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Rapport n° 280 (2009-2010) de M. Patrice GÉLARD , fait au nom de la commission des lois, déposé le 10 février 2010

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N° 280

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 février 2010

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi organique , ADOPTÉ AVEC MODIFICATIONS PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN DEUXIÈME LECTURE , relatif à l' application du cinquième alinéa de l' article 13 de la Constitution , et le projet de loi, ADOPTÉ AVEC MODIFICATIONS PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN DEUXIÈME LECTURE , relatif à l' application du cinquième alinéa de l' article 13 de la Constitution ,

Par M. Patrice GÉLARD,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Jacques Hyest , président ; M. Nicolas Alfonsi, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Patrice Gélard, Jean-René Lecerf, Jean-Claude Peyronnet, Jean-Pierre Sueur, Mme Catherine Troendle, M. François Zocchetto , vice-présidents ; MM. Laurent Béteille, Christian Cointat, Charles Gautier, Jacques Mahéas , secrétaires ; M. Alain Anziani, Mmes Éliane Assassi, Nicole Bonnefoy, Alima Boumediene-Thiery, MM. Elie Brun, François-Noël Buffet, Gérard Collomb, Pierre-Yves Collombat, Jean-Patrick Courtois, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, M. Yves Détraigne, Mme Anne-Marie Escoffier, MM. Pierre Fauchon, Louis-Constant Fleming, Gaston Flosse, Christophe-André Frassa, Bernard Frimat, René Garrec, Jean-Claude Gaudin, Mmes Jacqueline Gourault, Virginie Klès, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. Jacques Mézard, Jean-Pierre Michel, François Pillet, Hugues Portelli, Bernard Saugey, Simon Sutour, Richard Tuheiava, Alex Türk, Jean-Pierre Vial, Jean-Paul Virapoullé, Richard Yung.

Voir le(s) numéro(s) :

Première lecture : 1706 , 1708 , 1922, 1923, T.A. 344 et T.A. 345

Deuxième lecture : 2195 , 2196 , 2238, 2241, T.A. 402 et T.A. 403

Première lecture : 640, 641 (2008-2009), 141 , 142, 143, T.A. 46 et T.A. 47 (2009-2010)

Deuxième lecture : 244, 245, 280, 281 et 282 (2009-2010)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION

Réunie le 10 février 2010 sous la présidence de M. Jean-Jacques Hyest , président , la commission des lois a examiné, en deuxième lecture, le rapport de M. Patrice Gélard , rapporteur , et établi le texte qu'elle propose pour le projet de loi organique 244 (2009-2010), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution et le projet de loi 245 (2009-2010), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution .

Le rapporteur a constaté que, à ce stade de la navette parlementaire, un seul point de divergence demeurait entre les deux Assemblées. Il porte sur l'article 3 du projet de loi organique, rétabli par les députés en deuxième lecture après sa suppression par le Sénat, qui vise à interdire les délégations de vote pour le scrutin relatif à l'avis prévu par le cinquième alinéa de l'article 13.

Suivant l'avis de son rapporteur, la commission des lois a estimé que l'interdiction des délégations de vote soulevait des objections juridiques sérieuses. En effet, le seul cas où les délégations de vote sont explicitement proscrites figure à l'article 68 de la Constitution relatif à la procédure de destitution du Chef de l'Etat. La référence à une nouvelle hypothèse d'interdiction de délégation de vote dans un texte à caractère organique pourrait ainsi être contraire à la Constitution. La disposition du dernier alinéa de l'article 27 de la Constitution selon laquelle « la loi organique peut autoriser exceptionnellement la délégation de vote » ne saurait ainsi permettre d'interdire les délégations de vote dans tel ou tel type de scrutin. Elle a pour objet de définir les cas d'empêchements exceptionnels nécessitant pour le parlementaire de pouvoir se faire représenter afin d'exercer effectivement la plénitude de son mandat, à savoir sa participation au vote.

La commission des lois a supprimé en conséquence l'article 3 et adopté le projet de loi organique ainsi modifié . En revanche, elle a adopté le projet de loi simple sans modification .

