ARTICLE 5 DA (nouveau)
(Art. L. 612-38 du code monétaire et financier)

Instauration d'un rapporteur au sein de la commission des sanctions de l'Autorité de contrôle prudentiel

Commentaire : le présent article, adopté à l'initiative de votre rapporteur, prévoit l'instauration d'un rapporteur au sein de la commission des sanctions de l'Autorité de contrôle prudentiel sur le modèle de la procédure suivie à l'Autorité des marchés financiers.

I. LE DROIT EXISTANT

A. LA PROCÉDURE DE SANCTION SUIVIE DEVANT L'AUTORITÉ DE CONTRÔLE PRUDENTIEL EST PLUS CONFORME AUX PRESCRIPTIONS DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME

1. Une procédure récemment réformée...

La création de l'Autorité de contrôle prudentiel (ACP) fut l'occasion de revoir en profondeur le droit applicable à la procédure de sanction mise en oeuvre par cette institution. En effet, par un arrêt en date du 11 juin 2009, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) avait jugé que la procédure de sanction suivie devant la Commission bancaire pouvait « nourrir des doutes objectivement fondés quant à l'indépendance et l'impartialité de la Commission du fait de l'absence de distinction claire entre ses différentes fonctions » 127 ( * ) . Il lui était reproché une trop grande confusion entre ses fonctions de contrôle, de poursuite, d'instruction et de sanction dans l'exercice de son pouvoir juridictionnel.

L'ordonnance n° 2010-76 du 21 janvier 2010 portant fusion des autorités d'agrément et de contrôle de la banque et de l'assurance prend acte de l'arrêt précité et, concomitamment à l'installation de l'ACP, réforme la procédure de sanction.

Désormais, le collège plénier délibère sur les « priorités de contrôle » (article L. 612-12 du code monétaire et financier), mais l'organisation des contrôles sur pièces et sur place relève de la compétence du secrétaire général de l'ACP (article L. 612-23). Le collège ne se prononce pas sur les contrôles qui seront individuellement menés. Il ne porte donc pas a priori un jugement sur la nécessité de contrôler telle ou telle entité.

Aux termes de l'article L. 612-27 du même code, un contrôle se conclut par la rédaction d'un rapport dont le projet est transmis à la personne contrôlée. Celle-ci peut faire état de ses observations qui sont intégrées dans le rapport définitif. Au vu du rapport, une des formations du collège de l'Autorité peut décider d'ouvrir une procédure de sanction .

Elle notifie alors les griefs aux personnes concernées qu'elle transmet également à la commission des sanctions 128 ( * ) . Une procédure contradictoire est alors ouverte dans les conditions définies par l'article L. 612-38 et les textes réglementaires. Dans un délai qui ne peut être inférieur à quinze jours (article R. 612-35 du code monétaire et financier) à compter de la réception de la lettre, la personne mise en cause adresse ses observations écrites sur les griefs qui lui ont été notifiés .

La personne mise en cause est ensuite convoquée devant la commission des sanctions dans un délai qui ne peut être inférieur à vingt jours ouvrés à compter de l'envoi de la notification des griefs.

L'audience publique 129 ( * ) devant la commission des sanctions permet de confronter la personne mise en cause et un membre du collège qui a demandé l'ouverture de la procédure de sanction. « Le membre du collège désigné par la formation qui a décidé de l'ouverture de la procédure est convoqué à l'audience. Il y assiste sans voix délibérative. Il peut être assisté ou représenté par les services de l'Autorité. Il peut présenter des observations au soutien des griefs notifiés et proposer une sanction » (article L. 612-38 précité). Il n'assiste pas au délibéré .

La personne mise en cause peut se faire assister d'un conseil et elle (ou son conseil) doit toujours pouvoir s'exprimer en dernier (article R. 612-48 du code monétaire et financier).

La commission des sanctions dispose des services de l'Autorité « pour la conduite de la procédure », qui assurent « les fonctions de greffe et de mise en état des dossiers » (article R. 612-35 du code monétaire et financier). Il existe ainsi une stricte séparation organique avec les services chargés des missions de contrôle.

2. ... en vue de se conformer aux prescriptions de la CEDH

La nouvelle organisation de l'ACP répond très largement aux reproches que lui a adressés la CEDH . La condamnation de la France n'était en effet pas réellement surprenante car la doctrine avait, à plusieurs reprises, émis des critiques à l'encontre de la procédure suivie devant la Commission bancaire. Il convient de rappeler que, au regard de la CEDH, les sanctions qu'elle prononce sont assimilées à des peines pénales 130 ( * ) et la procédure doit, à ce titre, présenter des garanties de nature juridictionnelle .

