C. LA MISE EN PLACE DE CIRCONSCRIPTIONS INTERRÉGIONALES : UN CHOIX DÉMOCRATIQUEMENT OPPORTUN ET JURIDIQUEMENT VALIDE

La territorialisation des élections européennes, telle qu'opérée par la loi de 2003, reposait sur trois piliers :

- la volonté de renforcer le caractère démocratique des institutions européennes, en resserrant les liens entre les membres du Parlement européen et leurs électeurs ;

- le souci de mettre en place un dispositif juridiquement viable ;

- la nécessité d'adopter un système pragmatique , s'inspirant des expériences de nos voisins européens.

1. Un choix visant à rapprocher les élus des électeurs

Répondant directement aux critiques formulées au long des années 1990, la loi du 11 avril 2003 visait à rapprocher les candidats aux élections européennes du « terrain » , en leur donnant un ancrage territorial stable, et à lutter contre l'abstention en favorisant le développement d'une vision concrète et quotidienne des problématiques européennes .

Le dispositif mis en place par le législateur en 2003 présente en effet de nombreux avantages. Tout d'abord, il s'agit d'un système simple et lisible pour les électeurs -notamment parce que le Parlement n'a pas souhaité retenir le mécanisme de sections régionales initialement prévu par le gouvernement-, qui identifient nettement les effets de leur vote. Ensuite, la mise en place de circonscriptions n'a pas porté atteinte au principe d'égalité devant le suffrage, dans la mesure où, si la composition des « euro-régions » est fixée par la loi, le nombre de sièges dévolu à chacune est, quant à lui, défini par un décret pris avant chaque scrutin, proportionnellement à la population.

En outre, la délimitation des circonscriptions -qui s'inspire des propositions de M. Michel Barnier 12 ( * ) et du projet de loi présenté, en 1998, par Jean-Pierre Chevènement 13 ( * ) - a permis de répondre pleinement au défi du renforcement de la légitimité démocratique de la représentation française au Parlement européen :

- en prévoyant des circonscriptions assez larges pour atteindre un nombre important d'élus (chaque circonscription de métropole comptait en effet entre 5 et 13 sièges lors des élections européennes de 2009), elle a permis de maintenir les avantages du scrutin proportionnel et, en conséquence, de garantir la représentation des petits partis 14 ( * ) ;

- en définissant des circonscriptions interrégionales, c'est-à-dire qui ne correspondent à aucune circonscription électorale préexistante, elle a permis de « dénationaliser » les élections européennes et d'interdire qu'elles ne soient instrumentalisées à des fins de politique intérieure ;

- les huit circonscriptions ainsi définies constituent des ensembles cohérents d'un point de vue géographique, historique et économique : en tant que telles, elles reflètent la richesse territoriale de la France. Cette prise en compte de la diversité des territoires a d'ailleurs été renforcée par le Sénat qui a adopté, en 2007, un amendement prévoyant la mise en place de sections dans la circonscription ultramarine 15 ( * ) .

Les caractéristiques des « euro-régions »

Nom de la circonscription

Régions

Nombre de sièges en 2009

Nord-Ouest

Basse Normandie, Haute Normandie, Nord-Pas-de-Calais, Picardie

10

Ouest

Bretagne, Pays de la Loire,

Poitou-Charentes

9

Est

Alsace, Bourgogne, Champagne-Ardenne, Lorraine, Franche-Comté

9

Sud-ouest

Aquitaine, Languedoc-Roussillon,

Midi-Pyrénées

10

Sud-est

Corse, Provence-Alpes-Côte-D'azur,

Rhône-Alpes

13

Massif Central - Centre

Auvergne, Limousin,
Centre

5

Île-de-France

Île-de-France

13

Outre-mer

Saint-Pierre-et-Miquelon, Guadeloupe, Martinique, Guyane, Réunion, Mayotte, Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, Wallis-Et-Futuna

3

2. Un dispositif déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel

En outre, le mode de scrutin retenu en 2003 a été déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel qui, dans sa décision n° 2003-468 du 3 avril 2003, a jugé que la mise en place de plusieurs circonscriptions ne portait pas atteinte au principe d'indivisibilité de la République et que la délimitation des « euro-régions » reposait sur des critères valides.

