Rapport n° 40 (2010-2011) de M. Patrice GÉLARD , fait au nom de la commission des lois, déposé le 13 octobre 2010

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N° 40

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011

Enregistré à la Présidence du Sénat le 13 octobre 2010

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi de Mmes Nicole BORVO COHEN SEAT, Éliane ASSASSI, Josiane MATHON-POINAT, M. François AUTAIN, Mme Marie-France BEAUFILS, M. Michel BILLOUT, Mme Annie DAVID, M. Jean Claude DANGLOT, Mmes Michelle DEMESSINE, Évelyne DIDIER, MM. Guy FISCHER, Thierry FOUCAUD, Mmes Brigitte GONTHIER-MAURIN, Gélita HOARAU, M. Robert HUE, Mme Marie Agnès LABARRE, M. Gérard LE CAM, Mme Isabelle PASQUET, MM. Jack RALITE, Ivan RENAR, Mmes Mireille SCHURCH, Odette TERRADE, MM. Bernard VERA et Jean-François VOGUET visant à garantir l 'indépendance du Président de la République et des membres du Gouvernement vis-à-vis du pouvoir économique ,

Par M. Patrice GÉLARD,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Jacques Hyest , président ; M. Nicolas Alfonsi, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Patrice Gélard, Jean-René Lecerf, Jean-Claude Peyronnet, Jean-Pierre Sueur, Mme Catherine Troendle, M. François Zocchetto , vice-présidents ; MM. Laurent Béteille, Christian Cointat, Charles Gautier, Jacques Mahéas , secrétaires ; M. Alain Anziani, Mmes Éliane Assassi, Nicole Bonnefoy, Alima Boumediene-Thiery, MM. Elie Brun, François-Noël Buffet, Gérard Collomb, Pierre-Yves Collombat, Jean-Patrick Courtois, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, M. Yves Détraigne, Mme Anne-Marie Escoffier, MM. Pierre Fauchon, Louis-Constant Fleming, Gaston Flosse, Christophe-André Frassa, Bernard Frimat, René Garrec, Jean-Claude Gaudin, Mmes Jacqueline Gourault, Virginie Klès, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. Jacques Mézard, Jean-Pierre Michel, François Pillet, Hugues Portelli, Bernard Saugey, Simon Sutour, Richard Tuheiava, Alex Türk, Jean-Pierre Vial, Jean-Paul Virapoullé, Richard Yung.

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

603 (2009-2010)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie le mercredi 13 octobre 2010 sous la présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président , la commission des lois a procédé, sur le rapport de M. Patrice Gélard, à l'examen de la proposition de loi n° 603 (2009-2010) visant à garantir l'indépendance du Président de la République et des membres du Gouvernement vis-à-vis du pouvoir économique, présentée par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et plusieurs de ses collègues.

M. Patrice Gélard, rapporteur , a tout d'abord rappelé que la loi sur la transparence financière de la vie politique du 11 mars 1988 avait imposé au Président de la République et aux membres du Gouvernement d'établir, lorsqu'ils débutent et lorsqu'ils cessent d'exercer leurs fonctions, une déclaration de patrimoine, celles-ci permettant de vérifier que leur patrimoine ne présentait pas de variation anormale dans ce laps de temps. Il a également souligné que le financement des campagnes présidentielles avait été très strictement encadré par le législateur.

Constatant que ce sujet faisait l'objet des travaux d'une commission de réflexion installée par le Président de la République en septembre 2010, M. Patrice Gélard, rapporteur , a en outre observé que la proposition de loi, bien qu'elle soulève des questions cruciales sur la prévention des conflits d'intérêts, était irrecevable dans la mesure où les dispositions qu'elle comporte sont, à tout le moins, de valeur organique.

Aussi la commission a-t-elle décidé de ne pas établir de texte et de déposer une motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité à la présente proposition de loi .

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

La volonté de mettre les dirigeants politiques et les responsables publics au-dessus de tout soupçon et de garantir aux citoyens que l'exercice de mandats électoraux ou de fonctions électives ne soit pas, pour ceux qui les détiennent, l'occasion d'un enrichissement personnel, a été une préoccupation constante tout au long de l'histoire de notre pays : dès 1795 1 ( * ) , des obligations de déclaration de patrimoine sont imposées aux élus par la Convention, qui entendait ainsi assurer la confiance des mandés en leurs mandants 2 ( * ) .

