soit identique en tous points au contrôle exercé sur les services propres de l'autorité publique (arrêt du 13 novembre 2008 Coditel Brabant). Il doit permettre au pouvoir adjudicateur d'influencer les décisions sur son cocontractant c'est-à-dire de disposer « d'une possibilité d'influence déterminante tant sur les objectifs stratégiques que sur les décisions importantes de cette société ».

La détention par le pouvoir adjudicateur, seul ou avec d'autres pouvoirs publics, de la totalité du capital de l'entité adjudicatrice, est un indice du contrôle analogue. Il n'est, cependant, pas déterminant pour la Cour qui s'attache aux circonstances de l'affaire pour l'apprécier en examinant particulièrement la détention du capital de la société, la composition des organes de décision et l'étendue des pouvoirs reconnus au conseil d'administration.

En tout état de cause, le critère du contrôle analogue est exclu si le capital de l'entité en cause est ouvert, même pour une part infime, au privé puisque dans ce cas, la Cour considère que l'entreprise obéit alors « à des considérations propres aux intérêts privés et poursuit des objectifs de nature différente (de ceux d'intérêt public) ». De plus, l'entreprise privée, présente dans le capital de cette entité, bénéficierait d'un avantage par rapport à ses concurrents, faussant de ce fait le jeu de la concurrence (arrêt du 11 janvier 2005 Stadt Halle).

Nos sociétés d'économie mixte locales (SEML) sont donc soumises aux procédures de mise en concurrence puisqu'elles doivent comporter au moins un actionnaire privé.

Pour le reste, les éléments de l'espèce sont déterminants.

Dans l'affaire Parking Brixen du 13 octobre 2005, les juges européens ont considéré que la société en cause devait être soumise à l'obligation de mise en concurrence en relevant un ensemble de faits qui concourraient dans leur ensemble à la doter d'une vocation de marché :

- la transformation du statut d'entreprise communale en société anonyme,

- l'élargissement de son objet social,

- son ouverture obligatoire, à court terme, à d'autres capitaux,

- l'expansion du domaine territorial de ses activités au territoire national et à l'étranger,

- les pouvoirs considérables de son conseil d'administration pouvant adopter toute décision jugée par lui nécessaire à la réalisation de l'objet de la société, écartant pratiquement le contrôle gestionnaire de la commune.

La Cour relève également le pouvoir du conseil de constituer des sûretés jusqu'à concurrence de 5 millions d'euros ou de réaliser d'autres opérations sans l'accord préalable de l'assemblée des associés.

Pour les juges, l'ensemble de ces faits excluent l'exercice, par l'autorité publique, d'un contrôle analogue à celui qu'elle exerce sur ses propres services.

La Cour en a décidé de même dans son arrêt Carbotermo du 11 mai 2006 en relevant notamment que les statuts de la société dont le capital était détenu par plusieurs communes, dont une des parties au procès pour 99,98 %, ne réservaient à celle-ci « aucun pouvoir de contrôle ou droit de vote particulier pour restreindre la liberté d'action reconnue » au conseil d'administration.

En revanche, dans une autre espèce, elle a jugé le contrôle analogue effectif dans la mesure où la commune, en raison de son statut, pouvait nommer les membres des organes de direction et orienter l'activité de cette société. En outre, elle a relevé que le conseil municipal fixait les frais de fonctionnement de la société et que la commune pouvait effectuer certaines vérifications par la désignation d'un fonctionnaire communal auprès de la société d'une part et par le contrôle de la comptabilité de la société d'autre part (arrêt du 17 juillet 2008 République italienne).

De même, le contrôle analogue est retenu dans le cas où les organes de décision (conseil d'administration qui exerce les pouvoirs les plus étendus et assemblée générale) d'une société dont le capital est entièrement détenu par des autorités publiques, sont composés de délégués des communes affiliées : celles-ci, maîtrisant les organes de décision de la société, sont « en mesure d'exercer une influence déterminante tant sur les objectifs stratégiques que sur les décisions importantes de celle-ci ».

Par ailleurs, s'il importe que le contrôle exercé sur l'entité soit effectif, il n'est pas indispensable qu'il soit individuel. En conséquence, le contrôle peut être exercé conjointement par les autorités publiques . La procédure utilisée pour la prise de décision dans un organe collégial, notamment le recours à la majorité, est sans incidence (arrêt du 13 novembre 2008 Coditel Brabant).

* 1 Proposition de loi n° 133 (2008-2009) de MM. Jean-Léonce Dupont, Jean-Paul Amoudry, Michel Bécot, Jacques Blanc, Paul Blanc, Dominique Braye, Marcel-Pierre Cléach, Raymond Couderc, Christian Demuynck, Jean-Pierre Fourcade, Antoine Lefèvre, Jean-Pierre Leleux et Jean-Paul Vial, relative aux sociétés publiques locales.

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