CHAPITRE II

DOTER L'AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS
DE POUVOIRS RENFORCÉS

ARTICLE 2
(Art. L. 421-16 du code monétaire et financier)

Octroi de pouvoirs d'urgence à l'Autorité des marchés financiers

Commentaire : le présent article propose d'accorder à l'Autorité des marchés financiers de nouveaux pouvoirs de restriction des conditions de négociation des instruments financiers, pour une durée limitée et en cas de circonstances exceptionnelles menaçant la stabilité du système financier.

I. LE MANQUE DE BASE LÉGALE DES DISPOSITIONS D'URGENCE

A. LE PRÉCÉDENT DE LA DÉCISION DU 19 SEPTEMBRE 2008 SUR LES VENTES À DÉCOUVERT DANS LE SECTEUR FINANCIER

Dans le contexte particulièrement troublé de la faillite de la banque d'investissement Lehman Brothers et des difficultés qui ont affecté les plus grandes banques en septembre 2008, le collège de l'Autorité des marchés financiers (AMF), à l'instar des régulateurs des principaux marchés, a décidé le 19 septembre 2008 d'encadrer strictement les ventes à découvert sur les titres de capital de quinze sociétés du secteur financier cotées sur le marché français 49 ( * ) .

Position courte, vente à découvert (« short selling ») et vente « nue »

1 - La vente à découvert comme technique d'investissement « court »

Selon une représentation simple et usuelle, un investisseur est positionné à l'achat pour réaliser une plus-value à la revente ; il est alors « long ». L'inverse est également possible et fréquent : un investisseur détient une exposition économique « courte » sur un titre lorsqu'il est vendeur, que ce soit sur une exposition individuelle ou en solde net, c'est-à-dire en agrégeant l'ensemble de ses positions à l'achat et à la vente.

Outre l'utilisation de produits dérivés (options de vente en particulier), un moyen habituel d'enregistrer des gains en étant « court » consiste à recourir aux ventes à découvert directes . L'investisseur anticipe une baisse du cours et vend des titres sans couvrir sa position (par opposition à une vente couverte) pour les racheter ultérieurement, ce qui l'expose à un gain ou à un risque de perte selon que, respectivement, le cours des titres vendus diminue ou augmente après la cession.

Dans la plupart des cas toutefois, le vendeur à découvert a préalablement ou simultanément emprunté les titres dont il est dès lors, en droit français, propriétaire. Lors du rachat ultérieur des titres, il les restitue au prêteur initial et réalise une plus-value (minorée du coût de l'emprunt) en cas de baisse effective du cours.

2 - La vente à découvert « nue »

L'emprunt des titres et l'engagement de les livrer dans le délai fixé par le règlement général de l'AMF, qui est de trois jours de bourse à compter de la transaction ( cf . commentaire de l'article 7 quater du présent projet de loi), permettent à l'acheteur de se prémunir contre le risque de non-livraison. Une pratique dénommée « vente nue » (« naked short selling ») s'est cependant développée et consiste :

- au sens courant, à céder des titres en J sans disposer de la provision ni des titres à livrer au moment de la transaction, donc sans emprunt préalable ;

- au sens strict et communément accepté par les professionnels, à céder des titres en J sans donner lieu à livraison effective en J + 3 , de manière accidentelle (impossibilité technique d'emprunter les titres entre J et J + 3) ou délibérée (non-respect de l'engagement de livraison en connaissance de cause). La vente se traduit alors par un suspens de livraison. Dans cette situation, la motivation spéculative de l'investisseur est claire : en l'absence de livraison, le vendeur espère que le cours des titres diminuera et qu'il pourra les racheter ultérieurement à un prix sensiblement inférieur à celui auquel il les a cédés sans les détenir. Il ne sera alors en mesure d'honorer son engagement de livraison auprès de l'acquéreur que lors du rachat de ces titres, sans qu'il ait eu de coût d'emprunt à supporter.

