ANNEXE II -
COMMUNICATION DU PRÉSIDENT JOSSELIN DE ROHAN SUR LE SOMMET FRANCO-BRITANNIQUE
DU 2 NOVEMBRE 2010

Compte-rendu de la réunion de la commission des Affaires étrangères,
de la défense et des forces armées du mercredi 10 novembre 2010

M. Josselin de Rohan , président - À l'invitation du président de la République, je me suis rendu à Londres où j'ai pu participer aux réunions du sommet franco-britannique du 2 novembre dernier. Notre collègue Guy Tessier, président de la commission de la défense de l'Assemblée nationale était également présent, comme nos homologues de la chambre des Communes et de la chambre des Lords.

Dans le contexte de difficultés financières et de restrictions budgétaires, qui a pu faire qualifier ce sommet « d'entente frugale », cette réunion a été essentiellement consacrée à la coopération de défense et de sécurité.

Il s'est conclu par une déclaration commune et par la signature de deux traités dont je vous ai fait distribuer copie à la fin de la semaine dernière et qui devraient être rendus publics ce matin.

Vous vous souvenez qu'en février dernier nous nous étions rendus, Daniel Reiner et moi-même, à Londres pour évaluer les voies et moyens du renforcement de notre coopération militaire dont la relance avait été souhaitée par le Livre vert adopté par le gouvernement travailliste de l'époque. Cette volonté a été totalement endossée par le gouvernement conservateur de M. Cameron. Il existe donc un très large consensus politique sur ce point outre manche. Le rapport d'information que nous avons publié en juillet dernier décrivait un certain nombre de pistes de coopération que le sommet de Londres a concrétisées et élargies.

Avant d'en venir à la présentation du contenu de ces accords je souhaite faire trois remarques liminaires.

En premier, lieu il est évident que ces accords n'auraient pas été possibles si nous n'avions pas pris la décision de réintégrer totalement les structures de l'OTAN. Cette décision a levé une hypothèque : celle de l'existence d'un « agenda caché » de la France à l'OTAN, particulièrement vivace dans les milieux conservateurs britanniques. Aujourd'hui, la situation semble inversée puisque la déclaration du sommet de Londres souligne non seulement la convergence d'analyse entre les deux pays pour la réforme de l'OTAN, pour son concept stratégique, sa gouvernance financière ou la réforme de ses agences mais indique de la manière la plus claire que les forces nucléaires stratégiques indépendantes des deux pays, qui ont un rôle de dissuasion propre, contribuent à la dissuasion globale. Elle affirme que « tant qu'il existera des armes nucléaires, l'OTAN demeurera une alliance nucléaire. » Elle rappelle enfin que la défense antimissile est un complément et non un substitut à la dissuasion. Position commune que ne partagent pas, comme vous le savez, nos partenaires allemands. Comment pourrait-on imaginer cette convergence de vues et d'analyses sans la confiance rétablie par la décision prise par notre pays de réintégrer pleinement les structures de l'OTAN ?

Ma seconde remarque est que l'initiative franco-britannique contribuera au renforcement des capacités de défense de l'Union européenne comme de l'OTAN. La démarche bilatérale qui a été retenue va de paire avec la recherche de solutions multinationales au sein de l'OTAN et de l'Union européenne. Il est, en effet, évident que tout renforcement des capacités participe au renforcement de celles des deux organisations.

Au sein de l'Union européenne, nos deux pays consacrent approximativement 2 % de leur PIB à la défense. Ils représentent 50 % des dépenses de défense des 27 et les deux tiers des dépenses de recherche et développement. Ils jouent donc naturellement un rôle leader en matière de sécurité et de défense. Le renforcement de leurs capacités et de leur coopération participe naturellement au renforcement de la politique de sécurité et de défense commune. Il en va de même à l'OTAN.

Il a été très clair, tout au long du Sommet, que la coopération entre nos deux pays demeure ouverte à nos partenaires européens et, en particulier, à l'Allemagne et à l'Italie. Dans l'esprit de nos deux pays la démarche bilatérale de ces deux nations leaders doit encourager toutes les nations européennes à s'engager avec détermination sur la voie de la coopération et de la mutualisation. Cette coopération a vocation à renforcer l'Union européenne.

C'est en unissant nos forces que nous pourrons maintenir notre autonomie stratégique, enrayer la baisse des moyens de défense en Europe et rester un partenaire crédible pour nos alliés et, au premier chef, vis-à-vis des États-Unis.