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs

Le Sénat est appelé à se prononcer en deuxième lecture sur le projet de loi organique et le projet de loi relatifs à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution adopté par l'Assemblée nationale le 2 février 2010.

Le projet de loi organique détermine les emplois ou fonctions pour lesquels, en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation, le pouvoir de nomination du Président de la République s'exerce après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée. Lorsque l'addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquième des suffrages exprimés au sein des deux commissions, le Chef de l'Etat ne peut procéder à la nomination envisagée.

Le projet de loi simple fixe les commissions permanentes compétentes selon les emplois ou fonctions exercés.

L'adoption définitive de ces deux textes permettra la mise en oeuvre de l'une des dispositions les plus novatrices de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et contribuera au rééquilibrage souhaité des institutions de la V ème République.

A ce stade de la navette parlementaire, un seul point de divergence demeure entre les deux assemblées. Il porte sur l'article 3 du projet de loi organique, rétabli par les députés en deuxième lecture après sa suppression par le Sénat, qui vise à interdire les délégations de vote pour le scrutin relatif à l'avis prévu par le cinquième alinéa de l'article 13.

Votre commission estime nécessaire, pour sa part, d'en rester pour des raisons de droit, à la position adoptée par le Sénat lors de la première lecture.

*

* *

I. LE PROJET DE LOI ORGANIQUE : LA DIVERGENCE PERSISTANTE SUR LES DÉLÉGATIONS DE VOTE

A. UN ACCORD COMPLET SUR LES EMPLOIS ET FONCTIONS CONCERNÉS PAR LA NOUVELLE PROCÉDURE (ARTICLE 1ER)

Les deux assemblées se sont accordées sur la liste des emplois et fonctions soumis à l'avis des commissions permanentes compétentes de chaque assemblée.

Aux quarante et un emplois ou fonctions figurant en annexe du projet de loi organique, l'Assemblée nationale en avait ajouté quatre 1 ( * ) et le Sénat trois 2 ( * ) .

En deuxième lecture, l'Assemblée nationale a supprimé dans cette liste la référence à l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles, remplacée, en effet, aux termes de l'ordonnance n° 2010-76 du 21 janvier 2010, prise sur le fondement de l'article 152 de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, par l'Autorité de contrôle prudentiel, présidée par le Gouverneur de la Banque de France dont la nomination est déjà soumise à la procédure prévue au cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.

Depuis le dépôt du projet de loi organique, plusieurs emplois figurant sur la liste annexée au projet de loi organique ont fait l'objet d'une nouvelle nomination ou d'un renouvellement.

A l'initiative du Gouvernement, les personnalités pressenties pour exercer ces fonctions ont été entendues par les commissions permanentes compétentes sans toutefois que celles-ci puissent adopter un avis 3 ( * ) .

B. LE CHOIX DE RÉSERVER À LA LOI SIMPLE LE SOIN DE DÉSIGNER LES COMMISSIONS COMPÉTENTES POUR PRONONCER LES AVIS (ARTICLE 2)

Le projet de loi organique, dans sa version initiale, prévoyait à l'article 2 que la commission permanente compétente pour rendre un avis sur les nominations des membres du Conseil constitutionnel par le Président de la République, le président du Sénat et le président de l'Assemblée nationale, serait la commission chargée des lois constitutionnelles.

En première lecture, le Sénat a jugé qu'il était également nécessaire de déterminer, dans chaque assemblée, la commission compétente -en l'espèce, la commission chargée des lois constitutionnelles- pour émettre un avis, d'une part, sur la nomination du Défenseur des droits en application du quatrième alinéa de l'article 71-1 de la Constitution et, d'autre part, des personnalités qualifiées membres du CSM, en application du deuxième alinéa de l'article 65 de la Constitution.

Il a toutefois estimé plus conforme à la lettre de la Constitution d'apporter cette précision dans la loi simple et non dans la loi organique -les articles 56, 65 et 71-1 de la Constitution renvoyant expressément au dernier alinéa de l'article 13 dont la dernière phrase prévoit que la « loi détermine les commissions permanentes compétentes selon les emplois ou fonctions concernés ».

