III. UN AVENIR INSUFFISAMMENT PRÉPARÉ

A. QUELLE ARMÉE FRANÇAISE À L'HORIZON 2020 ?

1. La poursuite des restrictions budgétaires : des pertes de ressources de 10 à 30 milliards d'euros en 2020

Les perspectives financières et physiques de la mission « Défense » à l'horizon 2020, terme fixé par le Livre blanc, apparaissent préoccupantes, au regard des conséquences induites par la révision à la baisse des moyens en 2011-2013, dans le cadre de la programmation budgétaire triennale.

En effet, alors que le Livre blanc prévoit, de 2012 à 2020, une augmentation des moyens du ministère de la défense de 1 % par an en volume , la programmation révisée du ministère de la défense suppose leur quasi-stabilité en 2012 et 2013 , suivant le principe d'un « gel » en valeur des crédits de paiement des missions du budget général sur la période 2011-2013. En outre, toujours selon la loi de programmation des finances publiques (LPFP), ces montants pourraient être revus à la baisse en cas d'augmentation plus rapide que prévu des dépenses de pensions ou de la charge d'intérêts, afin de respecter l'objectif de maintien en volume de l'ensemble des dépenses de l'Etat.

Trois simulations ont été effectuées, en euros à la valeur de 2008 , suivant la norme de limitation des dépenses budgétaires qui pourrait être retenue après la fin de la LPFP :

- dans une première hypothèse (scénario A1), la mission « Défense » continuerait à se voir appliquer, après 2014, la règle actuelle du « zéro volume » ;

- dans une seconde hypothèse (scénario A2), la norme de dépenses appliquée serait celle du « zéro valeur », comme pour les autres missions du budget général de l'Etat ;

- la troisième hypothèse (scénario A3) est une variante du scénario A1, dans laquelle la norme du « zéro volume » s'appliquerait, toujours à compter de 2014, pour les CP de 2013.

Par rapport à l'hypothèse du Livre blanc , chacun de ces trois scénarios impliquerait, en 2020, des écarts importants :

- dans l'hypothèse du maintien du « zéro volume » , un manque à gagner de 3 milliards d'euros pour la seule année 2020, et s'élevant à 15 milliards d'euros en cumul sur la période 2009-2020 ;

- dans le cas d'un passage à la norme « zéro valeur » , un décalage atteignant 7 milliards d'euros en 2020, et 29 milliards d'euros sur l'ensemble de la période 2009-2020 ;

- dans le scénario intermédiaire A3, un déficit de 4 milliards d'euros en 2020 et s'élevant à 22 milliards d'euros au cours de la période 2009-2020.

Lors de son audition par la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat le 12 octobre 2010, le ministre de la défense avait d'ailleurs reconnu que la situation deviendra particulièrement délicate à partir de 2013, alors que le budget de la défense ne devrait plus bénéficier des ressources hertziennes et que les recettes immobilières seront incertaines : « c'est après 2013 que la situation budgétaire deviendra plus difficile, car nous n'aurons plus de recettes exceptionnelles. Sur la période 2013-2020, l'écart avec les prévisions de la LPM pourrait atteindre 20 milliards d'euros environ, ce qui pourrait remettre profondément en cause notre modèle d'armée ».

L'hypothèse, alors formulée par le ministre de la défense, d'un décalage de 20 milliards d'euros par rapport à la LPM correspond donc à un scénario médian, au regard des différentes hypothèses de restrictions budgétaires envisagées par vos rapporteurs spéciaux.

Les perspectives d'évolution des moyens de la mission « Défense »,
en supposant que la programmation révisée (2011-2013) est respectée

(en milliards d'euros de 2008 et à périmètre 2008 hors pensions)

NB : les scénarios A1 à A3 sont des scénarios de la commission des finances.

Sources : textes mentionnés, ministère de la défense, scénarios de la commission des finances

Or, compte tenu de leur évolution spontanée, une augmentation des dépenses de défense de 1 % par an en volume au cours des dix prochaines années permettrait seulement à la France de préserver une armée proche de son format actuel .

En effet, la mission « Défense » comprend deux types de dépenses :

- à hauteur d'environ les deux tiers de ses dotations, des dépenses d'équipement et de maintien en condition opérationnelle des matériels, par nature plus dynamiques que l'inflation . Tel est tout d'abord le cas à niveau technologique constant. En effet, les contrats d'armement sont généralement indexés sur les salaires et, dans une moindre mesure, les prix des matières premières. Il en découle que les prix des équipements militaires tendent à augmenter à la même vitesse que les salaires, dont la masse augmente comme le PIB, soit 2 % par an en volume, pour une augmentation « effective » (corrigée du vieillissement de la population, qui modifie la pyramide des âges) que l'on peut évaluer à environ 1 % par an. Il faut également prendre en compte sur le long terme le fait que le prix des matériels de défense tend à s'accroître alors que leur contenu technologique progresse. On cite souvent à cet égard l'exemple des avions de combat, dont le coût en monnaie courante est à peu près multiplié par dix à chaque génération. Maintenir le format actuel de l'armée française tout en l'équipant des matériels les plus modernes pourrait donc exiger une croissance des dépenses d'équipement proche de celle du PIB . A l'horizon 2020 cependant, le niveau technologique sera à peu près le même qu'aujourd'hui.  On peut donc considérer que d'ici là le prix des matériels militaires tendra spontanément à augmenter d'environ 1 point de plus que l'inflation ;

- ensuite, les dépenses de la mission « Défense » correspondent, pour un tiers, au fonctionnement et à l'activité, c'est-à-dire en quasi-totalité à la masse salariale hors pensions . Le glissement vieillesse-technicité (GVT) de la mission « Défense » étant à peu près nul (ce qui est normal, l'armée maintenant par nature sa pyramide des âges à peu près inchangée, contrairement aux autres administrations), à effectifs constants ces dépenses tendent à augmenter à la même vitesse que le point d'indice de la fonction publique . Ces dernières années celui-ci a progressé moins rapidement que les prix à la consommation, et le rapport annexé au projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 prévoit son gel en 2011 et en 2012 . Cependant sur le long terme (qui est celui retenu à l'horizon 2020) la rémunération des militaires, déjà inférieure à celle de pays comparables (comme le Royaume-Uni), devrait augmenter à la même vitesse que les salaires du secteur privé, par des mesures générales d'évolution du point d'indice et/ou des mesures catégorielles, spécifiques aux militaires. Par analogie avec le raisonnement précédent, on peut donc là encore considérer que la tendance spontanée d'évolution des dépenses de personnel sera de l'ordre d'un point de plus que l'inflation.

Au total, il est donc cohérent de penser que, d'ici 2020, une croissance des dépenses de la mission « Défense » de 1 % par an permettrait juste de maintenir le niveau actuel de personnels et d'équipement .

Un tel effort sera donc nécessaire pour ne pas entraîner de déclin non seulement relatif, mais aussi a bsolu, des capacités opérationnelles de l'armée française .

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