N° 183

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 décembre 2012

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur la proposition de loi de M. Jacques MÉZARD et plusieurs de ses collègues visant à autoriser le recouvrement sur succession des sommes versées au titre de l' allocation personnalisée d' autonomie pour les successions supérieures à 150 000 euros ,

Par M. Ronan KERDRAON,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Annie David , présidente ; M. Yves Daudigny , rapporteur général ; M. Jacky Le Menn, Mme Catherine Génisson, MM. Jean-Pierre Godefroy, Claude Jeannerot, Alain Milon, Mme Isabelle Debré, MM. Jean-Louis Lorrain, Jean-Marie Vanlerenberghe, Gilbert Barbier , vice-présidents ; Mmes Claire-Lise Campion, Aline Archimbaud, Catherine Deroche, M. Marc Laménie, Mme Chantal Jouanno , secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, M. Jean-Paul Amoudry, Mmes Natacha Bouchart, Marie-Thérèse Bruguière, MM. Jean-Noël Cardoux, Mme Caroline Cayeux, M. Bernard Cazeau, Mmes Karine Claireaux, Laurence Cohen, Christiane Demontès, MM. Gérard Dériot, Jean Desessard, Mmes Muguette Dini, Odette Duriez, Anne Emery-Dumas, MM. Guy Fischer, Michel Fontaine, Mme Samia Ghali, M. Bruno Gilles, Mmes Colette Giudicelli, Christiane Hummel, M. Jean-François Husson, Mme Christiane Kammermann, MM. Ronan Kerdraon, Georges Labazée, Jean-Claude Leroy, Gérard Longuet, Hervé Marseille, Mmes Michelle Meunier, Isabelle Pasquet, M. Louis Pinton, Mmes Gisèle Printz, Catherine Procaccia, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roche, René-Paul Savary, Mme Patricia Schillinger, MM. René Teulade, François Vendasi, Michel Vergoz, Dominique Watrin .

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

92 et 184 (2012-2013)

N° 183

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 décembre 2012

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur la proposition de loi de M. Jacques MÉZARD et plusieurs de ses collègues visant à autoriser le recouvrement sur succession des sommes versées au titre de l' allocation personnalisée d' autonomie pour les successions supérieures à 150 000 euros ,

Par M. Ronan KERDRAON,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Annie David , présidente ; M. Yves Daudigny , rapporteur général ; M. Jacky Le Menn, Mme Catherine Génisson, MM. Jean-Pierre Godefroy, Claude Jeannerot, Alain Milon, Mme Isabelle Debré, MM. Jean-Louis Lorrain, Jean-Marie Vanlerenberghe, Gilbert Barbier , vice-présidents ; Mmes Claire-Lise Campion, Aline Archimbaud, Catherine Deroche, M. Marc Laménie, Mme Chantal Jouanno , secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, M. Jean-Paul Amoudry, Mmes Natacha Bouchart, Marie-Thérèse Bruguière, MM. Jean-Noël Cardoux, Mme Caroline Cayeux, M. Bernard Cazeau, Mmes Karine Claireaux, Laurence Cohen, Christiane Demontès, MM. Gérard Dériot, Jean Desessard, Mmes Muguette Dini, Odette Duriez, Anne Emery-Dumas, MM. Guy Fischer, Michel Fontaine, Mme Samia Ghali, M. Bruno Gilles, Mmes Colette Giudicelli, Christiane Hummel, M. Jean-François Husson, Mme Christiane Kammermann, MM. Ronan Kerdraon, Georges Labazée, Jean-Claude Leroy, Gérard Longuet, Hervé Marseille, Mmes Michelle Meunier, Isabelle Pasquet, M. Louis Pinton, Mmes Gisèle Printz, Catherine Procaccia, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roche, René-Paul Savary, Mme Patricia Schillinger, MM. René Teulade, François Vendasi, Michel Vergoz, Dominique Watrin .

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

92 et 184 (2012-2013)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Déposée par le groupe du Rassemblement démocratique et social européen (RDSE) le 29 octobre dernier, la présente proposition de loi vise à autoriser le recouvrement sur succession des sommes versées au titre de l'allocation personnalisée d'autonomie, l'Apa, sur les patrimoines supérieurs à 150 000 euros.

