Rapport n° 128 (2012-2013) de Mme Françoise LABORDE , fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 14 novembre 2012

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N° 128

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 14 novembre 2012

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur la proposition de loi relative aux écoles de production ,

Par Mme Françoise LABORDE,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Marie-Christine Blandin , présidente ; MM. Jean-Étienne Antoinette, David Assouline, Mme Françoise Cartron, M. Ambroise Dupont, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, M. Jacques Legendre, Mmes Colette Mélot, Catherine Morin-Desailly, M. Jean-Pierre Plancade , vice-présidents ; Mme Maryvonne Blondin, M. Louis Duvernois, Mme Claudine Lepage, M. Pierre Martin, Mme Sophie Primas , secrétaires ; MM. Serge Andreoni, Maurice Antiste, Dominique Bailly, Pierre Bordier, Mme Corinne Bouchoux, MM. Jean Boyer, Jean-Claude Carle, Jean-Pierre Chauveau, Jacques Chiron, Claude Domeizel, Mme Marie-Annick Duchêne, MM. Alain Dufaut, Jean-Léonce Dupont, Vincent Eblé, Mmes Jacqueline Farreyrol, Françoise Férat, MM. Gaston Flosse, Bernard Fournier, André Gattolin, Jean-Claude Gaudin, Mmes Dominique Gillot, Sylvie Goy-Chavent, MM. François Grosdidier, Jean-François Humbert, Mmes Bariza Khiari, Françoise Laborde, M. Pierre Laurent, Mme Françoise Laurent-Perrigot, MM. Jean-Pierre Leleux, Michel Le Scouarnec, Jean-Jacques Lozach, Philippe Madrelle, Jacques-Bernard Magner, Mme Danielle Michel, MM. Philippe Nachbar, Daniel Percheron, Marcel Rainaud, Michel Savin, Abdourahamane Soilihi, Alex Türk, Hilarion Vendegou, Maurice Vincent .

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

120 (2011-2012) et 129 (2012-2013)

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La présente proposition de loi déposée par M. Jean-Claude Carle et d'autres collègues sénateurs vise à instituer, à titre expérimental , un nouveau cadre juridique applicable aux écoles de production . Les auteurs de cette initiative sont partis du constat que, faute d'une reconnaissance juridique suffisante, ces établissements privés d'enseignement technique demeurent encore relativement peu connus en dehors de leur périmètre de recrutement.

Face aux performances exceptionnelles démontrées par les écoles de production dans l' insertion des jeunes de 14 à 18 ans, en situation de rupture scolaire, la proposition de loi entend introduire une nouvelle réglementation au profit de ces établissements afin de soutenir leur développement et d'accompagner la consolidation de la qualité de leur méthode pédagogique. Dans le cadre d'une expérimentation d'une durée de cinq ans, le texte propose, en effet, plusieurs axes de réforme du cadre juridique en vigueur :

- relevant jusqu'ici d'une réglementation inscrite dans le code de l'éducation et placées sous le contrôle du ministre de l'éducation nationale en tant qu'établissements privés d'enseignement technique, les écoles de production se verraient reconnues désormais par arrêté du ministre chargé de la formation professionnelle , selon des critères formulés dans un cahier des charges. À ce titre, ce serait l' inspection du travail et non plus l'inspection de l'éducation nationale qui serait chargée de contrôler ces écoles ;

- le texte entend consacrer au profit des employeurs partenaires des écoles de production le bénéfice de la part « barème » de la taxe d'apprentissage au titre du hors quota ;

- enfin, la proposition de loi étend aux élèves des écoles de production le bénéfice de l'ensemble des avantages matériels et tarifaires (carte « Étudiant des métiers », réductions tarifaires analogues à celles dont jouissent les apprentis et les étudiants) et des dispositifs d'aide à la scolarité réservés aux élèves scolarisés dans l'enseignement public ou en établissement privé sous contrat.

I. LES ÉCOLES DE PRODUCTION : UNE VOIE ORIGINALE ET PROMETTEUSE DE FORMATION ALTERNÉE POUR DES JEUNES EN DIFFICULTÉ

A. UNE VOIE DE FORMATION PAR LA PRATIQUE AUX SPÉCIFICITÉS RECONNUES AU SEIN DE L'ENSEIGNEMENT TECHNIQUE PRIVÉ

Le vocable « École de production » constitue une marque déposée par la Fédération nationale des écoles de production (FNEP) auprès de l'Institut national de la propriété intellectuelle (INPI). Il désigne un ensemble de structures privées d' enseignement technique et de formation professionnelle centrée sur la pratique aux métiers de l'artisanat, du commerce et de l'industrie, dont les plus anciennes ont été fondées dans la deuxième moitié du XIX e siècle dans la région Rhône-Alpes . À titre d'exemple, l'école de production « Boisard », considérée comme la plus ancienne, a été fondée par le chanoine Boisard dans la région lyonnaise en 1882.

Les écoles de production se caractérisent par une méthode pédagogique spécifique mettant l'accent sur la formation par la pratique : la formation pratique en atelier représente ainsi les deux tiers du temps pédagogique , le tiers restant étant consacré à la formation théorique en classe. Destinés principalement à des jeunes de 14 à 18 ans, les écoles de production entendent former leurs élèves en les plaçant en situation réelle de production au cours de leur formation pratique, sans pour autant les contraindre à alterner entre l'école et l'entreprise, comme c'est le cas pour les apprentis. C'est pourquoi les écoles de production se revendiquent comme des « écoles-entreprises » au sein desquelles l'opportunité est offerte aux élèves de répondre à une commande de clients en réalisant une production prête à livrer. La durée moyenne annuelle de formation d'un élève au sein d'une école de production est d'environ 1 500 heures.

Les écoles de production sont autonomes dans l'organisation de leur scolarité et ne relèvent pas de la compétence des autorités académiques . Si elles ne sont pas soumises au contrôle pédagogique du ministère de l'éducation nationale, n'étant pas sous contrat avec l'État , elles sont agréées pour être des centres d'examen de certains diplômes de niveau V et IV tels que le certificat d'aptitude professionnel (CAP), le brevet d'études professionnelles (BEP) ou le baccalauréat professionnel qui sont délivrés à l'issue d'une formation de deux à quatre ans. Les écoles de production ne sont donc en mesure de délivrer des diplômes qu'en mode ponctuel ou des certifications qui permettent aux jeunes une insertion ou une poursuite d'études.

LA RÉPARTITION PAR CLASSE D'ORIGINE DES ÉLÈVES

Source : Région Rhône-Alpes.

L'octroi de la marque « École de production » par la FNEP est conditionnée au respect par l'établissement de huit éléments fondamentaux contenus dans sa charte :

CHARTE DE LA FÉDÉRATION NATIONALE DES ÉCOLES DE PRODUCTION

1. Former à un métier, avec un objectif d'excellence

Formation professionnelle qualifiante, préparation à l'exercice d'un métier et intégration à la vie professionnelle (vers l'emploi ou vers la continuation des études professionnelles).

2. Une pédagogie partant de la pratique pour aller à la théorie

« Faire pour apprendre ». Une orientation pédagogique clairement affirmée et mise en oeuvre, non seulement dans les matières professionnelles mais aussi dans les matières générales.

3. Associer pratique et théorie au même endroit

La formation pratique et la formation théorique se font sur le même site, avec les mêmes formateurs pour les matières professionnelles et avec un lien étroit entre ceux-ci et les formateurs des matières générales.

4. Un nombre important d'heures de formation en situation de production

Au minimum 60 % de l'horaire total.

5. Un volume significatif de production (produits et services)

Destiné à la vente dans les conditions réelles de marché.

6. Une école ouverte à tous les élèves, dès 14 ans (ou 15 ans si machines dangereuses)

Qui manifestent de l'intérêt pour une formation professionnelle. Leur admission est indépendante de leur seul parcours scolaire. Ils bénéficient d'un accompagnement individualisé et personnalisé.

7. Une approche pédagogique clairement éducative

Et pas seulement professionnelle, formalisée dans un projet écrit et structuré.

8. Un conseil d'administration ou un comité de pilotage spécifique (selon que l'école est une association indépendante ou une partie d'une structure plus importante)

Il porte et garantit la spécificité d'école de production et il comprend notamment des professionnels des métiers enseignés

Source : Fédération nationale des écoles de production.

Les métiers enseignés dans le cadre des écoles de production recouvrent désormais une vaste palette de secteurs économiques : des métiers de la métallerie et de la menuiserie à la mécanique industrielle et automobile, en passant par des métiers d'art tels que l'ébénisterie ou la haute couture et des métiers de services tels que la restauration ou l'hôtellerie. La FNEP dénombre, à l'heure actuelle, quinze écoles de production dont huit d'entre elles sont installées dans la région Rhône-Alpes, regroupées au sein d'une fédération régionale « Écoles de production Rhône-Alpes » (EPRA).

Source : Région Rhône-Alpes.

B. UN FINANCEMENT FRAGILE QUI APPELLE UNE DIVERSIFICATION DES RESSOURCES

La FNEP a indiqué bénéficier du soutien actif du milieu industriel, en particulier dans le cadre des subventions versées par la fondation reconnue d'utilité publique de la 2 e chance « Agir pour l'insertion dans l'industrie » (A2i), présidée par Mme Anne Lauvergeon. Les écoles de production ont des modèles économiques assez hétérogènes mais qui s'appuient pour l'essentiel sur les ressources suivantes :

- la vente de fournitures et de services assurés par les élèves et les maîtres professionnels en réponse aux commandes de clients : le produit de cette vente assure en règle générale au moins la moitié du budget des écoles de production ;

- la taxe d'apprentissage : en vertu de la loi n° 71-578 du 16 juillet 1971 sur la participation des employeurs au financement des premières formations technologiques et professionnelles, les écoles de production dont les formations figurent sur une liste établie par le préfet de la région concernée peuvent être éligibles au versements exonératoires de la taxe d'apprentissage au titre du barème (hors quota) à raison des dépenses effectuées par les entreprises partenaires pour le fonctionnement et le développement de ces établissements. Le produit de ces versements représente entre 20 et 25 % des ressources des écoles de production ;

- les subventions de fonctionnement versées par les collectivités territoriales , notamment les régions, compétentes en matière de formation professionnelle : à titre d'exemple, la région Rhône-Alpes a accordé une subvention totale de 1,94 million d'euros aux huit écoles de production installées sur son territoire. Le 9 mars 2012, cette région a signé avec ces établissements une nouvelle convention de partenariat triennale pour la période 2012-2014 ;

- diverses aides et subventions ainsi que des dons de particuliers : certaines écoles de production, ayant le statut d'association de la loi 1901 perçoivent ainsi une subvention préfectorale au titre de la cohésion sociale ou encore des subventions de la protection judiciaire de la jeunesse.