A l'ACP, il existe désormais deux organes distincts : le collège qui introduit la procédure et la commission des sanctions qui juge, alors que la Commission bancaire ne connaissait pas ce dédoublement. La commission des sanctions ne peut pas s'auto-saisir. Les principes fondamentaux de la procédure pénale sont respectés : contradictoire, légalité, proportionnalité et personnalité des peines.

Les membres de la commission des sanctions obéissent, tout comme à l'Autorité des marchés financiers (AMF), à un régime très strict en matière de récusation , notamment en cas de conflits d'intérêts.

B. DES DIFFÉRENCES NOTABLES AVEC LA PROCÉDURE SUIVIE DEVANT L'AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS

1. Une procédure rapide...

La comparaison des règles applicables devant l'ACP et l'AMF révèle cependant des différences notables de procédure. Le droit applicable à l'AMF apparaît substantiellement plus étoffé.

La procédure mise en oeuvre à l'ACP obéit tout d'abord à un rythme beaucoup plus rapide . Par exemple, le délai de transmission d'observations écrites en réponse à la notification des griefs est de deux mois à l'AMF contre 15 jours francs à l'ACP (à compter de la réception de la notification). Néanmoins, le règlement intérieur de la commission des sanctions de l'ACP tempère quelque peu les prescriptions réglementaires en matière de délais.

Pour autant, cette célérité ne trouve pas de justification particulière . En matière de police administrative, l'Autorité dispose de pouvoirs d'urgence lorsque les circonstances l'exigent , qui lui permettent d'imposer les mesures conservatoires nécessaires, y compris par la nomination d'un administrateur provisoire (article L. 612-35 du code monétaire et financier).

2. ... qui peut nuire à la correcte information des membres de la formation de jugement

La nécessaire rapidité de la justice ne doit pas porter atteinte à la qualité des jugements. A ce titre, il apparaît regrettable que la procédure, certes contradictoire, ne soit pas formellement précédée d'une phase d'instruction comme à l'AMF . Le temps d'examen des dossiers s'en trouve rallongé mais l'information dont dispose la formation de jugement est substantiellement améliorée. L'article L. 621-15 du code monétaire et financier prévoit ainsi que la commission des sanctions de l'AMF « désigne un rapporteur parmi ses membres ».

Le rôle du rapporteur s'apparente, dans l'esprit, à celui d'un juge d'instruction . Il « procède à toutes diligences utiles . Il peut s'adjoindre le concours des services de [l'AMF]. La personne mise en cause peut être entendue à sa demande ou si le rapporteur l'estime utile . Le rapporteur peut également entendre toute personne dont l'audition lui paraît utile » 131 ( * ) .

Il peut saisir le collège de l'AMF d'une demande afin de compléter les griefs ou de les étendre à d'autres personnes que celles mises en cause .

Il établit un rapport écrit auquel la personne mise en cause peut répondre. A l'issue de cette phase d'instruction, le président de la commission des sanctions convoque les parties à l'audience. Outre la présentation de son rapport, le rapporteur joue un rôle essentiel puisque si la formation de jugement « s'estime insuffisamment éclairée, elle demande au rapporteur de poursuivre ses diligences ».

L'absence de rapporteur à l'ACP constitue, au regard d'une bonne administration de la justice, une faiblesse de la nouvelle procédure car le rapporteur est un membre indépendant et impartial qui se situe à équidistance de la formation de jugement - il est exclu du délibéré -, des services de l'Autorité et des personnes mises en cause .

Cette caractéristique est fondamentale car elle lui permet de consulter les services. Il forme véritablement un « écran » entre eux et la formation de jugement . Celle-ci, lorsqu'elle bute sur un point technique, ne peut se retourner vers les services. Elle doit, par conséquent, pouvoir se reposer sur une personnalité indépendante. La technicité des matières abordées rend le rôle du rapporteur absolument essentiel car la commission des sanctions peut alors rendre une décision en toute connaissance de cause .

A cet égard, il serait hautement dommageable que la commission des sanctions de l'ACP soit amenée à rendre des décisions sans être pleinement informée ou pire à nommer, de manière informelle, un rapporteur dont les conditions d'impartialité ne seraient pas assurées (participation au délibéré notamment).

Trois autres différences entre la procédure applicable à l'AMF et celle mise en oeuvre à l'ACP peuvent être relevées.

Tout d'abord, le code monétaire et financier ne prévoit pas explicitement que la commission des sanctions de l'ACP rend des décisions « motivées » .

De façon plus anecdotique ensuite, il n'est pas indiqué que le collège décide de notifier des griefs au vu du rapport de contrôle établi par le secrétariat général de l'ACP.

