N° 50

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011

Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 octobre 2010

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur la proposition de loi relative au prix du livre numérique ,

Par Mme Colette MÉLOT,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jacques Legendre , président ; MM. Ambroise Dupont, Serge Lagauche, David Assouline, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Ivan Renar, Mme Colette Mélot, MM. Jean-Pierre Plancade, Jean-Claude Carle , vice-présidents ; M. Pierre Martin, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Christian Demuynck, Yannick Bodin, Mme Béatrice Descamps , secrétaires ; MM. Jean-Paul Amoudry, Claude Bérit-Débat, Mme Maryvonne Blondin, M. Pierre Bordier, Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Bruguière, Françoise Cartron, MM. Jean-Pierre Chauveau, Yves Dauge, Claude Domeizel, Alain Dufaut, Mme Catherine Dumas, MM. Jean-Léonce Dupont, Louis Duvernois, Jean-Claude Etienne, Mme Françoise Férat, MM. Jean-Luc Fichet, Bernard Fournier, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, MM. Jean-François Humbert, Soibahadine Ibrahim Ramadani, Mlle Sophie Joissains, Mme Marie-Agnès Labarre, M. Philippe Labeyrie, Mmes Françoise Laborde, Françoise Laurent-Perrigot, M. Jean-Pierre Leleux, Mme Claudine Lepage, M. Alain Le Vern, Mme Christiane Longère, M. Jean-Jacques Lozach, Mme Lucienne Malovry, MM. Jean Louis Masson, Philippe Nachbar, Mme Monique Papon, MM. Daniel Percheron, Jean-Jacques Pignard, Roland Povinelli, Jack Ralite, Philippe Richert, René-Pierre Signé, Jean-François Voguet.

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

695 (2009-2010) et 51 (2010-2011)

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est conduit à examiner, en première lecture, une proposition de loi déposée par notre collègue Catherine Dumas et par le président de notre commission, M. Jacques Legendre, relative au prix du livre numérique. Compte tenu de l'importance et de l'urgence de cette question, votre commission a souhaité que le texte soit rapidement inscrit à l'ordre du jour de notre Haute assemblée.

Avec l'émergence du livre numérique, le monde du livre connaît sa plus importante révolution technologique depuis Gutenberg.

Cette situation a suscité de multiples réflexions depuis plus de deux ans, à commencer par le rapport de M. Bruno Patino de juin 2008, qui anticipait le développement de ce nouveau bien culturel et les conséquences de cette évolution.

Lui ont succédé, le rapport de notre collègue député Hervé Gaymard, le rapport de MM. Zelnik, Toubon et Cerutti, le rapport de M. Marc Tessier, celui de Mme Christine Albanel, sans oublier les rapports parlementaires, notamment celui de notre collègue Yann Gaillard.

Le rapport Patino traçait déjà très bien les contours de la problématique qui conduit aujourd'hui le législateur à se saisir de la question du prix du livre numérique : « L'entrée dans l'ère numérique semble se produire plus tardivement pour le livre que pour d'autres industries culturelles. Pourtant, plusieurs secteurs de l'édition comme les livres professionnels, pratiques ou de référence, sont déjà largement dématérialisés. Cette évolution n'a, pour l'instant, remis en cause ni le modèle commercial, ni la relation avec les auteurs, ni les usages des lecteurs. Mais qu'en serait-il si une accélération, voire un basculement dans le numérique se produisait ? Une telle hypothèse, si elle ne peut être prédite avec certitude, mérite que les acteurs du secteur s'y préparent, compte tenu de ses possibles effets sur une économie du livre aux équilibres précaires.

Une vigilance particulière doit notamment être portée à la concurrence nouvelle qui pourrait s'exercer entre les détenteurs de droits (auteurs et éditeurs), dont la rémunération de la création doit être préservée et valorisée, et les détenteurs d'accès et de réseaux, qui n'ont pas nécessairement intérêt à la valorisation des droits de propriété intellectuelle.

Deux données sont donc à préserver : la propriété intellectuelle doit demeurer la clé de voûte de l'édition, et les éditeurs doivent conserver un rôle central dans la détermination des prix.

C'est bien dans ce contexte que s'inscrit la présente proposition de loi. À ces objectifs, s'ajoute celui concomitant du maintien du maillage culturel de notre territoire, auquel contribuent la diversité de l'édition française et la multiplicité des librairies.

Certes, l'Autorité de la concurrence a estimé, dans son avis du 18 décembre 2009, qu'une période d'observation d'un an ou deux pourrait être respectée, « durant laquelle aucun dispositif spécifique ne serait défini pour le livre numérique et dans laquelle les différents modèles pourraient cohabiter (fixation des prix par le détaillant ou par l'éditeur, système technique ouvert ou fermé). »

Il est vrai que la maturation du marché du livre numérique s'avère plus lente que dans d'autres industries culturelles, puisqu'elle apparaît à la fois plus tardive et moins brutale, les évolutions technologiques n'ayant pas, pour l'instant, bouleversé les usages.

Dans ces conditions, le marché du livre numérique est encore embryonnaire, surtout en Europe. Mais l'observation du marché américain fait apparaître, et c'est logique, que la multiplication des tablettes de lecture entraîne une évolution des offres et des usages.

Or, l'expérience montre que le législateur est souvent « à la traîne » des évolutions technologiques et peine à les anticiper. Et lorsqu'il décide de légiférer, les données du marché et les usages sont parfois déjà tellement installés, que son souhait de régulation intervient bien tardivement.