Une difficulté juridique s'oppose à l'obtention de fonds couvrant les frais de fonctionnement auprès des fondations dans la mesure où celles-ci ne sont autorisées qu'à financer des investissements.

C. UNE MÉTHODE PÉDAGOGIQUE AUX RÉSULTATS ENCOURAGEANTS

La FNEP indique qu'en juin 2010, 85 % des élèves des écoles de production ont obtenu leur diplôme. L'efficacité de cette voie de formation en termes d'insertion des jeunes dans la vie professionnelle semble démontrée, puisque la moitié des diplômés accède sans grande difficulté à un emploi, l'autre moitié faisant en général le choix de poursuivre ses études (baccalauréat professionnel, brevet de technicien supérieur...).

TAUX DE SORTIE DES JEUNES
ISSUS DES ÉCOLES DE PRODUCTION EN RHÔNE-ALPES

Source : Région Rhône-Alpes.

Ces écoles enregistrent des succès notables dans le cadre de concours tels que les « Meilleurs ouvriers de France » ou le concours général des métiers. En 2009, le partenariat entre l'école de production « Boisard » et les Ateliers d'apprentissage de La Giraudière remporte le prix général du Trophée SIA 2009 et le prix Michelin de l'innovation.

Le réseau des écoles de production entretient des relations étroites et permanentes avec le milieu de l'entreprise et les branches professionnelles , notamment avec les fédérations professionnelles telles que l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM), la Fédération française du bâtiment (FFB), la Fédération interprofessionnelle du bois en Rhône-Alpes (FIBRA) ou encore l'Association nationale pour la formation automobile (ANFA).

Il convient de souligner que les programmes des écoles de production, s'ils doivent remplir un certain nombre d'exigences communes inscrites au sein d'un cahier des charges, sont adaptés par chaque structure aux spécialités poursuivies et aux besoins professionnels spécifiques à la région ou à la localité dans laquelle elle est implantée.

Le taux moyen de réussite aux examens professionnels en 2012 au sein des huit écoles de production situées en Rhône-Alpes s'est établi à 92 %. L'Association forézienne d'écoles de production (AFEP) enregistre le taux de réussite le plus faible, de 70 %, qui s'explique en grande partie par la part significative des « primo-arrivants » au sein des effectifs, c'est-à-dire des mineurs isolés issus de l'immigration en situation irrégulière qui s'expriment avec difficulté en français. Toutefois, on observe une évolution particulièrement encourageante dès lors que ce taux de réussite s'établissait à 50 % en 2012.

II. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION

A. LA RÉGLEMENTATION EN VIGUEUR N'A PAS EMPÊCHÉ L'ESSOR DES ÉCOLES DE PRODUCTION DANS LE RESPECT DE LEURS SPÉCIFICITÉS

Votre commission est convaincue que les écoles de production constituent une composante de notre réseau national d'enseignement technique , qui a fait la preuve de son succès dans l'insertion socioprofessionnelle des jeunes en situation de décrochage scolaire. À ce titre, les spécificités de leur méthode pédagogique, axée fondamentalement sur la formation par la pratique et la mise en situation de production en réponse à des commandes de clients, méritent d'être reconnues et saluées.

Face aux performances enregistrées par les écoles de production en termes d'insertion des jeunes sur le marché du travail et au succès des formations auprès des branches professionnelles, les rectorats des différentes académies au sein desquelles elles sont implantées ont lancé entre mars et avril 2006 une série d'inspections de ces établissements. À la suite de la publication des rapports d'inspection qui louaient la qualité de la méthode pédagogique mise en oeuvre, le ministre de l'éducation nationale a pris, le 19 juin 2006 un arrêté attribuant la reconnaissance de l'État à huit écoles privées d'enseignement technique parmi lesquelles figurent pas moins de sept écoles de production.

La réglementation en vigueur applicable à l'enseignement technique, inspirée de la loi du 25 juillet 1919 relative à l'organisation de l'enseignement technique industriel et commercial, dite « loi Astier », et désormais inscrite dans le code de l'éducation , a permis l'essor des écoles techniques privées conformément au respect des exigences de l'instruction obligatoire . Elle offre un cadre souple à l'initiative d'industriels, d'associations ou de syndicats, voire de collectivités territoriales, pour créer des établissements dispensant une formation pratique répondant aux besoins professionnels de la localité. La reconnaissance de l'État, sur le fondement de l' article 443-2 du code de l'éducation , permet à ces écoles de renforcer leur visibilité sur le plan régional et national.

En outre, la reconnaissance de l'État et l'inscription des formations technologiques et professionnelles sur une liste établie par le préfet ouvrent d'ores et déjà aux écoles de production concernées le bénéfice de l'exonération de la taxe d'apprentissage au titre du hors quota (barème), à raison des dépenses réellement exposées en vue de favoriser le développement et le fonctionnement des écoles.

Un certain nombre d'incertitudes pèsent, néanmoins, sur le fonctionnement des écoles de production :

- les écoles de production gèrent des commandes de clients pour lesquels des devis et des factures sont établis « au niveau du marché ». La question demeure de savoir si les jeunes qui ont participé à la fourniture d'un de ces contrats sont rémunérés à un tarif comparable à ceux qui sont en apprentissage. Les pratiques semblent très variables sur ce point selon les écoles de production concernées. Le fait est que la très grande majorité des élèves inscrits dans des écoles de production ne perçoivent aucune rémunération ;

- il est difficile pour l'heure d'évaluer le coût moyen des frais d'inscription aux écoles de production, tant les conditions d'accès à la scolarité peuvent varier en fonction de l'établissement. Si certains établissements ne réclament que le versement de sommes symboliques par les familles (20 euros par mois dans certains cas), les élèves de l'école « Boisard » doivent, en revanche, acquitter 1 000 euros de frais d'inscription et 240 euros par mois de frais de scolarité uniquement en première année afin de couvrir le coût de l'entretien et de la mise aux normes des locaux et des installations ;

- de plus, chaque école de production semble avoir mis au point sa propre politique d'accompagnement des élèves et de leurs familles dans l'organisation de la scolarité et de son environnement immédiat (aides à la scolarité selon les conditions de ressources de la famille pour certains, places disponibles en internat, activités extrascolaires...).

L'enseignement technique privé se caractérise par la très grande hétérogénéité des méthodes pédagogiques et des modèles statutaires , aussi bien en termes de financement que de fonctionnement, mis en oeuvre par les établissements concernés. Il n'apparaît pas, dès lors, opportun d'envisager un cadre législatif spécifique au profit des seules écoles de production, au nombre de quinze actuellement, alors qu'elles ne représentent qu'un ensemble encore assez marginal, de 500 à 700 élèves tout au plus, au sein des 875 établissements privés d'enseignement technique recensés par l'UNETP.

B. LES INCOHÉRENCES DU TEXTE : UN STATUT HYBRIDE TAILLÉ SUR MESURE POUR UNE CATÉGORIE ENCORE MARGINALE D'ÉTABLISSEMENTS PRIVÉS D'ENSEIGNEMENT TECHNIQUE

Les propositions du texte souffrent, en outre, de plusieurs incohérences :

- l' hétérogénéité est telle entre les écoles de production qu'il est difficile d'anticiper sur le contenu du cahier des charges qui devrait servir de base à leur agrément par le ministère de la formation professionnelle. La charte établie par la FNEP conditionnant l'octroi de la marque « École de production » au respect de huit éléments fondamentaux ne permet pas de garantir des exigences communes en matière d'organisation des activités et de contenus et de méthodes pédagogiques ;

- la proposition de loi semble vouloir tailler sur mesure au profit des écoles de production un statut hybride qui combinerait à la fois les avantages réservés aux apprentis dans le cadre des centres de formation d'apprentis (CFA) ou des sections d'apprentissage (SA) et ceux ouverts aux élèves de l'enseignement public ou de l'enseignement privé sous contrat.

Dans cette logique, l'article 2 entend placer les écoles de production dans le giron du ministère de la formation professionnelle afin, sans doute, de reconnaître aux écoles de production une vocation en matière d'apprentissage qui justifierait aussi bien le bénéfice de versements exonératoires au titre du quota de la taxe d'apprentissage (article 4) que le bénéfice de la carte « Étudiants des métiers » réservée aux apprentis (article 5).

De façon paradoxale, l'article 6 vise à garantir l'accès des élèves des écoles de production aux aides à la scolarité de l'éducation nationale, alors même que le contrôle de ces établissements aurait été transféré au ministère du travail. La proposition de loi reconnaît ainsi implicitement que ces élèves ne peuvent pas être assimilés à des apprentis, en l'absence de toute rémunération et de contrat d'apprentissage ;

- en transférant au ministère de la formation professionnelle l'agrément et le contrôle des écoles de production, les auteurs de la proposition de loi oublient que les services et les missions d'inspection de ce ministère ne disposent pas des compétences nécessaires pour assurer la validation des méthodes pédagogiques mises en oeuvre par ces établissements .

De plus, il convient de rappeler que même les formations par apprentissage s'appuient sur des diplômes dont le contenu et l'organisation pédagogiques ont fait préalablement l'objet d'une validation par le ministère de l'éducation nationale. Il n'est donc pas envisageable de transférer à l'inspection du travail le contrôle d'écoles scolarisant des élèves mineurs pour lesquels les exigences de l'instruction obligatoire jusqu'à 16 ans s'imposent ;

- les représentants des écoles de production défendent un modèle pédagogique et de formation professionnelle d' « école-entreprise » atypique qui, selon eux, n'est pas compatible avec les exigences qu'impliquerait la conclusion d'un contrat d'association avec le ministère de l'éducation nationale dans les conditions prévues par la loi n° 59-1557 du 31 décembre 1959, dite « loi Debré ».

Les promoteurs des écoles de production ne sont pas prêts, en effet, à soumettre leur organisation aux règles des contrats d'association de la « loi Debré » : ceci supposerait une homologation des locaux et des installations, la mise en conformité des enseignements théoriques avec les règles et les programmes de l'enseignement public, le recrutement des enseignants à l'issue d'un concours, une évaluation des enseignants par une notation pédagogique, le respect d'un volume horaire minimal d'enseignement...

Dans ces conditions, la proposition de loi entend contourner les procédures de reconnaissance de droit commun de l'éducation nationale en rapprochant les écoles de production du ministère de la formation professionnelle et du modèle des CFA ou SA. Ceci n'est cohérent ni avec l'intention des auteurs de la proposition de loi de permettre à leurs élèves d'accéder aux bourses de l'éducation nationale, ni avec l'intention du Gouvernement de ne réserver le statut d'apprenti qu'aux jeunes âgés de quinze ans révolus .

