5. L'affirmation selon laquelle l'emprunt national augmenterait la croissance de 0,3 point par an pendant 10 ans n'est pas crédible

Compte tenu des considérations qui précèdent, l'impact de l'emprunt national sur la croissance potentielle, c'est-à-dire sur la croissance de long terme de l'économie française, sera probablement peu significatif.

a) L'exposé des motifs du présent projet de loi n'indique pas d'estimation de l'impact de l'emprunt national

L'exposé des motifs du présent projet de loi ne se réfère pas spécifiquement à l'emprunt national, mais aux réformes préconisées par un récent rapport 58 ( * ) du Conseil d'analyse économique (CAE). Il indique en effet qu' « un rapport du Conseil d'analyse économique sur les leviers de la croissance, publié en 2007, suggère qu'en augmentant nos dépenses d'enseignement supérieur au niveau des pays scandinaves, et en accroissant leur efficacité, la croissance annuelle française pourrait être augmentée en moyenne de 0,4 % sur une période de 15 ans ».

Le problème est que si ce rapport dit bien cela, c'est dans un cas de figure où les dépenses d'enseignement supérieur, de 1,3 point de PIB en 2006 59 ( * ) , passeraient à 2 points de PIB chaque année, ce qui représenterait une augmentation pérenne de 0,7 point de PIB, soit 15 milliards d'euros, ce dont on est loin.

Avant l'emprunt national, il était prévu d'augmenter de 2007 à 2012 les dépenses d'enseignement supérieur et de recherche de 9 milliards d'euros (au rythme de 1,8 milliard d'euros par an), mais même en incluant le crédit d'impôt recherche, l'augmentation effective observée jusqu'à présent est environ deux fois plus faible 60 ( * ) , de sorte que l'augmentation au bout de 5 ans serait de l'ordre de seulement 0,25 point de PIB (soit 5 milliards d'euros), ce qui correspond à une augmentation de la croissance potentielle de l'ordre de seulement 0,1 point.

En outre, même si l'on prend en compte la totalité des moyens prévus par le présent projet de loi de finances rectificative (qui ne concerne pas uniquement l'enseignement supérieur), après le léger « pic » de 2010-2014, le supplément de dépenses - en supposant qu'il ne soit pas neutralisé d'ici quelques années par la diminution à due concurrence de crédits budgétaires - serait de l'ordre de seulement quelques centaines de millions d'euros par an, ce qui est économiquement négligeable.

Ce que dit le rapport du Conseil d'analyse économique auquel se réfère l'exposé des motifs du présent projet de loi

Le rapport du Conseil d'analyse économique (CAE) 61 ( * ) s'appuie sur des calculs économétriques élaborés mais le raisonnement général peut être résumé de manière relativement simple.

En chiffres arrondis, la croissance potentielle à attendre d'ici 2030 à politiques inchangées est de l'ordre de 2 %, se répartissant entre 0,8 % provenant de l'augmentation du capital (c'est-à-dire de l'investissement) et 1,2 % provenant de l'augmentation de la productivité globale des facteurs (c'est-à-dire de la façon dont on utilise le travail et le capital) 62 ( * ) . Le facteur travail, c'est-à-dire l'augmentation du nombre d'heures de travail, aurait quant à lui une contribution nulle, en raison du ralentissement démographique.

Dans ces conditions, le CAE propose une stratégie en trois volets.

Le premier volet, qui ferait sentir immédiatement ses effets, consiste à augmenter le facteur travail, c'est-à-dire, concrètement, à augmenter le taux d'emploi. L'impact sur la croissance, qui se calcule de manière simple 63 ( * ) , pourrait être de l'ordre de 0,5 point par an pendant 15 ans, mais bien entendu la croissance retrouverait son niveau normal une fois que le taux d'emploi cesserait d'augmenter.

Les deux autres volets, qui ne feraient sentir leurs effets que plus tardivement, et présentent l'intérêt de ne pas être limités dans le temps, sont la libéralisation des marchés de biens et du travail, et la réforme de l'enseignement supérieur, qui ont un impact sur la productivité globale des facteurs. Selon le CAE, le coût initial pour les finances publiques serait le même pour les deux volets (par exemple, dans le cas de la libéralisation du marché du travail, il faudrait accroître l'indemnisation du chômage).

