Article 34 nonies (art. L. 871-1 du code de la sécurité sociale) - Création d'un secteur optionnel par la convention ou élargissement de l'option de coordination par arrêté gouvernemental

Objet : Cet article, inséré par l'Assemblée nationale à l'initiative du Gouvernement, a pour objet d'imposer aux partenaires conventionnels de conclure un avenant visant la mise en place d'un secteur optionnel pour les chirurgiens, les obstétriciens et les anesthésistes et de prévoir la prise en charge des dépassements d'honoraires y afférents dans le cadre des contrats complémentaires dits responsables.

I - Le dispositif proposé par l'Assemblée nationale

Cet article traite d'une question essentielle, en débat depuis longtemps, et qui intéresse directement les patients, celle de la rémunération des médecins.

1) Les modalités de rémunération des médecins

Les « secteurs conventionnels »

La presque totalité des médecins libéraux 42 ( * ) en exercice adhèrent à la convention médicale conclue entre leurs syndicats représentatifs et l'assurance maladie. Depuis 1980, au gré des évolutions résultant des conventions signées au fil des années, on peut les classer en deux « secteurs conventionnels » :

- le secteur à tarifs opposables, ou secteur 1 , qui regroupe 75 % des médecins (environ 88 500). Ceux-ci s'engagent à respecter les tarifs qui sont fixés dans la convention. Toutefois, en dehors des cas d'urgence, ils peuvent appliquer certains dépassements d'honoraires lorsque le patient, à l'exception des bénéficiaires de la CMU-c, ne respecte pas le parcours de soins. Ces dépassements sont plafonnés à 17,5 % au-dessus du tarif opposable, c'est-à-dire celui remboursé par la sécurité sociale. En outre, le total des honoraires sans dépassement doit représenter au moins 70 % de l'ensemble des honoraires.

En contrepartie, les caisses d'assurance maladie participent au financement des cotisations sociales dues par les médecins en secteur 1. L'assiette de calcul exclut les dépassements d'honoraires éventuels et, sur cette base, l'assurance maladie finance 99 % de la cotisation due au titre du risque maladie, 93 % de celle due au titre des allocations familiales (dans la limite d'un plafond de 35 352 euros, 54 % au-delà) et les deux tiers de celle due au régime surcomplémentaire d'assurance vieillesse. Il en résulte une charge globale d'environ 1,25 milliard d'euros pour l'assurance maladie 43 ( * ) .

Taux de cotisation appliqué au médecin

Taux pris en charge par l'assurance maladie

Taux global de cotisation

Au titre du risque maladie

Revenus nets de dépassements d'honoraires

0,11 %

9,70 %

9,81 %

Revenus en dépassements d'honoraires

9,81 %

-

9,81 %

Au titre des allocations familiales

Revenus nets de dépassements d'honoraires

0,40 % dans la limite de 35 352 euros et 2,50 % au delà

5 % dans la limite de 35 352 euros et 2,90 % au delà

5,40 %

Revenus en dépassements d'honoraires

5,40 %

-

5,40 %

Allocations supplémentaires de vieillesse (régime surcomplémentaire 1 des médecins)

Montant de la cotisation annuelle en euros

1 380

2 760

4 140

1 Les cotisations au titre des régimes de base et complémentaire sont à la charge des médecins .

Source : Urssaf et Carmf (caisse autonome de retraite des médecins de France)

- le secteur à honoraires différents, ou secteur 2 , qui regroupe 25 % des médecins (environ 29 100).

Les médecins affiliés à ce secteur sont autorisés à dépasser, de manière permanente, les honoraires inscrits dans la convention ; leurs tarifs sont libres mais fixés, en vertu du code de déontologie, « avec tact et mesure » . Sont concernés les professionnels qui pouvaient le faire du fait de dispositions précédentes et qui en conservent donc le bénéfice et ceux qui, en première installation, sont titulaires de certains titres (chef de clinique, assistant des hôpitaux, médecin des armées ou praticien hospitalier).