Lorsque la vente puis le rachat sont réalisés dans une même journée - cas très fréquent -, l'opération peut présenter un caractère virtuel puisque le gain ou la perte est enregistrée sans que les titres aient dû être livrés ou une provision constituée.

3 - Utilité et risques des ventes à découvert

En soi, une vente à découvert ne crée pas la tendance baissière car elle reste un pari sur l'évolution négative d'un titre, en tant que simple configuration inverse de l'achat avec perspective de revente à un cours supérieur. Si cette tendance ne se confirme pas, l'investisseur « court » rachète le titre plus cher et enregistre donc une perte.

Les ventes à découvert ont une utilité puisqu'elles peuvent être utilisées à des fins de couverture d'un portefeuille de titres ou de revenus futurs dans la devise considérée (et dont une baisse du taux de change est escomptée). Elles participent également à la circulation des titres, donc à leur liquidité , et au processus de formation et de découverte des prix dans le cadre de l'arbitrage « directionnel » d'actions. Elles peuvent enfin contribuer à freiner la constitution d'une bulle spéculative à la hausse en exerçant un mouvement inverse.

En revanche, lorsque ces ventes à découvert sont réalisées « à nu » sans respect de l'engagement de livraison, ou deviennent massives sous l'influence des paris directionnels, elles peuvent amplifier la tendance baissière d'un titre et donc une forme de spéculation .

Cette décision suivait celle, analogue, prise par les autorités américaines et britanniques et répondait à l'objectif « de maintenir un cadre cohérent entre les différentes places financières, notamment en Europe, et d'éviter tout arbitrage abusif ». Elle revenait à interdire les ventes à découvert (le cas échéant nues) sur les titres considérés et à prévoir une obligation d'information de l'AMF et du marché pour les positions courtes existantes supérieures à 0,25 % du capital.

Décision de l'AMF du 19 septembre 2008 sur l'interdiction des transactions non sécurisées et la transparence des positions courtes sur les titres du secteur financier

« 1. Les mesures ci-après s'appliquent aux titres de capital émis par les établissements de crédit et entreprises d'assurance négociés sur les marchés réglementés français (Euronext Paris, MATIF et MONEP). Elles concernent les opérations effectuées pour compte propre ou pour compte de tiers, qu'elles soient exécutées au comptant, à terme ou à titre optionnel , à l'exception des opérations effectuées par les prestataires de services d'investissement agissant en qualité de teneurs de marché, d'apporteurs de liquidités ou agissant en contrepartie sur blocs d'actions.

« 2. En application de l'article 516-5, alinéa 2 du règlement général, tout investisseur transmettant un ordre de vente avec service de règlement et livraison différés sur l'une des valeurs concernées, doit disposer dans les livres de son intermédiaire financier d'une couverture à 100 % constituée des titres appelés à être vendus.

« 3. Par référence à l'article 570-1 du règlement général, tout prestataire de service d'investissement recevant un ordre de vente portant sur l'une des valeurs concernées doit requérir, de la part de son donneur d'ordre, le dépôt dans ses livres, préalablement à l'exécution de l'ordre, des titres appelés à être vendus ou, s'il n'assure pas lui-même la conservation des avoirs de son client, obtenir de sa part l'assurance de la détention des titres en cause.

« 4. Toute personne détenant une position économique nette à la baisse supérieure à 0,25 % du capital de l'une des sociétés concernées, doit en informer l'AMF (service de la surveillance du marché) et le marché, au plus tard en J + 1, par tout moyen approprié.

« 5. Toute personne qui exécute pour compte propre ou pour compte de tiers une opération ayant pour objet ou pour effet de contrevenir aux présentes dispositions, ou de les contourner, sera considérée comme susceptible d'avoir commis un abus de marché.

« 6. Afin de réduire les causes de perturbation de marché, il est enfin demandé aux institutions financières de s'abstenir de prêter l'un des titres concernés , sauf s'il s'agit de couvrir une position déjà prise, de respecter un engagement contracté avant la mise en oeuvre des présentes mesures ou encore, d'une manière générale, s'il s'agit d'une opération sans lien avec une prise de position économique à la baisse.