Ainsi, dans le cas de ces deux derniers volets, le CAE estime qu' « à l'horizon 2020, la France pourrait augmenter d'un demi-point le rythme de sa croissance potentielle en investissant trois quarts de point de PIB supplémentaire dans l'enseignement supérieur et en flexibilisant les marchés des biens et du travail et des produits, les cibles retenues par hypothèse dans ces deux domaines étant la situation des pays scandinaves ». Plus précisément, « la croissance potentielle spontanée de l'économie française est d'environ 2,1 % sur la sous-période 2008-2012, 2 % sur la sous-période 2012- 2017 et 1,9 % au-delà, soit 2 % en moyenne au cours des quinze prochaines années (...). Un programme de réformes aboutissant à rattraper les pays

scandinaves comme cela vient d'être indiqué permettrait de la porter à 2,7 % sur 2008-2012, 2,8 % sur 2012-2017 et sur 2018-2022 et 2,6 % au-delà ».

L'impact (évalué de manière économétrique) de ces deux facteurs, selon différents scénarios, est synthétisé par le tableau ci-après.

La manière d'augmenter la croissance potentielle, selon le Conseil d'analyse économique

Source : Philippe Aghion, Gilbert Cette, Elie Cohen et Jean Pisani-Ferry, « Les leviers de la croissance française », Conseil d'analyse économique, 19 décembre 2007

Les groupes de pays indiqués par le tableau représentent ceux dont on suppose que la France se rapprocherait pour les politiques concernées. Par exemple, dans le cas de la réforme de l'enseignement supérieur - consistant à accroître l'autonomie des universités ainsi que leurs moyens -, le « coût financier brut » correspondant à un rapprochement des pays scandinaves (qui consacrent 2 points de PIB à l'enseignement supérieur, contre 1,3 point pour la France) est de 0,7 point de PIB. Si cet écart était comblé, au bout de 15 ans la croissance du PIB serait accrue de 0,4 point chaque année. Si la France se rapprochait des pays anglo-saxons et portait le coût de l'enseignement supérieur à 2,8 points de PIB (ce qui correspond à l'augmentation de 1,5 point indiquée dans le tableau), l'augmentation de la croissance serait même de 0,5 point chaque année.

Si le renforcement de l'autonomie des universités est actuellement en cours et sera vraisemblablement pleinement effectif d'ici quelques années, les moyens financiers envisagés par le CAE sont sans commune mesure avec ceux résultant de l'emprunt national. En effet, une augmentation des dépenses d'enseignement supérieur de 0,7 point de PIB correspond à environ 15 milliards d'euros. Evidemment, ces dépenses devraient être reconduites chaque année : il ne s'agit pas de consacrer 15 milliards d'euros à l'enseignement supérieur une année donnée, puis d'arrêter. A titre de comparaison, l'emprunt national doit financer des « dotations non consomptibles » qui ne doivent accroître les ressources de l'enseignement supérieur que de quelques centaines de millions d'euros par an.

b) L'impact sur la croissance potentielle semble devoir être inférieur à 0,1 point

Selon le dossier de presse , « les dépenses financées par l'emprunt national augmenteraient la croissance de près de + 0,3 % de PIB par an sur la décennie ». L'origine de ce chiffre, qui ne figure pas dans le présent projet de loi, n'est pas explicitée.

En réponse à une question de votre rapporteur général, Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, a indiqué par une lettre en date du 28 janvier que cet impact se répartirait entre un tiers pour le soutien à la R&D, un tiers pour l'enseignement supérieur et les campus d'excellence et un tiers pour le soutien des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC), de l'industrie et des PME. Les modalités de calcul ne sont cependant pas explicitées.

Dans tous les cas, les ordres de grandeur retenus sont optimistes.

En ce qui concerne les dépenses de R&D, on peut transposer le raisonnement fait par le Gouvernement lors de l'évaluation de l'impact de la réforme du CIR en 2008. Le Gouvernement indiquait alors que l'augmentation du crédit d'impôt consécutive à la réforme, de l'ordre de 2,3 milliards d'euros, accroîtrait à moyen terme les dépenses de R&D du double de ce montant, soit 4,6 milliards d'euros par an, et majorerait la croissance du PIB de 0,05 % par an pendant 10 ans. Dans ces conditions, on voit mal comment une augmentation des dépenses publiques en faveur de la R&D de l'ordre de 1,5 milliard d'euros par an en moyenne de 2010 à 2019 pourrait avoir un impact deux fois plus élevé.

Dans le cas des universités, l'augmentation des moyens sera de l'ordre de quelques centaines de millions d'euros par an. On ne voit pas comment une somme aussi faible pourrait accroître la croissance potentielle de 0,1 point. Peut-être le Gouvernement prend-il en compte l'augmentation des moyens de l'enseignement supérieur décidée antérieurement à l'emprunt national, qui comme on l'a indiqué ci-avant devrait être de l'ordre de 5 milliards d'euros d'ici 2012 (contre 10 milliards d'euros annoncés) et augmenter la croissance potentielle d'environ 0,1 point ?