C. LES ÉCOLES DE PRODUCTION CONTRAINTES À SORTIR D'UNE CERTAINE AMBIGUÏTÉ

La question du statut des écoles de production avait déjà été débattue au Parlement, à l'occasion d'une question adressée par le député Robert Lamy au Gouvernement le 1 er février 2005 à l'Assemblée nationale. Le ministre délégué à la recherche, M. François d'Aubert, avait alors indiqué que le ministère de l'éducation nationale était prêt à étudier les demandes éventuelles des écoles de production pour la conclusion d'un contrat d'association, tout en soulignant qu' « encore faut-il que les écoles répondent aux critères de celui-ci, qui s'imposent à tous. Cela ne semble pas être le cas aujourd'hui ».

Le ministre avait insisté, en outre, sur les différences fondamentales qu'il existe entre les écoles de production et des établissements d'enseignement sous contrat avec l'éducation nationale :

- « bien que les formateurs soient des professionnels aguerris et compétents, ils ne sont pas titulaires d'une licence pour enseigner » ;

- « les élèves travaillent 39 heures par semaine, et leur formation s'étale sur trois ans, alors qu'elle n'est que de deux ans dans le système de formation reconnu par l'éducation nationale. Ces horaires supérieurs à la moyenne permettent aux élèves de produire des objets divers, dont la vente contribue aux ressources de l'association à hauteur de 50 %. Or un établissement reconnu par l'éducation nationale ne saurait avoir une activité commerciale ».

Dès lors, le ministre avait soutenu que « puisqu'une convention spécifique n'est pas légalement envisageable, l'éducation nationale ne peut qu'encourager les écoles de production à sortir d'une certaine ambiguïté , soit à s'affirmer comme écoles et à s'engager dans la voie du contrat, soit à privilégier leur originalité à partir de leurs activités de production, sans pouvoir prétendre à un contrat ».

D. L'OPPORTUNITÉ D'UNE MISSION D'ÉVALUATION DES DISPOSITIFS DE FORMATION ALTERNÉE DESTINÉS AUX MINEURS

La réglementation en vigueur n'a pas empêché l'essor d'un réseau d'écoles de production qui continuent de pouvoir organiser en toute autonomie leur fonctionnement et leur scolarité selon des critères qui sont, du reste, propres à chaque établissement. Votre commission estime qu'il serait contreproductif d'introduire dans notre droit un statut hybride taillé sur mesure au seul profit des écoles de production qui constituerait potentiellement une rupture dans l'égalité de traitement de l'ensemble des établissements d'enseignement technique privés .

Un certain nombre de ces établissements privés ont précisément fait le choix d'adapter leur organisation de la scolarité, leur fonctionnement et leurs méthodes pédagogiques pour se conformer aux exigences du ministère de l'éducation nationale dans le cadre de contrats d'association. La reconnaissance d'un statut ad hoc pour un réseau de quinze écoles de production n'encadrant que tout au plus 700 élèves serait dès lors mal perçue par le reste des établissements d'enseignement technique privés.

Outre les problèmes rédactionnels posés par la proposition de loi, la perspective de transférer l'agrément et l'inspection de ces établissements au ministère chargé de la formation professionnelle n'irait pas, du reste, dans le sens d'une garantie accrue du respect des exigences de l'instruction obligatoire alors que ces écoles accueillent en partie des enfants âgés de 14 à 16 ans.

En revanche, votre commission reconnaît qu'il serait également bienvenu de la part du ministère de l'éducation nationale qu'il sorte lui-même du rapport ambigu qu'il entretient avec les écoles de production. Force est de constater que les écoles de production répondent à un réel besoin en direction de jeunes complètement exclus du système scolaire traditionnel , pour certains dans des situations d'abandon familial.

Or, il n'est certainement pas souhaitable de laisser perdurer une situation dans laquelle des établissements, bien que privés mais poursuivant une oeuvre d'encadrement pédagogique et d'insertion professionnelle à destination des jeunes en très grande difficulté, demeurent marginalisés, voire tacitement ignorés par le système de l'éducation nationale. Le ministère de l'éducation nationale semble, en effet, s'accommoder d'un réseau d'écoles de production qui permet de prendre en charge des élèves exclus pour lesquels l'offre scolaire traditionnelle n'est plus adaptée . Pour autant, il n'entend pas leur reconnaître une réelle légitimité, en refusant en particulier l'octroi d'aides sociales à des jeunes pourtant âgés pour certains de 14 à 16 ans.

Qu'il s'agisse des exigences de l'instruction obligatoire ou de la nécessité d'accorder des aides à la scolarité au profit de mineurs en difficulté, le ministère de l'éducation nationale ne peut plus se permettre de détourner son regard des écoles de production, même de façon bienveillante. Le risque serait de marginaliser et stigmatiser encore plus ces jeunes accueillis dans une voie complètement dérogatoire du droit commun sans aucune validation du projet pédagogique des établissements. Des règles minimales d'organisation de la scolarité doivent être définies, en négociation avec les écoles de production, sur les aspects suivants :

- un temps de formation générale incompressible doit être garanti , au-delà des seuls enseignements théoriques appliqués dans le cadre de la production. Le modèle pédagogique des écoles de production ne permet pas pour l'heure de prévenir toute dérive productiviste qui conduirait à délaisser le temps de la formation générale au profit du temps de la production, en particulier en période de fortes commandes. Un certain nombre de ces jeunes ont entre 14 et 16 ans et disposent d'un niveau de formation générale extrêmement faible (certains « primo-arrivants » ne parlent pas le français). Or, il est indispensable de s'assurer que leur scolarité au sein des écoles de production leur garantisse l'acquisition d'un socle minimal de connaissances fondamentales (lecture, écrit, mathématiques) afin d'être en mesure d'exercer pleinement leur citoyenneté ;

- le contrôle du volet pédagogique des écoles de production doit également reposer sur une habilitation ou une accréditation des personnels appelés à accompagner les élèves dans leur formation théorique et générale. Dans un souci de souplesse de recrutement au sein des bénévoles et des professionnels de l'industrie, cette accréditation n'a pas vocation à être conditionnée à l'obtention d'un titre à l'issue d'un concours, comme c'est le cas dans le cadre d'un contrat d'association. Une procédure d'habilitation à enseigner au sein d'établissements d'enseignement technique permettrait aussi bien de garantir un niveau de compétence pédagogique minimal que de valoriser ces bénévoles et maîtres professionnels ;

- l'accès aux aides à la scolarité doit être garanti pour les élèves inscrits en formation alternée , que ce soit en établissements sous contrat avec le ministère de l'éducation nationale ou en écoles de production. Il n'est pas envisageable, en effet, de laisser ces jeunes à l'écart de toute forme d'aide sociale. Certes, le cadre juridique actuel ne permet pas aux élèves des écoles de production de bénéficier de ces aides, faute d'avis favorable de la part du Conseil supérieur de l'éducation rendu obligatoire par l'article L. 531-5 du code de l'éducation. Toutefois, une solution pourrait être trouvée dans le traitement différencié des élèves en fonction de leur âge et du dispositif d'accueil choisi, en réservant les écoles de production à la scolarité post-obligatoire au-delà de 16 ans :


de 14 à 16 ans , les élèves devraient idéalement être inscrits au sein d'établissements ou d'organismes proposant des voies de formation en alternance adaptées à leur situation, reconnues et sous contrat avec le ministère de l'éducation nationale. En maintenant ces élèves sous statut scolaire, l'octroi d'aides à la scolarité selon les conditions de ressources des familles serait dès lors automatique. Les conditions réglementaires sont aujourd'hui réunies pour garantir l'accès des élèves de 14 à 16 ans à plusieurs dispositifs de formation alternée sous statut scolaire :

Ø l'article L. 337-3 du code de l'éducation prévoit que « les élèves ayant atteint l'âge de quatorze ans peuvent être admis, sur leur demande et celle de leurs représentants légaux, à suivre une formation alternée, dénommée « formation d'apprenti junior », visant à l'obtention, par la voie de l'apprentissage, d'une qualification professionnelle dans les conditions prévues au livre II de la sixième partie législative du code du travail. Cette formation comprend un parcours d'initiation aux métiers effectué sous statut scolaire dans un lycée professionnel ou un centre de formation d'apprentis, puis une formation en apprentissage » ;

Ø l'article L. 337-3-1 du code de l'éducation a permis aux jeunes âgés d'au moins 15 ans d'avoir accès au dispositif d'initiation aux métiers de l'alternance (DIMA) : dans ce cadre, le jeune bénéficie d'une formation non rémunérée lui permettant de commencer une activité de type professionnel tout en demeurant sous statut scolaire ;

Ø les maisons familiales rurales peuvent accueillir des jeunes à partir de 14 ans, en classes de 4 e et 3 e de l'enseignement agricole, pour des formations par alternance ou par apprentissage, jusqu'au niveau CAP ou BAC ;


de 16 à 18 ans , les élèves qui le désirent pourraient être inscrits en écoles de production qui seraient réservées à la scolarité post-obligatoire. Dans ces conditions, la scolarité en écoles de production pourrait être reconnue par le ministère de l'éducation nationale, dans les conditions fixées par un contrat d'association, comme un parcours de formation récurrente 1 ( * ) permettant à des jeunes âgés de plus de 16 ans sortis du système scolaire d'y retourner. À titre d'exemple, la région Rhône-Alpes a conclu une convention avec le lycée Magenta de la « nouvelle chance » à Villeurbanne afin que celui-ci donne l'opportunité à des jeunes de plus de 16 ans de renouer avec les études et d'acquérir une qualification professionnelle, le conseil régional leur accordant le statut de stagiaire de la formation continue non rémunéré, et leur attribuant une allocation .

Ainsi, en 2012, le conseil régional de Rhône-Alpes a financé la protection sociale et la rémunération de 84 stagiaires de la formation continue accueillis au lycée Magenta, pour un montant total de 380 000 euros.

Dans ces conditions, votre commission a décidé de rejeter la proposition de loi.

Votre commission estime préférable de se donner le temps de la réflexion, en sollicitant auprès du Gouvernement la mise en place d'une mission consacrée à l'enseignement technique et professionnel privé et aux dispositifs de formation alternée. Cette mission d'évaluation et d'inspection a vocation à dresser un panorama et un bilan des dispositifs d'alternance mêlant formation théorique et générale et formation professionnelle qui constituent un ensemble aujourd'hui très hétérogène : les lycées techniques et professionnels privés, les maisons familiales rurales, les structures de pédagogie récurrente, les écoles de la 2 e chance, les écoles de production, les établissements publics d'insertion de la Défense (EPIDe), le dispositif de formation d'apprenti junior, le dispositif d'initiation aux métiers de l'alternance...

Cette mission devra formuler des recommandations en vue d' améliorer et de sécuriser le cadre juridique régissant ces dispositifs d'éducation et d'insertion, en précisant le cas échéant les modifications législatives et réglementaires qui s'imposent. Ses conclusions pourront nourrir le prochain projet de loi de programmation pour l'école qui devrait comprendre un volet consacré à l'enseignement technique et professionnel et à la formation alternée.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er - Expérimentation d'un nouveau cadre réglementaire applicable aux écoles de production

Le présent article vise à mettre en place, par voie législative, une expérimentation d'une durée de cinq ans destinée à développer un cadre juridique nouveau censé permettre la consolidation et la reconnaissance du réseau des écoles de production.

