2. Selon les estimations de la commission des finances, le présent projet de loi n'aurait pas d'impact significatif sur l'emploi
a) L'impact sur l'emploi devrait être à peu près nul à moyen terme

Les études existantes rendent peu crédible le chiffre de 100 000 créations d'emplois avancé par le Gouvernement.

Le tableau ci-après indique l'impact, selon les estimations de la commission des finances , de divers dispositifs de TVA sociale.

L'impact sur l'emploi de divers dispositifs de TVA sociale : comparaison des estimations de la commission des finances et des estimations existantes

(Impact à moyen terme)

Montant du transfert (Mds €)

Impact sur l'emploi

Commission des finances

Estimations existantes

Impact allégements cotisations 1

Impact hausse TVA

Impact total

TVA sociale « classique » 2

13

180 000/240 000

-130 000

50 000/ 110 000

-15 000/ 100 000 3

Allégements généraux actuels sur les bas salaires

20

600 000/630 000

-

600 000/ 630 000

800 000 4

Scénarios DGTPE 2006 5

DGTPE :

Scénario 1

Maintien de la progressivité actuelle 6

8

125 000/170 000

-90 000

35 000/80 000

25 000

Scénario 2

Altération moyenne de la progressivité 7

14

65 000/140 000

-160 000

-95 000/ -20 000

-90 000

Scénario 3

Altération minimale de la progressivité 8

16

145 000/230 000

-185 000

- 40 000/ 45 000

-45 000

Scénario 4

Altération maximale de la progressivité 9

57

380 000/700 000

-650 000

-270 000/ 50 000

-235 000

Article 1 er du présent projet de loi

13,2

100 000/150 000

-120 000 10

-20 000/ 30 000

Gouvernement : 100 000

1 Selon le comportement de marge des entreprises.

2 Baisse de cotisations sociales identique pour l'ensemble des salaires.

3 Il s'agit de l'intervalle des simulations sur la TVA sociale « classique », présentées au 2 du A ci-avant. Les deux bornes de l'intervalle correspondent au scénario 3 (- 10 000 emplois) et aux scénarios 1 et 4 (+ 80 000 emplois) des simulations de l'Ecole centrale figurant dans le « rapport Besson ». Le transfert proposé par le présent projet de loi étant de 13,2 milliards d'euros (et non d'une dizaine de milliards d'euros comme celui envisagé par le « rapport Besson »), ces chiffres sont majorés d'environ 30 %, pour faciliter la comparaison.

4 Ce chiffre de 800 000 emplois ressort de la quinzaine d'études qui ont été faites sur le sujet en France, comme le montre un article publié en janvier 2006 par Yannick L'Horty (« Dix ans d'évaluation des exonérations sur les bas salaires », in « Connaissance de l'emploi », n° 24, janvier 2006). Il est également mentionné par le Conseil des prélèvements obligatoires dans son étude relative aux « Prélèvements obligatoires dans une économie globalisée », demandée par la commission des finances en application de l'article L. 351-3 du code des juridictions financières, qui lui a été remise le 7 octobre 2009. Selon une étude récente de la direction générale du Trésor, « entre 0,6 et 1,1 millions d'emplois pourraient être détruits en l'espace de quelques années si l'on supprimait totalement les allègements » (Cyril Nouveau, Benoît Ourliac, « Les allègements de cotisations sociales patronales sur les bas salaires en France de 1993 à 2009 », Trésor-éco n° 97, janvier 2012).

5 Groupe de travail sur l'élargissement de l'assiette des cotisations employeurs de sécurité sociale (30 mai 2006).

6 Baisse uniforme de 2 points du taux des cotisations patronales de sécurité sociale, quel que soit le niveau de salaire.

7 Barème actuel au niveau du SMIC ; allégement progressif jusqu'à 1,45 SMIC ; au-delà, fixation d'un taux unique de 22,6 %.

8 Le scénario le plus proche du dispositif proposé par le présent projet de loi : annulation des cotisations patronales de sécurité sociale au niveau du SMIC ; allègement progressif entre le SMIC et 1,45 SMIC ; au-delà de 1,45 SMIC, fixation d'un taux unique de 22,6 %.

