C. L'ÉLECTION DES SÉNATEURS SOUS LA VÈME RÉPUBLIQUE

La V ème République restaure pleinement la seconde chambre, qui recouvre, malgré le maintien d'un bicamérisme en partie inégalitaire du fait du « dernier mot » de l'Assemblée nationale et des modalités de la mise en jeu de la responsabilité du Gouvernement, ses prérogatives constitutionnelles et législatives par rapport au Conseil de la République.

Prise sur le fondement de l'article 92 de la Constitution du 4 octobre 1958 9 ( * ) , l'ordonnance n° 58-1098 du 15 novembre 1958 fixe les règles relatives à l'élection des sénateurs qui, pour l'essentiel, maintiennent celles en vigueur sous la IV ème République. Désormais, ces dispositions, qui ont connu des évolutions limitées, sont réunies au sein du livre deuxième du code électoral.

1. Un scrutin dual mais un critère d'application soumis récemment à des variations

La dualité du mode de scrutin est conservée puisque l'élection des sénateurs a lieu au scrutin majoritaire uninominal à deux tours dans les départements comptant au moins 5 sièges de sénateurs. Dans les autres départements, dont le nombre était réduit, le scrutin avait lieu au scrutin à la représentation proportionnelle selon la règle de la plus forte moyenne.

Le seuil d'au moins cinq sénateurs pour l'application du scrutin majoritaire uninominal à deux tours est abaissé par la loi n° 2000-641 du 10 juillet 2000 à au moins 2 sièges puis remonté, par la loi n° 2004-404 du 10 mai 2004, à au moins trois sièges, ce qui est l'état du droit actuel.

L'application du mode de scrutin emporte certains effets sur les règles applicables en matière de déclaration et de présentation des candidatures, au rang desquelles figure celle relative à l'alternance sur les listes de candidats de chaque sexe, règle qui a un effet direct en matière de parité.

Les règles favorisant la parité selon le mode de scrutin

La révision constitutionnelle du 8 juillet 1999 a introduit le principe, désormais inscrit à l'article 2 de la Constitution, au terme duquel « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ». Applicable à l'ensemble des élections politiques, cette règle constitutionnelle qui fixe un objectif au législateur a trouvé une traduction législative rapide avec l'article 3 de la loi n° 2000-493 du 6 juin 2000.

Depuis cette date, la seule mesure de nature à favoriser la parité au sein du Sénat est relative à l'obligation de présentation des listes de candidats lorsque l'élection a lieu à la représentation proportionnelle. L'article L. 300 du code électoral prévoit ainsi que « sur chacune des listes, l'écart entre le nombre des candidats de chaque sexe ne peut être supérieur à un » et que « chaque liste est composée alternativement d'un candidat de chaque sexe ».

En revanche, le caractère uninominal du scrutin majoritaire prévu dans les autres départements ne permet pas d'imposer une présentation « paritaire » des candidats. De surcroît, aucune règle n'impose la présentation d'un remplaçant de sexe différent de celui du titulaire 10 ( * ) , comme pour les élections cantonales en application de l'article L. 210-1 du code électoral. De même, les partis ou groupements politiques ne sont passibles d'aucune sanction financière lorsque l'écart, au niveau national, entre le nombre des candidats présentés de chaque sexe est supérieur à 2 %, comme il est prévu pour les élections législatives générales en vertu de l'article 9-1 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique 11 ( * ) .

La féminisation du Sénat a été progressive, la part de sénatrices représentant désormais 21,8 % de ses membres, c'est-à-dire un nombre de 76. Elles ont représenté successivement 5,6 % de l'effectif total en 1998, 10,6 % en 2001, 16,9 % en 2004 puis 23,3 % en 2008. Le renouvellement partiel de 2011 s'est traduit, à cet égard, par un léger recul de cette tendance.

Ce seuil demeure éloigné de la part démographique des femmes dans la société française et, depuis le renouvellement de l'Assemblée nationale en 2012, est désormais inférieur à la présence en termes relatifs de députées, qui s'élève actuellement à 27 %.

Du fait des règles de présentation des candidatures qu'il implique, le scrutin de liste à la représentation proportionnelle pour les élections sénatoriales favorise la parité au sein du Sénat. Comme le rappelle l'étude d'impact annexée au projet de loi, « dans les départements où s'applique le scrutin de liste proportionnel, les femmes ont ainsi remporté deux fois plus de sièges [en 2011] en part de sièges à pourvoir ».