« 7. L'Autorité des marchés financiers engagera toutes les investigations nécessaires pour s'assurer du respect des prés entes dispositions.

« 8. Les présentes dispositions entrent en application à compter de lundi 22 septembre 2008 et pour une durée minimale de 3 mois , période au cours de laquelle l'AMF se réserve de procéder à toute adaptation justifiée par l'évolution du marché. A l'issue de cette période, l'AMF appréciera celles des mesures, notamment relatives à la transparence des opérations de ventes à découvert, qui seront appelées à demeurer en vigueur. »

Source : communiqué de presse de l'AMF du 19 septembre 2008

Ces mesures ont été prolongées à trois reprises - le 19 décembre 2008, le 24 juillet 2009 et le 26 janvier 2010 (« jusqu'à nouvel avis ») - de sorte qu'elles sont toujours en vigueur, alors que des restrictions analogues ont été levées en Allemagne (avant d'être réintroduites et étendues en mai 2010), aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Ces prolongations ont d'abord été motivées par les conditions de marché, puis par les travaux en cours sur un régime européen permanent et harmonisé d'encadrement des ventes à découvert, auxquels l'AMF participe dans le cadre du Comité européen des régulateurs de valeurs mobilières (CERVM).

Au sens large (cf. encadré supra ), la règlementation française autorise les ventes à découvert « nues » de façon partielle puisque l'article 570-1 du règlement général de l'AMF prévoit que l'acheteur et le vendeur sont, dès l'exécution de l'ordre, définitivement engagés , le premier à payer , le second à livrer les instruments financiers, à la date prévue par l'article 570-2, soit en J + 3. Il est donc possible de céder un titre sans le détenir ni disposer d'une provision entre J et J + 3, tant que le vendeur honore son obligation de livraison in fine .

Au sens strict privilégié par certains acteurs des marchés, il ne s'agit cependant pas d'une autorisation limitée de la vente nue puisque celle-ci est constituée lorsque la livraison n'intervient pas en J + 3, soit par impossibilité technique, soit que l'investisseur, en connaissance de cause, cède des titres qu'il ne détient pas et sait ne pas pouvoir (ou n'a pas l'intention de) livrer en J + 3, conduisant à un suspens de livraison. A contrario , lorsque le vendeur dispose de la certitude raisonnable de pouvoir disposer des titres et de les livrer en J + 3 (par exemple en application d'un accord-cadre avec un prêteur structurel de titres), il n'y a pas à proprement parler de vente nue.

B. UNE DÉCISION NÉCESSAIRE MAIS JURIDIQUEMENT FRAGILE

La décision originelle de l'AMF ne se fondait pas sur des dispositions législatives précises. De fait, elle ne le pouvait pas puisqu'aucune disposition relative aux ventes à découvert ne figure, explicitement ou par assimilation, aux articles L. 621-13 et L. 621-14 du code monétaire et financier, relatifs aux injonctions (sur demande du président ou du secrétaire général de l'AMF) et aux mesures d'urgence prises par le collège, ni à l'article L. 621-8-1 du même code, relatif aux mesures de suspension ou d'interdiction d'opérations d'offre de titres au public, légalement visées par l'AMF.

Certes l'article L. 621-14 fait référence à l'arrêt de « tout autre manquement de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs ou au bon fonctionnement du marché », mais en l'espèce les ventes à découvert, qui en temps normal sont autorisées, relèvent plutôt de la menace ponctuelle pour la stabilité des marchés que du manquement caractérisé.

Il existe néanmoins un cadre légal pour des mesures d'urgence susceptibles d'être prises par l'AMF en cas de circonstances exceptionnelles . L'article L. 421-16 du code monétaire et financier prévoit ainsi que lorsqu'un événement exceptionnel perturbe le fonctionnement régulier d'un marché réglementé 50 ( * ) , le président de l'AMF ou son représentant légalement désigné peut suspendre tout ou partie des négociations, pour une durée n'excédant pas deux jours de négociations consécutifs . Au-delà de cette durée, la suspension est prononcée par arrêté du ministre chargé de l'économie pris sur proposition du président de l'AMF. Cet article prévoit également que si les négociations sont suspendues plus de deux jours, les opérations en cours à la date de suspension peuvent être compensées et liquidées dans les conditions définies par les règles du marché.