De plus, concernant une éventuelle atteinte au pluralisme , le Conseil a estimé que la conciliation opérée par le législateur entre « la recherche d'une plus grande proximité entre les électeurs et leurs élus » et « la représentation des divers courants d'idées et d'opinions » ne contrevenait à aucun principe constitutionnel 16 ( * ) .

3. Une option retenue par la plupart des États-membres les plus peuplés

Par ailleurs, votre rapporteur souligne que la possibilité de mettre en place des circonscriptions a été utilisée par la plupart des États-membres les plus peuplés.

Ainsi, sur les sept États dont la population dépasse les 20 millions d'habitants 17 ( * ) , quatre ont mis en place des circonscriptions multiples pour l'élection de leurs représentants au Parlement européen, l'Allemagne ayant, quant à elle, choisi un système mixte dans lequel les partis peuvent présenter des candidats soit au niveau fédéral, soit à l'échelon des Länder 18 ( * ) .

En somme, seule une minorité d'États-membres a, en dépit de l'importance de sa population, opté pour une circonscription unique . Entendu par votre rapporteur, M. Olivier Costa, professeur à l'Institut d'études politiques de Bordeaux, a d'ailleurs souligné que les deux États concernés avaient fait ce choix pour des raisons dénuées de tout lien avec les enjeux propres aux élections européennes 19 ( * ) .

* 12 Proposition de loi n° 81 (1997-1998) relative à l'élection des membres français au Parlement européen. http://www.senat.fr/dossierleg/s97980081.html

* 13 Projet de loi n° 976 (onzième législature), consultable à l'adresse suivante : http://www.assemblee-nationale.fr/11/projets/pl0976.asp La délimitation des circonscriptions proposée par ce projet de loi est exactement similaire au tracé finalement adopté par le législateur en 2003.

* 14 Notre collègue Patrice Gélard s'était ainsi, dans son rapport précité, opposé à la mise en place de circonscriptions régionales, dans la mesure où « le mode de scrutin actuel y serait trop contraignant, le nombre de représentants élus par région étant trop faible ».

* 15 Ces dispositions ont été intégrées à la loi du 7 juillet 1977 à l'occasion des débats sur la loi n° 2007-224 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer, à la suite d'amendements déposés par MM. Gaston Flosse et Georges Othily.

* 16 Sur ce terrain, votre rapporteur souligne que la loi du 11 avril 2003, loin de porter atteinte au pluralisme, contenait de nombreuses mesures visant à favoriser l'accès des petits partis aux élections européennes. Ainsi, le cautionnement que devait acquitter chaque parti pour présenter des candidats a été supprimé, et le seuil requis pour obtenir le remboursement des dépenses de la électorales et des frais de propagande officielle a été abaissé à 3 % des suffrages exprimés (contre 5 % avant 2003).

* 17 A savoir : l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni, l'Italie, l'Espagne, la Pologne et la Roumanie.

* 18 Voir tableau en annexe. Dans le système allemand, les électeurs disposent de deux voix et votent à la fois au niveau de leur Land et au niveau de l'État fédéral.

* 19 Plus précisément, il a estimé que l'Espagne avait conservé une circonscription unique en raison de l'importance, au niveau local, des partis indépendantistes (c'est-à-dire afin d'éviter, en régionalisant le scrutin européen, de donner aux séparatistes un nombre de sièges qui pourrait compter pour la moitié de la représentation espagnole), et que le caractère récent (voire artificiel) des régions roumaines expliquait que la Roumanie ne les ait pas considérées comme des circonscriptions électorales légitimes.

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