EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est appelé à se prononcer sur la proposition de loi visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale, adoptée par l'Assemblée nationale le 4 juin 2009.

Ce texte, déposé en novembre 2008 sur le Bureau de l'Assemblée nationale par MM. Jean-Luc Warsmann et Guy Geoffroy, constitue l'aboutissement d'un travail de réflexion engagé depuis plusieurs années avec l'ensemble des acteurs de la chaîne pénale.

Se fondant sur le constat de Cesare de Beccaria, selon lequel, « pour qu'un châtiment produise l'effet voulu, il suffit qu'il dépasse l'avantage résultant du délit » ( Des délits et des peines ), il tend à améliorer les outils juridiques dont dispose l'Etat pour confisquer les profits générés par les activités illicites.

En cela, il s'inscrit dans un ensemble de réformes globales initiées par l'Union européenne et tendant à améliorer la lutte contre le blanchiment de capitaux et la coopération internationale en matière de lutte contre le crime organisé. Néanmoins, son champ d'application a vocation à s'étendre à l'ensemble des crimes et délits générant des profits, que ceux-ci aient été commis dans un cadre transnational ou sur le seul territoire de la République.

Constatant que le droit français des saisies ne permet que très imparfaitement de garantir l'exécution des procédures de confiscation, qui constituent un instrument particulièrement efficace de lutte contre ces formes de délinquance, la proposition de loi, composée de dix-huit articles, tend notamment à élargir le champ des biens susceptibles d'être saisis, à créer une procédure de saisie pénale aux fins de confiscation et à instituer une agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, qui permettra de décharger les magistrats de la gestion des biens saisis, qu'ils peinent à l'heure actuelle à assumer.

Votre commission, consciente que cette proposition de loi fait l'objet d'un large consensus parmi l'ensemble des acteurs de la chaîne pénale, a souhaité l'adopter tout en lui apportant, ponctuellement, des modifications tendant essentiellement à renforcer son efficacité.

I. UNE PEINE DE CONFISCATION LARGEMENT PRIVÉE DE SON EFFECTIVITÉ PAR UN DROIT DES SAISIES INCOMPLET

En France, la peine de confiscation ne peut être prononcée que dans le cadre d'une procédure pénale et ne peut être exécutée qu'une fois la décision de condamnation devenue définitive. Lorsque plusieurs années séparent l'ouverture de la procédure de la décision définitive de confiscation, la personne mise en cause dispose du temps nécessaire pour organiser son insolvabilité ou « faire disparaître » les éléments de son patrimoine acquis grâce à des activités illicites. De fait, comme l'ont confirmé la plupart des personnes entendues par votre rapporteur, les tribunaux prononcent très rarement la confiscation des biens qui n'ont pas été rendus indisponibles au cours de l'enquête, privant de ce fait largement la peine complémentaire de confiscation, qui a fait l'objet d'une profonde réforme en 2007, de son effectivité.

A. UNE PEINE DE CONFISCATION PROFONDÉMENT RÉFORMÉE EN 2007

A la fois peine et mesure de sûreté , la confiscation figure dans notre droit depuis l'Ancien régime, selon des modalités qui ont varié au cours du temps (voir encadré). Elle se traduit par le transfert de la propriété d'un ou plusieurs biens, sans indemnité ni contrepartie, au profit de l'Etat.

Historique de la peine de confiscation

Sous l'Ancien Régime, la confiscation générale constituait une peine accessoire de la peine de mort et les juridictions seigneuriales y recouraient fréquemment. Progressivement, à compter du XII ème siècle, le recours à la confiscation « de corps et de biens » a été limité. En vertu de l'adage de Loisel selon lequel « qui confisque le corps confisque les biens », cette peine n'accompagnait plus que les peines capitales à partir du XIV ème siècle. Cependant, certaines coutumes encadraient la confiscation, en préservant les droits des héritiers ou en limitant les biens concernés. L'ancien droit connaissait également la peine de confiscation spéciale.

A la Révolution, la confiscation générale des biens fut abolie au nom du principe de la personnalité des peines par le code pénal de 1791. Elle fut ensuite réintroduite par le décret du 10 mars 1793 organisant le tribunal révolutionnaire et maintenue à titre de peine principale par le code pénal de 1810. Plusieurs fois supprimée par les différents textes constitutionnels du XIX ème siècle, elle fut ponctuellement réappliquée à partir de 1918 pour des cas précis tels que les traitres et les déserteurs au lendemain de la première Guerre mondiale, ou les collaborateurs en 1944.

Enfin, les articles 37 et suivants de l'ancien code pénal prévoyaient jusqu'en 1994 la confiscation générale comme peine complémentaire pour les crimes contre la sûreté de l'Etat.