Les dépassements d'honoraires pour le secteur 2

La création du secteur 2 en 1980, à l'approche de l'élection présidentielle de 1981, avait pour objectif de freiner la progression des dépenses de l'assurance maladie tout en permettant la revalorisation des revenus des médecins. Malheureusement, il a aussi servi d' alibi pour ne pas réviser les tarifs opposables qui ont peu progressé sur une longue période. Par la suite, il a rencontré un très vif succès, si bien que son accès a été limité à compter de la convention conclue en 1990. On peut d'ailleurs relever que, du point de vue des médecins, les dépassements d'honoraires introduisent de fortes disparités de rémunération, qui ne sont pas véritablement justifiées par des différences de diplôme, d'exercice ou de qualité des soins. En effet, elles résultent principalement de la date à laquelle le médecin s'est installé.

En 2011, 7 % des généralistes et 41 % des spécialistes exercent en secteur 2 , avec des disparités importantes selon la spécialité. Seulement 1 % ou 2 % des généralistes s'installent chaque année en secteur 2 depuis 1990, alors que la part des spécialistes n'a fait que croître et, aujourd'hui, 60 % d'entre eux s'installent en secteur 2 chaque année.

Répartition des médecins par secteur

Médecins conventionnés

Secteur 1

Secteur 2 1

Part exerçant en secteur 2

Médecine générale

54 318

50 549

3 769

7 %

Chirurgie

6 445

1 410

5 035

78 %

Anesthésie réanimation

3 507

2 293

1 214

35 %

Gynécologie

5 553

2 484

3 069

55 %

Cardiologie

4 491

3 599

892

20 %

Radiologie

5 418

4 670

748

14 %

Psychiatrie

6 410

4 484

1 926

30 %

Ophtalmologie

4 791

2 195

2 596

54 %

Dermatologie

3 291

1 901

1 380

42 %

Pédiatrie

2 764

1 832

932

34 %

1 Y compris les médecins « en secteur 1 et titulaires d'un droit permanent au dépassement » : ce secteur, qui préfigurait le secteur 2, a été fermé en 1980 mais 298 médecins restent conventionnés à ce titre.

Source : Cnam

Depuis vingt ans, les dépassements d'honoraires ont progressé de manière spectaculaire : leur montant a plus que doublé, passant de 900 millions en 1990 à 2,5 milliards d'euros en 2010 .

Le montant annuel moyen des dépassements par médecin - 21 100 euros en 2010 - a progressé de 49 % en dix ans, mais il est très variable selon la spécialité : de 18 800 euros pour les psychiatres à presque 50 000 euros pour les anesthésistes, 53 000 euros pour les gynécologues, 71 000 euros pour les ophtalmologues, 80 000 euros pour les chirurgiens et jusqu'à 119 000 euros pour les stomatologues.

La part des dépassements dans les honoraires totaux est relativement homogène autour de la moyenne, 34,7 % en 2010, mais avec à nouveau quelques différences selon les spécialités : 18 % pour les cardiologues, 24 % pour les radiologues, 33 % pour les anesthésistes, 37 % pour les chirurgiens et 43 % pour les gynécologues. Ce taux est de 31 % pour les médecins qui exercent uniquement en libéral en secteur 2, mais il est de 44 % pour les hospitaliers à temps plein qui sont autorisés à pratiquer en libéral à l'hôpital . Ces derniers se distinguent donc par des montants de dépassements très supérieurs à la moyenne .

Enfin, les disparités territoriales sont également importantes, les dépassements étant plus fréquents et plus élevés dans les départements urbains et dans ceux où le niveau de vie est supérieur.

2) Le projet de secteur optionnel

Une nouvelle convention médicale a été signée le 26 juillet 2011 entre l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam) et trois syndicats représentatifs, puis publiée au Journal officiel du 25 septembre. Elle contient le projet de création d'un nouveau secteur d'exercice, dit secteur optionnel, pour les professionnels de chirurgie , anesthésie-réanimation et gynécologie obstétrique ayant une activité technique prépondérante ou remplissant un certain nombre d'actes par an.

Seuls les médecins en secteur 2 ou titulaires de titres permettant d'accéder à ce secteur seront concernés. Ils devront :

- réaliser au moins 30 % de leurs actes au tarif opposable ;

- pratiquer, sur leurs autres actes, des « compléments » d'honoraires limités à 50 % d'une base de remboursement légèrement plus large que les tarifs opposables car comprenant des « modificateurs » et certains suppléments.

En contrepartie, les caisses participeront au financement des cotisations sociales sur la part de l'activité sans dépassement, dans les mêmes conditions que pour les médecins ayant adhéré au secteur 1.