9 Annulation des cotisations patronales de cotisations sociales au niveau du SMIC ; allègement dégressif entre le SMIC et 1,15 SMIC ; au-delà de 1,15 SMIC, fixation d'un taux unique de 9,8 %.

10 Impact minoré en conséquence d'un financement partiel par la CSG/le prélèvement social sur les revenus du patrimoine et les produits de placement.

Source : commission des finances

Ce tableau permet de mettre en évidence la fragilité du chiffre de 100 000 emplois avancé par le Gouvernement .

En effet, les estimations de la commission des finances - bien entendu réalisées à méthodologie constante - conduisent toujours à un ordre de grandeur analogue à celui des études existantes (et même généralement plus favorable dans le cas du scénario optimiste) , sauf dans celui de la « TVA anti-délocalisations » .

Ainsi, selon les estimations de la commission des finances, l'impact du dispositif proposé par le présent projet de loi serait compris entre 20 000 destructions d'emplois et 30 000 créations d'emplois . Autrement dit, compte tenu de l'importante marge d'erreur de ce type d'évaluations, l'impact sur l'emploi ne serait pas significatif .

Méthodologie des simulations de la commission des finances

La méthodologie utilisée est la même que celle retenue par le « rapport Besson » de 2007 pour les scénarios impliquant une modification de la progressivité du barème (c'est-à-dire autre que la TVA sociale « classique ») 148 ( * ) .

Il s'agit de calculer le solde entre les destructions d'emplois résultant de l'augmentation de la TVA et les créations d'emplois résultant de la baisse des cotisations.

Les destructions d'emplois résultant de l'augmentation de la TVA sont relativement bien documentées et sont évaluées à environ 100 000 pour une augmentation de 1,5 point du taux normal 149 ( * ) .

Les créations d'emplois résultant des baisses de cotisations sont en revanche plus difficiles à évaluer. En effet, si l'on s'accorde généralement sur le fait que l'élasticité moyenne de la demande de travail par les entreprises à son coût est de l'ordre de 0,5 (c'est-à-dire que la demande de travail par les entreprises augmente de 0,5 % quand le coût du travail diminue de 1 %), et que cette élasticité est d'autant plus forte que les salaires sont bas, il est nécessaire de recourir à certaines hypothèses. Dans le scénario optimiste , l'élasticité, de 1,2 au niveau du SMIC, diminue progressivement jusqu'à 0,3 à partir de 1,4 SMIC. Dans le scénario pessimiste , cette élasticité diminue progressivement jusqu'à 0,1 à partir de 2 SMIC. Le scénario pessimiste correspond par exemple au cas de figure où, comme l'anticipent de nombreux économistes, les entreprises profiteraient de la baisse des cotisations pour augmenter leurs marges. Il illustre également le caractère aléatoire d'une politique de réduction du coût du travail concernant des salaires déjà relativement élevés, dont l'impact est moins bien connu que celui d'une réduction du coût des bas salaires.

Un scénario plus pessimiste - ne figurant pas dans le tableau - ne peut être exclu . Si, par rapport au deuxième scénario, au cours des cinq prochaines années l'élasticité était réduite de 25 % pour tous les niveaux de rémunération - en raison par exemple de la volonté des entreprises de reconstituer leurs marges, ou d'une faible activité économique les dissuadant d'embaucher -, le nombre de destructions nettes d'emplois à moyen terme pourrait approcher les 40 000 .

b) Le Gouvernement ne fournit aucune justification au chiffre de 100 000 créations d'emplois qu'il avance

Le fait que le chiffre de 100 000 emplois avancé par le Gouvernement se démarque à ce point de ce que suggèrent les travaux réalisés jusqu'à présent implique soit un « bond » méthodologique important, soit une estimation fortement biaisée.