L'Assemblée nationale a souscrit à cette position et a considéré, à juste titre, qu'il convenait également de désigner dans la loi ordinaire la commission permanente compétente dans chaque assemblée pour donner un avis sur la nomination des membres du Conseil constitutionnel en supprimant, par voie de conséquence, l'article 2 du projet de loi organique.

Votre commission ne peut qu'approuver cette coordination.

C. LE NÉCESSAIRE MAINTIEN DU DROIT DE DÉLÉGUER SON VOTE (ARTICLE 3)

En première lecture, les députés ont introduit dans le projet de loi organique un article additionnel afin de compléter l'ordonnance n°58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote, afin d' exclure la possibilité de déléguer son vote lors d'un scrutin destiné à recueillir l'avis d'une commission sur un projet de nomination .

Les députés souhaitaient éviter que les résultats du vote soient faussés par le jeu des délégations de vote au profit d'une assemblée. Lors des débats en séance publique, en deuxième lecture, M. Patrice Verchère a précisé les craintes de l'Assemblée nationale « (...) en l'absence de modification du nombre des commissions permanentes au Sénat, resté à six alors que notre assemblée en compte désormais huit ; il existe un véritable risque que certaines commissions permanentes du Sénat pèsent davantage que celles de l'Assemblée nationale lors d'un vote sur une nomination, ce qui serait inacceptable » 4 ( * ) .

Le Sénat avait, pour sa part, souhaité maintenir la possibilité pour chaque assemblée de permettre les délégations de vote et supprimé, en conséquence, l'article 3, rétabli néanmoins en deuxième lecture par l'Assemblée nationale.

Bien que ni la lettre de la Constitution, ni les travaux préparatoires ne permettent de penser qu'une procédure strictement identique doive être retenue dans les deux assemblées pour prononcer l'avis prévu par l'article 13 de la Constitution 5 ( * ) , votre commission estime souhaitable qu'un accord puisse être trouvé par les deux assemblées sur ce point.

L'harmonisation, si le principe en était admis, devrait toutefois aller dans le sens de la possibilité des délégations de vote.

En premier lieu, cette faculté est déjà largement admise à l'Assemblée nationale pour tous les scrutins à l'exception de ceux portant sur les nominations personnelles -sur la base de l'article 13 de l'instruction générale du bureau 6 ( * ) - auxquels ne peut être néanmoins complètement assimilé un avis relatif à une nomination. Il y aurait donc quelque paradoxe à l'interdire dans le cadre de la procédure de l'article 13 de la Constitution alors même que le recours aux délégations permettrait sans doute aux députés de mieux assurer leur représentation lors du vote sur l'avis concernant les nominations et répondrait ainsi aux craintes exprimées sur les effets possibles de la quasi égalité des effectifs entre la commission de l'économie du Sénat et celle des affaires économiques ou du développement durable de l'Assemblée nationale.

Par ailleurs, votre commission estime utile de préserver une certaine souplesse dans le déroulement de la procédure : dans certains cas, il pourra apparaître utile de laisser s'écouler un délai entre l'audition de la personne par la commission et le moment où celle-ci rend son avis afin de permettre aux parlementaires d'arrêter leur position avec le recul nécessaire, après en avoir débattu, le cas échéant, avec leurs collègues. L'organisation différée du vote pourrait, d'ailleurs, être encouragée par l'exigence introduite par les députés et admise, en première lecture, par les deux assemblées, du dépouillement simultané du scrutin entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Dans cette perspective, la délégation serait particulièrement pertinente pour les parlementaires qui, ayant entendu le candidat, ne pourraient être présents lors du vote.

Au-delà de ces considérations de fait, votre commission estime que l'interdiction des délégations de vote soulève de sérieuses objections de droit.