Ce projet reprend les grandes lignes d'un protocole d'accord antérieur, signé en octobre 2009, sous la pression du législateur qui, dans la loi HPST 44 ( * ) , avait donné aux partenaires conventionnels jusqu'au 15 octobre 2009 pour parvenir à un accord sur le secteur optionnel, à défaut duquel le Gouvernement prendrait les dispositions nécessaires par arrêté, ce qui n'a pas été le cas. Il faut dire que ce sujet ancien a émergé dès 2004, à la suite d'un mouvement de revendication des chirurgiens.

3) Le dispositif proposé par le Gouvernement et adopté par l'Assemblée nationale

Formellement, la convention de juillet dernier renvoyait la mise en oeuvre du secteur optionnel à un avenant spécifique car la maîtrise des dépassements d'honoraires et la prise en charge des cotisations sociales par l'assurance maladie ont été conditionnées, par les différentes parties prenantes, à la « solvabilisation » des patients par les assurances complémentaires . Celles-ci sont donc devenues des acteurs involontaires de la négociation . Or, ces négociations sont complexes et tardent, du point de vue du Gouvernement, à aboutir.

C'est donc à son initiative que l'Assemblée nationale a adopté le présent article.

Le paragraphe I pose un ultimatum aux partenaires conventionnels pour aboutir à la conclusion d'un avenant dans le mois qui suit la promulgation de la loi.

Cet avenant, qui concerne les chirurgiens, obstétriciens et anesthésistes exerçant à titre libéral en secteur 2, doit les autoriser à « pratiquer de manière encadrée des dépassements d'honoraires pour une partie de leur activité » .

A défaut, le Gouvernement pourra, durant deux mois, modifier la convention médicale « à cet effet » , en portant notamment à 50 % le taux d'encadrement des dépassements d'honoraires qui existe aujourd'hui pour les médecins ayant adhéré à l'option de coordination.


Option de coordination

L'option de coordination, prévue aux articles 36 et suivants de la convention médicale de juillet 2011, est proposée à l'ensemble des médecins généralistes et spécialistes du secteur 2.

Ceux-ci s'engagent :

- pour les patients qui entrent dans le parcours de soins coordonnés, à pratiquer les tarifs opposables sur les actes cliniques et des dépassements limités à 20 % sur les actes techniques (ce taux pourrait être porté à 50 % selon l'article adopté à l'Assemblée nationale) ;

- pour l'ensemble de leur activité, à facturer au moins 30 % de leurs honoraires sans dépassement.

En contrepartie, les caisses participent au financement des cotisations sociales sur la part de l'activité sans dépassement, dans les mêmes conditions que pour les médecins ayant adhéré au secteur 1.

Le paragraphe II modifie l'article L. 871-1 du code de la sécurité sociale pour prévoir que les contrats d'assurance complémentaire dits responsables 45 ( * ) prennent en charge les dépassements d'honoraires des médecins autorisés à en pratiquer de manière encadrée en application du paragraphe I de cet article. La prise en charge se ferait à hauteur du taux maximal de dépassement autorisé par la convention.

Enfin, le paragraphe III , dont la formulation est pour le moins obscure, concerne la date d'entrée en vigueur des paragraphes précédents. Il semble en résulter que la prise en charge des dépassements d'honoraires par les contrats responsables entrera en vigueur « concomitamment » à la conclusion de l'avenant conventionnel ou, à défaut, de l'arrêté du Gouvernement modifiant la convention. Seuls les contrats conclus ou renouvelés après « cette entrée en vigueur » sont concernés ; nulle mention des autres contrats.

II - La position de la commission

Le dépôt tardif de l'amendement du Gouvernement a conduit l'Assemblée nationale à débattre de la création ou non d'un secteur optionnel, alors qu'au fond, sa portée est différente.

Il appelle, en premier lieu, plusieurs remarques de nature formelle :

- sa rédaction, parfaitement hermétique, traduit au minimum l'embarras du Gouvernement sur la question des dépassements d'honoraires ; il est d'ailleurs vraisemblable qu'elle ne réponde pas aux exigences constitutionnelles d'intelligibilité du droit ;

- il autorise le Gouvernement à prendre un arrêté dont la portée est peu claire ( « modifier la convention médicale, en portant notamment... » ), l'adverbe « notamment » ne permettant pas d'apprécier la nature des modifications envisageables.