Dans le droit fil de cette tradition républicaine, le législateur a institué, avec la loi du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique, des mécanismes visant à isoler le monde politique du monde des affaires : ainsi, les dons de personnes morales pendant les campagnes électorales et aux partis politiques ont été prohibés, tandis que les élus étaient soumis à l'obligation d'établir, au début et à la fin de leur mandat, des déclarations de situation patrimoniale démontrant qu'ils n'avaient pas utilisé leurs fonctions à des fins personnelles.

En vue de compléter ce dispositif, le Sénat est saisi de la proposition de loi n° 603 (2009-2010) visant à garantir l'indépendance du Président de la République et des membres du Gouvernement vis-à-vis du pouvoir économique , présentée par notre collègue Nicole Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe communiste, république et citoyen et des sénateurs du Parti de gauche (CRC-SPG) inscrite en séance publique dans le cadre de l'ordre du jour réservé aux groupes d'opposition et minoritaires en application de l'article 29 bis de notre Règlement.

La législation en vigueur s'est en effet avérée insuffisante pour lutter contre certaines dérives et pour maintenir la pleine confiance des citoyens en l'impartialité de leurs représentants. Comme l'affirmait récemment M. Nicolas Sarkozy, président de la République, « il existe une attente de davantage de transparence à laquelle il convient de répondre [...]. Il ne suffit pas que la République soit irréprochable. Il faut encore qu'elle ne puisse même être suspectée de ne pas l'être » 3 ( * ) .

Reposant sur un constat similaire, le présent texte vise à renforcer la transparence des relations entre la sphère économique et les représentants du pouvoir exécutif, en :

- interdisant aux membres du Gouvernement et au Président de la République, pendant toute la durée de leurs fonctions, de recevoir des dons de la part de personnes morales ;

- les soumettant à un régime de déclaration obligatoire des dons de personnes physiques .

I. LES MEMBRES DU GOUVERNEMENT ET LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE SONT ACTUELLEMENT SOUMIS À DES OBLIGATIONS QUI GARANTISSENT LEUR IMPARTIALITÉ

L'obligation de déclaration de dons que la présente proposition de loi envisage d'instituer viendrait s'ajouter à un corpus juridique qui comprend déjà de nombreuses règles visant à permettre aux citoyens de s'assurer de la probité de ceux qu'ils ont élus -c'est-à-dire à garantir, selon l'expression consacrée, la transparence financière de la vie politique.

Ces règles découlent, pour la plupart d'entre elles, de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique, qui a notamment mis en place des mécanismes de contrôle du patrimoine des élus et des titulaires de fonctions publiques électives et non-électives .

A. L'OBLIGATION DE FOURNIR UNE DÉCLARATION DE PATRIMOINE

1. Les membres du Gouvernement : un régime proche du droit commun en matière de déclarations de patrimoine

Issue des travaux du groupe de travail sur la clarification des rapports entre la politique et l'argent, créé à l'automne 1994 et placé sous la présidence de M. Philippe Séguin, alors président de l'Assemblée nationale, la loi n° 95-126 du 8 février 1995 relative à la déclaration de patrimoine des membres du Gouvernement et des titulaires de certaines fonctions a étendu aux membres du Gouvernement le régime institué en 1988 en matière de déclarations de patrimoine.

L'article 1 er de la loi du 11 mars 1988 oblige ainsi les membres du Gouvernement à établir une déclaration de patrimoine dans un délai de deux mois après leur nomination et dans les deux mois qui suivent la cessation de leurs fonctions 4 ( * ) ; ils doivent, en outre, faire état de « toutes les modifications substantielles de leur patrimoine » au cours de cette période.

Le contrôle des évolutions de la situation patrimoniale est assuré par la Commission pour la transparence financière de la vie politique, instance ad hoc chargée d'apprécier, au vu des déclarations fournies par les ministres, les secrétaires d'État et les autres titulaires de fonctions publiques visés par la loi de 1988 5 ( * ) , le caractère normal ou anormal des variations de patrimoine .