Troisième remarque, cette coopération va bien au-delà des accords de Saint-Malo et de leurs résultats concrets. Elle crée une véritable interdépendance entre les deux pays tout en respectant la souveraineté de chacun. La déclaration franco-britannique le dit de manière très claire : « nous n'envisageons aucune situation où les intérêts vitaux de l'une de nos deux nations pourraient être menacés sans que ceux de l'autre le soient aussi. » Cette interdépendance s'inscrit en matière bilatérale, comme au sein de l'Union européenne ou de l'OTAN, dans le rappel du principe que le contrôle des forces armées, la décision de les employer et le recours à la force relèveront toujours de la souveraineté nationale. Il n'y a donc aucune ambiguïté sur ce point.

Compte tenu des enjeux de souveraineté, les modalités de cette coopération ont été inscrites dans deux traités et une lettre d'intention :


• un traité de coopération en matière de défense et de sécurité qui vise à développer la coopération entre nos forces armées, le partage et la mutualisation de matériels et d'équipement, la construction d'installations communes et l'accès mutuel à nos marchés de défense et la coopération industrielle et technologique.


• un traité relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques communes. L'objectif est de coopérer dans les technologies liées à la gestion des arsenaux nucléaires afin de garantir la capacité de dissuasion nucléaire indépendante respective ;


• enfin, une lettre d'intention porte sur la création d'un nouveau cadre d'échanges entre nos forces armées sur des questions opérationnelles.

Les projets de coopération concernent l'ensemble des domaines de défense.

En matière opérationnelle cela passe par l'organisation d'exercices conjoints (comme Flandres 2011) mais surtout par la mise en place d'une force expéditionnaire interarmées conjointe et par l'amélioration de notre interopérabilité navale qui permettra, à terme, à nos avions d'opérer indistinctement à partir du porte-avions britannique ou du Charles-de-Gaulle.

En matière capacitaire, la mutualisation du soutien de l'A400M et la coopération pour l'entraînement des équipages est prévue aux cotés d'un arrangement technique sur les satellites militaires de communication, de la coopération dans le domaine de la guerre des mines, du développement conjoint de technologies pour la prochaine génération de sous-marins nucléaires et de la possibilité d'utiliser les capacités excédentaires du programme britannique de ravitaillement en vol pour répondre aux besoins de la France en la matière.

Un des éléments clés de la coopération concernera les drones MALE ainsi que des études sur le remplacement des avions de type Rafale-Typhoon.

En matière de recherche et technologies la poursuite de notre coopération est prévue avec l'identification de domaines prioritaires de coopération pour les deux prochaines années. Les deux pays s'engagent à investir environ 50 millions d'euros chaque année dans ce domaine.

S'agissant du volet industriel les accords portent sur le renforcement et la rationalisation de notre coopération sur les missiles et armes complexes (notamment par la mise en place d'une entité ONE MBDA sur la base de MBDA UK et de MBDA France).

Enfin, un cadre de coopération commun sur la cyber-défense sera défini.

Des mécanismes prévoyant la comparaison en amont des projets en matière de capacités militaires et une consultation avant toute décision permettront de maximiser les chances de coopération à l'avenir et de favoriser l'acquisition d'équipements identiques. De plus, le traité prévoit de faciliter les transferts d'équipements, l'accès aux marchés et de promouvoir l'exportation des équipements produits en commun.

Le second traité porte sur la coopération dans les technologies liées à la gestion des arsenaux nucléaires afin de garantir la capacité de dissuasion nucléaire indépendante respective. Une coopération de grande envergure va être lancée pour utiliser de manière conjointe les installations communes de Valduc où seront modélisées la performance de nos têtes nucléaires et des équipements associés, afin d'en assurer la viabilité, la sécurité et la sûreté à long terme. Un centre de développement technologique commun, installé au Royaume-Uni, à Aldermaston, sera également mis en place pour soutenir ce projet.

Ce traité, qui a été conclu pour une durée de 50 ans, c'est-à-dire pour la durée de vie de l'installation, permettra un partage des coûts qui devrait conduire à des économies estimées à 500 millions d'euros pour la France.

Pour conclure, je voudrais insister sur la dimension parlementaire que nous pourrions donner à cette relance de nos relations.

En premier lieu il s'agit de la ratification de ces traités qui devraient être soumis à l'approbation du Parlement. En droit strict, seul le traité relatif au nucléaire, qui comporte des engagements et des conséquences financières, doit être juridiquement soumis à nos assemblées.

La procédure en Grande-Bretagne permet une ratification simple et rapide puisqu'il existe une exigence que le gouvernement soumette les traités à l'examen du Parlement pendant 21 jours francs à compter de leur signature, avec ou sans débat pendant cette période, aux termes de laquelle la ratification peut être parachevée.

De notre côté, le dispositif est plus lourd puisqu'il implique une saisine du Conseil d'État puis l'adoption en Conseil des ministres de projets de loi portant autorisation de ratifier, le dépôt sur le bureau de l'une ou l'autre des assemblées et le vote de ces textes.