Ce dispositif a vocation à s'appliquer aux cas de force majeure, de péril extérieur (attentat par exemple) ou de dysfonctionnement majeur de marché et ne pouvait donc être invoqué, tant au regard des circonstances que du champ des mesures envisagées, pour fonder une interdiction de certaines ventes à découvert.

De même, l'assimilation à un abus de marché des infractions à ces nouvelles règles n'était pas cohérente avec le champ des manquements d'initié, de manipulation de cours et de diffusion de fausse information, précisément délimité par le livre VI du règlement général de l'AMF.

Enfin on peut considérer que le recours aux articles 516-5 et 570-1 du règlement général de l'AMF pour justifier une couverture intégrale des opérations relève d'une interprétation extensive . En effet même si l'article 516-5 prévoit effectivement que l'AMF peut « en tant que de besoin, fixer, de manière temporaire ou permanente, des règles de couverture plus strictes pour un instrument financier ou un marché déterminé », on peut se demander si le dépôt de la totalité des instruments à livrer est conforme aux notions de couverture et de provision.

Si le fondement légal de cette décision a été à juste raison contesté, sa légitimité a été admise par la plupart des professionnels car elle participait d'un dispositif public global de nécessaire sauvegarde du système financier. Bien que le scepticisme ait prévalu sur l'efficacité et l'impact des mesures d'encadrement prises par les principaux régulateurs 51 ( * ) - au demeurant difficiles à évaluer avec précision (notamment en l'absence de secteur non protégé et directement comparable) -, des ventes à découvert massives auraient vraisemblablement accentué des pressions spéculatives et un mouvement de défiance disproportionnés à l'égard des plus grands établissements, pour la plupart cotés.

C. LE RAPPORT DE PLACE DE FÉVRIER 2009 SUR LES VENTES À DÉCOUVERT

Parallèlement au régime exceptionnel d'encadrement des ventes à découvert, l'AMF a constitué le 6 novembre 2008 un groupe de travail (animé par Marie-Ange Debon et Jean-Pierre Hellebuyck, membres du collège de l'autorité), chargé de proposer des orientations pour un régime permanent et susceptible de fonder une approche homogène entre la place de Paris et les principales places financières étrangères, notamment celles qui abritent les différents marchés d'Euronext. Ce rapport a été remis le 23 février 2009.

Ce rapport clarifie la notion de vente à découvert et en particulier de vente « nue », les dispositions en vigueur en France - régime applicable en période « normale » et régime exceptionnel adopté en septembre 2008 - puis les différentes pistes de réforme envisageables, en recherchant un équilibre entre efficacité et absence de rigidités inutiles. Sans proposer de mesures radicales telles que l'interdiction de toute forme de vente à découvert ou un encadrement du prix de ces opérations, il envisage deux axes de réformes dont il appelle une harmonisation internationale :

- en régime « normal » : un dispositif efficace destiné à faire respecter la date normale de règlement-livraison des titres , consistant à exiger 52 ( * ) que le vendeur s'engage vis-à-vis de son intermédiaire financier à être en mesure de livrer les titres en J + 3, et une exigence commune en matière de transparence par l'information du régulateur et du marché sur les ventes à découvert ou les positions nettes à la baisse ;

- en période de troubles exceptionnels pour le marché : les auteurs du rapport reconnaissent que « la législation ou réglementation doit armer le bras du régulateur afin que celui-ci puisse adopter, fût-ce dans l'urgence, le dispositif permettant de faire face à une situation de trouble exceptionnel de marché », mais estiment préférable de ne pas pré-déterminer ses critère de déclenchement ni la nature des décisions qui pourraient être adoptées. Ils insistent également sur l'utilité d'un dispositif d'information et de concertation entre régulateurs pour garantir l'efficacité de telles mesures d'urgence.