Bien que la Commission ne dispose d' aucun pouvoir de sanction , elle dispose d'outils qui garantissent le bon respect de leurs obligations par les membres du Gouvernement. Tout d'abord, en cas de carence (c'est-à-dire lorsqu'un membre du Gouvernement néglige de lui transmettre une déclaration de patrimoine), il lui incombe de saisir le Premier ministre, qui pourra alors sanctionner l'intéressé. Ensuite, si elle constate une variation anormale de patrimoine entre la prise et la cessation de fonctions 6 ( * ) , ou si elle a des doutes sur la sincérité ou sur l'exhaustivité des déclarations qui lui sont transmises, la Commission est habilitée à transmettre les dossiers au parquet ; cette hypothèse n'a d'ailleurs rien de théorique, puisque la CTFVP a alerté le parquet sur treize cas depuis sa création.

Les informations recueillies par la Commission sont, enfin, soumises à des règles de confidentialité strictes : l'article 4 de la loi du 11 mars 1988 prévoit en effet des sanctions pénales à l'encontre de ceux qui publieraient ou divulgueraient les déclarations des assujettis ou les observations de la CTFVP. Le législateur a donc entendu garantir le respect de la vie privée des membres du Gouvernement et mettre en place une relation partenariale, plutôt que punitive, entre la Commission et les assujettis.

2. Le contrôle de l'évolution du patrimoine du Président de la République : un système de surveillance par le peuple

La loi du 11 mars 1988, non seulement a créé des obligations de déclaration patrimoniale pour le Président de la République, mais l'a soumis à un régime dérogatoire de contrôle direct par le peuple , qui découle de la place particulière que sa fonction occupe dans le système institutionnel de notre pays.

Ainsi, à peine de nullité de leur candidature , tous les candidats à la présidence de la République sont tenus de remettre au Conseil constitutionnel, sous pli scellé, une déclaration de situation patrimoniale et un engagement de déposer une nouvelle déclaration à la fin de leur mandat s'ils sont élus 7 ( * ) . Ces déclarations sont ensuite publiées au Journal officiel ; elles ne sont donc transmises à aucune autorité de contrôle . Comme le souligne Emmanuel-Pie Guiselin, « le peuple a ainsi été érigé seul juge de la variation de la situation patrimoniale du détenteur de la magistrature suprême. Chaque citoyen pourrait, en cas de nouvelle candidature, sanctionner électoralement ce qui lui apparaît comme une variation anormale ou un défaut de sincérité » 8 ( * ) .

B. UN CONTRÔLE ÉTROIT DES COMPTES DE CAMPAGNE LORS DES ÉLECTIONS PRÉSIDENTIELLES

La campagne présidentielle est, elle aussi, étroitement réglementée afin d'éviter les contributions financières suspectes qui pourraient mettre en doute la sincérité du scrutin et la probité des candidats.

La loi du 6 novembre 1962 prévoit ainsi l'applicabilité de la plupart des dispositions de droit commun en matière de financement des campagnes électorales, et notamment :

- de l'article L. 52-4 du code électoral , qui interdit aux candidats de régler directement les dépenses qu'ils exposent en vue de leur élection et leur impose de recourir à un mandataire financier ;

- de l'article L. 52-8 du code , qui prohibe les dons de personnes morales et plafonne les dons des personnes physiques à 4 600 euros. En la matière, le droit des campagnes présidentielles est d'ailleurs plus rigoureux que le droit commun, dans la mesure où l'article 3 de la loi de 1962 interdit aux candidats de recevoir des prêts ou des avances remboursables accordés par des personnes physiques ;

- de l'article L. 52-15 du code , qui permet à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques de saisir le parquet lorsqu'elle constate l'existence d'irrégularités dans le compte de campagne.

Le législateur a donc strictement encadré les contributions perçues par les candidats aux élections présidentielles au cours de la campagne.

II. LE DISPOSITIF DE LA PROPOSITION DE LOI

Les auteurs de la présente proposition de loi relèvent cependant que la législation actuellement en vigueur comporte certaines lacunes et ne suffit pas à prévenir tous les types de dérives et de conflits d'intérêts. Ils soulignent notamment que l'interdiction faite aux personnes morales de participer à la vie politique ne concerne que les périodes de campagne électorale et le financement des partis politiques, et non l'ensemble de la vie politique : les normes actuelles n'interdisent pas aux candidats élus d'accepter des fonds provenant de personnes morales 9 ( * ) .