Comme l'avait rappelé le professeur Jean Gicquel lors de son audition par votre rapporteur, le seul type de scrutin pour lequel les délégations de vote sont explicitement proscrites concerne la destitution du chef de l'Etat - a contrario , par exemple, la délégation de vote est possible pour le vote, au Congrès, sur la révision constitutionnelle 7 ( * ) .

En outre cette interdiction qui figure à l'article 68 de la Constitution a été posée par le pouvoir constituant. Dès lors, la référence à une nouvelle hypothèse d'interdiction de délégation de vote dans un texte à caractère organique soulève des interrogations au regard de sa conformité à la Constitution. Votre commission estime difficile de soutenir que la disposition du dernier alinéa de l'article 27 de la Constitution selon laquelle « la loi organique peut autoriser exceptionnellement la délégation de vote » permette d' interdire les délégations de vote pour l'application de l'article 13 de la Constitution. En effet, comme le montre le choix du législateur organique en 1958 et l'interprétation continue qui en a été faite, le dernier alinéa de l'article 27 n'a pas vocation à permettre -fut-ce au législateur organique- d'interdire les délégations de vote pour tel ou tel type de scrutin . Il a pour objet de fixer les cas d'empêchement exceptionnels nécessitant pour le parlementaire de pouvoir se faire représenter pour exercer effectivement la plénitude de son mandat à savoir sa participation au vote.

Les motifs permettant une délégation de vote sont strictement encadrés par l'ordonnance organique du 7 novembre 1958. Ils sont au nombre de six :

- maladie, accident ou événement familial grave empêchant le parlementaire de se déplacer ;

- mission temporaire confiée par le Gouvernement ;

- service militaire accompli en temps de paix ou en temps de guerre ;

- participation aux travaux des assemblées internationales en vertu d'une désignation faite par l'Assemblée nationale ou le Sénat ;

- en cas de session extraordinaire, absence de la métropole ;

- cas de force majeure approuvés par décision des bureaux des assemblées.

Aux termes de l'article 2 de l'ordonnance organique, la délégation répond à des exigences formelles et procédurales précises (ainsi pour être valable, la délégation doit être notifiée au président de l'assemblée à laquelle appartient le parlementaire avant l'ouverture du scrutin ou du premier des scrutins auxquels l'intéressé ne peut prendre part).

La délégation ne constitue donc pas une « facilité » donnée au parlementaire mais un droit qui, dans des hypothèses limitativement énumérées par l'ordonnance organique, lui permet d'assumer son mandat.

Par ailleurs, en l'absence d'un fondement constitutionnel, cette interdiction de délégation serait-elle justifiée au Parlement alors que pour toutes les élections locales et nationales qui ont lieu au scrutin secret les procurations sont généralisées ? L'argument selon lequel pour les nominations le vote serait plus personnel ou la suspicion qui semble peser sur le délégataire dès que le vote est secret résiste mal à cette comparaison avec les droits de l'électeur.

Aussi, à ce stade, votre commission a-t-elle supprimé l'article 3 du projet de loi organique.

II. LE PROJET DE LOI ORDINAIRE : UNE ADOPTION CONFORME

En première lecture, les deux assemblées se sont accordées sur les commissions compétentes chargées de donner l'avis sur la nomination des emplois et fonctions mentionnés par le projet de loi organique.

A l'article premier, les députés ont adopté, en deuxième lecture, avec un avis favorable de la commission des lois et un avis de sagesse du Gouvernement, un amendement présenté par M. Jean-Jacques Urvoas prévoyant que cet avis est précédé d'une audition.

Selon votre commission, il est nécessaire que les personnalités pressenties par le chef de l'Etat puissent être entendues par les commissions compétentes afin de permettre à celles-ci de se prononcer en connaissance de cause. Il appartiendra au Gouvernement de faire connaître les intentions du Président de la République suffisamment en amont pour permettre aux commissions d'organiser ces auditions dans des délais adaptés.

*

* *

Votre commission a supprimé l'article 3 du projet de loi organique et adopté le projet de loi organique ainsi modifié .

Elle a adopté le projet de loi ordinaire sans modification .

