EXPOSÉ GÉNÉRAL

La présente proposition de loi tend à modifier et à mettre effectivement en oeuvre l'article 235 ter ZD du code général des impôts qui institue une taxe sur les transactions sur devises. Ce dispositif, introduit par l'article 88 de la loi de finances pour 2002, a créé en droit français la « taxe Tobin ». Il convient toutefois de noter un point fondamental : aux termes du IV de l'article 235 ter ZD, ses dispositions prendront effet « à la date à laquelle les Etats membres de la Communauté européenne auront dû achever l'intégration dans leur droit interne des mesures arrêtées par le Conseil prévoyant l'instauration, dans l'ensemble des Etats membres, d'une taxe sur les transactions sur devises ».

La proposition de loi vise notamment à supprimer cet alinéa pour que la taxe Tobin s'applique en France, quand bien même nos partenaires européens ne l'ont pas mise en pratique.

L'article 235 ter ZD avait été adopté à l'initiative de la commission des finances de l'Assemblée nationale, dont le président, M. Henri Emmanuelli, avait alors souligné le caractère « conditionnel » et « symbolique ». Une telle taxe doit en effet être universelle , ou à tout le moins être mise en place en Europe, aux Etats-Unis et au Japon, pour être efficace .

Votre rapporteur estime que l'instauration d'une taxe Tobin dans notre seul pays serait, en premier lieu, inopérante au regard des objectifs poursuivis. La crise a révélé le besoin de réguler le système financier mais seules des solutions internationales permettront de résoudre des problèmes globaux . Par ailleurs, ce nouveau prélèvement pourrait se révéler, dans son principe même, dommageable pour l'économie française.

Votre commission des finances a déjà eu l'occasion d'affirmer, à l'occasion de l'examen de la loi de finances pour 2010 et de la première loi de finances rectificative pour 2010, que l'évolution du modèle économique des banques, gravement mis en cause lors de la crise, repose notamment sur la réglementation des fonds propres. Une taxation du secteur financier pourrait utilement venir en complément de ces mesures, pour autant que le bon équilibre puisse être trouvé entre la stabilité des établissements de crédit et le financement de l'économie.

I. L'IDÉE D'UNE TAXATION DU SECTEUR FINANCIER CONNAÎT UN REGAIN D'INTÉRÊT EN PÉRIODE DE CRISE

De nombreuses initiatives sont apparues, depuis plus d'un an, pour taxer le secteur financier. Elles sont, pour la plupart, inspirées par la volonté qu'il prenne « une juste part dans la relance et le développement de l'économie », comme le souligne le Parlement européen dans une résolution adoptée le 10 mars 2010. En effet, grâce aux interventions déterminées des Etats, les banques ont pu renouer avec les profits en 2009 mais, aussi, avec des pratiques de rémunération qualifiées « d'obscènes » par le Président Barack Obama.

Les opinions publiques ont dès lors eu le sentiment d'avoir contribué au rétablissement du secteur financier sans que celui-ci ne participe aujourd'hui au redressement des finances publiques et de l'activité économique.

Toutefois, le foisonnement de propositions a introduit une certaine confusion sur la portée des taxes envisagées et, tout particulièrement, sur leurs objectifs, selon qu'elles s'inscrivent dans une logique punitive, préventive ou de « rendement » .

Avant d'analyser plus en profondeur la présente proposition de loi, votre rapporteur souhaite dresser un panorama du contexte national et international dans lequel elle s'inscrit.

A. EN DÉPIT D'UN CONTEXTE FAVORABLE, LA NÉGOCIATION D'UNE TAXE SUR LES TRANSACTIONS FINANCIÈRES BUTE SUR DES DIFFICULTÉS PERSISTANTES

1. La taxe Tobin a été abandonnée comme instrument de lutte contre la spéculation

a) La taxe Tobin avait pour but initial de redonner de l'autonomie aux politiques monétaires

La taxe Tobin est considérée comme la première idée de taxe sur les transactions financières (TTF). L'économiste et prix Nobel (1981) James Tobin avait initialement conçu, en 1972, une taxe sur les transactions de change dans le cadre d'un système monétaire international où le régime de change devient flexible et où les capitaux circulent librement. Une telle taxe avait alors pour objet de rendre de l'autonomie aux politiques monétaires .

En effet, l'économiste Robert Mundell 1 ( * ) a montré qu'il existe une incompatibilité entre trois objectifs de politique économique : la flexibilité du taux du change, la libre circulation des capitaux et l'autonomie de la politique monétaire. Seuls deux d'entre eux peuvent être poursuivis en même temps.