Afin de renforcer la transparence financière de la vie publique et de permettre aux citoyens d'être « informés [des] liens financiers [des titulaires de fonctions électives et gouvernementales] avec toute personne physique ou morale », les auteurs proposent donc :

- d'interdire aux membres du Gouvernement et aux Président de la République de recevoir des dons de personnes morales. Symétriquement, le texte interdirait également aux personnes morales de proposer ou de procurer de tels dons ;

- de mettre en place une obligation de déclaration pour les dons de personnes physiques, à l'exception des donations familiales : ces dons feraient l'objet d'une déclaration publique annuelle auprès de la CTFVP dès lors que leur montant est supérieur à 4 600 euros.

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES LOIS : UN TEXTE NON PERTINENT EN FAIT COMME EN DROIT

Votre commission a considéré que la présente proposition de loi était, sur la forme, au moins partiellement irrecevable, et qu'elle était, sur le fond, certainement inapplicable.

A. UN MÉCANISME CONTESTABLE SUR LE FOND

Le mécanisme qui serait institué par la proposition de loi serait, sur le fond, inefficace et contestable .

Inefficace en raison de la rédaction du texte, qui souffre de plusieurs imperfections :

- la proposition de loi institue une obligation sans sanction , si bien que même si le Président ou un ministre acceptait un don de la part d'une personne morale, cette attitude n'aurait aucune conséquence concrète. Lors de leur audition par votre rapporteur, MM. Didier Maus et Guy Carcassonne ont d'ailleurs remarqué que ce texte ne créait aucun délit ni aucun crime et que, de ce fait, les membres du Gouvernement qui auraient manqué aux obligations prévues par la proposition de loi ne pourraient pas être renvoyés devant la Cour de justice de la République ;

- la proposition de loi prohibe l'octroi, au Président de la République et aux membres du Gouvernement, d'« avantages en nature » procurés « sous quelque forme que ce soit, de façon directe ou indirecte » par des personnes morales. Cette notion est beaucoup trop large et, si elle faisait l'objet d'une interprétation extensive, elle pourrait interdire au Président de la République et aux membres du Gouvernement de disposer d'appartements ou de voitures de fonction, ou encore d'accepter les cadeaux offerts par des chefs d'État étrangers lors de voyages officiels -ce qui serait pour le moins absurde. De même, il leur serait interdit de se rendre en vacances chez des amis si ceux-ci ont acheté leur maison sous la forme d'une société civile immobilière : les SCI étant des personnes morales, le fait de jouir d'une habitation ainsi constituée tomberait en effet sous le coup de l'interdiction de recevoir des avantages en nature procurés par des personnes morales ;

- le texte offre de larges possibilités de contournement . D'une part, on imagine mal comment une autorité quelle qu'elle soit pourrait s'assurer que les membres du Gouvernement ou le Président de la République n'ont négligé de déclarer aucun don, notamment s'il s'agit de dons en nature ; d'autre part, les personnes morales désireuses de contourner l'interdiction instituée par la proposition de loi n'auraient qu'à adresser leurs dons à la famille des ministres ou du Président pour sortir du champ de la législation ;

- la proposition de loi pose un évident problème pour la protection de la vie privée des membres du Gouvernement et du Président de la République, puisqu'elle les obligerait à déclarer publiquement des cadeaux purement amicaux et sans lien avec leurs fonctions ;

- enfin, le texte sanctionne indistinctement tous les dons perçus par les membres du Gouvernement et le Président de la République, sans poser la question de l'existence d'une éventuelle contrepartie : les dons dénués de lien avec les fonctions en cause seraient donc prohibés. Cette interdiction pure et simple semble disproportionnée par rapport à l'objectif de lutte contre les conflits d'intérêts.

Contestable , ensuite, car le mécanisme de contrôle des dons que le texte propose d'instituer implique de réglementer la vie quotidienne de ceux qui exercent des responsabilités politiques et de mettre tous les aspects de leur vie sous les yeux des citoyens. Comme le soulignaient MM. Guy Carcassonne et Didier Maus, cette « surveillance sans fin » 10 ( * ) est peu conforme à la place du Président de la République dans l'architecture institutionnelle française, qui lui donne un lien direct avec les citoyens : dès lors, son éventuel manque de probité personnelle doit faire l'objet d'une sanction politique (l'échec aux élections), et non de sanctions juridiques.

Le silence de la loi -qui laisse aux représentants du pouvoir exécutif une large liberté- a donc pour contrepartie une totale responsabilité politique qu'il n'est probablement pas opportun de remettre en cause.