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ

Le présent article propose de modifier et compléter l'article L. 421-16 du code monétaire et financier, précité, relatif aux facultés de suspension par l'AMF des négociations sur un marché réglementé en cas de circonstances exceptionnelles.

Le regroupe les deux alinéas existants sous un seul. Le insère un nouvel alinéa qui prévoit des dispositions de portée beaucoup plus étendue que les actuelles, sous cinq points de vue :

- le contexte dans lequel l'urgence peut être invoquée : le nouveau dispositif peut être mobilisé « en cas de circonstances exceptionnelles menaçant la stabilité du système financier », donc en cas de crise interne ou de crise financière internationale à laquelle la France serait exposée par l'interconnection des marchés et des établissements financiers, quand bien même les marchés continueraient de fonctionner de façon régulière ;

- le titulaire du pouvoir de décision : il appartient au président de l'AMF ou à son représentant, soit le secrétaire général, sans qu'ils aient l'obligation de consulter le collège au préalable . On peut à cet égard rappeler que si le président du tribunal de grande instance de Paris peut ordonner, en la forme des référés, des mesure d'urgence (mise sous séquestre, interdiction temporaire d'activité, consignation...) sur demande motivée du président ou du secrétaire général de l'AMF 53 ( * ) , c'est le collège qui est habilité à ordonner qu'une personne mette fin, en France ou à l'étranger, à divers types de manquements constatés 54 ( * ) avant saisine éventuelle du juge ;

- les moyens : le président de l'AMF ou son représentant pourrait prendre des dispositions « restreignant les conditions de négociation des instruments financiers », ce qui permet une gamme de mesures plus diversifiée que la simple suspension totale ou partielle des négociations, et en particulier l'interdiction de certaines ventes à découvert ;

- les marchés et produits concernés : dans la mesure où il est simplement fait référence aux instruments financiers, tous les modes et lieux de négociation sont couverts , soit non seulement les marchés réglementés, mais encore les systèmes multilatéraux de négociation (dont les « bassins opaques de liquidité » pour les blocs de titres, dénommés « dark pools ») et les « internalisateurs systématiques ». De même, la notion juridique d'instruments financiers, définie par l'article L. 211-1, est large puisqu'elle couvre les titres financiers (titres de capital, titres de créances, parts ou actions de fonds) et les contrats financiers , soit les produits dérivés ;

- la durée de mise en oeuvre : les restrictions peuvent être prises par le président de l'AMF pour une durée maximale de quinze jours . La durée et les modalités d'application des mesures peuvent néanmoins être prorogées et, le cas échéant, adaptées par le collège de l'AMF (et non par le président seul) pour une durée n'excédant pas trois mois à compter de la décision du président de l'Autorité. Au-delà de cette durée, ces dispositions peuvent comme aujourd'hui être prorogées par arrêté du ministre chargé de l'économie, pris sur proposition du président de l'AMF. Toutes ces décisions sont publiques .

III. LES MODIFICATIONS ADOPTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

A l'initiative de notre collègue député Jérôme Chartier, rapporteur, la commission des finances de l'Assemblée nationale a adopté deux amendements rédactionnels. L'article a été adopté sans modification en séance publique.

IV. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

Cette extension bienvenue des pouvoirs d'urgence de l'AMF contribue à consolider le fondement légal des mesures prises en septembre 2008. Elle correspond d'ailleurs à l'une des préconisations 55 ( * ) que le groupe de travail de la commission des finances sur la crise financière et la régulation des marchés avait formulée dans son rapport d'information 56 ( * ) publié le 21 octobre 2009.

Ces nouveaux pouvoirs trouveront naturellement à s'appliquer aux ventes à découvert , dont la crise bancaire de 2008 et celle de la dette souveraine en Europe ont mis en exergue le potentiel déstabilisant, mais pourront aussi être mobilisés à l'égard de tout type d'opération sur des instruments financiers cotés, voire des instruments dérivés négociés de gré à gré. Ce dispositif doit ainsi être relié à l'extension du champ de compétence de l'AMF que prévoit l'article 7 bis du présent projet de loi, et aux mesures de limitation des ventes à découvert « nues » introduites par l'article 7 quater .