(1) L'absence de justification dans l'étude préalable

De manière paradoxale, l'évaluation préalable de l'article 1 er du présent projet de loi, qui fait pourtant une quinzaine de pages, n'avance aucune justification à ce chiffre, pourtant essentiel. Elle se contente en effet d'indiquer :

« La réforme est favorable à l'emploi :

« - toutes les précédentes baisses du coût du travail ont été favorables à l'emploi ;

« - les résultats sont dépendants du ciblage de la mesure. Le Gouvernement a choisi le ciblage adapté à ses objectifs, qui est d'améliorer la compétitivité des entreprises installées en France, et notamment de l'industrie et du secteur agricole, sans pour autant baisser le coût du travail des salaires élevés ;

« - le Gouvernement estime que la réforme créera environ 100 000 emplois. »

Cette argumentation est peu cohérente. L'idée que la mesure serait nécessairement favorable à l'emploi parce que « toutes les précédentes baisses du coût du travail ont été favorables à l'emploi » n'a pas de sens : la question qui se pose est, on l'a vu, de savoir si la baisse des cotisations patronales créera suffisamment d'emplois pour compenser les destructions provenant de l'augmentation de la TVA et de la CSG/du prélèvement social sur les revenus du patrimoine et les produits de placement. Le deuxième point, selon lequel « le Gouvernement a choisi le ciblage adapté à ses objectifs, qui est d'améliorer la compétitivité des entreprises installées en France, et notamment de l'industrie et du secteur agricole », rappelle que le ciblage n'est a priori pas le plus susceptible de maximiser la création d'emplois. Enfin, le Gouvernement assène, sans la moindre argumentation, qu'il estime « que la réforme créera environ 100 000 emplois », ce qui, on l'a vu, est difficilement compatible avec les études existantes.

(2) Même en supposant l'absence d'impact sur l'inflation, un nombre de créations d'emplois peu significatif

Comme on le verra ci-après, la mesure suscitera probablement un supplément d'inflation de l'ordre de 0,5 point.

Cependant, il ressort des estimations de la commission des finances indiquées ci-avant que même si les entreprises ne profitaient pas de la mesure pour augmenter leurs marges, la mesure créerait seulement de l'ordre de 30 000 emplois - ce qui, compte tenu de l'importante marge d'erreur de ce type de chiffrage, est peu significatif.

c) Une mesure peu centrée sur l'industrie et la compétitivité

On peut toutefois se demander dans quelle mesure les études existantes auraient « manqué » un élément important, auquel le Gouvernement aurait été le seul à avoir pensé.

Le choix d'appeler (en pratique, sinon dans le présent projet de loi) la mesure proposée « TVA anti-délocalisations », et d'insister sur les questions de compétitivité industrielle, suggère que dans l'esprit du Gouvernement, l'amélioration de la compétitivité contribuerait de manière déterminante à l'efficacité du dispositif, en particulier en termes de créations d'emplois. Peut-être s'agit-il, pour le Gouvernement, d'une TVA sociale ciblée pour maximiser l' « effet dévaluation », qui deviendrait le principal facteur de créations d'emplois.

Cependant, comme on le verra ci-après, le dispositif proposé n'est que marginalement une TVA sociale centrée sur l'industrie , et ne provoquera donc pas de « choc de compétitivité ».

d) Un scepticisme partagé par les économistes

Compte tenu de ce qui précède, il n'est pas étonnant que les économistes soient, à juste titre, plutôt sceptiques sur la « TVA anti-délocalisations ».

Ainsi, selon le Crédit Agricole 150 ( * ) , « avec des impacts à la fois positifs et négatifs et des comportements différenciés par secteurs, l'effet global devrait être faiblement positif sur la croissance et l'emploi ».

Sans se prononcer explicitement sur l'impact en termes d'emplois, Jean-Christophe Caffet et Alain Carbonne estiment, dans une récente étude de Natixis 151 ( * ) , que « ce basculement fiscal génèrera un surcroît d'inflation proche de 0,5 point en 2013, provoquant un recul du PIB de l'ordre de 0,1/0,2 point sur la période ».


* 148 Cf . annexe du rapport Besson, page 54.

* 149 Le « rapport Besson » retient une estimation de 95 000. Le modèle Mésange de la direction générale du Trésor conduit exactement au même chiffre (Trésor-Eco 2010/02, mars 2010).

* 150 « TVA sociale : des effets nets positifs mais limités », apériodique n°12/2, 30 janvier 2012.

* 151 Jean-Christophe Caffet, Alain Carbonne, « France : dernières mesures avant la fin de la législature », « Special Report » n°12, Natixis, 31 janvier 2012.

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