Enfin, la présente proposition de loi, bien qu'elle soulève des questions cruciales, semble prématurée . En effet, la question de la régulation des relations entre les responsables politiques et le monde économique est actuellement examinée par une commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique . Instituée par un décret du 10 septembre dernier 11 ( * ) et chargée de faire « toute proposition pour prévenir ou régler les situations de conflit d'intérêts dans lesquelles peuvent se trouver les membres du Gouvernement », celle-ci devrait rendre un rapport au Président de la République avant la fin de l'année en cours : il n'a pas paru souhaitable à votre commission qu'un texte soit adopté avant de connaître les conclusions de la commission.

B. LA QUESTION DE LA RECEVABILITÉ DE LA PROPOSITION DE LOI

La proposition de loi est, en outre, irrecevable.

1. Les dispositions relatives au Président de la République : des règles de nature organique, voire constitutionnelle

Le présent texte entend fixer le régime applicable au Président de la République par le biais d'une loi ordinaire (article 1 er de la proposition de loi).

Or, cette solution est manifestation inadaptée à des dispositions relatives au Président de la République . La décision constitutionnelle sur la loi du 11 mars 1988 12 ( * ) précise en effet que les dispositions relatives à l'élection du Président de la République (dont font partie les éventuelles déclarations patrimoniales que le législateur lui impose) relèvent, par nature, du domaine d'intervention de la loi organique ; par analogie, les dispositions relatives au candidat élu devraient relever, à tout le moins, d'une loi organique.

De même, les professeurs de droit entendus par votre rapporteur, à savoir MM. Guy Carcassonne, professeur de droit public à l'université de Nanterre, Didier Maus, ancien conseiller d'État et professeur à l'université de Paris-I, et Jean-Claude Colliard, président de l'université de Paris-I, ont fait observer qu'en l'état actuel du droit, aucune disposition législative ordinaire ne régissait le statut du Président de la République.

Plus généralement, ces trois juristes ont souligné que si le législateur (même organique) fixait des obligations concrètes à la charge des Présidents de la République élus, ce choix pourrait être interprété comme contraire au principe de séparation des pouvoirs et donc tomber sous le coup de la censure du Conseil constitutionnel 13 ( * ) .

En outre, MM. Guy Carcassonne et Didier Maus ont fait valoir que les dispositions contenues dans la présente proposition de loi pourraient relever de la loi organique d'application de l'article 68 de la Constitution . Néanmoins, dans le même temps, ils ont noté que les auteurs n'entendaient pas sanctionner le manquement aux obligations qu'ils voulaient mettre en place par une destitution pure et simple du Président de la République et que, en conséquence, l'article 68 n'était probablement pas un cadre adapté. Dès lors, ils ont estimé possible que le bon véhicule soit une loi constitutionnelle .

En tout état de cause, un accord s'est dégagé sur le fait que les dispositions relatives au Président de la République ne relevaient pas de la loi ordinaire : l'article 1 er de la présente proposition de loi est donc irrecevable .

En ce qui concerne l'application des dispositions constitutionnelles relatives à la destitution du chef de l'État, votre rapporteur saisit cette nouvelle occasion pour rappeler que lors des discussions sur la proposition de loi organique n° 69 (2009-2010) présentée par MM. Robert Badinter et François Patriat et les membres du groupe socialiste, débattue en séance publique le 14 janvier dernier, le Gouvernement s'était engagé à déposer un projet de loi organique portant application de l'article 68 de la Constitution au cours du premier semestre 2010. Force est de constater que cet engagement n'a pas été tenu. Votre commission déplore cet état de faits et rappelle qu'elle s'était engagée, par la voix de son président Jean-Jacques Hyest, à reprendre et à examiner le texte de MM. Badinter et Patriat si un projet de loi organique n'était pas déposé dans des « délais raisonnables » 14 ( * ) .

2. Des doutes sur la nature des dispositions relatives aux membres du Gouvernement

Les dispositions relatives aux membres du Gouvernement (article 2 du présent texte) posent également un problème de recevabilité.

Le Conseil constitutionnel a en effet accepté, dans sa décision sur la loi du 8 février 1995, que des obligations de déclaration patrimoniale soient imposées aux membres du Gouvernement par le biais d'une loi ordinaire 15 ( * ) .

Néanmoins, les juristes entendus par votre rapporteur ont estimé que les dispositions de l'article 2 de la proposition de loi devaient faire l'objet d'une loi organique (potentiellement sur le fondement de l'article 23 de la Constitution, qui concerne les incompatibilités applicables aux membres du Gouvernement), voire d'une loi constitutionnelle.