Deux arguments principaux pourraient justifier la mise en place d'un tel dispositif. En premier lieu, les départements font aujourd'hui face à des difficultés croissantes pour assurer le financement des prestations de solidarité, en particulier de l'Apa. En second lieu, il peut sembler injuste que les personnes qui bénéficient de cette prestation ne participent pas davantage à son financement en fonction de leurs capacités contributives.

Votre rapporteur estime cependant que la solution proposée par le présent texte n'est pas adaptée.

Elle apporte tout d'abord une réponse isolée et prématurée à la question bien plus large du financement de la perte d'autonomie.

Le Gouvernement s'est engagé à présenter prochainement un projet de loi qui devrait être articulé autour de trois volets que sont la prévention, l'adaptation et l'accompagnement. C'est dans ce cadre global que devra être envisagée une réforme en profondeur de l'Apa, notamment de la façon dont est pris en compte le patrimoine des bénéficiaires dans la définition de la prestation.

Ensuite, la mise en place d'un recours sur succession interroge les fondements mêmes de ce qui constitue la spécificité de l'Apa.

Historiquement, de tels dispositifs existent en matière d'aide sociale, notamment pour l'aide sociale à l'hébergement. Ils sont alors justifiés par le caractère subsidiaire de l'aide apportée par rapport à l'exercice de la solidarité familiale. Or l'Apa, prestation universelle destinée à la couverture d'un risque identifié qu'est la dépendance, se distingue des dispositifs d'aide sociale classique.

Troisièmement, l'effet d'éviction que pourrait entraîner la mise en oeuvre du recouvrement sur succession ne doit pas être négligé.

Plutôt que de prendre le risque de ne pas être en mesure de léguer un patrimoine intact à leurs héritiers, certains bénéficiaires potentiels pourraient renoncer à demander la prestation. Cet effet s'est vérifié pour la prestation spécifique dépendance, qui était soumise à recouvrement sur succession, et c'est tout le mérite de l'Apa que d'avoir contribué à un élargissement considérable du nombre de personnes âgées pouvant être accompagnées lorsqu'elles sont confrontées à une situation de perte d'autonomie.

Par ailleurs, ni la part des bénéficiaires de l'Apa susceptible d'être concernée par la mesure, ni l'impact financier que cette dernière pourrait avoir sur les finances départementales n'ont été explicités dans l'exposé des motifs de la proposition de loi.

Il s'agit pourtant là d'éléments essentiels. Le seuil de 150 000 euros correspond à peu de choses près au patrimoine médian des ménages de soixante-dix ans et plus. Le simple fait d'être propriétaire de son logement principal risque dans bien des cas d'assujettir les personnes au recouvrement.

En outre, l'impact de la mesure sur les budgets départementaux doit être mis en regard des coûts plus larges qu'engendrera le dispositif si l'effet d'évincement se vérifie, en particulier de ceux d'une prise en charge plus tardive par le système de soins des personnes qui auront renoncé au bénéfice de l'Apa.

Enfin, votre rapporteur tient à souligner que le dispositif proposé diffère fortement des préconisations qui ont pu être formulées dans le passé par notre Haute assemblée, en particulier dans le cadre de la mission commune d'information sur la dépendance de 2010.

S'il est pleinement conscient de la nécessité d'apporter des solutions rapides aux difficultés rencontrées par les départements, votre rapporteur estime nécessaire de ne pas adopter dans l'urgence un dispositif dont les implications sont mal maîtrisées, mais dont les effets pervers potentiels apparaissent clairement.

C'est pourquoi, sur sa recommandation, la commission n'a pas approuvé cette proposition de loi.

I. PRINCIPES ET MISE EN oeUVRE DES DISPOSITIFS DE RECOUVREMENT SUR SUCCESSION

A. UN MÉCANISME HISTORIQUEMENT LIÉ AU VERSEMENT DES PRESTATIONS D'AIDE SOCIALE

1. Les dispositifs de récupération sur le patrimoine sont traditionnellement attachés aux prestations d'aide sociale

La législation relative à l'aide sociale est fondée sur le principe du caractère subsidiaire de la solidarité collective par rapport à la solidarité familiale . En d'autres termes, l'aide apportée par la collectivité n'a vocation à s'exercer que lorsque la famille du bénéficiaire n'est pas financièrement en mesure de l'apporter elle-même.