L'appréciation des circonstances exceptionnelles et de la réalité du péril pour la stabilité des marchés suppose cependant que l'AMF dispose d'un panel étoffé d'indicateurs de suivi et d'évaluation de cette stabilité , dans un environnement de marché beaucoup plus complexe depuis l'entrée en vigueur de la directive sur les marchés d'instruments financiers 57 ( * ) . Ces indicateurs doivent en particulier porter sur la volatilité quotidienne, l'ampleur des positions nettes à la vente ou la liquidité.

La faculté pour l'AMF d'interdire ou de limiter les ventes à découvert en cas d'urgence anticipe d'ailleurs sur une disposition du futur règlement communautaire sur ce sujet, dont les orientations ont fait l'objet d'une récente consultation publique et qui a été présenté le 15 septembre 2010. De fait, huit Etats membres ont déjà interdit les ventes à découvert nues 58 ( * ) et sept autres les ont restreintes, dont la France pour les valeurs financières.

La formulation assez générale de cette nouvelle faculté, réservée aux circonstances exceptionnelles mais qui laisse une grande marge d'appréciation à l'AMF, et le fait que le président de l'Autorité puisse y recourir sans consultation préalable du collège, supposent certaines garanties pour éviter une forme d' « excès de pouvoir » du régulateur.

Outre qu'une telle décision de l'AMF serait susceptible de recours (non suspensif) devant le juge administratif, elle devrait surtout être précédée d'une phase de consultation avec les autres régulateurs , en particulier européens, ainsi que le préconisait le rapport de place précité. Il serait également souhaitable que le collège soit informé le plus rapidement possible des mesures prises par le président de l'AMF ou son représentant.

Il ne fait cependant guère de doutes que le président et le collège de l'AMF sont conscients des conséquences potentielles de telles mesures d'urgence et ne les prendraient que de manière prudente et après un examen attentif de leurs avantages et inconvénients. De manière générale, les régulateurs nationaux comme les entreprises qui gèrent les marchés réglementés veillent à ce que la continuité des transactions , qui conditionne la crédibilité, la transparence et la sécurité juridique des marchés, soit autant que possible assurée .

Décision de la commission : votre commission a adopté cet article sans modification.

ARTICLE 2 bis
(Art. L. 621-1 et L. 621-19 du code monétaire et financier)

Dimension européenne des missions de l'Autorité des marchés financiers

Commentaire : le présent article, introduit par l'Assemblée nationale à l'initiative de notre collègue député Jérôme Chartier, rapporteur, a pour objet de préciser la dimension européenne des missions de l'Autorité des marchés financiers, par parallélisme avec le mandat confié à l'Autorité de contrôle prudentiel.

I. LA DIMENSION EUROPÉENNE DES MISSIONS DES AUTORITÉS DE RÉGULATION DEVIENT PRÉGNANTE

A. UNE AUTONOMIE DE RÉGULATION NATIONALE PLUS RÉDUITE

Plus que jamais, l'autonomie nationale en matière de régulation bancaire et financière se réduit, tant au regard de la réalité des marchés financiers que de la législation applicable. La mondialisation des échanges s'est accompagnée de celle des flux financiers et a conféré une dimension internationale aux établissements bancaires, intermédiaires boursiers et opérations de crédit ou de marché.

De manière croissante, la norme juridique et l'action des régulateurs ont dû tenir compte de cette interdépendance des marchés et des acteurs , et la récente crise financière a accru l'impératif d'une meilleure coordination et de règles plus harmonisées, notamment aux fins de réduire les facultés d' « arbitrage réglementaire ».