EXAMEN EN COMMISSION LE MERCREDI 10 FÉVRIER 2010

La commission a procédé à l' examen, en deuxième lecture, du rapport et du texte qu'elle propose pour le projet de loi organique n° 640 (2008-2009), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'application du cinquième alinéa de l' article 13 de la Constitution et du rapport et du texte qu'elle propose pour le projet de loi n° 641 (2008-2009), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'application du cinquième alinéa de l' article 13 de la Constitution .

M. Patrice Gélard , rapporteur, a rappelé les modifications introduites par les députés, en deuxième lecture, au projet de loi organique :

- la suppression, de la liste des emplois et fonctions soumis à l'avis des commissions permanentes compétentes, de l'autorité de contrôle des assurances et des mutuelles, en effet remplacée par une ordonnance du 21 janvier 2010 par une autorité de contrôle prudentiel, présidée par le gouverneur de la Banque de France, lequel est déjà soumis à la procédure prévue au cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution ;

- le renvoi au projet de loi ordinaire de la disposition désignant la commission chargée des lois constitutionnelles comme commission compétente pour donner un avis sur la nomination des membres du Conseil constitutionnel ;

- le rétablissement de l'article 3 interdisant les délégations de vote pour le scrutin relatif à l'avis prévu par le cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.

Par ailleurs, M. Patrice Gélard, rapporteur, a relevé que, à la suite du vote d'un amendement présenté par le groupe socialiste de l'Assemblée nationale, le projet de loi ordinaire prévoyait désormais expressément que l'avis rendu au titre de l'article 13 devait être précédé de l'audition de la personne pressentie par le Chef de l'Etat.

Le rapporteur a proposé à la commission d'adopter sans modification le projet de loi ordinaire et souhaité, en revanche, la suppression de l'article 3 du projet de loi organique afin d'autoriser les délégations de vote pour le scrutin relatif à l'avis sur les nominations.

M. Patrice Gélard, rapporteur, a d'abord estimé qu'interdire les délégations de vote impliquerait une modification du Règlement du Sénat et, à ce titre, permettrait de considérer le projet de loi organique comme un texte concernant le Sénat.

Le rapporteur a jugé l'article 3 du projet de loi organique contraire à la Constitution. Il a noté en effet que le seul type de scrutin pour lequel les délégations de vote sont proscrites concerne la destitution du Chef de l'Etat et figure à l'article 68 de la Constitution. Il a ajouté que la disposition du dernier alinéa de l'article 27 de la Constitution selon laquelle la loi organique peut autoriser exceptionnellement la délégation de vote n'avait pas pour objet d'interdire les délégations de vote pour tel ou tel type de scrutin. Elle visait, selon lui, comme le montrait le choix du législateur organique en 1958, à fixer les cas d'empêchement exceptionnel nécessitant pour le parlementaire de se faire représenter pour exercer son droit de vote. Ainsi, selon le rapporteur, seule une révision constitutionnelle permettrait d'interdire les délégations de vote pour un nouveau type de scrutin.

M. Patrice Gélard, rapporteur, a considéré en outre que la délégation de vote présentait un intérêt pratique : dans certains cas, en effet, il serait utile de laisser s'écouler un délai entre l'audition de la personne par la commission et le moment où celle-ci rend son avis afin de permettre aux parlementaires d'arrêter leur position avec le recul nécessaire, après en avoir débattu, le cas échéant, avec leurs collègues. Il a jugé que l'organisation différée du vote pourrait, d'ailleurs, être encouragée par l'exigence introduite par les députés et admise, en première lecture, par les deux assemblées du dépouillement simultané du scrutin entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Dans cette perspective, a poursuivi le rapporteur, la délégation serait particulièrement pertinente pour les parlementaires qui, ayant entendu le candidat, ne pourraient être présents lors du vote.