Dans ce contexte, une taxe frappant, à un taux très faible, les transactions sur le marché des changes a pour vertu, en introduisant « un grain de sable dans la mécanique bien huilée des marchés », selon l'expression de Tobin, de limiter très modérément les flux de capitaux et, par conséquent, de permettre à la politique monétaire de jouer plus efficacement son rôle.

Dans son acception initiale, une telle taxe n'a cependant plus lieu d'être puisque la politique monétaire se concentre désormais sur un objectif prioritaire, voire unique, qui est la stabilité des prix.

b) La taxe Tobin est apparue inopérante comme instrument de lutte contre la spéculation

Au cours des années 1990, la taxe Tobin a connu une nouvelle fortune dans la théorie économique en tant qu'instrument de lutte contre la spéculation car elle a pour effet mécanique de renchérir les flux de court terme . A chaque transaction de change, l'investisseur doit s'acquitter d'un montant faible. S'il procède à un placement de long terme, la taxe est quasi-indolore. En revanche, si le même capital subit de nombreux mouvements à court terme, alors son propriétaire doit, à chaque fois, payer la taxe. Par conséquent, plus un capital est mobile, plus il est taxé et ses déplacements récurrents coûtent cher.

Si les opérations de court terme sont assimilées à de la spéculation, alors, effectivement, la taxe Tobin permet de la limiter. Mais la réalité économique et financière infirme en grande partie cette analyse dès lors que « les capitaux n'ont pas besoin d'être placés durablement pour couvrir des opérations économiques réelles 2 ( * ) ». En d'autres termes, les transactions de court terme ne peuvent pas être systématiquement amalgamées à une forme de spéculation.

De surcroît, comme le rappelait, à l'occasion de l'examen de la loi de finances pour 2002, Florence Parly, alors secrétaire d'Etat au budget, « la différence observable entre une légitime couverture en devises sur une vente à terme et une obscure spéculation est infime » 3 ( * ) .

Dès lors, faute de pouvoir identifier précisément la spéculation, la taxe Tobin est contrainte de frapper avec la même force tant les opérations liées au commerce international que celles motivées par le seul appât du gain .

Par ailleurs, l'analyse économique montre qu'elle a pour effet de diminuer le nombre de transactions sur le marché. Elle agit sur sa taille et, par conséquent, sur sa liquidité. Or « il n'existe pas de lien empiriquement démontré entre la liquidité d'un marché et sa stabilité » 4 ( * ) . Au contraire, plus un marché est liquide, plus un grand nombre d'acteurs est présent, et plus il est en mesure d'absorber des chocs.

En réduisant le nombre de transactions et la liquidité des marchés financiers, la taxe Tobin pourrait accroître l'ampleur de la variation des prix et leur instabilité . Jean-Pierre Landau illustre cette idée en rappelant que « le jet d'une pierre dans un grand lac produit des remous invisibles ; dans une petite mare, il provoque des vagues de grande ampleur » . 5 ( * ) La taxe pourrait donc se révéler plus dangereuse que profitable.

Pour l'ensemble de ces raisons, la taxe Tobin ne semble pas être une option crédible pour lutter contre la spéculation et stabiliser ainsi le système financier global .

Ses défenseurs ont toutefois montré qu'une telle taxe permettrait de lever des ressources considérables qui seraient affectées à l'aide au développement. Il s'agit du « double dividende » dont les auteurs de la proposition de loi rappellent le mécanisme dans l'exposé des motifs : « cette nouvelle forme de taxation internationale présenterait donc deux avantages : freiner la spéculation et favoriser le développement ».

Votre rapporteur a montré qu'il n'est guère possible d'atteindre le premier objectif. En revanche, l'intérêt du second demeure intact et fait actuellement l'objet de négociations internationales .

* 1 Robert Mundell, The Monetary Dynamics of International Adjustement under Fixed and Flexible Exchange Rates , Quarterly Journal of Economics, vol. 74, 1960.

* 2 Olivier Storch, « La taxe Tobin, revue de la pensée magique », note n° 4, Fondation Robert Schuman, 2002.

* 3 Loi de finances pour 2002, compte-rendu intégral de l'Assemblée nationale, 3 e séance du 19 novembre 2001.

* 4 Olivier Storch, ibid.

* 5 Jean-Pierre Landau, « Institutions et marchés financiers : quelles responsabilités ? », in Crise mondiale et marchés financiers, Les Cahiers français, n° 289, avril 1999, La Documentation française.

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