Si l'édification d'une régulation mondiale de la sphère financière est encore embryonnaire si ce n'est illusoire, en dépit des efforts du G 20, l'encadrement juridique des services financiers a considérablement progressé au niveau européen ces dix dernières années, en particulier avec le Plan d'action pour les services financiers de 1999-2005, qui a vu l'adoption d'une quarantaine de règlements et directives.

Cette consolidation européenne s'inscrit dans une logique de « bloc régional » plus intégré, et n'élude donc pas un objectif de meilleure compétitivité à l'égard des Etats-Unis. Elle s'est cependant accompagnée d'une intensification du dialogue transatlantique et de la conclusion d'accords bilatéraux entre les régulateurs américains, en particulier la SEC ( Securities and Exchange Commission ), et la Commission européenne ou les autorités des Etats membres.

B. UNE DIMENSION INTERNATIONALE PLUS EXPLICITE DANS LES MISSIONS DE L'ACP QUE DE L'AMF

Les autorités françaises de régulation, l'Autorité de contrôle prudentiel (ACP) et l'Autorité des marchés financiers (AMF), participent aux travaux internationaux d'une part, au sein des forums de régulateurs 59 ( * ) , et européens d'autre part, dans le cadre des trois comités de niveau 3 60 ( * ) , auxquels succèderont des autorités sectorielles de supervision. Les dimensions internationale et européenne, que ces autorités appréhendent quotidiennement dans leur action, sont toutefois différemment prises en compte dans leurs missions légales .

S'agissant de l'ACP, le III de l'article L. 612-1 du code monétaire et financier, introduit par l'ordonnance que l'article 5 A du présent projet de loi propose de ratifier, dispose ainsi que dans l'accomplissement de ses missions, l'ACP « prend en compte les objectifs de stabilité financière dans l'ensemble de l'Espace économique européen et de mise en oeuvre convergente des dispositions nationales et communautaires en tenant compte des bonnes pratiques et recommandations issues des dispositifs de supervision communautaires. Elle coopère avec les autorités compétentes des autres Etats. En particulier, au sein de l'Espace économique européen, elle apporte son concours aux structures de supervision des groupes transfrontaliers ».

Le cadre légal des missions de l'AMF est plus allusif quant à leur dimension internationale puisque l'article L. 621-1 du même code, outre les missions de service public de l'AMF 61 ( * ) , prévoit que celle-ci « apporte son concours à la régulation [des] marchés [d'instruments financiers] aux échelons européen et international ».

II. LE DISPOSITIF INTRODUIT PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Le présent article, introduit par l'Assemblée nationale à l'initiative de notre collègue député Jérôme Chartier, rapporteur, complète l'article L. 621-1 du code monétaire et financier, précité et relatif aux missions de l'AMF, pour aligner la définition des missions européennes de l'AMF sur celle de l'ACP , afin de souligner leur caractère stratégique et leur nécessaire coordination avec les autres régulateurs.

Il insère un nouvel alinéa qui précise que « dans l'accomplissement de ses missions, l'Autorité des marchés financiers prend en compte les objectifs de stabilité financière dans l'ensemble de l'Union européenne et de l'Espace économique européen et de mise en oeuvre convergente des dispositions nationales et de l'Union européenne en tenant compte des bonnes pratiques et recommandations issues des dispositifs de supervision de l'Union européenne. Elle coopère avec les autorités compétentes des autres Etats. »

Il complète également l'avant-dernier alinéa de l'article L. 621-19 du même code, relatif au rapport annuel de l'AMF remis au Président de la République et au Parlement, pour préciser que ce rapport « présente, en particulier, les évolutions du cadre réglementaire de l'Union européenne applicable aux marchés financiers et dresse le bilan de la coopération avec les autorités de régulation de l'Union européenne et des autres Etats membres ».

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

Ces dispositions confortent la prise en compte des objectifs de convergence et de stabilité financière européennes par la régulation nationale et sont d'ailleurs conformes au souhait qu'avait exprimé le Gouvernement lors de la présidence française de l'Union européenne, au second semestre de 2008.