M. Jean-Jacques Hyest , président, a rappelé que, lors de la révision constitutionnelle, l'Assemblée nationale avait défendu l'idée que l'avis sur les nominations devait être donné par la réunion des commissions permanentes des deux assemblées. Il a également souligné que l'Assemblée nationale comprenait désormais une commission de l'économie et une commission du développement durable dont les effectifs respectifs correspondait à ceux de la commission de l'économie du Sénat. Il a observé que l'Assemblée nationale autorisait les délégations de vote, à l'exception du scrutin portant sur les nominations individuelles en vertu d'une disposition de l'instruction générale de son Bureau qui, par hypothèse, n'avait pas été soumise au Conseil constitutionnel.

Il a rappelé qu'une pratique similaire existait au Sénat jusqu'à la révision du Règlement effectuée en 1973 et la censure du Conseil constitutionnel qui avait estimé qu'il n'est pas possible d'apporter des restrictions aux possibilités de délégation de vote reconnues par l'ordonnance organique du 7 novembre 1958.

Enfin, il a rappelé que l'ordonnance organique ne visait pas à interdire la délégation de vote pour un type de scrutin mais à fixer les motifs exceptionnels autorisant une telle délégation. Pour lui, interdire une telle délégation est bien inconstitutionnel.

M. Jean-Pierre Michel , après avoir approuvé les arguments du rapporteur, a remarqué qu'une majorité des trois cinquièmes des votants des deux commissions ne serait probablement jamais réunie. Il a par ailleurs préconisé que les délégations de vote puissent être effectivement vérifiées avant la réunion de commission au cours de laquelle un avis devait être donné sur une nomination.

M. Jean-Jacques Hyest , président, a rappelé qu'il existait une procédure de contrôle des délégations dans tous les cas.

M. Bernard Frimat a tout d'abord regretté le ton parfois polémique de certains propos relatifs au Sénat lors des débats à l'Assemblée nationale. Il a par ailleurs estimé que, bien que le principe de la délégation de vote en commission fût légitime, sa mise en pratique était souvent peu satisfaisante. En effet, la force majeure était avancée dans des situations qui ne le justifiaient pas à ses yeux.

M. Patrice Gélard , rapporteur, a cité les propos tenus par M. Jean-Jacques Urvoas en commission des lois de l'Assemblée nationale, soulignant les risques d'inconstitutionnalité de l'interdiction des délégations de vote.

La commission a ensuite examiné les amendements sur le projet de loi ordinaire.

Sur l'amendement n° 1 (article premier), présenté par M. Bernard Frimat et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, M. Patrice Gélard , rapporteur, a fait valoir que, lors de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, le Parlement avait écarté le caractère obligatoire de la publicité des auditions organisées par les commissions afin de laisser celles-ci décider au cas par cas si la publicité était ou non souhaitable. Il convenait donc, selon lui, d'en rester aux règles actuelles prévues par les règlements des deux assemblées et permettant d'assurer de manière souple et adaptée la publicité des travaux des commissions. Il a en outre estimé que la présence du public et des journalistes au cours de l'audition risquait de modifier le comportement des commissaires et celui des candidats.

M. Bernard Frimat a estimé que les débats sur la révision constitutionnelle avaient porté sur la question générale de la publicité des auditions des commissions et non sur celle de la publicité des auditions précédant les nominations. Il avait alors été reconnu qu'une publicité de principe assortie d'exceptions aurait pu faire naître des soupçons à l'occasion de la tenue ponctuelle de débats à huis-clos. Cependant, M. Bernard Frimat a fait valoir, s'agissant de la mise en oeuvre du cinquième alinéa de l'article 13, que l'exigence d'une majorité des trois cinquièmes des voix pour faire obstacle à une nomination rendait improbable le rejet d'une candidature et impliquait par conséquent à tout le moins que ces auditions soient publiques, étant entendu que le vote resterait secret. En outre, a-t-il estimé, l'importance des postes concernés plaide également en faveur de cette publicité. Enfin, il a noté que la sérénité des débats ne serait pas remise en cause par une audition publique comme en témoignaient les auditions organisées par la commission d'enquête sur l'affaire d'Outreau.