Compte tenu de ces procédures parlementaires différentes, il me semble que le gouvernement devrait accélérer le processus de dépôt et d'examen devant les assemblées.

Enfin, dans le rapport d'information de notre commission nous avions proposé la constitution d'un groupe de travail commun aux quatre commissions de la chambre des Communes, de la chambre des Lords, de l'Assemblée nationale et du Sénat pour suivre le développement et l'approfondissement de la coopération franco-britannique.

J'ai donc proposé, avec Guy Teissier, la création de cette structure informelle à nos homologues britanniques James Arbuthnot et Lord Teverson qui ont bien voulu l'accepter.

Nous avons fixé d'un commun accord la première réunion de ce groupe au mercredi 8 décembre prochain. À la demande de nos amis britanniques ce groupe de suivi doit être une structure légère et nous avons convenu qu'il serait composé, pour chaque assemblée, du président de la commission et de deux autres membres représentant respectivement la majorité et l'opposition. Si la commission en est d'accord et, compte tenu de la dominante capacitaire et industrielle de cette coopération, je vous propose de désigner nos collègues Xavier Pintat et Daniel Reiner qui sont nos deux rapporteurs pour le programme 146.

M. Robert del Picchia - Je m'interroge sur les conséquences de cet accord franco-britannique et sur le devenir de la défense européenne.

M. Josselin de Rohan , président - Nous pouvons bien sûr avoir une vision idéale de la défense européenne où les 27 pays de l'Union participeraient à l'élaboration de leur défense commune en utilisant les instruments du traité de Lisbonne. Force est de constater que cette approche ne fonctionne pas. À côté de celle-ci existe une voie pragmatique qui consiste à organiser un renforcement de la coopération qui débute de manière bilatérale mais qui est ouvert à la participation d'autres pays, en particulier l'Allemagne et l'Italie. Le chef d'état-major de l'armée britannique l'a indiqué de manière très claire à Londres. Cela étant, les positions prises par l'Allemagne en matière de nucléaire peuvent créer des difficultés.

M. Jean-Louis Carrère - L'accord entre la France et le Royaume-Uni ne me choque pas en tant que tel mais je n'y lis pas une stratégie claire de notre pays. Avec le choix de la réintégration au sein de l'OTAN nous donnons l'impression d'abandonner l'Europe puis, à présent, de passer à une coopération bilatérale. S'oriente-t-on vers la multiplication des accords bilatéraux avec le Royaume-Uni et avec d'autres pays ? Continue-t-on à aller vers la constitution de forces européennes ? Jusqu'au compte-t-on aller, dans quels domaines et de quelle manière ?

M. Josselin de Rohan , président - Ces questions sont en effet importantes et doivent être placées dans le contexte de l'accord. Les Anglais agissent avec pragmatisme mais cet accord n'a été rendu possible que par la réintégration de notre pays dans l'OTAN. Le président James Arbuthnot nous l'a très clairement indiqué. De plus, nos deux pays sont particulièrement conscients des difficultés budgétaires et de la nécessité du redressement de nos finances publiques. Sans un renforcement de la coopération et sans mutualisation, nos défenses risquent de ne plus peser dans le monde.

La stratégie française me paraît très claire : il nous faut compter dans l'OTAN face aux Etats-Unis et créer un pôle européen de défense. Il y a une interaction évidente entre l'Europe de la défense et l'OTAN. Le renforcement des capacités de nos deux pays renforce évidemment les capacités de défense de l'Union européenne comme de l'OTAN

Nos deux pays sont en plein accord sur le concept stratégique de l'OTAN et sur le fait que la dissuasion constitue le socle de la défense collective. Les forces nucléaires françaises et anglaises participent à la dissuasion globale. Vous savez que cette position n'est pas partagée par l'Allemagne qui pense que la défense antimissiles peut se substituer à la dissuasion. La stratégie de nos deux pays me paraît donc très clairement affirmée. La France et le Royaume-Uni sont les deux piliers autour desquels s'agrègent les autres pays pour construire une défense commune. Ce socle permettra un dialogue plus équilibré et plus crédible avec les États-Unis.

M. André Trillard - Les aspects industriels et de mises en commun des technologies sont particulièrement importants pour construire une industrie européenne de la défense autour des deux pays nucléaires que sont la France et le Royaume-Uni et auquel d'autres pays pourront s'agréger.

M. André Vantomme - Il me semble que cet accord repose sur le pari d'un relâchement du lien entre le Royaume-Uni et les États-Unis qui n'est pas avéré. Par ailleurs, de nombreux pays européens refusent de participer à leur propre défense et préfère se réfugier derrière l'OTAN.