I. - Le texte de la proposition de loi

L'article 37-1 de la Constitution dispose que « la loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental ». Sur ce fondement, l'article 1 er de la proposition de loi précise que la mise en oeuvre du nouveau cadre juridique applicable aux écoles de production défini par ses articles 2 à 6 intervient dans un cadre expérimental d'une durée de cinq ans et fera, à ce titre, l'objet d'une évaluation en fin de période.

II. - La position de votre commission

Opposée à l'introduction de nouvelles dispositions spécifiques aux écoles de production pour les raisons qu'elle développera dans la suite du présent rapport, votre commission ne peut approuver l'objet expérimental poursuivi par l'article 1 er de la proposition de loi.

Votre commission n'a pas adopté l'article 1 er de la proposition de loi.

Article 2 - Statut et agrément des écoles de production

I. - Le droit en vigueur

Les écoles de production sont pour la plupart, à l'heure actuelle, des établissements privés d'enseignement technique relevant d'une réglementation ancienne inscrite désormais dans le code de l'éducation .

A. L'essor de l'enseignement technique sous la III e République

Face à l'essor des écoles nationales professionnelles et des écoles pratiques de commerce et d'industrie à partir de 1880, la loi du 25 juillet 1919 relative à l'organisation de l'enseignement technique industriel et commercial, dite « loi Astier » , établit la première réglementation de niveau législatif applicable à l'enseignement technique. Elle entendait consacrer le statut des écoles publiques d'enseignement technique et des écoles de métiers placées sous l'autorité du ministre chargé du commerce et de l'industrie. Elle ouvrait également la possibilité au secteur privé de créer des écoles d'enseignement technique privé, sauf opposition manifestée par le maire concerné, le préfet, le procureur de la République ou l'inspecteur de l'enseignement technique. L'inspection des établissements d'enseignement technique, publics ou privés, relevait ainsi, jusqu'au début du XX e siècle, de l'inspection de l'enseignement technique relevant du ministère du commerce et de l'industrie.

La « loi Astier » a également institué les cours professionnels ou de perfectionnement destinés aux apprentis, ouvriers et employés du commerce et de l'industrie. En principe gratuits, ils revêtaient un caractère obligatoire pour tous les jeunes âgés de moins de 18 ans employés dans le commerce et l'industrie, soit en vertu d'un contrat d'apprentissage, soit en vertu d'un contrat. Le caractère nécessaire de ces cours en fonction des besoins professionnels des localités était établi par arrêté du ministre chargé du commerce et de l'industrie, après rapport d'une commission locale professionnelle dans la commune concernée.

En 1920, l'essentiel de l'effort consacré à la création de cours et d'enseignements techniques professionnels était assuré par les communes (45 %), le reste étant à l'initiative des groupements patronaux (20 %), des associations (20 %), des syndicats (10 %) et des industriels (5 %) 2 ( * ) .

Toutefois, dès 1920, l'enseignement technique est définitivement intégré dans le ministère chargé de l'éducation, à l'occasion de la création par le Président du Conseil Alexandre Millerand d'un sous-secrétariat d'État à l'enseignement technique rattaché au ministère de l'instruction publique. L'année 1925 voit la création de la taxe d'apprentissage et des chambres de métiers , respectivement par la loi de finances du 13 juillet 1925 et la loi du 26 juillet 1925, dite « loi Courtier ».

C'est le décret du 9 janvier 1934 qui détermine les conditions exigées du personnel enseignant et de direction de l'enseignement technique privé. Il habilite, en particulier, à enseigner dans un établissement d'enseignement technique privé toute personne du plus de 21 ans, justifiant d'un titre ou d'un diplôme exigé pour l'enseignement dans une école publique technique donnant des enseignements de mêmes niveaux que l'école technique privée dans laquelle il désire enseigner. Des conditions qualifiantes dérogatoires sont néanmoins prévues en fonction des différents secteurs et niveaux d'enseignement concernés : enseignement général, enseignement technique théorique et enseignement technique pratique.

B. L'enseignement technologique et professionnel au coeur des priorités législatives au début des années 1970

La loi n° 71-577 du 16 juillet 1971 d'orientation sur l'enseignement technologique replace l'enseignement technique au coeur des priorités de formation de la nation, son article 5 disposant que « les enseignements technologiques sont constitués par l'ensemble des moyens destinés à assurer la formation professionnelle initiale et la formation continue dans les différents domaines de l'économie ». Les caractéristiques de ce type d'enseignement sont précisées et réactualisées : l'article 6 établit ainsi que « l'enseignement technique doit permettre à ceux qui le suivent l'entrée dans la vie professionnelle à tous les niveaux de qualification et leur faciliter l'accès à des formations ultérieures », en s'étendant de la troisième année du cycle moyen jusqu'à l'enseignement supérieur inclus. Dans ces conditions, les titres ou diplômes de l'enseignement technique sont inscrits sur une liste d'homologation , l'inscription étant de droit lorsqu'ils sont délivrés par le ministre de l'éducation nationale.

L'article 1 er de la loi n° 71-578 du 16 juillet 1971 sur la participation des employeurs au financement des premières formations technologiques et professionnelles prévoit l'exonération totale ou partielle de la taxe d'apprentissage au titre du hors quota ( barème ) au bénéfice des employeurs 3 ( * ) à raison des dépenses réellement exposées en vue de favoriser les premières formations technologiques ou professionnelles.

La loi du 16 juillet 1971 entend par premières formations technologiques ou professionnelles « celles qui, avant l'entrée dans la vie active, préparent les jeunes à un emploi d'ouvrier ou d'employé, spécialisé ou qualifié, de travailleur indépendant et d'aide familial, de technicien, technicien supérieur, d'ingénieur ou de cadre supérieur des entreprises des divers secteurs économiques », ces premières formations étant « dispensées, soit par un établissement d'enseignement à temps complet de manière continue, soit dans tout autre établissement fonctionnant en application de la loi n° 71-577 du 16 juillet 1971 relative à l'enseignement technologique ou de la loi n° 60-791 du 2 août 1960, relative à l'enseignement et à la formation professionnelles agricoles, soit dans les conditions prévues par la loi n° 71-576 du 16 juillet 1971 relative à l'apprentissage ».

C. Une codification relativement tardive

Le code de l'enseignement technique a été abrogé par l'ordonnance n° 2000-549 du 15 juin 2000 relative à la partie législative du code de l'éducation. L'ouverture des établissements d'enseignement technique privé et les principales dispositions de la « loi Astier » sont désormais codifiées dans le code de l'éducation (section 3 du chapitre I er du titre IV du Livre IV de la deuxième partie, articles L. 441-10 à L. 441-13).

L' article L. 443-2 prévoit que les écoles techniques privées légalement ouvertes peuvent être reconnues par l'État après avis consultatif du Conseil supérieur de l'éducation (CSE), dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État . Il précise, en outre, que « des certificats d'études et des diplômes peuvent être délivrés , dans les conditions déterminées par arrêté ministériel après avis du Conseil supérieur de l'éducation, par les écoles techniques privées reconnues par l'État ».

L'article L. 443-3 du code de l'éducation soumet la nomination du directeur et du personnel enseignant des écoles techniques privées reconnues par l'État à l'agrément de l'autorité administrative. Les directeurs sont agréés sur leur titre, les enseignants sur leur capacité, le niveau Master n'étant pas requis. La plupart des enseignants au sein des établissements d'enseignement technique privés sont bien souvent des maîtres auxiliaires.

En outre, l'article L. 443-4 du même code prévoit que « l'État peut participer , soit sous forme de bourses, soit sous forme de subventions, aux dépenses de fonctionnement des écoles reconnues », les conditions de cette participation étant fixées par décret après avis favorable du Conseil supérieur de l'éducation.

Ce régime juridique est également applicable aux écoles des chambres de commerce et d'industrie territoriales , en vertu de l'article L. 443-1 du code de l'éducation.

Sur le fondement des dispositions précitées, l'arrêté du ministre de l'éducation nationale du 19 juin 2006 a accordé la reconnaissance de l'État à huit établissements privés d'enseignement technique :

- lycée « Notre-Dame de La Tourtelière » à Pouzauges (85700) ;

- association forézienne d'écoles de production (AFEP) à Saint-Étienne (42000) ;

- école de production « Boisard » à Vaulx-en-Velin (69120) ;

- école catholique d'apprentissage par l'automobile (ECAUT) à Viuz-en-Sallaz (74250) ;

- école technique du bois à Cormaranche-en-Bugey (01110) ;

- école libre d'apprentissage de Grenoble (ELAG) à Grenoble (38100) ;

- ateliers d'apprentissage de la Giraudière à Brussieu (69690) ;

- atelier d'apprentissage de « Gorge de Loup » à Lyon (69009).

Parmi ces établissements, seul le lycée Notre-Dame de La Tourtelière, général et technique, est sous contrat avec l'État, relevant de l'autorité de l'académie de Nantes. Les sept autres établissements sont des écoles de production.

D. Un enseignement technique privé d'origine encore essentiellement confessionnelle

L'Union nationale de l'enseignement technique privé (UNETP), fondée en 1934, a recensé, en 2012, 875 établissements et organismes de formation adhérents dont il est souligné que la plupart sont « très imprégnés de la doctrine sociale de l'Église ». En effet, le livre blanc de l'UNETP précise que seulement 9 % des établissements adhérents sont non confessionnels, 51 % étant sous tutelle diocésaine et 40 % relevant d'une congrégation religieuse 4 ( * ) .

II. - Le texte de la proposition de loi

L'article 2 de la proposition de loi attribue la dénomination d'écoles de production aux « centres de formation, préparant à l'obtention d'une qualification professionnelle sanctionnée par un diplôme ou un titre à finalité professionnelle enregistré au répertoire national des certifications professionnelles et respectant un cahier des charges défini par arrêté ».

Il précise que « la liste des écoles de production est arrêtée chaque année par le ministre en charge de la formation professionnelle ».

III. - La position de votre commission

La Fédération nationale des écoles de production (FNEP) définit le concept d'écoles de production comme « mode de formation initiale au même titre qu'un lycée d'enseignement professionnel (LEP) ou un centre de formation d'apprentis (CFA) ». Les écoles de production, dont la dénomination constitue pour l'heure une marque déposée par la FNEP, ont pour particularité de consacrer près des deux tiers du temps de formation à la production de commandes aux conditions de marché à destination des industriels ou des particuliers.

