B. UNE CONCURRENCE LIMITÉE EN PRATIQUE

1. La position dominante de l'opérateur historique

Le système électrique et le marché de l'électricité sont organisés en quatre segments : la production, le transport, la distribution et la fourniture (ou commercialisation) de l'électricité. Depuis la nationalisation de 1946 et jusqu'en 2000, l'ensemble de ces activités était assurés par les opérateurs historiques, EDF et les distributeurs non nationalisés, en situation de monopole.

L'activité de la production est encore dominée par l'opérateur historique, EDF, qui contrôle l'intégralité de la filière de production nucléaire, ainsi que 77 % des capacités hydrauliques et 58 % des autres moyens de production du parc. On distingue deux types de production d'électricité : la production en base, qui couvre la partie régulière tout au long de l'année ou de la journée de la consommation, et la production en pointe, qui couvre la part variable de la consommation. Aujourd'hui, EDF assure 90 % de la production nationale et la quasi-totalité de la production en base, exception faite de celle assurée par les installations hydroélectriques au fil de l'eau de la Compagnie Nationale du Rhône (CNR), qui représentent 25 % des capacités hydroélectriques françaises. Les moyens de production en pointe, consistant principalement en centrales thermiques, sont davantage concurrentiels.

Les activités de transport et de distribution d'électricité sont des monopoles naturels, les lignes ne pouvant pas être partagées. Les directives communautaires prévoient que leur gestion doit être indépendante des activités de production, afin d'assurer un accès aux infrastructures dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires. Le transport est assuré en France par RTE, qui est une filiale d'EDF dotée d'une totale autonomie de gestion, tandis que la distribution est assurée par ERDF, autre filiale d'EDF également autonome, ainsi que par les distributeurs non nationalisés.

L'activité de fourniture , ou commercialisation, est celle qui a principalement fait l'objet de la libéralisation du marché de l'électricité. Des opérateurs ne disposant pas de moyens de production en France ont fait leur apparition sur le marché national, entraînant le développement d'un marché de gros de l'électricité.

Fournisseurs d'électricité actifs au 31 mars 2010

Fournisseur

Grands sites non résidentiels

Sites moyens non résidentiels

Petits sites non résidentiels

Sites résidentiels

Fournisseurs alternatifs d'électricité

Alpiq Énergie

*

*

Direct Énergie

*

*

*

Edenkia

*

*

E.On Énergie

*

Enercoop

*

*

*

EGL

*

Endesa Énergia

*

Enel France

*

Energem

*

*

GDF Suez

*

*

*

*

HEW Énergies

*

Iberdrola

*

Kalibraxe

*

Planete UI

*

*

Poweo

*

*

*

*

SNET

*

*

Fournisseurs historiques d'électricité

Alterna

*

*

*

*

EDF

*

*

*

*

GEG Source d'énergie

*

*

*

*

Source : Commission de régulation de l'énergie.

2. L'importance des tarifs réglementés

Les prix de marché de l'électricité sont déterminés en fonction de l'équilibre entre l'offre et la demande au niveau européen, les réseaux étant interconnectés entre la France et les pays voisins. Ces prix s'établissent, conformément à la théorie économique, au niveau du coût marginal de production de la dernière centrale appelée à fonctionner, c'est-à-dire la plus chère des centrales en production au niveau du marché européen, qui est la plupart du temps une centrale au charbon ou au gaz.

De ce fait, les coûts de production du parc de production français, qui sont très compétitifs du fait de l'importance du nucléaire et de l'hydraulique, ne sont pas reflétés par les prix de marché. Sans régulation spécifique, la modicité relative des coûts du parc de production électrique français ne peut pas être répercutée au consommateur final d'électricité.

La France a donc souhaité conserver, pour son marché intérieur, un système de tarifs réglementés de vente d'électricité, fournis par les opérateurs historiques, les consommateurs ayant le choix entre des offres de marché et des offres réglementées. Ces tarifs réglementés sont fondés sur les coûts complets d'EDF, dont l'essentiel de la production provient de centrales nucléaires et hydrauliques compétitives. Sauf pour les consommateurs domestiques, le choix d'une offre de marché est irréversible, le consommateur qui a exercé son éligibilité ne pouvant plus revenir aux tarifs réglementés.