M. Josselin de Rohan , président - C'est effectivement la situation que nous connaissons aujourd'hui où un certain nombre de pays ont relâché leur effort de défense. Cela étant, il arrivera un moment où les Etats-Unis renonceront à financer sur leur propre budget la défense européenne.

La relation spéciale qui unit le Royaume-Uni et les Etats-Unis repose sur des liens historiques et une histoire partagée. Elle continuera à exister de manière forte. La continuité de cette relation n'empêche pas les Britanniques de tenir compte de l'évolution du monde et du changement de tropisme des Etats-Unis dont l'intérêt bascule vers le Pacifique et vers l'Asie. L'Europe, qui n'est plus directement menacée, ne constitue plus une priorité et le contribuable américain souhaite que ses impôts soient utilisés d'abord à assurer sa propre sécurité nationale puis à financer en priorité les dépenses de défense contre les pays qui constituent une menace. La défense européenne ne peut être conçue sans le Royaume-Uni comme acteur majeur de la politique de sécurité et de défense commune.

M. Jean-Pierre Chevènement - J'approuve cet accord en toute lucidité. La coopération entre les deux pays a toujours été difficile comme l'ont montré les suites de l'accord de Saint-Malo. Cette coopération se concrétisera s'il y a un accord profond des gouvernements, des opinions et des états-majors et si elle repose sur un climat de confiance. La France, comme le Royaume-Uni dont la souveraineté est intacte, doit garder son autonomie de décision.

Il ne faut pas se cacher les questions que cette alliance pose hors coopération nucléaire qui est d'un intérêt mutuel. Quelles vont être les règles d'engagement communes du groupe aéronaval comme de la force expéditionnaire conjointe ? Le Royaume-Uni continue à manifester une grande méfiance pour le concept de défense européenne alors que la France en est partisane. Il y a donc un risque de malentendu. On ne peut affirmer que cet accord participe à la construction de l'Union européenne de la défense même si le principal handicap vient plutôt de l'Allemagne dont l'effort est très faible, qui abandonne son système de conscription et qui est opposée à la force nucléaire de dissuasion.

M. Josselin de Rohan , président - Ce débat devra évidemment être poursuivi. Mais je suis persuadé que s'il existe une chance de construire une politique européenne de défense cela ne peut passer que par l'accord franco britannique. Je vous rappelle qu'au moment de la guerre des Malouines la France n'a pas ménagé son soutien au Royaume-Uni. Quant à l'Irak nous avons décidé de ne pas nous engager en toute souveraineté. Je rappelle que la France conserve en toute occasion le contrôle ultime sur l'emploi de ses forces et que l'article 5 du traité de l'Atlantique Nord n'emporte aucune automaticité dans l'engagement militaire puisqu'il laisse à chaque Etat membre le choix des moyens en cas d'agression contre l'un des alliés. C'est en quelque sorte un engagement moral.

Mme Catherine Tasca - Cet accord très pragmatique est une bonne chose. Dans quels domaines ces traités s'appliqueront-ils à un moment où se met en place le service européen d'action extérieure.

M. Josselin de Rohan , président - Les domaines d'application de ce traité sont très variés et couvrent l'ensemble de ce qui a été identifié comme une menace pour notre sécurité au sein de l'union européenne comme de l'OTAN.

M. Jean-Louis Carrère - L'opinion publique ne va-t-elle pas identifier cet accord comme un revirement par rapport à la politique de coopération précédente avec l'Allemagne ?

M. Josselin de Rohan , président - Cet accord n'est tourné contre aucun autre pays. Il ne constitue pas un revirement mais une approche pragmatique visant à faire ensemble ce que l'on ne peut plus faire seul. Le fait de le faire autour des deux pays qui totalisent 50% des dépenses de défense et les 2/3 de la R&T est une évidence. Nous avons effectivement un devoir d'information de nos opinions publiques et c'est l'une des raisons pour lesquelles je crois qu'il est important que nous mettions en place notre groupe parlementaire de suivi afin de contrôler les actions que cette coopération mettra en oeuvre.

Mme Josette Durrieu - Les Etats-Unis disent depuis longtemps que l'Europe doit s'organiser elle-même pour assurer sa défense et partager le fardeau des dépenses de défense mais l'Europe ne veut pas l'entendre. La Grande-Bretagne a pris conscience de la réorientation stratégique des Etats-Unis vers l'Asie.

M. Robert Badinter - J'avoue mon scepticisme sur cette coopération renforcée qui est plutôt une coopération bilatérale renforcée qui deviendra peut-être tri ou quadrilatérale à terme. Il semble que personne ne croit plus à une Europe de la défense. Entre la France et le Royaume-Uni il s'agit d'un pacte de raison, pas d'un mariage de raison mais plutôt d'un PACS.

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