La réglementation applicable aux écoles de production correspond aux dispositions régissant les établissements d'enseignement technique privé. L'obtention de la reconnaissance de l'État et la conclusion d'un contrat avec le ministère de l'éducation nationale, conformément aux dispositions précitées du code de l'éducation, ouvrent le droit à une série d'avantages tels que la participation de l'État au financement de leurs dépenses de fonctionnement sous forme de bourses ou de subventions, l'homologation des titres ou diplômes délivrés, ou encore l'exonération partielle ou totale de la taxe d'apprentissage au titre du hors quota pour les entreprises partenaires dans les conditions fixées par la loi n° 71-578 du 16 juillet 1971.

À condition d'être effectivement exploité par les écoles de production, le régime juridique aujourd'hui en vigueur est fonctionnel : tout en permettant l'essor des initiatives privées, en particulier d'origine industrielle, en matière de création d'écoles de production, il offre la possibilité de garantir la qualité pédagogique des établissements privés d'enseignement technique dans le cadre d'un contrat d'association, sous le contrôle de l'inspection du ministère de l'éducation nationale .

Par conséquent, votre commission n'estime pas nécessaire d'introduire un régime juridique spécifique au bénéfice des écoles de production qui constituent une catégorie des établissements privés d'enseignement technique parmi d'autres. En outre, elle tient à souligner les problèmes rédactionnels posés par l'article 2 de la proposition de loi qui ne définit, de façon imprécise, les écoles de production que comme des centres de formation préparant à l'obtention d'une qualification professionnelle sanctionnée par un diplôme ou un titre à finalité professionnelle enregistré au répertoire national des certifications professionnelles. Une telle définition est susceptible, dès lors, de faire entrer dans le champ des écoles de production une très grande variété d'établissements. Elle renvoie, du reste, la définition du contenu et des caractéristiques des écoles de production à un cahier des charges établi par arrêté.

La désignation de ces écoles par arrêté du ministre chargé de la formation professionnelle semble exclure, par ailleurs, tout contrôle par l'administration du ministère de l'éducation nationale.

À l'évidence, le rattachement des écoles de production au ministère de la formation professionnelle s'inscrit dans une volonté des auteurs de la proposition de loi d'assimiler ces établissements autant que faire se peut à des organismes de formation par l'apprentissage de sorte, en particulier, d'en tirer des bénéfices tant sur plan financier (recettes de la taxe d'apprentissage au titre du quota) que sur le plan du traitement des élèves comme des apprentis (obtention de la carte « Étudiant des métiers »).

Pour l'ensemble de ces raisons, votre commission n'a pas adopté l'article 2 de la proposition de loi.

Article 3 - Inspection des écoles de production

I. - Le texte de la proposition de loi

L'article 3 de la proposition de loi envisage de confier à l'inspection du travail la responsabilité de contrôler le respect par les écoles de production des exigences du cahier des charges prévu par l'article 2.

II. - La position de votre commission

Le contrôle de l'État sur les établissements d'enseignement privé est régi par les articles L. 442-1 à L. 442-3 du code de l'éducation. En ce qui concerne les établissements d'enseignement privé qui ne sont pas liés à l'État par contrat, l'article L. 442-2 prévoit que le contrôle de l'État se limite aux titres exigés des directeurs et des maîtres, à l'obligation scolaire, à l'instruction obligatoire, au respect de l'ordre public et des bonnes moeurs, à la prévention sanitaire et sociale.

En outre, le même article précise que les autorités d'inspection de l'éducation nationale peuvent effectuer un contrôle des classes hors contrat « afin de s'assurer que l'enseignement qui y est dispensé respecte les normes minimales de connaissances requises [...] et que les élèves de ces classes ont accès au droit à l'éducation [...] ».

Il n'apparaît donc pas souhaitable de transférer le contrôle des enseignements et de la formation dispensés dans les écoles de production de l'inspection de l'éducation nationale à l'inspection du travail, compte tenu du respect nécessaire des exigences fondamentales en matière d'instruction obligatoire qui s'appliquent à tous les établissements, publics ou privés, d'enseignement technique accueillant des mineurs de 14 à 16 ans.

Votre commission n'a pas adopté l'article 3 de la proposition de loi.

Article 4 - Extension du bénéfice de l'exonération partielle ou totale de la taxe d'apprentissage aux employeurs partenaires des écoles de production

I. - Le texte de la proposition de loi

L'article 4 de la proposition de loi entend étendre aux employeurs visés au 2° du 2 de l'article 224 du code général des impôts, c'est-à-dire les sociétés, associations et organismes passibles de l'impôt sur les sociétés, le bénéfice d'une exonération totale ou partielle de la taxe d'apprentissage à raison des dépenses réellement exposées en vue de favoriser le développement et le fonctionnement des écoles de production.

Cette disposition tend à faire bénéficier les entreprises partenaires des écoles de production des versements exonératoires de la taxe d'apprentissage au titre du hors quota, correspondant à la part « barème » de la taxe d'apprentissage.

II. - La position de votre commission

Votre rapporteure rappelle que les exonérations à la taxe d'apprentissage au titre du hors quota, qui représentent 47 % de la taxe due en 2012, sont définies à l'article 1 er de la loi n° 71-578 du 16 juillet 1971 et leurs montants sont répartis selon le niveau de formation définis dans les articles R. 6241-22 et R. 6241-23 du code du travail.

Sont considérés comme versements exonératoires notamment les versements aux établissements d'enseignement dispensant des premières formations technologiques et professionnelles dont les formations figurent sur la liste publiée par le préfet de région au 31 décembre de chaque année en application de l'article R. 6241-3 du code du travail ainsi que les contributions aux dépenses d'équipement et de fonctionnement des centres de formation des apprentis (CFA) et des sections d'apprentissage (SA).

Si l'on s'en tient aux intentions exprimées par les auteurs de la proposition de loi dans l'exposé de ses motifs, l'objectif poursuivi consisterait à permettre aux écoles de production, en tant qu'organismes de formation professionnelle alternée placés sous la tutelle du ministère de la formation professionnelle, de bénéficier des versements exonératoires de la taxe d'apprentissage aussi bien au titre du barème (hors quota) que du quota . Or, cette démarche pose deux difficultés juridiques fondamentales :

- d'une part, la rédaction de l'article 4 ne correspond pas aux intentions affichées par l'auteur de la proposition de loi : elle ne permettrait en aucune manière de garantir aux écoles de production le bénéfice de la part « quota » de la taxe d'apprentissage. La lettre de l'article 4 ne fait que rappeler une possibilité d'ores et déjà ouverte aux écoles de production dont les formations technologiques et professionnelles figurent sur la liste annuelle publiée par le préfet de leur région, à savoir celle de bénéficier des versements exonératoires de la taxe d'apprentissage au titre du barème, à raison des dépenses effectivement réalisées par les employeurs partenaires en faveur du fonctionnement et des équipements de ces établissements. Les écoles de production ne pouvant délivrer que des diplômes du niveau V et IV (CAP, BEP ou Bac pro), celles dont les formations ont été agréées dans le cadre de la liste préfectorale appartiennent à la catégorie A du barème et ne peuvent donc être éligibles qu'à 40 % des ressources issues du barème de la taxe d'apprentissage ;

- d'autre part, la volonté poursuivie par les auteurs de la proposition d' ouvrir le bénéfice d'une partie du quota de la taxe d'apprentissage aux écoles de production est incompatible avec la législation en vigueur gouvernant cette taxe . En effet, le quota de la taxe d'apprentissage , qui correspond à 53 % de son produit global, finance exclusivement les établissements formant les apprentis . Il doit être consacré obligatoirement, à hauteur de 22 %, au compte d'affectation spéciale (CAS) du fonds national de développement et de modernisation de l'apprentissage (FNDMA). L'autre partie du quota, soit 31 % du produit global de la taxe, est appelée « quota libre » et repose sur des versements obligatoires aux CFA et SA, et permet de concourir, de façon obligatoire, à la couverture du coût par apprenti fixé par la convention de création d'un CFA.

SCHÉMA GLOBAL DE REPARTITION DE LA TAXE D'APPRENTISSAGE

( données 2010 )

Source : Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle.

Les écoles de production ne peuvent être assimilées à des organismes prenant en charge des apprentis, au même titre que les CFA et SA, et ce quand bien même elles seraient placées sous la tutelle du ministère du travail en application de l'article 2 de la proposition de loi. Dans ces conditions, la réglementation applicable à la taxe d'apprentissage ne permet, en aucune manière, de faire bénéficier les écoles de production de versements de taxe d'apprentissage au titre du quota.

Votre commission rappelle que le système en vigueur permet déjà de faire bénéficier de la part barème de la taxe d'apprentissage les établissements privés d'enseignement technique dispensant les enseignements et formations reconnus et validés par la liste établie par le préfet de région à la fin de chaque année. Seule cette sélection permet de garantir le lien entre versements exonératoires de la taxe d'apprentissage au bénéfice des entreprises partenaires et établissements dont la qualité du projet pédagogique a été dument reconnue par l'État.

Votre commission n'a pas adopté l'article 4 de la proposition de loi.

Article 5 - Extension de la carte « Étudiant des métiers » aux élèves des écoles de production

I. - Le texte de la proposition de loi

L'article 5 de la proposition de loi habilite les écoles de production à délivrer la carte « Étudiant des métiers » mentionnée à l'article L. 6222-36-1 du code du travail, jusqu'ici réservé aux seuls apprentis bénéficiant d'un contrat d'apprentissage.

Cette carte a été créée par la loi n° 2011-893 du 28 juillet 2011 pour le développement de l'alternance et la sécurisation des parcours professionnels afin d'ouvrir au bénéfice des apprentis des réductions tarifaires rigoureusement identiques à celles dont jouissent les étudiants notamment en matière d'hébergement, de restauration et de transports. En effet, le développement de l'alternance exigeait de veiller à ce que « des coûts excessifs d'hébergement, de restauration, de transports, d'achat d'équipements et vêtements de travail, etc., ne viennent pas annuler l'apport d'une rémunération qui est tout de même très modeste en première année de contrat (25 % du SMIC pour les plus jeunes) » 5 ( * ) .

II. - La position de votre commission

Le dispositif de la carte « Étudiant des métiers » a précisément été conçu en vue de permettre à des jeunes en contrat d'apprentissage de bénéficier des mêmes avantages tarifaires accordés aux étudiants de l'enseignement supérieur. Or, les élèves des écoles de production ne peuvent être considérés comme des apprentis : il s'agit de jeunes de 14 à 18 ans qui ne perçoivent strictement aucune rémunération, quand bien même ils s'investissent dans une production en réponse à des commandes de clients, bien souvent selon des rythmes de travail hebdomadaires pouvant aller jusqu'à 39 heures par semaine. La formation de ces élèves s'étale sur trois ans, alors qu'elle n'est que de deux ans dans le système de formation par l'apprentissage reconnu par l'éducation nationale.