Votre rapporteur souscrit à cette opinion et estime donc que l'article 2 est, lui aussi, irrecevable .

*

* *

Votre commission a décidé de ne pas établir de texte et de déposer une motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité .

EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 13 OCTOBRE 2010

_______

La commission procède à l'examen du rapport de M. Patrice Gélard sur la proposition de loi n° 603 (2009-2010), présentée par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et plusieurs de ses collègues, visant à garantir l'indépendance du Président de la République et des membres du Gouvernement vis-à-vis du pouvoir économique.

Examen du rapport

M. Patrice Gélard , rapporteur. - Cette proposition de loi pose un véritable problème tout en soulevant des questions non négligeables. Rappelons, pour commencer, que la loi du 11 mars 1988 soumet déjà le Président de la République et les membres du Gouvernement à des obligations de déclaration de patrimoine. Ensuite, aux termes de l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962, les dépenses de campagne d'un candidat à l'élection présidentielle font l'objet d'un contrôle étroit : obligation de recourir à un mandataire financier, prohibition des dons des personnes morales, limitation des dons des personnes physiques à 4 600 euros et, enfin, saisine du parquet en cas d'irrégularité constatée.

Le texte est intéressant en ce qu'il vise à combler une lacune : l'octroi de cadeaux et de différents avantages en nature offerts au Président de la République et aux membres du Gouvernement. Pour autant, il comporte des imperfections car, en premier lieu, il décline des obligations sans prévoir de sanctions. Ensuite, la notion d'avantage en nature est floue : faut-il y inclure le fait de vivre à l'Élysée ? De disposer d'une voiture de fonctions ? D'organiser des réunions au Fort de Brégançon ? Quant aux dons, l'interdiction de recevoir des dons de personnes morales empêchera-t-elle, par exemple, le Président de la République de séjourner chez des amis dont la résidence est la propriété en société civile immobilière... Ensuite, ce texte ouvre de très larges possibilités de contournement : les auteurs n'ont pas prévu le cas où le don ou l'avantage est offert à un membre de la famille du Président de la République... Mais le principal n'est pas là. Le texte, parce qu'il vise tous les dons perçus et, donc, suppose une investigation poussée sur la manière d'être, constitue une atteinte à la vie privée du Président de la République et des membres du Gouvernement.

Surtout, ce texte est irrecevable : comme l'ont indiqué les professeurs de droit que j'ai entendus, les dispositions qu'il contient relèvent, à tout le moins, d'une loi organique, voire d'une loi constitutionnelle. J'invite donc la commission à voter l'exception d'irrecevabilité, quel que soit l'intérêt des problèmes soulevés.

Exception d'irrecevabilité

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat . - La proposition de loi est effectivement intéressante. Elle témoigne de notre vigilance à l'égard d'un phénomène nouveau : les cadeaux et dons en nature à l'exécutif. La législation existante se préoccupe du patrimoine des candidats, mais quid de l'octroi de vacances gratuites à des personnes élues ou en fonctions ? Dans ce texte, nous parlons bien de cadeaux et d'avantages octroyés par des entreprises privées à des élus ou à des membres du Gouvernement, non d'éléments liés à la fonction payés par l'État tels que l'appartement ou la voiture de fonction. Enfin, l'argument de l'atteinte à la vie privée ! Les bras m'en tombent : le Président de la République et les membres du Gouvernement doivent avoir une vie exemplaire dans leur relation avec le monde de l'argent.

M. Patrice Gélard , rapporteur. - Ce n'est pas moi qui avance cet argument mais les professeurs de droit !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat . - Pourquoi ne pas avoir proposé de transformer cette proposition de loi en un texte constitutionnel ou organique ? Quand nous avons justement pris soin d'insérer les dispositions que nous proposons dans les lois existantes - la loi relative à l'élection du Président de la République et celle relative à la transparence financière de la vie politique -, l'irrecevabilité n'est pas prouvée. En tous les cas, vous serez contraints d'adopter des règles plus strictes, car la population en a assez !