2. Une composition du collège électoral marginalement modifiée

L'article 4 de l'ordonnance n° 58-1098 du 15 novembre 1958 fixe la composition du collège électoral sénatorial en maintenant la présence des députés, des conseillers généraux et des délégués des conseils municipaux ou des suppléants de ces délégués.

Désormais prévue à l'article L. 284 du code électoral , la composition exacte du collège électoral sénatorial a été modifiée marginalement au fil de l'évolution de l'organisation décentralisée de la République puisque chaque collectivité territoriale doit être représentée au sein du collège électoral sénatorial.

a) La prise en compte de la création de nouvelles collectivités territoriales

Ainsi, concomitamment à l'instauration de l'élection des conseillers régionaux au suffrage universel direct, la loi n° 85-692 du 10 juillet 1985 intègre ultérieurement les conseillers régionaux élus dans le cadre du département au sein du collège électoral sénatorial.

De même, le collège électoral sénatorial a été adapté aux évolutions statutaires de certaines collectivités territoriales, que ce soit avec l'intégration des conseillers à l'Assemblée de Corse par la loi n° 99-36 du 19 janvier 1999 pour l'élection au sein des deux départements corses ou celle, par la loi n° 2011-884 du 27 juillet 2011, des conseillers à l'assemblée de Guyane et des conseillers à l'assemblée de Martinique au sein des collèges électoraux de ces deux départements.

S'agissant des adaptations prévues pour les collectivités situées outre-mer, les dispositions contenues originellement dans l'ordonnance n° 59-260 du 4 février 1959 figurent désormais à l'article L. 441 du code électoral. En lieu et place des conseillers généraux et des conseillers régionaux, y siègent :

- les membres des assemblées de province en Nouvelle-Calédonie ;

- les membres de l'assemblée de la Polynésie française en Polynésie française ;

- les membres de l'assemblée territoriale aux îles Wallis et Futuna ;

- les conseillers territoriaux à Saint-Martin, Saint-Barthélemy et Saint-Pierre-et-Miquelon.

Le collège électoral sénatorial des collectivités d'outre-mer

Collectivité

Collège électoral

Texte de référence

Mayotte

- Le député ;

-Les conseillers généraux ;

- Les délégués des conseils municipaux ou leurs suppléants

Art. L. 475 du code électoral

Nouvelle-Calédonie

- Les députés ;

- Les membres des assemblées de province ;

- Les délégués des conseils municipaux ou leurs suppléants

Art. L. 441 du code électoral

Polynésie française

- Les députés ;

- Les membres de l'assemblée de la Polynésie française ;

- Les délégués des conseils municipaux ou leurs suppléants

Art. L. 441 du code électoral

Saint-Barthélemy

- Le député et les conseillers territoriaux

Art. L. 502 du code électoral

Saint-Martin

- Le député et les conseillers territoriaux

Art. L. 529 du code électoral

Saint-Pierre-et-Miquelon

- Le député ;

- Les conseillers territoriaux ;

- Les délégués des conseils municipaux ou leurs suppléants

Art. L. 557 du code électoral

Wallis-et-Futuna

- Les députés ;

- Les membres de l'assemblée territoriale

Art. L. 441 du code électoral

En matière de composition du collège électoral des sénateurs, la loi doit cependant respecter les limites constitutionnelles que le Conseil constitutionnel a rappelées avec force lors de sa décision du 6 juillet 2000 12 ( * ) .

L'encadrement constitutionnel de la composition du collège électoral des sénateurs

Saisi du projet de loi qui allait devenir la loi n° 2000-641 du 10 juillet 2000, le Conseil constitutionnel a fixé les limites constitutionnelles qui s'imposent au législateur dans la détermination de la composition du collège électoral des sénateurs, ce qui l'a conduit à a censurer une partie des dispositions examinées.

Dans son raisonnement, le juge constitutionnel a rappelé préalablement que le Sénat tient de l'article 24 de la Constitution la mission de représenter les collectivités territoriales. Il en alors tiré plusieurs conséquences quant à la composition du collège électoral sénatorial :

- « le Sénat doit, dans la mesure où il assure la représentation des collectivités territoriales de la République, être élu par un corps électoral qui est lui-même l'émanation de ces collectivités » ;

- « ce corps électoral doit être essentiellement composé de membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales » ;

- « toutes les catégories de collectivités territoriales doivent y être représentées » ;

- « la représentation des communes doit refléter leur diversité ».