Surtout, il esquisse, non pas la création du secteur optionnel par arrêté, mais l'élargissement de l'option de coordination , en portant de 20 % à 50 % le taux de dépassement autorisé pour les actes techniques destinés aux patients dans le cadre du parcours de soins coordonnés. Or, tous les médecins en secteur 2 peuvent adhérer à cette option, et non pas seulement ceux des trois spécialités visées par le secteur optionnel (chirurgiens, anesthésistes et obstétriciens) qui ne sont d'ailleurs pas les seules à pratiquer des actes techniques.

L'option de coordination reste tout à fait marginale dans la convention : 1 322 médecins seulement y étaient adhérents en 2009, dont 117 chirurgiens, 73 obstétriciens et 46 anesthésistes réanimateurs, même si leur nombre avait beaucoup progressé entre 2005 et 2009. Seule la moitié de ces médecins a respecté les critères fixés ; ils ont en moyenne perçu 8 280 euros au titre de la prise en charge de leurs cotisations en 2009, pour un coût global de 6 millions pour l'assurance maladie.

Sur le fond de la question du secteur optionnel , il convient d'être particulièrement circonspect.

Sur une base facultative, ce nouveau secteur a pour objectif d'encadrer les dépassements d'honoraires de trois catégories de spécialistes qui devraient réaliser au moins 30 % de leurs actes au tarif opposable et pratiquer, sur leurs autres actes, des « compléments » d'honoraires limités à 50 %. Les contreparties en termes de prise en charge de cotisations par l'assurance maladie sont substantielles et équivalentes à celles des médecins de secteur 1, ce qui ne manque pas de surprendre en termes d'équité.

Au total, cette formule paraît bancale :

- du point de vue des médecins de secteur 1, qui sont contraints dans leurs tarifs, et pour lesquels rien ne change ;

- du point de vue des spécialistes qui peuvent adhérer à cette option, parmi lesquels certains verront un effet d'aubaine s'ils en respectent déjà les termes, d'autres manifesteront un éventuel intérêt, s'ils sont un peu au-dessus des niveaux fixés, en raison de l'attrait de la prise en charge des cotisations, et les derniers s'en désintéresseront parce qu'ils pratiquent des dépassements nettement supérieurs. On peut même craindre que ceux qui pratiquent des dépassements inférieurs n'augmentent progressivement leurs tarifs pour se rapprocher des plafonds ;

- du point de vue des assurances complémentaires, le surcoût est évident et pèsera nécessairement sur les cotisations.

Fondamentalement, le secteur optionnel ou l'option de coordination « renforcée » ne règle rien . On présente parfois le premier comme la seule solution sur la table. Or, rien ne pourrait être pire que sa mise en oeuvre sans accompagnement par d'autres mesures fortes de limitation des dépassements d'honoraires. Cela reviendrait à prendre acte du problème, avec le risque de susciter le glissement des médecins du secteur 1, et notamment des généralistes, vers cette nouvelle formule plus favorable.

Diverses études concordantes constatent l'ampleur des renoncements aux soins, et pas seulement en optique ou en dentaire. Certes, les raisons en sont multiples, mais les dépassements d'honoraires en font indéniablement partie.

Au fil des années, le problème s'est cristallisé : depuis dix ans, les dépassements ont explosé sans réponse politique, rendant sa résolution de plus en plus difficile. Il nécessite une approche globale ; c'est exactement le contraire de ce que propose aujourd'hui le Gouvernement.

Pour toutes ces raisons, la commission vous demande de supprimer cet article.


* 42 Seuls 1 014 médecins sur les 159 657 médecins libéraux sont « hors convention ».

* 43 Source : rapport sur la convergence tarifaire. 694 millions pour la maladie, 302 millions pour la famille, 247 millions pour l'ASV et 10 millions pour le mécanisme d'incitation à la cessation anticipée d'activité (mécanisme fermé depuis 2003).

* 44 Article 53.

* 45 Ils représentent aujourd'hui la très grande majorité des contrats d'assurance complémentaire santé ; le code fixe certaines obligations, ce qui permet une taxation légèrement inférieure aux autres contrats. Ces obligations sont notamment la non-prise en charge de la participation forfaitaire d'un euro sur les consultations et les actes biologiques, des franchises et des majorations en cas de non-respect du parcours de soins coordonnés.

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