Dans le cas des autres dépenses , elles ont déjà été prises en compte dans le raisonnement ci-avant, ou ne devraient pas avoir d'impact sur la croissance potentielle.

Au total, l'emprunt national semble devoir augmenter la croissance potentielle de moins de 0,1 point par an au cours des dix prochaines années.

Une estimation de l'impact de l'emprunt national sur la croissance potentielle, selon les principaux travaux disponibles

Impact sur la croissance potentielle d'une augmentation pérenne des dépenses publiques de 1 Md €

Montant annuel moyen 2010-2020 (dépenses publiques)

Impact

En points de croissance

En milliards d'euros

En points de croissance

Universités, R&D, financement des entreprises

0,02*

2,0**

0,04

Autres dépenses

0,00

0,5

~0,00

Total

2,5***

~0,05

* Le Conseil d'analyse économique 64 ( * ) considère que porter de manière pérenne les dépenses relatives à l'enseignement supérieur de 1,3 point de PIB à 2 points de PIB (ce qui représente une augmentation de 15 milliards d'euros) augmenterait la croissance potentielle de 0,3 point au bout de 10 ans. Dans le cas des dépenses de R&D (auxquelles on assimile, par convention, les mesures relatives au financement des entreprises), on utilise ici les estimations du Gouvernement relatives au CIR. Selon le Gouvernement 65 ( * ) , l'augmentation de 2,3 milliards d'euros du coût annuel du CIR consécutif à la réforme de 2008 augmentera les dépenses de R&D de près de 5 milliards d'euros (effet de levier de 2), et la croissance potentielle de 0,05 point de PIB en moyenne sur 10 ans. On suppose ici que l'effet est le même.

** On suppose que les prises de participation, prêts et avances remboursables sont aussi efficaces que des subventions, et que le 0,6 milliard d'euros de dépenses annuelles à partir de 2015 ne se traduit pas par une diminution des crédits budgétaires.

*** Après le « plateau » de 2010-2014 (dépenses de 4 milliards d'euros par an), les dépenses diminuent à 0,6 milliard d'euros par an, ce qui représente un montant moyen de près de 2,5 milliards d'euros par an sur une période de 10 ans.

Sources : sources indiquées, calculs de la commission des finances

* 58 Philippe Aghion, Gilbert Cette, Elie Cohen et Jean Pisani-Ferry, « Les leviers de la croissance française », Conseil d'analyse économique, 19 décembre 2007.

* 59 Le rapport du CAE se réfère à l'année 2003, mais le chiffre est le même en 2006.

* 60 Comme le soulignent nos collègues Philippe Adnot et Christian Gaudin dans leur rapport spécial sur la mission « Recherche et enseignement supérieur » pour 2010, dans le cas de l'année 2010 l'augmentation affichée de 1,8 milliard d'euros ne correspond que pour 1,2 milliard d'euros à des dépenses pérennes (le 0,6 milliard d'euros supplémentaire consistant en des dépenses d'équipement exceptionnelles). Comme sur ce 1,2 milliard d'euros (dont 0,6 milliard d'euros pour le crédit d'impôt recherche), plusieurs centaines de millions d'euros correspondent aux pensions, l'augmentation effective est de l'ordre de seulement 1 milliard d'euros.

* 61 Philippe Aghion, Gilbert Cette, Elie Cohen et Jean Pisani-Ferry, « Les leviers de la croissance française » (Conseil d'analyse économique, 19 décembre 2007).

* 62 Plus précisément, selon le CAE la croissance potentielle est de 2,1 % en 2008-2015 (0,1 point pour le travail, 0,8 point pour le capital et 1,2 point pour la productivité globale des facteurs) et de 1,8 point en 2016-2030 (0 point pour le travail, 0,6 point pour le capital et 1,2 point pour la productivité globale des facteurs).

* 63 « Supposons, pour fixer les idées, qu'en quinze ans la France rattrape graduellement son écart d'input en travail par rapport aux pays scandinaves. En résulterait une augmentation de 20 % de cet input, soit 1,2 % par an, et donc, en tenant compte du tassement de la productivité, un relèvement de 0,6 point par an de la croissance du PIB par tête. Au lieu de plafonner à 2 %, la croissance potentielle pourrait ainsi s'établir à environ 2,5 % en moyenne ».

* 64 Philippe Aghion, Gilbert Cette, Elie Cohen et Jean Pisani-Ferry, « Les leviers de la croissance française », Conseil d'analyse économique, 19 décembre 2007.

* 65 Rapport sur les prélèvements obligatoires et leur évolution annexé au projet de loi de finances pour 2009.

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