Aussi, forte de l'expérience parfois douloureuse d'autres secteurs culturels, votre commission souhaite, avec la présente proposition de loi, accompagner les mutations en cours du marché du livre numérique, non pour les freiner mais pour les réguler. En créant ainsi un cadre législatif sécurisant pour les acteurs de la filière - qui permet aux éditeurs de conserver la maîtrise de la fixation du prix de vente du livre au public tout en l'adaptant à la diversité des offres et des usages -, il s'agit d'inciter les professionnels , notamment les éditeurs et les libraires, à s'adapter aux évolutions et à développer des offres spécifiques au commerce du livre numérique.

En effet, concomitamment à la loi, votre commission incite fortement les professionnels à développer une offre légale attractive et accessible, dans le respect des droits des auteurs . Ils s'y emploient d'ailleurs activement et, pour votre commission, il s'agit là d'une priorité absolue. La proposition de loi leur donne l'opportunité, dans un contexte de nécessaire solidarité interprofessionnelle, d'occuper toute leur place sur ce nouveau marché. Il s'agit aussi de répondre dès que possible et dans les meilleures conditions aux nouvelles attentes des lecteurs.

Dans cet esprit, la proposition de loi a vocation à s'appliquer au livre numérique dit « homothétique », c'est-à-dire aux « oeuvres de l'esprit » répondant à un principe de réversibilité, à savoir celles soit déjà imprimées soit imprimables sans perte significative d'information. En effet, le présent texte n'a pas vocation à réguler des biens d'une autre nature, telles que des oeuvres multimédia par exemple. Les nouvelles technologies ouvrent le champ des possibles et il est évident qu'elles favoriseront une création foisonnante de biens très hybrides. Mais on sortirait alors du champ d'application souhaité, au moins à ce stade, les spécificités de la législation française dans le domaine du livre étant liées aux caractéristiques même de ce bien culturel et de son environnement.

Si elle s'inspire des grands principes de la loi n° 81-766 du 10 août 1981 relative au prix du livre , dont une évaluation très positive a été faite en 2009 par notre collègue député Hervé Gaymard dans son rapport précité, cette proposition de loi ne pouvait pas en être une simple transposition, plusieurs dispositions n'étant pas adaptées à l'univers numérique.

Précisons que ce texte s'inscrit dans le respect du droit communautaire notamment, pour le commerce électronique, la directive n° 2006/123/CE sur les services dans le marché intérieur (dite « directive services ») et la directive n° 2000/31/CE relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (dite « directive sur le commerce électronique »). En vertu de ces principes, le texte limite son application aux seuls opérateurs établis sur le territoire français, les relations entre éditeurs et opérateurs hors de nos frontières étant laissées au contrat dit d'agence.

Votre rapporteur a proposé à votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication, qui l'a suivi, des modifications de nature à lever certaines ambigüités du texte, à répondre au mieux à ses différents objectifs et à donner au législateur les moyens d'un suivi annuel de ce secteur en mutation.

Pour votre commission, ce texte constitue un volet essentiel d'un projet plus global en vue d'inciter au développement harmonieux et équitable du secteur du livre numérique. Les autres réformes à conduire dans les meilleurs délais concernent :

- l'harmonisation des taux de TVA, afin d'aligner le taux applicable au livre numérique sur le taux réduit du livre « papier ». En effet, il est difficile pour les professionnels de développer un modèle économique attractif pour le livre numérique en cumulant un prix inférieur à celui du livre papier et une TVA à 19,6 %. Notre collègue député Hervé Gaymard a proposé un amendement en ce sens sur le projet de loi de finances pour 2011 et votre commission soutiendra sa démarche ;

- et l'adoption de dispositions législatives de nature à favoriser la numérisation des oeuvres existantes. Ceci vise à la fois les oeuvres dites orphelines, c'est-à-dire celles dont le ou les ayants droit ne peuvent être retrouvés, et les oeuvres épuisées.

I. LE LIVRE NUMÉRIQUE : LA PRINCIPALE RÉVOLUTION DEPUIS GUTENBERG

A. UN ÉCOSYSTÈME EN ÉBULLITION

1. L'entrée du livre dans l'ère du numérique

Si l'on sait ce que le « livre numérique » n'est pas, il n'en existe pas toutefois de définition juridique aujourd'hui.

Il ne doit pas être confondu avec la vente électronique de livres, c'est-à-dire à la vente de livres « papier » par Internet ou « e-commerce » de livres). Celle-ci représente 7 à 9 % du marché concerné.

Le développement des technologies de numérisation et des tablettes de lecture conditionne bien entendu l'avènement de nouveaux produits, qui sont, et seront plus encore, tantôt de simples conversions numériques de la version imprimée d'un livre, tantôt des produits plus ou moins enrichis, voire multimédias.

Précisons que le livre numérique vendu actuellement se présente généralement sous la forme d'un fichier, avec différents formats possibles (notamment XML/e-pub et pdf), contenant une oeuvre sous droit ou libre de droit et téléchargeable. Pour les oeuvres sous droit, le fichier peut être protégé par un système de protection des données (DRM ou « digital right management »), c'est-à-dire un dispositif contre le piratage. À ce stade, le contenu se limite le plus souvent au livre papier numérisé. Il peut être assorti de fonctions liées au format numérique : recherche dans le texte, liens hypertexte renvoyant à des définitions, etc.

Comme il sera indiqué ci-après, la proposition de loi donne une définition du livre numérique répondant à la préconisation formulée par l'Autorité de la concurrence dans son avis du 18 décembre 2009, selon laquelle « une solution temporaire pourrait consister dans un premier temps à n'appliquer le texte qu'au livre numérisé, assorti le cas échéant de fonctionnalités supplémentaires permises par le support numérique. »

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