Pour les personnes âgées, relèvent notamment de l'aide sociale les prestations relatives à l'hébergement en établissement ainsi que la prise en charge de certains actes de la vie quotidienne par le biais de l'aide ménagère ou du portage de repas.

Si l'obligation alimentaire et le recours sur patrimoine ne découlent pas nécessairement du caractère subsidiaire de l'aide sociale, elles en constituent des prolongements logiques.

L'obligation alimentaire reposant sur les enfants du bénéficiaire de l'aide sociale correspond essentiellement à la prise en charge financière des aliments et du gîte .

Aujourd'hui codifié à l'article L. 132-8 du code de l'action sociale et des familles, ancien article 146 du code de la famille et de l'aide sociale, le recouvrement sur le patrimoine du bénéficiaire de l'aide sociale peut être exercé dans trois circonstances :

- lorsque la situation financière du bénéficiaire s'améliore ;

- lorsque le bénéficiaire de la prestation effectue une donation ou qu'il a procédé à une donation dans les dix ans précédant sa demande d'aide sociale ; dans ce cas précis, l'objectif est en particulier d'empêcher qu'une personne ne cherche à organiser elle-même son insolvabilité en se séparant d'une partie de son patrimoine ;

- au moment de la succession du bénéficiaire, contre les héritiers ou les légataires .

Pour les prestations autres que l'aide sociale à l'hébergement (ASH), le recouvrement sur la succession du bénéficiaire s'exerce sur la partie de l'actif net successoral supérieure à 46 000 euros et sur la part des dépenses versées dépassant le seuil de 760 euros 1 ( * ) .


Obligation alimentaire et procédures de recouvrement

? Article 205 du code civil :

« Les enfants doivent des aliments à leurs père et mère ou autres ascendants qui sont dans le besoin. »

? Article L. 132-8 du code de l'action sociale et des familles :

« Des recours sont exercés, selon le cas, par l'Etat ou le département :

1° Contre le bénéficiaire revenu à meilleure fortune ou contre la succession du bénéficiaire ;

2° Contre le donataire, lorsque la donation est intervenue postérieurement à la demande d'aide sociale ou dans les dix ans qui ont précédé cette demande ;

3° Contre le légataire.

En ce qui concerne les prestations d'aide sociale à domicile, de soins de ville prévus par l'article L. 111-2 et la prise en charge du forfait journalier, les conditions dans lesquelles les recours sont exercés, en prévoyant, le cas échéant, l'existence d'un seuil de dépenses supportées par l'aide sociale, en deçà duquel il n'est pas procédé à leur recouvrement, sont fixées par voie réglementaire.

Le recouvrement sur la succession du bénéficiaire de l'aide sociale à domicile ou de la prise en charge du forfait journalier s'exerce sur la partie de l'actif net successoral, défini selon les règles de droit commun, qui excède un seuil fixé par voie réglementaire. »

Le champ d'application du recouvrement sur succession a fait l'objet d'évolutions dans des directions parfois opposées.

Désormais, l'ensemble des prestations destinées aux personnes handicapées, à l'exception des aides relatives à l'hébergement 2 ( * ) , sont exonérées de recouvrement sur succession . C'est en particulier le cas de la prestation de compensation du handicap (PCH) créée par la loi du 11 février 2005 3 ( * ) , contrairement à l'allocation de compensation pour tierce personne (ACTP).

D'autres prestations comme le « minimum vieillesse » 4 ( * ) , qui ne relèvent pas de l'aide sociale, font également l'objet d'un recouvrement sur succession.

L'ordonnance du 24 juin 2004 a d'ailleurs étendu la récupération à l'ensemble de l'allocation de solidarité aux personnes âgées, alors que seule la part excédant l'allocation aux vieux travailleurs salariés (AVTS), c'est-à-dire l'allocation supplémentaire, était jusqu'à présent soumise au recouvrement sur succession.