Enfin, à titre d'exemple, la partie réglementaire du code monétaire et financier ne dispose pas, pour l'ACP, que la notification des griefs se fait par lettre recommandée avec accusé de réception, condition pourtant absolument nécessaire pour décompter les délais de procédure.

II LE DISPOSITIF ADOPTÉ PAR VOTRE COMMISSION DES FINANCES

Votre commission est attachée au principe de la plus grande symétrie entre l'AMF et l'ACP . Elle estime notamment que la présence d'un rapporteur au sein de la commission des sanctions de l'ACP est de nature à renforcer la qualité de ses décisions.

Ce choix n'est pas dicté par la jurisprudence Dubus de la CEDH condamnant la Commission bancaire. L'impartialité et l'indépendance de la formation de jugement , au coeur de l'espèce précitée, ne font plus de doute et la nouvelle structure institutionnelle de l'ACP apparaît, à cet égard, satisfaisante .

En revanche, l'instauration d'un rapporteur relève d'un point de droit différent qui est de savoir si la formation de jugement est correctement et pleinement éclairée lorsqu'elle prend sa décision .

A ce titre, la comparaison des règles de procédure entre l'ACP et l'AMF rend suspecte la précipitation avec laquelle les décisions de l'ACP semblent devoir être rendues .

Le principe du contradictoire est posé par l'article L. 612-38 du code monétaire et financier qui dispose que « la commission des sanctions veille au respect du caractère contradictoire de la procédure ». Mais, au vu des dispositions réglementaires, il semble subordonné à un impératif de temps qui ne se justifie pas et qui peut empêcher de recueillir tous les éléments nécessaires à la manifestation de la vérité. Or le rapporteur permet justement de donner, à ce principe, une consistance, c'est-à-dire une effectivité réelle qui, seule, importe à la CEDH.

De surcroît, à ce jour, la formation de jugement ne dispose d'aucun moyen juridique pour ordonner un supplément d'information : elle doit statuer à l'issue de la séance de jugement quand bien même elle n'a pas pu se forger une conviction sur l'affaire . A l'AMF, au contraire, elle peut ordonner au rapporteur d'effectuer des diligences complémentaires.

Plus encore, les dispositions du règlement intérieur de la commission des sanctions de l'ACP nourrissent un doute raisonnable sur l'existence d'un rapporteur « informel » en son sein . En effet, l'article 3 du règlement intérieur dispose que le « président peut demander à un membre de la commission d'approfondir un ou plusieurs points d'un dossier ». L'article 17 du même règlement prévoit que ce membre est rémunéré pour cette tâche. Il semble donc bien qu'une personne faisant office de rapporteur puisse, de temps à autre, être nommée sans que les conditions de son d'impartialité ne soient assurées, à commencer par son exclusion du délibéré .

Pour remédier à ces inconvénients et éviter une nouvelle condamnation de la France devant la CEDH, votre commission a adopté un article additionnel, qui prévoit que la commission des sanctions nomme parmi ses membres un rapporteur disposant des mêmes pouvoirs que celui de l'AMF et n'assistant pas au délibéré .

Des aménagements réglementaires devront être pris en conséquence, sur le modèle des dispositions applicables à l'AMF, notamment l'article R. 621-39 du code monétaire et financier relatif au rapporteur. Il est probable également que les délais de procédure devront être revus en profondeur.

L'amendement rappelle également que la commission des sanctions rend une décision motivée et que le collège décide de l'ouverture d'une procédure de sanctions au regard du rapport de contrôle établi par le secrétariat général de l'ACP.

Sur proposition du Gouvernement, la commission a adopté un sous-amendement prévoyant que la commission des sanctions est désormais composée de six membres et non de cinq . En effet, l'exclusion du rapporteur lors du délibéré aurait conduit à un nombre pair de membres au sein de la formation de jugement . Ainsi, un conseiller d'Etat sera nommé le vice-président du Conseil d'Etat, qui désignera parmi les deux conseillers d'Etat qu'il nomme celui qui préside la commission des sanctions.

Décision de la commission : votre commission a adopté cet article additionnel.


* 127 CEDH, 11 juin 2009, Société Dubus S.A.

* 128 « Les fonctions de membre de la commission des sanctions sont incompatibles avec celles de membre du collège » (article L. 612-9 du code monétaire et financier).

* 129 Article R. 612-47 : « La personne mise en cause peut demander que l'audience ne soit pas publique » .

* 130 Il peut s'agir de peines pécuniaires importantes ou causant de réels préjudices à l'intéressé (retrait d'agrément, préjudice de réputation, etc.).

* 131 Article R. 621-39 du code monétaire et financier.

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