Dans les faits, cette dimension est déjà très largement prise en compte par l'AMF , qui se concerte régulièrement avec ses homologues étrangers. Elle apparaît aussi bien dans son organigramme, notamment avec la direction de la régulation et des affaires internationales, que dans ses décisions, son rapport annuel (qui consacre d'importants développements à la législation communautaire et à la coopération internationale) ou dans les interventions de son président, M. Jean-Pierre Jouyet.

Il convient de relever que contrairement aux dispositions légales habituelles, il est désormais juridiquement possible de se référer à l'Union européenne ( UE) plutôt qu'à la Communauté européenne. Le Traité de Lisbonne lui a en effet conféré la personnalité juridique - qui tendait en réalité à être de facto admise dès lors que l'UE avait conclu des accords avec des Etats tiers - par l'article 47 du Traité sur le fonctionnement de l'UE, et la Communauté européenne a été « absorbée » par l'UE.

Décision de la commission : votre commission a adopté cet article sans modification.


* 49 Soit les banques BNP Paribas, CIC, Crédit agricole, Dexia, HSBC Holdings, Natixis et Société générale ; les compagnies d'assurance Allianz, April Group, Axa et CNP Assurances ; les compagnies de réassurance Euler Hermès, Paris Re et Scor ; et l'entreprise de marché Euronext.

* 50 Cette disposition ne s'applique donc pas aux marchés non réglementés que sont les nouvelles plates-formes électroniques de négociation (« multilateral trading facilities » - MTF) dont la directive sur les marchés d'instruments financiers a facilité l'essor depuis fin 2007.

* 51 En France, les valeurs du secteur financier ont ainsi baissé de 56 % entre fin septembre 2008 et début mars 2009 malgré l'interdiction des ventes à découvert.

* 52 Par une attestation au cas par cas de teneur de compte-conservateur du vendeur ou un engagement général du premier d'honorer les livraisons de son client à bonne date.

* 53 Article L. 621-13 du code monétaire et financier.

* 54 Soit, aux termes de l'article L. 621-14 du code monétaire et financier, les abus de marché (opérations d'initiés, manipulations de cours et diffusions de fausses informations) et tout manquement « de nature à porter atteinte à la protection des investisseurs ou au bon fonctionnement du marché ».

* 55 Cette proposition était ainsi formulée : « doter l'AMF, en cas de menace imminente pour la stabilité et l'intégrité des marchés, du pouvoir de suspendre ou interdire pour une durée illimitée tout pratique de marché litigieuse ».

* 56 « 57 propositions pour un nouvel ordre financier mondial », rapport d'information n° 59 (2009-2010) du 21 octobre 2009.

* 57 La directive sur les marchés d'instruments financiers du 21 avril 2004, entrée en vigueur le 1 er novembre 2007, a consacré la concurrence des lieux d'exécution des ordres. Une valeur cotée sur le marché réglementé Euronext peut donc être désormais négociée à un prix différent sur des plates-formes alternatives de négociation. Ces dernières, en particulier Chi-X et Bats, ont de fait gagné d'importantes parts de marché en deux ans.

* 58 Il s'agit de l'Allemagne, de l'Autriche, de la Belgique, de l'Espagne, de la Grèce, du Luxembourg, de la Lituanie et du Portugal.

* 59 Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV) et Comité de Bâle sur le contrôle bancaire.

* 60 Comité européen des régulateurs de valeurs mobilières (CERVM, CESR en anglais), Comité européen des contrôleurs bancaires (CECB, CEBS en anglais) et Comité européen des contrôleurs d'assurance et de pensions professionnelles (CECAPP, CEIOPS en anglais).

* 61 Elle « veille à la protection de l'épargne investie dans les instruments financiers donnant lieu à une offre au public ou à une admission aux négociations sur un marché réglementé et dans tous autres placements offerts au public », ainsi qu' « à l'information des investisseurs et au bon fonctionnement des marchés d'instruments financiers » et « à ce que les entreprises soumises à son contrôle mettent en oeuvre les moyens adaptés pour se conformer aux codes de conduite homologués ».

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