M. Christian Cointat a jugé que la majorité qualifiée requise pour exprimer un veto ne laissait au Parlement qu'un pouvoir d'influence que seule une audition publique conforterait.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat a estimé préférable de poser le principe de la publicité des auditions dans la mesure où, en l'absence d'une telle règle, il serait difficile de déterminer des critères justifiant au cas par cas cette publicité.

M. Richard Yung s'est prononcé en faveur de l'amendement en estimant que le caractère public de l'audition ne modifierait en rien la nature des questions posées par les commissaires et des réponses fournies par les candidats. Il fait valoir que cette publicité serait bénéfique pour l'image du Parlement, et a cité en exemple le Sénat des États-Unis où les auditions de nomination, publiques et télévisées, constituent un moment important du fonctionnement démocratique.

M. Bernard Frimat a indiqué que la loi du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision avait prévu la publicité des auditions des présidents des chaines publiques. Il a cité les propos tenus par le Président de la République évoquant la nécessité de « sortir de la République des connivences pour aller vers celle des compétences ». Il a également observé qu'aucune règle ne permettait actuellement de déterminer quelles auditions seraient, par exception, publiques. Enfin, la publicité de ces auditions est, selon lui, d'autant plus justifiées que les nominations dont il est question sont, selon l'article 13, importantes « pour la garantie des droits et des libertés ou la vie économique de la nation».

M. Patrice Gélard , rapporteur, a fait observer que les noms des candidats pressentis étaient en général connus à l'avance et que les candidatures dont il était plausible qu'elles ne recueillent pas l'accord des commissions seraient probablement spontanément retirées avant l'audition. Il a ensuite estimé qu'un candidat dont la nomination ne serait pas approuvée par une majorité simple ne pourrait, en pratique, pas être nommé. Il a enfin exprimé la crainte que la médiatisation de l'audition ne nuise à l'appréciation sereine de la compétence des candidats.

M. Jean-Pierre Sueur ayant observé que les médias s'interrogeraient nécessairement sur les raisons pour lesquelles certains candidats susciteraient un certain nombre de votes négatifs, M. Jean-Jacques Hyest , président, a indiqué que les auditions feraient en tout état de cause l'objet d'un compte rendu.

M. Patrice Gélard , rapporteur, a estimé à cet égard que le second amendement du même auteur, prévoyant la rédaction d'un compte rendu, était satisfait par la pratique en vigueur.

M. Bernard Frimat a expliqué qu'il s'agissait d'avoir un compte rendu intégral, de style direct, afin qu'il soit possible de prendre connaissance de la totalité des débats.

M. Jean-Jacques Hyest , président, a estimé que les modalités du compte rendu relevaient du Règlement.

M. Jean-Pierre Sueur a estimé que l'existence d'un compte rendu intégral pouvait rendre superflue la publicité de l'audition.

M. Bernard Frimat a estimé qu'il convenait de garder le débat ouvert dans la perspective d'une éventuelle commission mixte paritaire, afin de trouver les modalités permettant d'assurer la meilleure publicité aux débats des commissions.

M. Christian Cointat ayant remarqué qu'il était toujours possible de demander ponctuellement la publicité d'une audition, a souligné cependant la nécessité de garantir une certaine cohérence dans les modalités adoptées pour les auditions effectuées en vue de nominations.

A l'issue d'une suspension de séance, M. Patrice Gélard , rapporteur, a réaffirmé que la question de la publicité des auditions relevait en la matière du Règlement et devrait être réglée à l'occasion de la révision de celui-ci.

M. Bernard Frimat a souhaité maintenir l'amendement en estimant que la publicité des auditions relevait de la loi et non du Règlement puisqu'une telle disposition figurait d'ores et déjà dans la loi du 5 mars 2009. Il a par ailleurs demandé que les deux auditions qui auraient lieu à l'occasion des prochaines nominations au Conseil constitutionnel soient publiques.

En réponse à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat , qui plaidait pour l'inscription dans la loi de la publicité des auditions assortie de certaines exceptions, M. Jean-Jacques Hyest , président, a fait valoir que l'adoption d'une telle disposition rendrait en réalité impossible la tenue d'auditions à huis-clos.