Dans ces conditions, votre commission considère que, malgré l'artifice de la proposition de loi consistant à transférer la tutelle et le contrôle des écoles de production au ministère du travail, un élève de ces écoles ne saurait être assimilé à un apprenti : non seulement une partie de ces élèves sont âgés de 14 ans, mais en outre ces élèves ne perçoivent aucune rémunération en l'absence de contrat d'apprentissage. Par conséquent, elle s'oppose à l'extension à ces établissements du bénéfice de la carte « Étudiant des métiers ».

En outre, les réductions tarifaires qu'emporte l'extension du bénéfice de la carte « Étudiant des métiers » aux élèves des écoles de production constitue une augmentation des charges publiques assumées par l'État et ses établissements publics , en particulier le Centre national des oeuvres universitaires (CNOUS) lorsqu'il s'agit d'aménager des tarifs spéciaux de restauration ou de réserver au profit de ces élèves un nombre minimal de places au sein du parc immobilier universitaire public. En conséquence, l'article 5 de la proposition de loi peut être déclaré irrecevable sur le fondement de l'article 40 de la Constitution.

Votre commission n'a pas adopté l'article 5 de la proposition de loi.

Article 6 - Extension du bénéfice de l'aide à la scolarité et des bourses nationales aux élèves des écoles de production

I. - Le texte de la proposition de loi

L'article 6 de la proposition de loi rend les élèves des écoles de production éligibles à l'aide à la scolarité et aux bourses nationales dans les conditions fixées par le chapitre Ier du titre III du livre V de la deuxième partie du code de l'éducation.

II. - La position de votre commission

Votre commission tient à rappeler que l' article L. 531-5 du code de l'éducation dispose qu' « après avis favorable du Conseil supérieur de l'éducation , l'État peut faire bénéficier de bourses les élèves des établissements d'enseignement technique privés reconnus par l'État dans les conditions prévues à l'article L. 443-2 ». L'attribution d'aides à la scolarité aux élèves des écoles d'enseignement technique privées reconnues par l'État est ainsi conditionnée à un avis favorable du Conseil supérieur de l'éducation (CSE).

Le CSE a été consulté en mai 2006 par le ministre de l'éducation nationale sur deux points concernant des écoles d'enseignement technique privées, dont sept écoles de production :

- sur l'opportunité d'une reconnaissance par l'État de ces écoles, sur le fondement de l'article L. 443-2 du code de l'éducation. Sur cette question, l'avis du CSE a été défavorable. L'article précité ne prévoyant qu'un avis purement consultatif du CSE, le ministre de l'éducation a toutefois procédé à la reconnaissance de huit écoles privées d'enseignement technique par l'arrêté du 19 juin 2006, dont sept écoles de production ;

- sur la possibilité d'ouvrir aux élèves de ces écoles le bénéfice des bourses de l'éducation nationale, sur le fondement de l'article L. 531-5 du code de l'éducation. Sur cette question l'avis du CSE a également été défavorable. L'article précité prévoyant un avis favorable obligatoire du CSE, l'accès aux aides à la scolarité n'a pu être accordé aux élèves de ces établissements.

En outre, l'extension du bénéfice de ces aides aux élèves des écoles de production constitue une augmentation des charges publiques qui rend, de fait, l'article 6 irrecevable au regard des dispositions de l'article 40 de la Constitution. En effet, le nouveau cadre juridique applicable aux écoles de production mis en place par la proposition aura mécaniquement pour conséquence d'augmenter le nombre d'établissements d'enseignement technique privés reconnus par l'État et, par là même, la charge que représente le financement de l'aide à la scolarité à laquelle une partie de leurs élèves sera éligible.

Votre commission n'a pas adopté l'article 6 de la proposition de loi.

* *

*

Réunie le mercredi 14 novembre 2012, sous la présidence de Mme Marie Christine Blandin, la commission a rejeté la proposition de loi n° 120 (2011-2012) relative aux écoles de production.

En conséquence, et en application de l'article 42, alinéa premier, de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte de la proposition de loi .

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 14 novembre 2012, sous la présidence de Mme Marie-Christine Blandin, présidente, la commission examine le rapport de Mme Françoise Laborde sur la proposition de loi n° 120 (2011-2012) relative aux écoles de production .

Mme Marie-Christine Blandin, présidente . - Nous allons examiner le rapport de Françoise Laborde sur la proposition de loi relative aux écoles de production. Mais auparavant, dans l'esprit convivial et démocratique de notre commission, je donne la parole à Jean-Claude Carle pour qu'il nous présente l'objet de son texte.

M. Jean-Claude Carle, auteur de la proposition de loi . - Les écoles de production sont une voie originale pour des jeunes en rupture scolaire et sociale, qui ont quitté l'école pour se retrouver dans la rue, et ne peuvent même pas prétendre à un contrat d'apprentissage. Soit on les laisse à leur triste sort, soit on tente de les réinsérer. Ces établissements sont le lieu d'une pédagogie nouvelle, puisque l'école est intégrée à l'entreprise et vice versa , sur un même lieu. Ils accueillent environ 500 élèves et leur offrent une formation, une éducation au sens large, afin qu'ils puissent ensuite décrocher un diplôme - plus de 80 % ont obtenu un certificat d'aptitude professionnelle (CAP) ou un baccalauréat professionnel - et trouver un emploi. Des carrières intéressantes s'ouvrent ainsi à eux : beaucoup créent une entreprise, quelques-uns ont même entrepris des études d'ingénieur.

Cette initiative mérite d'être encouragée. Au Danemark, 110 écoles de production accueillent près de 15 000 élèves. Or les écoles françaises souffrent aujourd'hui de leur précarité juridique : ce sont des écoles techniques d'enseignement privé, reconnues par l'État mais hors contrat, ce qui ne leur permet pas - non plus qu'aux élèves - de recevoir des aides publiques : bourses, cartes d'étudiant, etc. Leur précarité est aussi financière, car la scolarité y est presque gratuite, les élèves payant au plus 800 euros par an. Les écoles tirent 40 % de leurs revenus de leur production, 25 % d'aides régionales, en Rhône-Alpes notamment, et elles sont autorisées à percevoir une part de la taxe d'apprentissage, au titre du barème mais non du quota.

Je propose de clarifier leur statut en les rattachant au ministère de l'emploi et de la formation professionnelle, qui exercera son contrôle, et de les faire bénéficier pleinement de la taxe d'apprentissage, dans le cadre aussi bien du barème que du quota. Les jeunes pourraient être éligibles aux bourses de l'éducation nationale et recevoir une carte d'étudiant.

Certes, cela pose des problèmes d'ordre juridique, et c'est pourquoi le texte prévoit une expérimentation afin de procéder dans cinq ans aux ajustements nécessaires. Le Danemark s'est lui-même inspiré de l'exemple français pour améliorer sa législation.

Mme Françoise Laborde, rapporteure . - Cette proposition de loi donne aux écoles de production, à titre expérimental, un nouveau cadre juridique. Ces écoles se caractérisent par une méthode pédagogique spécifique privilégiant la formation par la pratique : la formation en atelier représente les deux tiers du temps pédagogique, le dernier tiers étant consacré à la formation théorique en classe. Destinées principalement à des jeunes de 14 à 18 ans ayant décroché du système éducatif traditionnel, elles se proposent de former leurs élèves en les plaçant en situation réelle de production, en réponse à des commandes de clients, sans les contraindre à alterner comme les apprentis entre l'école et l'entreprise. Elles revendiquent donc leur statut d'« écoles-entreprises ».

Les écoles de production n'étant pas sous contrat avec l'État, elles ne sont pas soumises au contrôle pédagogique du ministère de l'éducation nationale. Elles sont cependant agréées comme centres d'examen de certains diplômes de niveau V et IV tels que le certificat d'aptitude professionnelle (CAP), le brevet d'études professionnelles (BEP) ou le baccalauréat professionnel. Les métiers enseignés couvrent une large palette de secteurs économiques : des métiers de la métallerie et de la menuiserie à la mécanique industrielle et automobile, en passant par des métiers d'art ou de services tels que l'ébénisterie, la haute couture, la restauration et l'hôtellerie. La Fédération nationale des écoles de production (FNEP) dénombre aujourd'hui quinze écoles de production, dont huit en région Rhône-Alpes.

La FNEP indique qu'en juin 2010, 85 % des élèves des écoles de production ont obtenu leur diplôme. Pour ce qui est de l'insertion professionnelle, l'efficacité de cette voie de formation semble démontrée : la moitié des diplômés accèdent sans grande difficulté à un emploi, l'autre moitié choisissant en général de poursuivre leurs études. Ces écoles sont un élément intéressant de notre réseau national d'enseignement technique, qui a fait la preuve de son succès.

Toutefois, le statut hybride taillé sur mesure par cette proposition de loi me paraît inopportun ; on peut douter de la proportionnalité des mesures envisagées, qui favorisent une quinzaine d'établissements regroupant tout au plus 700 élèves, autant que de leur faisabilité juridique.

Tout d'abord, les articles 2 et 3 transfèrent l'agrément et le contrôle des écoles de production du ministère de l'éducation nationale à celui de la formation professionnelle, car ces structures privées refusent de soumettre leur organisation pédagogique aux règles des contrats d'association de la « loi Debré », ce qui supposerait de mettre en conformité leurs enseignements théoriques avec les règles et programmes de l'enseignement public, de recruter leurs enseignants par concours, de respecter un volume horaire minimal d'enseignement théorique. En rattachant ces établissements au ministère de la formation professionnelle, on les assimilerait à des organismes de formation par l'apprentissage, afin qu'ils en tirent des bénéfices financiers - recettes de la taxe d'apprentissage au titre du quota - et statutaires - les élèves, considérés comme des apprentis, recevraient la carte « Étudiant des métiers ».

Or les services d'inspection du ministère de la formation professionnelle ne disposent pas des compétences nécessaires pour évaluer les méthodes pédagogiques des écoles de production. Faut-il rappeler que même les formations par apprentissage s'appuient sur des diplômes dont le contenu et l'organisation pédagogiques ont été préalablement validés par le ministère de l'éducation nationale ? Il est inenvisageable de transférer à l'inspection du travail le contrôle d'écoles scolarisant des élèves mineurs, soumis aux exigences de l'instruction obligatoire jusqu'à 16 ans.

L'article 4 vise à faire bénéficier les entreprises partenaires des versements exonératoires de la taxe d'apprentissage au titre du hors quota, correspondant à la part « barème » de la taxe d'apprentissage. Contrairement aux intentions exprimées dans l'exposé des motifs, l'article ne garantirait pas aux écoles de production le bénéfice de la part « quota » de la taxe d'apprentissage : il rappelle seulement que les écoles dont les formations technologiques et professionnelles figurent sur la liste publiée annuellement par le préfet de région peuvent bénéficier des versements exonératoires de la taxe d'apprentissage au titre du barème, à raison des dépenses effectivement réalisées par les employeurs partenaires en faveur du fonctionnement et des équipements de ces établissements. Étendre le bénéfice d'une partie du quota de la taxe d'apprentissage aux écoles de production serait incompatible avec la législation en vigueur, car le quota de cette taxe, qui correspond à 53 % de son produit global, finance exclusivement les établissements formant des apprentis - ce que les écoles de production ne sont pas, puisque leurs élèves ne sont pas rémunérés : le rattachement au ministère de la formation professionnelle n'y changerait rien.