Au début de l'ouverture du marché de l'électricité à la concurrence, les prix de marché étaient inférieurs aux tarifs réglementés de vente, en raison notamment du faible niveau du cours des hydrocarbures et d'une surcapacité de production. A partir de 2005, la réduction des surcapacités, la hausse des prix des combustibles et l'entrée en vigueur de système d'échange de quotas de CO 2 ont entraîné en Europe une hausse des prix du marché de l'électricité, qui sont devenus largement supérieurs aux tarifs réglementés de vente français.

La situation est donc devenue difficile pour les consommateurs industriels qui avaient exercé leur éligibilité. En conséquence, la loi du 7 décembre 2006 a mis en place un tarif transitoire d'ajustement du marché (TaRTAM) permettant aux consommateurs non résidentiels de revenir à un tarif réglementé pour une durée initialement fixée à deux ans, qui a été prolongée à deux reprises, dernièrement jusqu'au 31 décembre 2010 par la loi du 7 juin 2010 autorisant les petits consommateurs domestiques et non domestiques d'électricité et de gaz naturel à accéder ou à retourner au tarif réglementé.

En définitive, les consommateurs français n'ont guère d'intérêt à opter pour des offres de marché. En 2009, les tarifs réglementés et le TaRTAM ont représenté 83 % du total de l'électricité vendue aux consommateurs, soit respectivement 96 % des ventes pour la clientèle résidentielle et 77 % pour les professionnels. S'agissant des tarifs réglementés hors TaRTAM, les volumes se répartissent pour moitié environ entre la clientèle résidentielle et les professionnels. Parmi ces derniers, les gros consommateurs (clients aux tarifs « jaunes » et « verts ») sont prépondérants, représentant 76 % du total des volumes vendus aux professionnels.

Parts de marché des fournisseurs d'électricité en 2009

Résidentiels

Non résidentiels

dont offres de marché hors TaRTAM

dont TaRTAM

EDF

135,4 TWh

(95,4 %)

259 TWh

(86,9 %)

59,4 TWh

(86 %)

44,6 TWh

(62 %)

Fournisseurs alternatifs

5,6 TWh

(4,6 %)

39 TWh

(13,1 %)

9,6 TWh

(14 %)

27,4 TWh

(38 %)

Total

141 TWh

298 TWh

69 TWh

72 TWh

Source : CRE.

3. Éléments de comparaison européens

Le marché français de la commercialisation d'électricité est l'un des plus concentrés de l'Union européenne, avec une position prépondérante des fournisseurs historiques, en particulier EDF. A titre de comparaison, les marchés allemand, britannique et italien apparaissent plus ouverts. Dans chacun de ces marchés, à l'exception de l'Italie, aucun acteur ne détenait au 31 décembre 2008 une part de marché supérieure à 41 % sur le segment des clients résidentiels.

a) Allemagne

Historiquement, le secteur de l'électricité en Allemagne est passé d'une structure centralisée et fragmentées en plusieurs milliers d'entreprises électriques, à une structure plus concentrée autour de quelques grands groupes et d'entreprises communales de distribution.

Le marché allemand de l'électricité est juridiquement totalement ouvert depuis 1998. Dès 1991, la Commission de la déréglementation avait publié un rapport sur l'ouverture des marchés et l'état de la concurrence et émis des recommandations pour la réforme du secteur. La transposition de la directive européenne de 1996 est donc venue renforcer un mouvement déjà amorcé.

Le secteur de l'électricité a connu une mutation profonde, vers davantage de concentration, avec une série de fusions-acquisitions. Aujourd'hui, quatre groupes (RWE, E.On, EnBW et Vattenfall) contrôlent les deux tiers de la production. Le marché de la fourniture est un peu moins concentré, puisque ces quatre groupes n'en contrôlent que 57 %.

En ce qui concerne la distribution de l'électricité, il existe en Allemagne environ un millier d'entreprises, ce qui représente le nombre de distributeurs le plus élevé de tous les pays membres de l'Union européenne. Les collectivités locales jouent un rôle très important, les Stadtwerke fournissant de multiples services, dont la distribution de l'électricité.