M. Jean-Pierre Sueur a considéré qu'un renvoi au Règlement était inadéquat et qu'il ne serait pas acceptable que les modalités appliquées pour les auditions diffèrent entre le Sénat et l'Assemblée nationale.

Mme Alima Boumediene-Thiery a assuré que la transparence des auditions favoriserait leur crédibilité aux yeux des citoyens.

M. Laurent Béteille a estimé que l'existence d'un compte rendu intégral était suffisante pour rendre possibles l'analyse et la compréhension des débats. En outre, il n'était pas nécessaire, selon lui, que la pratique du Sénat et celle de l'Assemblée nationale soient identiques.

M. Jean-Jacques Hyest , président, a proposé de suivre la position du rapporteur.

Article 3 du projet de loi organique

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. Gélard, rapporteur

1

Suppression de l'interdiction des délégations de vote

Adopté

Article premier du projet de loi

M. Bernard Frimat et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés

1

Publicité des auditions

Rejeté

2

Compte rendu des auditions

Rejeté

La commission a adopté le texte des deux projets de loi ainsi rédigés.

* 1 Le président de l'Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires (ACNUSA), le président de l'Autorité des normes comptables, le président de la Commission nationale de déontologie de la sécurité, le directeur général de l'Office national des forêts.

* 2 Le président du conseil d'administration de Voies navigables de France, le président de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires, le président de la commission de la sécurité des consommateurs.

* 3 Présidence de la société Aéroports de Paris (reconduction de M. Pierre Graff en juillet 2009), présidence de la société de la Française des jeux, (reconduction de M. Christophe Blanchard-Dignac en octobre 2009), présidence de la société EDF (nomination de M. Henri Proglio en novembre 2009), Gouverneur de la Banque de France (reconduction de M. Christian Noyer à compter du 1 er novembre 2009), présidence du Centre national de la recherche scientifique (nomination de M. Alain Fuchs en janvier 2009). Dans un cas, la nomination de M. Jérôme Haas comme président de l'Autorité des normes comptables, les commissions des finances n'ont pas eu la possibilité de se réunir en temps utile.

* 4 JO, compte rendu des débats, première séance du mardi 2 février 2010.

* 5 Le projet de loi organique initial ne comportait d'ailleurs aucune indication sur les modalités de vote de chaque assemblée. Ainsi que l'avait indiqué M. Henri de Raincourt, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement, devant la commission des lois de l'Assemblée nationale lors de l'examen en première lecture, « le président Warsmann ayant indiqué lors des débats constituant que « le seul rôle de la loi organique, c'est de déterminer la liste des emplois ou fonctions. Toute la procédure est dans la Constitution », le Gouvernement s'en est tenu à cette position (...). [Il] n'a donc pas souhaité introduire d'autres dispositions relatives à la procédure mise en oeuvre dans chaque assemblée, qui devraient trouver leur place naturelle dans leur Règlement respectif. ».

* 6 Cette disposition n'a pas été soumise au Conseil constitutionnel. Néanmoins, à l'occasion d'une résolution tendant à modifier le Règlement du Sénat, le Conseil constitutionnel dans une décision du 17 mai 1973, avait estimé qu'il n'était pas possible d'apporter des restrictions aux possibilités reconnues par l'ordonnance organique aux parlementaires de déléguer leur droit de vote.

* 7 Dans sa décision n°86-225 DC du 23 janvier 1987, le Conseil constitutionnel a d'ailleurs donné une interprétation souple du deuxième alinéa de l'article 27 de la Constitution selon lequel le droit de vote des membres du Parlement est personnel en considérant qu'une procédure d'adoption d'un texte ne pourrait être entachée de nullité que s'il est établi « d'une part, qu'un ou des députés ont été portés comme ayant émis un vote contraire à leur opinion et, d'autre part, que sans la prise en compte de ce ou de ces votes, la majorité requise n'aurait pu être atteinte ».

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