EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

L'Assemblée nationale a adopté en le modifiant le projet de loi fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France.

Prenant en considération les éléments de contexte nouveaux que sont la disparition progressive des témoins directs des conflits mondiaux et la participation d'un public qui n'est plus acteur des faits commémorés, mais aussi la demande de reconnaissance des familles des militaires morts en opération extérieure et de leur hiérarchie, et enfin la nécessité de redonner une plus grande lisibilité aux journées nationales, moyen important de transmission des valeurs de la République, le Président de la République a exprimé le 11 novembre 2011 sa volonté de faire du 11 novembre un jour de mémoire de tous les morts pour la France, tout en maintenant les journées de commémoration propres à chacun des conflits.

Cette perspective avait été esquissée, dès 2008, par le rapport réalisé à la demande du Gouvernement par la commission de réflexion sur la modernisation des commémorations publiques présidée par M. André Kaspi 1 ( * ) comme par la mission d'information de l'Assemblée nationale sur les questions mémorielles 2 ( * ) .

Initialement composé d'un article unique, le projet a été complété par l'Assemblée nationale pour rendre obligatoire l'inscription des noms des morts pour la France sur les monuments aux morts et le rendre applicable sur tout le territoire de la République.

Saisie de deux amendements, l'un déposé par M. Alain Néri et les sénateurs du groupe socialiste, l'autre par votre rapporteur, votre commission a adopté le premier après rectification et le second lors de sa réunion du 17 janvier 2012.

I. COMMÉMORER

« La politique de commémoration est un vecteur privilégié de transmission des valeurs qu'une nation choisit de mettre en avant et, à ce titre, l'un des piliers du devoir de mémoire. Les commémorations sont également l'un des moments où « se cristallisent » les problématiques mémorielles d'un pays, parce qu'elles ont pour ambition d'honorer ou de célébrer le souvenir d'un évènement ou d'un personnage historique, afin de lui conférer, dans la mémoire collective, une dimension unitaire et exemplaire. » 3 ( * )

Rappeler le passé pour éclairer le présent, commémorer n'est pas seulement se souvenir, c'est aussi délivrer un message. S'agissant de la mémoire collective, et plus encore de celle de la Nation, il n'est pas étonnant que l'État s'en saisisse et qu'en maintes occasions, il actualise ce message.

Le projet de loi fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France participe à cet exercice républicain en actualisant sa portée.

A. UN EXERCICE RÉPUBLICAIN

En instaurant, par la voie législative, les cérémonies du 14 juillet et du 11 novembre, la Troisième République a inauguré un modèle « national et civique » de la commémoration, particulièrement cohérent.

Instituée par l'article unique de la loi du 6 juillet 1880, la fête nationale annuelle le 14 juillet célèbre l'unité du peuple autour de la Nation mise en scène par la fête de la fédération de 1790.

Le 11 novembre, jour anniversaire de l'armistice de la Première guerre mondiale, est institué pour « célébrer la commémoration de la victoire et de la paix » par la loi du 24 octobre 1922. Il s'agit tout autant de rendre hommage aux citoyens morts pour la France. Tout le cérémonial établi progressivement y conduit : l'appel nominatif des morts inscrits sur le monument aux morts de la commune, la sonnerie « Aux morts » , les drapeaux qui s'inclinent, la minute de silence.

Il s'agit aussi de commémorer la Nation rassemblée dans l'épreuve. La Grande Guerre a été marquée du sceau de l'Union Sacrée dans la République pour une population française pourtant divisée politiquement et socialement. Cette volonté de célébrer l'unité retrouvée va être au coeur de la politique de commémoration qui se met progressivement en place. L'Union nationale des combattants est créée en décembre 1918 à l'initiative d'un aumônier militaire, le père Brottier, et grâce au soutien moral et financier de Georges Clemenceau avec pour devise « tous unis comme au front » . La loi du 20 juillet 1920 instaure la fête nationale de Jeanne d'Arc ; fête du patriotisme (2 ème dimanche d'avril) .

Puis la date du 11 novembre s'impose.

L'Armistice est signé à Rethondes, en forêt de Compiègne, le 11 novembre 1918. Ce sont les anciens combattants qui vont imposer peu à peu le 11 novembre comme une fête nationale.

Le 11 novembre 1919 : une journée d'hommage discret : une seule cérémonie est organisée dans la chapelle des Invalides en présence du maréchal Foch. Cette même année, deux journées commémoratives avaient déjà marqué les esprits :

- le 14 juillet 1919, on a fêté la Victoire et la Paix. Un hommage a été rendu à tous les combattants, aux vivants comme aux morts

- le 2 novembre 1919, premier Jour des morts depuis le retour de la paix, de nombreuses cérémonies symboliques ont été organisées. Le Parlement a voulu que les morts fussent glorifiés dans toutes les communes de France, le même jour à la même heure.

Le 11 novembre 1920 : le premier hommage au Soldat inconnu. Une foule immense accompagne le cortège au Panthéon puis à l'Arc de Triomphe.

1922 : le 11 novembre, jour de commémoration nationale. Tout au long de l'année 1922, les anciens combattants insistent pour que le Parlement déclare le 11 novembre fête nationale, ce qu'établit la loi du 24 octobre 1922.

1923 : la Flamme du souvenir. Le 11 novembre 1923, en présence de nombreuses associations d'anciens combattants, André Maginot, ministre de la guerre et des pensions, allume pour la première fois une flamme du souvenir. Parallèlement, on a assisté à l'érection d'un monument aux morts dans chaque commune de France, autour duquel chaque municipalité organise la cérémonie du 11 novembre : cortège des autorités, des associations patriotiques, des enfants des écoles, de la population.

Source : d'après « Mémoire et Citoyenneté n°8 » Publication Ministère de la défense/SGA/DMPA

Comme l'écrit l'historien Pierre Nora, la commémoration était « l'expression concentrée d'une histoire nationale, un moment rare et solennel » 4 ( * ) .


* 1 Rapport de la commission de réflexion sur la modernisation des commémorations publiques présidée par M. André Kaspi, remis à M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État aux Anciens combattants le 12 novembre 2008

* 2 Assemblée nationale - rapport d'information n°1262 - « Rassembler la nation autour d'une mémoire partagée » Bernard Accoyer, président de l'Assemblée nationale, rapporteur - novembre 2008

* 3 Assemblée nationale - rapport d'information n°1262 - déjà cité, p.108

* 4 « L'ère des commémorations » in Pierre Nora - « Les lieux de mémoire. 3 : Les France » - Gallimard 1997

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