Le recouvrement s'exerce sur la part de l'actif net successoral qui excède 39 000 euros 5 ( * ) . Le montant recouvré, fixé par décret et revalorisé dans les mêmes conditions que les allocations elles-mêmes, ne peut conduire à faire passer l'actif net en dessous de ce seuil de 39 000 euros.

A l'inverse, le mécanisme de recouvrement sur succession qui existait pour le revenu minimum d'insertion (RMI) a été supprimé par la loi du 23 mars 2006 6 ( * ) . Prévue dès l'origine du RMI, la procédure de recouvrement n'avait en pratique jamais été appliquée faute de publication des dispositions réglementaires nécessaires à sa mise en oeuvre.

2. Le cas spécifique de l'aide sociale à l'hébergement

L'aide sociale à l'hébergement (ASH) a pour objet de solvabiliser le coût du tarif d'hébergement pour les personnes âgées dépendantes de plus de soixante-cinq ans prises en charge dans des établissements médico-sociaux habilités à recevoir des bénéficiaires de l'aide sociale.

Comme les autres prestations d'aide sociale, elle est attribuée sous condition de ressources du demandeur et de ses obligés alimentaires et revêt un caractère subsidiaire. Le recouvrement sur le patrimoine des bénéficiaires s'effectue dès le premier euro .

En 2009, l'ASH a été versée à 115 000 personnes en établissement et à 1 480 personnes logées en familles d'accueil . Le nombre de bénéficiaires est relativement stable depuis 2000, alors même que celui des personnes accueillies en établissement a augmenté sur la même période.

Selon les données de la Drees, seules 37 % des personnes ayant un revenu disponible inférieur à 800 euros par mois auraient recours à l'ASH 7 ( * ) .

Evolution du nombre de bénéficiaires de l'allocation personnalisée d'autonomie en établissement et de l'aide sociale à l'hébergement

(en milliers)

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

Allocation personnalisée d'autonomie (Apa) en établissement

304

351

370

384

401

416

434

433

Aide sociale à l'hébergement (ASH)

113,9

113,4

113,7

114,4

113,4

115,5

115,3

115

ASH/Apa

37 %

32 %

31 %

30 %

28 %

28 %

27 %

27 %

Source : Drees

Selon une étude publiée en mai 2011 par l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), la dépense brute d'ASH s'est établie à 2 121 millions d'euros en 2009 . De ce montant doivent être déduites les sommes récupérées par les conseils généraux sur les ressources des résidents, leur patrimoine et sur leurs obligés alimentaires, ce qui conduit à une dépense nette d'ASH de 1 180 millions d'euros .

Le recouvrement sur le patrimoine des bénéficiaires représente une part relativement limitée des montants totaux récupérés par les conseils généraux sur les dépenses brutes d'ASH. Cette situation pourrait s'expliquer notamment par les difficultés de recouvrement et les coûts de gestion auxquels sont confrontés les conseils généraux pour effectuer les recours.

Ressources récupérées sur la dépense brute d'aide sociale à l'hébergement en 2009

(en millions d'euros)

Dépense brute d'aide sociale à l'hébergement

2 121

Sommes recouvrées par les conseils généraux dont :

Ressources des résidents

777

Obligés alimentaires

90

Patrimoine

174

Dépense nette d'aide sociale à l'hébergement

1 080

Source : Igas

Mais si les montants récupérés sont relativement faibles, l'Igas a estimé que le recours en récupération, combiné à l'obligation alimentaire, exercerait un effet dissuasif certain , bien qu'indéterminé, sur la décision de demander l'ASH voire d'entrer en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).


* 1 Article R. 132-12 du code de l'action sociale et des familles.

* 2 Article L. 344-5 du code de l'action sociale et des familles.

* 3 Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

* 4 Article L. 815-13 du code de la sécurité sociale.

* 5 Article D. 815-4 du code de la sécurité sociale.

* 6 Loi n° 2006-339 du 23 mars 2006 relative au retour à l'emploi et sur les droits et les devoirs des bénéficiaires de minima sociaux.

* 7 Données citées dans l'étude de l'Igas publiée en mai 2011 sur les modalités de mise en oeuvre de l'aide sociale à l'hébergement.

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