B. DES DISPOSITIONS INSUFFISANTES POUR PRÉVENIR LES LICENCIEMENTS BOURSIERS

En dépit de ces dispositions législatives et jurisprudentielles apparemment protectrices, des salariés sont régulièrement licenciés par des employeurs peu scrupuleux, qui privilégient la rentabilité à court terme au détriment de l'emploi alors que les fondamentaux économiques de leur entreprise sont sains.

Les deux exemples les plus connus sont ceux de Michelin, en septembre 1999, et de Lu-Danone, au printemps 2001.

Le 8 septembre 1999, Edouard Michelin annonce, simultanément, une augmentation de 20 % du bénéfice semestriel de son entreprise et la suppression, sur trois ans, de 7 500 emplois, soit 10 % des effectifs du groupe en Europe. Le lendemain, le volume de titres échangés sur les marchés atteint un niveau particulièrement élevé - cinq millions de titres sont échangés alors que la moyenne au cours des mois précédents était de l'ordre de 300 000 - et la valeur de l'action Michelin augmente de plus de 11% au cours de la journée.

Le 30 janvier 2001, Danone rend publics des résultats en forte hausse : progression de 7 % du chiffre d'affaires, qui atteint 14,2 milliards d'euros, et hausse de 5,7 % du bénéfice net, qui s'élève à 721 millions. Lu-France, une des entreprises du groupe, réalise à elle seule 132 millions de profit. Ces résultats très positifs n'empêchent pas le groupe d'annoncer un vaste plan de restructuration deux mois plus tard : les sites de Calais et de Ris-Orangis sont fermés, entraînant la suppression de 816 postes ; en Europe, ce sont 1 780 emplois qui sont supprimés. Ces décisions s'expliquent essentiellement par des considérations financières : la marge opérationnelle de la branche biscuits, à 8,7 %, est jugée trop faible par rapport à celle des autres branches du groupe (12 % pour les produits laitiers et pour l'eau).

Comme cela a été indiqué, la jurisprudence s'oppose à ce que des licenciements économiques soient motivés par la seule recherche de bénéfices plus élevés. Incapable d'apporter la preuve que la sauvegarde de sa compétitivité était menacée et que des difficultés économiques étaient à prévoir, Danone a d'ailleurs été condamné par la cour d'appel de Paris, le 2 décembre 2010, à indemniser dix-neuf anciens salariés du site de Ris-Orangis, leur licenciement étant sans cause réelle et sérieuse.

Il est cependant choquant de constater qu'il aura fallu près de dix ans de procédures pour obtenir cette décision de justice, qui ne peut, en outre, donner entièrement satisfaction : si les anciens salariés ont obtenu une réparation indemnitaire, ils n'ont pu empêcher la fermeture de leur usine ni les suppressions d'emplois qui en ont découlé.

Si les cas des entreprises Michelin et Lu-Danone sont les plus connus, d'autres exemples de licenciements boursiers peuvent être cités. En 2009, l'entreprise Total a annoncé 14 milliards d'euros de profit, ce qui ne l'a pas empêchée de supprimer 555 emplois. Un peu plus tard, l'entreprise Alsthom a réalisé 1,2 milliard de profits, au titre de son exercice 2009-2010, et a pourtant décidé 4 000 suppressions de postes. On se souvient aussi de Molex France, dont le dernier site a été fermé fin 2009 alors qu'il était rentable (1,2 million d'euros de profits en 2008), ou encore de la fermeture de l'usine sidérurgique de Gandrange, en Moselle, décidée par le groupe ArcelorMittal, qui avait pourtant affiché 8 milliards de profits l'année précédente. La fermeture de ce site emblématique, malgré les engagements pris par le Président de la République, symbolise l'échec de la politique industrielle mise en oeuvre pendant ce quinquennat. On ne peut manquer enfin d'évoquer la lutte des salariés de Fralib, société qui dépend de la multinationale Unilever, qui se battent actuellement pour tenter de sauver leur emploi et éviter la fermeture de leur usine.

Face à la montée dramatique du chômage, et alors que l'emploi est redevenu la première préoccupation des Français, il est urgent d'apporter de nouvelles protections aux salariés afin de prévenir les licenciements boursiers, et non plus seulement d'en réparer les conséquences.

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