De même, l'article 5 tend à octroyer aux élèves des écoles de production la carte « Étudiants des métiers », qui leur offrirait des avantages et des réductions tarifaires identiques à ceux dont jouissent les apprentis et les étudiants. Or ils ne sauraient être assimilés à des apprentis : certains d'entre eux n'ont que 14 ans, alors que l'apprentissage est réservé aux plus de 15 ans, et ils ne perçoivent aucune rémunération en l'absence de contrat d'apprentissage.

L'article 6 rendrait ces élèves éligibles aux bourses nationales délivrées par l'éducation nationale, ce qui répond à un vrai problème, puisque cette éligibilité est aujourd'hui soumise à l'accord du Conseil supérieur de l'éducation nationale, qui y a donné un avis défavorable en 2006.

Les articles 5 et 6, en cela qu'ils constituent une aggravation des charges publiques, me semblent irrecevables sur le fondement de l'article 40 de la Constitution.

Au-delà des problèmes rédactionnels et juridiques, j'ai le sentiment que l'introduction d'un statut hybride taillé sur mesure en faveur des quinze écoles de production existantes, constituerait une rupture d'égalité à l'égard des 875 autres établissements d'enseignement technique privés recensés par l'Union nationale de l'enseignement technique privé (UNETP). L'incohérence du texte est manifeste : d'un côté, il retire les écoles de production du champ scolaire en en faisant des organismes de formation alternée placés sous l'autorité du ministère de la formation professionnelle, au même titre que les CFA ou les sections d'apprentissage, bénéficiant des recettes du quota de la taxe d'apprentissage comme du statut d'apprenti pour leurs élèves ; de l'autre, il est admis que ces élèves ne peuvent être tenus pour de véritables apprentis, puisqu'ils ne perçoivent aucune rémunération, et c'est pourquoi on veut les rendre éligibles aux bourses de l'éducation nationale pourtant réservées aux élèves placés sous statut scolaire.

Il faut cependant mettre fin à la situation ambiguë entretenue par le ministère de l'éducation nationale qui semble s'accommoder d'un réseau d'écoles de production prenant en charge des élèves auxquels l'offre scolaire traditionnelle n'est plus adaptée, sans toutefois leur reconnaître une réelle légitimité, ces écoles faisant seulement l'objet d'une reconnaissance formelle de l'État par arrêté qui n'emporte aucun droit. Il est donc indispensable de poursuivre la réflexion, afin de définir des règles minimales d'organisation de la scolarité, en concertation avec les écoles. Un temps de formation générale incompressible doit être garanti, au-delà des seuls enseignements théoriques appliqués dans le cadre de la production. Gardons à l'esprit qu'un certain nombre de ces jeunes ont entre 14 et 16 ans. Ils doivent acquérir les connaissances fondamentales - lecture, écrit, mathématiques - nécessaires à l'exercice de la citoyenneté. Pour votre information, un certain nombre sont des « primo-arrivants » qui maîtrisent difficilement le français.

Le contrôle de l'offre pédagogique devrait reposer sur une habilitation ou une accréditation du personnel appelé à accompagner les élèves dans leur formation théorique et générale. Non que cette accréditation doive être subordonnée à l'obtention d'un titre à l'issue d'un concours, comme c'est prévu par les contrats d'association : il faut préserver une certaine souplesse de recrutement, parmi les bénévoles et les professionnels de l'industrie.

Qu'ils soient inscrits dans un établissement sous contrat ou une école de production, tous les élèves en formation alternée doivent pouvoir bénéficier d'aides à la scolarité. Sans doute faut-il prévoir un traitement différencié des élèves en fonction de leur âge. De 14 à 16 ans, les élèves devraient idéalement être inscrits dans des établissements ou organismes proposant des voies de formation en alternance adaptées à leur situation, reconnues et sous contrat avec le ministère de l'éducation nationale. Maintenus sous statut scolaire, ils bénéficieraient d'aides à la scolarité. Plusieurs dispositifs agréés existent déjà : les élèves de 14 ans peuvent suivre une « formation d'apprenti junior », c'est-à-dire un parcours d'initiation aux métiers effectué sous statut scolaire dans un lycée professionnel ou un centre de formation d'apprentis ; les jeunes âgés d'au moins 15 ans peuvent avoir accès au dispositif d'initiation aux métiers de l'alternance (DIMA) et reçoivent alors une formation non rémunérée afin de commencer une activité professionnelle tout en demeurant sous statut scolaire ; les maisons familiales rurales peuvent aussi accueillir des jeunes de plus de 14 ans pour des formations par alternance. De 16 à 18 ans, les élèves qui le désirent pourraient être inscrits dans des écoles de production, réservées à la scolarité post-obligatoire. Ils se verraient alors reconnaître par les ministères de l'éducation nationale et de la formation professionnelle le statut de stagiaires de la formation continue non rémunérés, et bénéficieraient le cas échéant d'une allocation versée par le conseil régional.

Les pistes que je viens de tracer devraient être étudiées dans le cadre d'une mission conduite par les ministères de l'éducation nationale et de la formation professionnelle, destinée à évaluer l'ensemble des dispositifs de formation alternée existants. J'en ferai la demande au ministre.

Je vous propose donc de ne pas adopter de texte et de conclure au rejet de la proposition de loi en séance : il me semble plus raisonnable de nous donner le temps de la réflexion. Grâce à la mission que je viens d'évoquer, nous verrons s'il est opportun de réformer le cadre réglementaire de l'enseignement technique privé, et quelles modifications législatives s'imposent.

M. Jacques-Bernard Magner . - Merci pour ce brillant exposé. Cette proposition de loi est surprenante, mais elle m'a permis de découvrir une réalité que je connaissais mal. Je suis éberlué de constater que les écoles de production défient l'obligation scolaire jusqu'à 16 ans : des jeunes de 14 ans passent 60 % de leur temps à travailler, un peu comme dans les ateliers ou les mines du dix-neuvième siècle... Il s'agit d'une véritable exploitation, puisque les produits qu'ils fabriquent sont vendus et rapportent de l'argent aux établissements, dont les formateurs sont des bénévoles ou des retraités. Des chefs d'entreprise n'ont pas tous vocation à former des adolescents. Un de nos collègues, éminent capitaine d'industrie, plaide régulièrement pour mettre les gens au travail dès le plus jeune âge et les rémunérer le moins possible... En tant qu'enseignants et citoyens, nous sommes choqués.

L'éducation nationale doit impérativement évaluer ces établissements. Bref, notre rapporteure a été claire en soulignant tous les inconvénients de cette proposition de loi. Le groupe socialiste suivra ses conclusions.

M. Jacques Legendre . - Je salue l'initiative de Jean-Claude Carle qui attire notre attention sur des établissements qui existent depuis longtemps et dont les résultats sont probants. Ce coup de projecteur était utile. Les jeunes en difficulté doivent être scolarisés et formés afin de trouver un travail. Il ne faut pas rejeter a priori un système qui permet à certains jeunes en échec scolaire d'entrer dans la vie professionnelle.

J'ai été secrétaire d'État à la formation professionnelle et je puis témoigner des rivalités entre le ministère du travail, qui veut avoir autorité sur la formation professionnelle, et le ministère de l'éducation nationale qui la considère comme un sous-ensemble de l'enseignement technique. Ces querelles administratives sont dérisoires ; seuls les résultats comptent.

A juste titre, on a voulu démocratiser l'enseignement ; mais le collège issu de la « loi Haby » a rassemblé dans les mêmes classes des jeunes issus de trois formations différentes, d'où la disparition de techniques pédagogiques innovantes.

Les écoles de production obtiennent de bons résultats : pourquoi interdire à des jeunes en situation d'échec de s'insérer dans le monde du travail ? Avec Jean-Claude Carle et Françoise Laborde, la réflexion doit se poursuivre. A trop vouloir mettre tout le monde sous le même boisseau, nous risquons de passer à côté de méthodes pédagogiques novatrices.

Mme Corinne Bouchoux . - Il s'agit ici d'une initiative essentiellement régionale. Comme nous sommes particulièrement préoccupés par les 150 000 décrocheurs scolaires et que nous prônons la liberté pédagogique, cette proposition de loi nous semble à plus d'un titre intéressante, même si le dispositif juridique paraît inapproprié.

Pourquoi ne pas mettre à profit ce texte pour travailler sur la liberté pédagogique ? Ces jeunes, à n'en pas douter, doivent relever de l'éducation nationale. La question est de savoir comment celle-ci peut valoriser leurs talents. Veillons à ne pas rallumer la guerre scolaire !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin . - Notre rapporteure a clarifié le débat en rappelant les arguments en présence. Notre groupe n'est pas favorable au développement de ce type d'écoles, même à titre expérimental. La première école de production a été ouverte en 1882 par le chanoine Boisard...

M. Jacques Legendre . - Quelle horreur !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin . - De tels établissements doivent relever de l'éducation nationale. Le décrochage scolaire révèle l'échec du système éducatif qui peine à se remettre en question. Nous ne pouvons être favorables à des écoles où des enfants de 14 ans travaillent à 60 % de leur temps pour des entreprises. Cette professionnalisation est bien trop précoce.

Mme Françoise Férat . - Je salue le travail de Jean-Claude Carle qui maîtrise parfaitement les questions de formation et d'éducation. Pourquoi vouloir à tout prix garder des jeunes à l'école alors qu'ils ont décroché ? Cette initiative doit être regardée avec intérêt, même si elle ne concerne que 700 élèves. Toute expérimentation est bonne à prendre, et cette proposition de loi prévoit une clause de revoyure dans cinq ans. Allons-nous rejeter d'un revers de main une méthode qui a permis à des jeunes de trouver un emploi ou de reprendre des études ? Beaucoup d'emplois intéressants dans le bâtiment ou dans l'artisanat ne sont pas pourvus.

M. Jacques-Bernard Magner . - Il y a des écoles pour cela !

Mme Françoise Férat . - Mais cette expérience est unique et elle permet de combler des manques.

M. Jean-Pierre Plancade . - Merci à Jean-Claude Carle de m'avoir fait découvrir une réalité que je ne connaissais pas, alors même que j'ai vécu dans la région lyonnaise. Merci aussi à notre rapporteure d'avoir bien posé le problème.

Si ces écoles existent, c'est qu'il y a une défaillance dans le système : l'exclusion ou le décrochage nous obligent à nous remettre en cause. Cela dit, on ne peut laisser des enfants de moins de 15 ans dans des écoles de production - appellation d'ailleurs un peu choquante. Celles-ci ne sauraient fonctionner sans contreparties, sans contrôle et sans évaluation permanente de l'éducation nationale et de la formation professionnelle. Je souscris donc aux conclusions de notre rapporteure.