D'une part, l'ensemble des collectivités territoriales au sens des articles 72, 73 et 74 de la Constitution doivent comporter des représentants au sein du collège électoral sans que le Conseil constitutionnel n'indique précisément la part qui doit leur être réservée.

Son raisonnement invite à penser que toute collectivité territoriale, et même chaque commune, doit disposer de délégués. Il tempère cependant son analyse en imposant, à ce stade du raisonnement, le respect du principe d'égalité devant le suffrage résultant de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et de l'article 3 de la Constitution, ce qui a pour effet que « la représentation de chaque catégorie de collectivités territoriales et des différents types de communes doit tenir compte de la population qui y réside ».

La décision du Conseil constitutionnel démontre que le facteur démographique apparait avant tout comme un correctif introduit dans la répartition des délégués entre collectivités territoriales au sein du collège électoral sénatorial.

D'autre part, le collège électoral sénatorial doit être essentiellement composé de personnes titulaires d'un mandat électif local, ce qui implique que « la participation de [personnes désignées en dehors des assemblées délibérantes] au collège sénatorial conserve un caractère de correction démographique ». Là encore, la mission de représentation des collectivités territoriales par le Sénat est tempérée, à la marge, par le respect du principe d'égalité devant le suffrage.

Dans le cas de la réforme de 2000 qui avait été adoptée définitivement par l'Assemblée nationale en application de l'article 45 de la Constitution, le Conseil constitutionnel avait estimé que, eu égard à la réforme envisagée, « ces délégués supplémentaires constituer[aie]nt une part substantielle, voire, dans certains départements, majoritaire du collège des électeurs sénatoriaux », ce qui l'avait conduit à censurer les dispositions en cause. Il ressort de cette rédaction que le juge constitutionnel assure un double niveau de contrôle : il veille, d'une part, à ce qu'au niveau national, la part des délégués ne détenant pas un mandat électif local ne devienne pas substantielle et s'assure, d'autre part, que dans chaque collège électoral au niveau du département, ces délégués ne soient pas majoritaires.

b) La désignation des délégués et suppléants des conseils municipaux

Contrairement au début de la III ème République, le nombre de délégués des conseils municipaux par commune n'est pas égalitaire mais tient en partie compte de la population des communes. Ils sont ainsi désignés, de manière constante, depuis l'article 7 de l'ordonnance n° 58-1058 du 15 novembre 1958, en fonction de strates démographiques.

Les conseils municipaux élisent en leur sein des délégués pour siéger au sein du collège électoral en fonction du nombre de membres du conseil municipal et donc indirectement selon une strate démographique. L'article L. 284 du code électoral prévoit désormais la répartition suivante :

- un délégué pour les conseils municipaux de neuf et onze membres ;

- trois délégués pour les conseils municipaux de quinze membres ;

- cinq délégués pour les conseils municipaux de dix-neuf membres ;

- sept délégués pour les conseils municipaux de vingt-trois membres ;

- quinze délégués pour les conseils municipaux de vingt-sept et vingt-neuf membres.

Lorsque les communes comptent au moins 9 000 habitants, tous les conseillers municipaux sont alors délégués de droit.

Le nombre de délégués de conseils municipaux pour les communes de moins de 9 000 habitants s'opère par référence au nombre de conseillers municipaux et non directement en fonction de la population de la commune. La conciliation des dispositions de l'article L. 284 du code électoral et de l'article L. 2121-2 du code général des collectivités territoriales qui fixe la composition des conseils municipaux en fonction de la population de la commune, conduit à des « décrochages » importants en matière de linéarité du nombre de délégués des conseils municipaux.

A titre d'illustration, la strate démographique de 5 000 à 9 999 habitants conduit à un effectif du conseil municipal de 29 membres selon l'article L. 2121-2 du code général des collectivités territoriales. L'article L. 284 du code électoral prévoit que les conseils municipaux de 29 membres désignent 15 délégués mais, dans le même temps, que pour les communes d'au moins 9 000 habitants, l'ensemble des conseillers municipaux sont délégués. Aussi, au sein d'une même catégorie de conseils municipaux, le nombre de délégués passe de 15 à 29, soit un quasi-doublement, à partir du franchissement du seuil des 9 000 habitants.

