C. ENJEUX CULTURELS : LA NUMÉRISATION DU PATRIMOINE ÉCRIT

Le problème des oeuvres orphelines se pose avec une acuité toute particulière avec l'émergence des grands projets de numérisation. Une réelle dynamique s'est instaurée avec notamment le lancement du prototype d'Europeana depuis 2008, la stratégie européenne « i2010 » sur les bibliothèques numériques, les projets de numérisation en partenariat avec Google qui annoncé un objectif de 15 millions de livres lors de la foire du livre de Francfort au début du mois d'octobre 2010, la numérisation du patrimoine qui, en France, se traduit par le financement, par le grand emprunt, des projets de numérisation dont la Bibliothèque nationale de France a été désignée comme l'un des grands agrégateurs nationaux, etc.

Les enjeux juridiques exposés au chapitre précédent sont donc particulièrement forts, tant au niveau européen que national. Traiter la question des oeuvres orphelines, c'est permettre de valoriser le patrimoine écrit, de le rendre accessible au plus grand nombre, de faire progresser la connaissance et donc la culture. Le défi est de taille. C'est pourquoi les instruments juridiques qui seront définis pour y répondre doivent être appréhendés avec sérieux et prudence.

Comme le rappelle la communication de la Commission européenne sur « Le droit d'auteur dans l'économie de la connaissance » du 19 octobre 2009, « les bibliothèques, les universités, les archives, certains utilisateurs commerciaux et plusieurs États membres font valoir que le problème des instruments existants, comme la recommandation 2006/585/CE 7 ( * ) de la Commission ou le protocole d'accord sur les oeuvres orphelines de 2008, avec les lignes directrices qu'il prévoit sur la recherche diligente des titulaires de droits, réside dans le fait qu'il ne s'agit pas d'actes juridiquement contraignants et qu'ils négligent la question de la numérisation de masse. Dès lors qu'une initiative non législative ne garantit pas une sécurité juridique suffisante ni ne résout le problème de l'infraction aux droits d'auteur que constitue toute utilisation d'une oeuvre orpheline, ces acteurs préconisent une solution législative de niveau européen, en vue d'autoriser différentes utilisations des oeuvres orphelines . » Cette communication précise également que pour les éditeurs, les sociétés de gestion collective et les autres titulaires de droits, « le point crucial est d'assurer qu'une recherche diligente pour identifier et localiser les titulaires de droits soit effectuée de bonne foi , au moyen des bases de données existantes ».

Votre rapporteur a pu constater l'ampleur de ces préoccupations d'ordres différents, exprimées par les acteurs entendus à l'occasion de l'examen de la présente proposition de loi. Sécurité juridique et preuve d'une recherche diligente sont précisément deux points clés qui semblent ne pas être suffisamment pris en compte dans le texte soumis à la commission de la culture.

Votre rapporteur souhaite ici rappeler que le corpus législatif qui sera adopté reflétera une philosophie, une vision culturelle des oeuvres et de leurs auteurs. Traiter le cas des oeuvres visuelles, ou des photographies à part, sans prendre en compte les enjeux similaires qui se posent pour l'écrit en général, c'est favoriser une vision segmentée des enjeux de numérisation du patrimoine . Un ouvrage forme un tout, et il serait étrange, sous prétexte de régler rapidement la question des abus de « droits réservés » - dont les professionnels du secteur se sont emparés - de traiter partiellement le problème posé.

La question des oeuvres orphelines étant aussi celle de droits orphelins agrégés, il convient de rappeler qu'avec un texte ne traitant que la question des oeuvres visuelles, sera bloquée toute numérisation d'ouvrages écrits orphelins quand bien même la valorisation des images contenues dans ces ouvrages deviendrait possible. La segmentation des auteurs peut se révéler dangereuse, comme l'illustre la plainte pour atteinte à la propriété intellectuelle portée contre Google par l' American society of Media Photographers (ASMP) et les syndicats d'illustrateurs. En effet, le moteur de recherche a instauré un dialogue avec les auteurs et éditeurs en vue de trouver un accord permettant de numériser leurs livres, mais elle semble avoir écarté les photographes et illustrateurs de ces négociations. Or les illustrations étant numérisées en même temps que les textes, les représentants des auteurs d'oeuvres visuelles ont jugé nécessaire de réagir pour que soient reconnus leurs droits d'auteur dans les projets de numérisation de la firme américaine.


* 7 Recommandation de la Commission sur la numérisation et l'accessibilité en ligne du matériel culturel et la conservation numérique. p. 32 à 62 du rapport du CSPLA précité.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page