Mme Françoise Cartron . - Je salue le travail fouillé et méthodique de notre rapporteure qui décrit le fonctionnement des écoles de production. Je déplore qu'elles s'affranchissent de toutes les contraintes qui encadrent la formation des jeunes.

Certes, 150 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire sans qualification, mais nous aborderons cette question majeure à l'occasion de la loi de refondation de l'école présentée par M. Peillon. Nous devrons nous interroger sur la place de l'apprentissage dans l'éducation nationale et sur les liens entre lycées professionnels et entreprises. M. Legendre a salué la pédagogie des écoles de production, mais peut-on encore parler de pédagogie quand 60 % du temps des élèves est consacré à la production et que les enseignements ne sont soumis à aucun contrôle ? Les ministères de l'éducation nationale et de la formation professionnelle doivent évaluer ces pratiques pour que nous y voyions clair. Enfin, peut-on s'affranchir de la scolarité obligatoire jusqu'à 16 ans ? Est-ce en faisant travailler des jeunes de 14 ans que l'on répond à leurs souffrances ?

M. David Assouline . - Je salue ce rapport très précis. La loi prévoit de donner aux enfants un socle commun de connaissances théoriques durant leur scolarité obligatoire. Il ne s'agit pas de chamailleries administratives, mais d'un devoir républicain ! Certes, l'échec scolaire nous impose l'humilité : certains enfants ayant du mal avec la théorie, toutes les expériences pédagogiques méritent d'être tentées. En revanche, les demandes des écoles de production sont inacceptables. C'est par intérêt financier qu'elles veulent être rattachées au ministère de la formation professionnelle ! Elles souhaitent bénéficier des bourses et autres aides de l'éducation nationale, tout en s'exonérant de toute contrainte. C'est d'ailleurs un texte de circonstance que l'on nous propose, qui favorise un projet pédagogique lancé dans une région : ce n'est pas de bonne méthode.

Lorsque nous débattrons de la loi de refondation de l'école, nous aborderons la question de la formation professionnelle avec les deux ministres en charge de ce dossier et qui doivent travailler de concert. Gardons-nous des fausses solutions.

M. Claude Domeizel . - Merci à Françoise Laborde et Jean-Claude Carle de m'avoir fait découvrir ces écoles de production. Notre commission gagnerait à aller voir de près ce qui se passe dans ces établissements, alors que l'obligation scolaire est fixée à 16 ans. Comment sont-ils contrôlés ? Il faudra le demander au ministre.

Lors d'une vie professionnelle antérieure, j'ai mené à la demande de mon inspecteur d'académie une enquête sur les sectes. Comment savoir s'il n'y a pas de dérives sectaires dans telle ou telle école de production ? Les élèves de 14 à 16 ans doivent demeurer sous le contrôle pédagogique de l'inspection académique. Pourquoi n'enverrions nous pas une délégation de la commission pour visiter ces écoles ?

M. Jacques-Bernard Magner . - Il faudrait aussi s'interroger sur leurs financements.

M. Claude Domeizel . - La formation professionnelle déborde largement le cadre des seules écoles de production : on ne doit pas oublier les sections d'enseignement général et professionnel adapté (SEGPA) ni les établissements régionaux d'enseignement adapté. Plutôt que ce bricolage, mieux vaut aborder la question de façon plus générale.

Mme Catherine Morin-Desailly . - Comme nombre d'entre vous, je suis détachée de l'éducation nationale et je défends ardemment l'école gratuite, laïque et républicaine. Pourtant, face aux 150 000 jeunes laissés sur le bord du chemin, l'urgence est extrême. Nous devons apporter de promptes réponses et toute expérimentation est bienvenue. Quand 100 % des élèves des écoles de production réussissent leur insertion professionnelle, on ne peut parler de fausse solution, monsieur Assouline ! Pourquoi refuser une expérimentation, puisque le législateur sera amené à faire le point dans cinq ans ? Ce texte ne nous empêchera pas de nous pencher sur la formation professionnelle à l'occasion de l'examen du projet de loi sur la refondation de l'école. Soyons pragmatiques plutôt que dogmatiques.

M. Jean-Claude Carle , auteur de la proposition de loi. - Je remercie Françoise Laborde pour son travail qui a permis d'affiner certains points juridiques. Je vous invite, mes chers collègues, à visiter ces écoles : votre jugement évoluera. Vous aurez du mal à en trouver qui soient dirigées par un chanoine : il n'y en a plus depuis belle lurette.

C'est après en avoir moi-même visitées, lorsque j'étais chargé de la formation dans la région Rhône-Alpes, que j'ai pris des mesures pour les soutenir. Après l'alternance, Mme Demontès et M. Queyranne, bien loin de les supprimer, ont amplifié ces aides et M. Collomb m'a récemment fait part de son soutien. Certes, elles ne scolarisent que 500 élèves, mais ce sont autant de jeunes qui ne sont plus à la rue. Demain ils pourraient être 5 000. C'est pourquoi je propose de sortir ces établissements de leur précarité juridique et matérielle. Peut-être est-ce du bricolage ; pourquoi pas si cela réduit le chômage ? Soit l'on attend que tous les problèmes juridiques soient réglés, et l'on risque d'attendre longtemps, soit on lance une expérimentation pendant cinq ans, comme nous y autorise la Constitution, sous la responsabilité du ministère de la formation professionnelle.

Mme la rapporteure souhaite donner du temps au temps, ce qui m'attriste pour ces jeunes, mais je ne désespère pas de parvenir à des résultats concrets, car l'Association des régions de France (ARF) s'intéresse à ces écoles de production. Le bon sens finira, j'en suis persuadé, par l'emporter.

Mme Françoise Laborde, rapporteure . - Merci de vos compliments et merci à Jean-Claude Carle qui m'a donné l'occasion d'approfondir un sujet sur lequel je souhaite continuer à travailler.

La question de la dimension confessionnelle de ces écoles est secondaire, monsieur Magner. Les jeunes de ces écoles sont de confessions et d'origines sociales diverses. Sont-ils exploités ? Je n'ai pas de réponse précise et catégorique, c'est pourquoi je réclame une évaluation. Le produit des ventes sert à couvrir les dépenses de fonctionnement des établissements, qui bénéficient aussi d'autres ressources, comme une part de taxe d'apprentissage ou des subventions de régions. Certains versent une - maigre - allocation à leurs élèves sous la forme d'un pécule en fin de scolarité.

M. Legendre s'est félicité du coup de projecteur sur ces écoles. Dès lors que des très jeunes y sont scolarisés, ne les éloignons pas de l'éducation nationale pour ne pas rouvrir la guerre de la scolarité à 14 ou à 16 ans. Lorsque nous examinerons le projet de loi sur la refondation de l'école, nous devrons trouver les référentiels adéquats, afin de garantir l'égalité de traitement entre les élèves.

Je me réjouis que Corinne Bouchoux soit favorable à l'innovation pédagogique, absolument indispensable, mais n'oublions pas les exigences communes de l'instruction obligatoire. Une remise à plat générale s'impose donc.

La fédération nationale des écoles de production ne garantit pas un référentiel commun de formation théorique, madame Férat. Des référentiels obligatoires sont pourtant nécessaires, car il arrive que des cours soient supprimés lorsqu'une commande doit être terminée.

L'arrêté du 19 juin 2006 a reconnu sept écoles de production comme établissements privés d'enseignement technique, mais cela ne leur donne aucun droit supplémentaire. La situation est donc loin d'être satisfaisante. Jean-Claude Carle propose que ces écoles changent de tutelle, mais pourquoi ne seraient-elles pas soumises, comme les CFA, à la double tutelle des ministères de l'éducation nationale et de la formation professionnelle ? Les élèves ne doivent pas non plus être considérés comme des apprentis, puisque certains ne sont âgés que de 14 ans alors que l'apprentissage a vocation à commencer à partir de 15 ans révolus.

Certains lycées professionnels vendent aussi leur production, monsieur Assouline, ne serait-ce que pour acheter du matériel.

Les quinze écoles actuelles ne me semblent pas présenter de risques sectaires, monsieur Domeizel, mais comme le président de la FNEP m'a dit que 20 à 25 écoles supplémentaires pourraient rapidement être créées, nous devons effectivement être attentifs à ce problème. Je préfère donc que l'on règle la situation des écoles actuelles avant d'envisager d'en créer de nouvelles.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente . - Je vous propose, comme l'a suggéré M. Domeizel, de nous rendre à Lyon pour réfléchir à la scolarisation des enfants de 14 à 16 ans. Les écoles de production feront partie de notre circuit.

Nous allons passer à l'examen des articles.

L'article 1 er n'est pas adopté, non plus que les articles 2, 3, 4, 5 et 6.

La commission repousse l'ensemble de la proposition de loi.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente . - La commission n'ayant adopté aucun texte, c'est la proposition de loi initiale qui sera examinée en séance.

* *

*

La commission rejette la proposition de loi n° 120 (2011-2012) relative aux écoles de production.

En conséquence, et en application de l'article 42, alinéa premier, de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte de la proposition de loi .

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Association forézienne d'écoles de production (AFEP)

M. Antoine MARTIN, chef d'établissement

Association des régions de France (ARF)

M. Philippe MEIRIEU, vice-président chargé de la formation professionnelle

Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle

Mme Frédérique RACON, adjointe au chef de la mission « Politiques de formation et de qualification »

Fédération nationale des écoles de production

MM. Marc TEYTON, président, et Patrice HAUCHARD, directeur d'ECAMOD (École des ateliers de la mode - Paris)

Ministère de l'éducation nationale

MM. Frédéric BONNOT, sous-directeur de l'enseignement privé et Thomas LEWIN, chef du bureau des établissements à la sous-direction de l'enseignement privé

Parlementaires

Mme Christiane DEMONTÈS, sénatrice du Rhône

M. Jean-Claude CARLE, sénateur de la Haute-Savoie et auteur de la proposition de loi


* 1 Loi n° 93-1313 du 20 décembre 1993 quinquennale relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle et loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d'orientation relative à la lutte contre les exclusions.

* 2 Chronologie commentée de l'enseignement technique de l'Institut français de l'éducation : http://www.inrp.fr/she/fichiers_rtf_pdf/bode_%20chronologie_et.pdf.

* 3 Ceux visés au 2 de l'article 224 du code général des impôts.

* 4 Livre blanc de 2012 de l'Union nationale de l'enseignement technique privé : http://www.unetp.org/ressources-1/documents/livre_blanc.pdf/.

* 5 Rapport fait au nom de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi pour le développement de l'alternance et la sécurisation des parcours professionnels, par M. Gérard Cherpion, député.

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