L'Allemagne présente des niveaux de prix relativement élevés pour l'électricité.

b) Royaume-Uni

La politique de privatisations mise en oeuvre au Royaume-Uni dès les années 1980 dans l'ensemble des services publics concerne également le secteur de l'énergie. Le Royaume-Uni fait figure de pionnier mondial en la matière. Dès 1989, la réforme libérale de l'électricité est amorcée et de grands changements structurels sont engagés début 1990 : on passe d'un monopole public intégré (un duopole en Écosse) à l'éclatement et à la privatisation du secteur.

En termes de production, trois opérateurs principaux se partagent le marché de l'électricité. Le premier d'entre eux, National Power, ne contrôle que 28 % du marché de la production. L'ensemble des distributeurs a été privatisé et l'activité de fourniture est ouverte à la concurrence. Des phénomènes de reconcentration sont apparus, avec notamment plusieurs OPA et une intégration verticale avec des opérateurs d'autres secteurs, notamment celui de l'eau.

Le Royaume-Uni présente des niveaux de prix relativement bas pour l'électricité, mais davantage pour les consommateurs industriels que pour les consommateurs domestiques.

c) Italie

Par le décret « Bersani » de 1999, l'Italie a transposé la directive européenne de 1996 sur l'électricité : ouverture des marchés, limitation des pouvoirs de l'opérateur historique Enel, séparation juridique des activités de vente et de distribution. Dès 1995, une autorité de régulation avait été mise en place pour l'électricité et le gaz.

La sécurité d'approvisionnement est une question clé pour l'Italie, qui est un gros importateur net d'énergie en Europe. Les crises électriques et le black out (coupure générale d'électricité) de 2003 sont venus confirmer la fragilité du système électrique italien. L'Italie se situe parmi les pays où les prix de l'électricité sont les plus élevés, à la fois pour les consommateurs domestiques et industriels.

Compte tenu de sa dépendance énergétique élevée, le plan énergétique national de l'Italie a prévu, dès la fin des années 1980, d'encourager la diversification des sources d'énergie. Cet objectif implique notamment un développement de la ressource en gaz naturel, qui représente près du tiers des énergies consommées en Italie.

Le premier opérateur, Enel, contrôle 44 % du marché de la production d'électricité, en dépit de l'existence de quatre opérateurs de taille moyenne et de près de 300 producteurs autonomes, dont chacun ne dispose que d'une part très marginale du marché.

4. Une situation contestée par la Commission européenne

La Commission européenne a engagé deux procédures contentieuses contestant le système français de tarifs réglementés de vente d'électricité :

- par un avis motivé du 4 avril 2006, elle a initié une procédure en manquement contre la France pour défaut dans la mise en oeuvre de la directive 2003/54, considérant que les tarifs réglementés constituent un obstacle à l'ouverture des marchés et imposent aux seuls opérateurs historiques des obligations tarifaires permanentes, générales et sans objectifs de service public ;

- le 13 juin 2007, elle a ouvert une procédure d'examen au titre des aides d'État, considérant que les tarifs réglementés et le TaRTAM pourraient constituer des subventions publiques aux grandes et moyennes entreprises, susceptibles d'entraîner des distorsions des échanges et de la concurrence sur dans marché unique de l'Union européenne. La procédure ne porte toutefois pas sur les tarifs réglementés dont bénéficient les consommateurs résidentiels et les petites entreprises.

La première procédure pourrait déboucher devant la Cour de Justice de l'Union européenne en une condamnation sous astreinte à la suppression des tarifs réglementés. La seconde procédure pourrait déboucher, à l'initiative de la Commission européenne, sur une exigence de remboursement des aides qu'elle estime avoir été illégalement perçues par les entreprises françaises.

Le Gouvernement français récuse les griefs juridiques de la Commission européenne. Néanmoins, il lui a paru préférable de prévenir ses objections en mettant en oeuvre la réforme qui fait l'objet du présent projet de loi. Les grandes lignes de cette réforme ont été présentées à la Commission européenne par le Premier ministre, par une lettre adressée aux commissaires chargés de l'énergie et de la concurrence 1 ( * ) . En retour, ces derniers ont fait savoir que l'adoption du projet de loi pourrait conduire à l'abandon des procédures engagées.


* 1 Lettre en date du 15 septembre 2009.

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