Le régime juridique de la peine de confiscation a été profondément modifié et élargi par la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, afin de traduire en droit interne les stipulations de la décision-cadre n° 2005/212/JAI du 24 février 2005 du Conseil de l'Union européenne relative à la confiscation des produits, des instruments et des biens en rapport avec le crime.

Désormais, la confiscation peut être prononcée, soit à titre de peine alternative , pour les délits et les contraventions de la cinquième classe (sauf s'il s'agit d'une infraction de presse) 1 ( * ) , soit à titre de peine complémentaire , en toutes matières.

L'article 131-21 du code pénal définit le régime rénové de la peine complémentaire de confiscation :

- cette dernière, qui peut être prononcée lorsque la loi ou le règlement le prévoit, est également encourue de plein droit pour les crimes et pour les délits punis d'une peine d'emprisonnement d'une durée supérieure à un an ;

- la peine complémentaire de confiscation a un caractère facultatif : le juge peut donc décider de ne pas la prononcer. Néanmoins, à titre de mesure de sûreté, la confiscation des objets qualifiés de dangereux ou nuisibles par la loi ou le règlement, ou dont la détention est illicite, est obligatoire, que ces biens soient ou non la propriété du condamné 2 ( * ) .

Son champ d'application a été élargi. Sont désormais susceptibles d'être confisqués :

- tous les biens meubles ou immeubles, quelle qu'en soit la nature, divis ou indivis, ayant servi à commettre l'infraction ou qui étaient destinés à la commettre, et dont le condamné est propriétaire ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition ;

- tous les biens qui sont l'objet ou le produit direct ou indirect de l'infraction, à l'exception des biens susceptibles de restitution à la victime ;

- enfin, la confiscation peut également porter sur tout bien meuble ou immeuble défini par la loi ou le règlement qui réprime l'infraction 3 ( * ) .

Enfin, l'article 131-21 du code pénal permet également au juge de prononcer la confiscation de tout ou partie du patrimoine (biens meubles ou immeubles, quelle qu'en soit la nature, divis ou indivis) du condamné :

- lorsque ce dernier a été condamné pour un crime ou un délit puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement et ayant procuré un profit direct ou indirect, et qu'il n'a pu justifier l'origine des biens dont la confiscation est envisagée. Cette possibilité apparaît comme la conséquence logique de la création, par la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme, du délit de défaut de justification de ressources d'une personne en relations habituelles avec les auteurs d'un crime ou délit puni d'au moins cinq ans et procurant un profit (article 321-6 du code pénal) ;

- lorsque la loi qui réprime le crime ou le délit le prévoit (voir encadré).

Actuellement, les infractions pour lesquelles une peine de confiscation générale est prévue sont les suivantes :

- crimes contre l'humanité (art. 213-1 et 213-3 du code pénal) ;

- traite des êtres humains et proxénétisme (art. 225-25 CP) ;

- actes de terrorisme (art. 422-6 du code pénal) ;

- crimes les plus graves concernant le trafic de stupéfiants (art. 222-49 du code pénal) : fait de diriger un groupement ayant pour objet le trafic de stupéfiants, production ou fabrication illicite de stupéfiants, importation ou exportation illicite de stupéfiants, blanchiment du produit du trafic de stupéfiants ;

- blanchiment (art. 324-7 du code pénal) ;

- participation à une association de malfaiteurs lorsque les infractions préparées sont des crimes ou des délits punis de dix ans d'emprisonnement (art. 450-5 du code pénal) ;

- non-justification de ressources d'une personne ayant autorité sur un mineur qui a commis des crimes ou des délits procurant un profit direct ou indirect, ou d'une personne étant en relations habituelles avec une ou plusieurs personnes reconnues coupables de traite des êtres humains, d'extorsion, d'association de malfaiteurs ou de trafic de stupéfiants (art. 450-5 du code pénal) ;

- corruption d'un mineur (art. 227-22 du code pénal) et pédopornographie en bande organisée (art. 227-23 du code pénal) ;

- crimes et délits prévus par les articles 442-1 à 443-3 du code pénal relatifs à la fausse monnaie (art. 442-16 du code pénal).

Ainsi, le régime juridique de la peine complémentaire de confiscation, en permettant de priver les condamnés de la jouissance des biens acquis grâce à des activités délictuelles ou criminelles, apparaît très dissuasif .

Néanmoins, son application est largement privée d'effectivité dès lors que, dès le stade de l'enquête, les biens n'ont pu faire l'objet d'une saisie ou d'une mesure conservatoire permettant d'empêcher la personne mise en cause de les dissiper. Or, sur ce point, notre législation présente des lacunes incontestables.

* 1 Article 131-6 du code pénal.

* 2 Par exemple, les juridictions sont tenues de prononcer la confiscation des matériels et installations ayant servi au trafic de stupéfiants (article 222-49 du code pénal).

* 3 Par exemple, fonds de commerce en cas de condamnation pour proxénétisme (article 225-22 du code pénal).

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