Désignation des délégués des conseils municipaux

Population de la commune

Effectif du conseil municipal

Nombre des délégués conseillers municipaux

Nombre des délégués supplémentaires

Nombre total des délégués

De moins de 100 habitants

9

1

0

1

De 100 à 499 habitants

11

1

0

1

De 500 à 1.499 habitants

15

3

0

3

De 1.500 à 2.499 habitants

19

5

0

5

De 2.500 à 3.499 habitants

23

7

0

7

De 3.500 à 4.999 habitants

27

15

0

15

De 5.000 à 8.999 habitants

29

15

0

15

De 9.000 à 9.999 habitants

29

29

0

29

De 10.000 à 19.999 habitants

33

33

0

33

De 20.000 à 29.999 habitants

35

35

0

35

De 30.000 à 30.999 habitants

39

39

0

39

De 31.000 à 39.999 habitants

39

39

Entre 1 et 9

entre 40 et 48

De 40.000 à 49.999 habitants

43

43

Entre 10 et 19

Entre 53 et 62

De 50.000 à 59.999 habitants

45

45

Entre 20 et 29

Entre 65 et 74

De 60.000 à 79.999 habitants

49

49

Entre 30 et 49

Entre 79 et 98

De 80.000 à 99.999 habitants

53

53

Entre 50 et 69

Entre 103 et 122

De 100.000 à 149.999 habitants

55

55

Entre 70 et 119

Entre 125 et 174

De 150.000 à 199.999 habitants

59

59

Entre 120 et 169

Entre 179 et 228

De 200.000 à 249.999 habitants

61

61

Entre 170 et 219

Entre 231 et 280

De 250.000 à 299.999 habitants

65

65

Entre 220 et 269

Entre 285 et 334

À partir de 300.000 habitants

69

69

À partir de 270

À partir de 339

Ces règles suivent partiellement une logique démographique puisque le nombre de délégués augmente en fonction du nombre de conseillers municipaux, qui est lui-même lié à la population de la commune. Cette évolution n'est cependant pas totalement linéaire et ne s'attache d'ailleurs pas à être l'exact reflet de la démographie des communes.

Dans les communes qui comptent au moins 30 000 habitants, un correctif démographique spécifique est institué par l'article L. 285 du code électoral : des délégués supplémentaires sont élus par le conseil municipal, nécessairement en dehors de ses membres puisque tous les conseillers municipaux sont membres de droit du collège électoral sénatorial dans ces communes. A partir de 30 000 habitants, un délégué supplémentaire est alors désigné à raison de 1 par tranche de 1 000 habitants.

L'élection des délégués et de leurs suppléants connaît également un double mode scrutin selon la population de la commune . En effet, pour les communes visées au chapitre II du titre IV du livre I er du code électoral (communes de moins de 3 500 habitants), l'élection a lieu au scrutin majoritaire à deux tours avec panachage et votre préférentiel, les candidatures pouvant même être isolées, en application de l'article L. 288 du code électoral.

Dans les autres communes, celles visées au chapitres III et IV du titre IV du livre I er du même code (communes de 3 500 habitants et plus, ainsi que communes de Paris, Lyon et Marseille), l'article L. 289 du même code prévoit un scrutin de liste à la représentation proportionnelle selon la règle de la plus forte moyenne sans panachage, ni vote préférentiel, les liste pouvant cependant ne pas comporter autant de noms que celui de délégués et suppléants à désigner.

Actuellement, le seuil démographique qui marque le changement de scrutin pour la désignation des délégués et de leurs suppléants est fixé à 3 500 habitants. Cependant, en raison de l'abaissement du seuil démographique pour l'application du scrutin à la représentation proportionnelle aux élections municipales prévu par la loi relative à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers intercommunaux, et modifiant le calendrier électoral, actuellement soumise à l'examen du Conseil constitutionnel, ce seuil devrait prochainement être abaissé à 1 000 habitants.


* 9 L'article 92 de la Constitution, abrogé par la révision constitutionnelle du 4 août 1995,prévoyait que, dans le délai de quatre mois suivant la promulgation de la Constitution, « le Gouvernement est autorisé à fixer par ordonnances ayant force de loi et prises en la même forme le régime électoral des assemblées prévues par la Constitution ».

* 10 Notre collègue Antoine Lefèvre a déposé, le 16 mai 2011, une proposition de loi en ce sens.

* 11 Notre collègue Jean-Louis Masson avait déposé, le 2 mai 2006, une proposition de loi étendant une telle mesure aux élections sénatoriales et tendant à prendre en compte le nombre d'élus et non simplement de candidats.

* 12 CC, 6 juillet 2000, n° 2000-431 DC.

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