M. Patrice Gélard , rapporteur. - Vous soulevez un problème d'éthique, non de droit !

M. Pierre-Yves Collombat . - Depuis des siècles, nous nous sommes évertués à distinguer ce qui appartient à l'État de la cassette royale qui appartient au roi. Or, depuis des temps très récents, la confusion semble à nouveau régner... Imaginez-vous le général de Gaulle se promener sur le pont d'un yacht privé le lendemain de son élection à la présidence ou se préoccuper du tout-à-l'égout de sa belle-mère ? (Marques d'exaspération à droite) Quand la mise en scène de la vie privée est devenue un mode de gouvernement, évitez de nous opposer la protection de l'intimité ! Nous soutiendrons cette proposition de loi bienvenue. Pourquoi ne pas la renvoyer en commission, comme le texte précédent, afin de trouver une meilleure solution juridique ? Rien ne remplace la morale personnelle, mais la loi doit encourager à la vertu dans un système politique de plus en plus sinon monarchique, du moins consulaire qui concentre les pouvoirs dans les mains d'une seule personne.

M. Jean-Jacques Hyest , président. - Ne confondons pas tout ! Le fait de confondre cassette publique et privée est puni par le code pénal : cela s'appelle une prise illégale d'intérêt. Quant à l'étalage de la vie privée, puissions-nous ne pas atteindre le niveau des Anglo-saxons !

La motion n° COM-1 tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité est adoptée.

Motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité

Auteur

N

Objet

Sort de la motion

M. Gélard, rapporteur

1

Adoptée

ANNEXE - LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

_______

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, présidente du groupe CRC-SPG , auteure de la proposition de loi

Ministère de l'intérieur

M. Xavier Péneau, directeur adjoint de la modernisation et de l'action territoriale

M.  Frédéric Potier , chef du bureau des élections

Professeurs de droit

M. Guy Carcassonne , professeur de droit à l'université Paris X Nanterre

M. Jean-Claude Colliard , professeur de droit public, président de l'université Paris I

M. Didier Maus , professeur à l'univesité Paul Cézanne Aix-Marseille III


* 1 Décret du 4 vendémiaire an IV.

* 2 Cette préoccupation est également présente dans la plupart des démocraties occidentales : les déclarations patrimoniales se sont largement développées au cours des années 1970 et 1980, par exemple aux États-Unis (une loi fédérale est prise en ce sens en 1978) et en Italie (1982).

* 3 Lettre de mission adressée à M. Jean-Marc Sauvé, président de la Commission de réflexion sur la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique, septembre 2010.

* 4 Une dispense est toutefois prévue lorsqu'une déclaration a été déjà été déposée et examinée par la Commission dans un délai inférieur à six mois (article 1 er de la loi de 1988, dernier alinéa).

* 5 Sont notamment soumis à des obligations de déclaration patrimoniale : les députés et les sénateurs (article L.O. 135-1 du code électoral) ; les députés européens ; les présidents de conseil régional, de l'assemblée de Corse, de conseil général, d'une assemblée territoriale d'outre-mer, les présidents d'un groupement de communes dont la population est supérieure à 30 000 habitants et les maires des communes de plus de 30 000 habitants ; les dirigeants des établissements publics industriels et commerciaux, des OPAC, des OPHLM...

* 6 Le caractère « anormal » de la variation est apprécié souverainement par la Commission, qui qualifie comme telles toutes les évolutions inexpliquées de patrimoine.

* 7 Paragraphe I de l'article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel.

* 8 « Patrimoine des personnalités politiques et transparence », Petites Affiches, 13 mars 2001, n° 51, p. 4

* 9 Les dons de personnes physiques ou morales ne sont en effet prohibés que s'ils sont constitutifs d'un délit réprimé par le code pénal (corruption passive, notamment).

* 10 Cette expression a été employée par M. Maus lors de son audition par votre rapporteur.

* 11 Décret n° 2010-1072.

* 12 Décision n° 88-242 DC du 10 mars 1988, considérant 5.

* 13 A cet égard, votre rapporteur souligne que la loi précitée du 6 novembre 1962 impose des obligations aux seuls candidats à la présidence de la République et qu'elle n'oblige pas directement le Président élu à déposer une déclaration patrimoniale à la fin de son mandat (elle impose seulement à tous les candidats de s'engager à déposer une telle déclaration s'ils sont élus, mais ne prévoit aucune sanction au cas où cet engagement ne serait pas respecté).

* 14 Voir l'intervention du président Jean-Jacques Hyest en séance publique. http://www.senat.fr/seances/s201001/s20100114/s20100114001.html

* 15 Décision n° 95-362 DC du 2 février 1995.

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