III. VERS LA MISE EN PLACE D'UNE RÉGULATION ADAPTÉE

L'affaire du LIBOR a permis une prise de conscience : le LIBOR et l'EURIBOR sont de véritables « biens publics » ainsi que le souligne notre collègue Richard Yung.

Les pouvoirs publics ne peuvent donc plus se contenter d'un regard distant sur ces indices essentiels pour le fonctionnement des marchés financiers et auxquels des acteurs du monde entiers se réfèrent. Ils doivent en conséquence faire l'objet d'une régulation adéquate par des autorités de supervision indépendantes.

A. DES SANCTIONS DÉJÀ RENFORCÉES

Dans le cadre de la réforme de la directive européenne sur les « abus de marché », la Commission européenne a introduit un article prévoyant la sanction administrative et pénale de la manipulation d'un indice.

A l'initiative de notre collègue Richard Yung, rapporteur du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, le Sénat a adopté un amendement qui a d'ores et déjà permis de transposer cette disposition dans notre droit national 7 ( * ) .

Ainsi, sera puni de deux ans de prison et de 1,5 million d'euros d'amende (montant pouvant être porté jusqu'au décuple du profit réalisé), toute personne ayant transmis « des données ou des informations fausses ou trompeuses utilisées pour calculer un indice [...] ou de nature à fausser le cours d'un instrument ou d'un actif auquel serait lié cet indice, lorsque la personne ayant transmis les données ou les informations savait ou aurait dû savoir qu'elles étaient fausses ou trompeuses ».

Les mêmes peines sont applicables aux personnes qui adoptent un comportement « aboutissant à la manipulation du calcul d'un indice ».

Au Royaume-Uni, le législateur a prévu la criminalisation de la manipulation d'un indice.

B. UNE DIVERGENCE D'APPROCHE ENTRE RÉGULATION NATIONALE ET RÉGULATION EUROPÉENNE DES INDICES DE TAUX

Le volet « sanctions » reste consensuel au niveau européen. En revanche, des questions plus épineuses demeurent en suspens. Elles portent sur les modalités de calcul des indices, sur la composition du panel des banques, sur la gouvernance des organismes responsables du calcul ou encore sur les autorités chargées de la supervision de ces opérations.

1. Une réforme du LIBOR déjà bien engagée

La place financière de Londres considère le LIBOR comme un élément déterminant de son influence au niveau mondial. Le Gouvernement et les professionnels ont donc estimé qu'une réaction rapide devait être mise en oeuvre afin de garantir la réputation de cet instrument.

Fin juin 2012, après les premières annonces concernant la banque Barclays - et qui ont conduit à la démission de son président et de son directeur général - le Gouvernement a demandé à Martin Wheatley, actuel directeur de la Financial Conduct Authority (FCA) 8 ( * ) de rendre un rapport sur la réforme du LIBOR.

Remis en septembre 2012, ce rapport prône un plan d'action en dix points, qui a déjà été en partie mis en oeuvre. S'agissant de la régulation du LIBOR, il préconise que la gestion de l'indice devienne une « activité régulée », c'est-à-dire soumise à une surveillance accrue de la part de la FCA.

Néanmoins, le rapport Wheatley ne plaide pas pour une remise en cause profonde de l'indice et estime qu'une entité privée demeure légitime pour assurer sa gouvernance quotidienne . La responsabilité du calcul du LIBOR sera toutefois retirée à la BBA pour être transférée à NYSE Euronext, afin d'éviter les conflits d'intérêts au sein même de la BBA. Cette dernière l'a d'ailleurs acceptée. Le nouvel administrateur devra être soumis à des règles strictes sur la gouvernance, la gestion des conflits d'intérêts et la surveillance de l'indice.

Depuis le 1 er juillet 2013, deux autres préconisations sont entrées en vigueur. La première concerne l'abandon du calcul des taux relatifs aux devises et aux maturités pour lesquelles les transactions réelles sont insignifiantes. C'est ainsi que les dollars australien, canadien et néo-zélandais ainsi que les couronnes danoise et suédoise seront retirés du LIBOR. A terme, le nombre de taux calculés quotidiennement devraient diminuer de 150 à 20.

Par ailleurs, les données quotidiennes des banques transmises à l'administrateur de l'indice seront publiées à compter d'un délai de trois mois. Cette recommandation a pour objet d'éviter les fraudes liées à un risque de réputation.

Le rapport recommande enfin d'élargir au maximum le panel des banques contributrices, y compris en rendant obligatoire la participation à l'indice.

Il suggère également que les acteurs financiers « évaluent » leur utilisation du LIBOR afin qu'ils déterminent si cet instrument est le plus approprié compte tenu de leurs besoins, notamment lors des périodes où le LIBOR « ne pourrait pas être produit », c'est-à-dire lors des épisodes de stress sur le marché interbancaire.

Cette préconisation souligne en creux une des faiblesses du rapport Wheatley. D'un côté, il estime, à juste titre, que les taux doivent se rapprocher des transactions réelles, ce qui peut conduire à empêcher son calcul. De l'autre, il se veut pragmatique et constate que de nombreux contrats font référence au LIBOR en considérant que, comme par le passé, il sera produit quoi qu'il arrive (par le biais des « évaluations à dire d'experts »).

Faute d'apporter une réponse satisfaisante à cette contradiction, le rapport se contente d'inviter les acteurs financiers à évaluer leurs risques. En pratique, nul ne sait si le LIBOR sera produit ou même s'il doit l'être lors des périodes de stress sur le marché interbancaire.

2. Un EURIBOR mieux encadré à la demande des autorités européennes de supervision

L'association EURIBOR-EBF a procédé à plusieurs ajustements suite à un rapport conjoint de l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) et de l'Autorité bancaire européenne (ABE) publié en janvier 2013 9 ( * ) .

Ses règles de gouvernance ont été revues pour lui conférer une plus grande indépendance vis-à-vis de l'industrie bancaire et de prévenir les conflits d'intérêts en son sein. La liste des membres du comité directeur devra être rendue publique ainsi que leur déclaration d'intérêts.

Tout comme pour le LIBOR, l'AEMF et l'ABE recommandent que le nombre de maturités soit diminué - au maximum à 7 - afin de se concentrer sur les segments de marché les plus actifs. Une consultation sur ce sujet a été lancée au printemps 2013. Les deux autorités préconisent également de revoir en profondeur le Code de conduite applicable aux banques contributrices.

En définitive, les régulateurs plaident pour qu'un corpus de règles encadre toutes les étapes de la production de l'indice, depuis la soumission des données jusqu'à la publication de l'indice.

En parallèle, EURIBOR-EBF travaille avec la Banque centrale européenne (BCE) et une cinquantaine de banques afin d'examiner la faisabilité d'un indice fondé sur des transactions réelles.

3. Un texte européen bientôt présenté

Jusqu'à présent, tant pour le LIBOR que pour l'EURIBOR, les autorités ont d'abord fait le choix du dialogue avec les gestionnaires de l'indice afin de corriger les défauts identifiés. Les évolutions législatives sont restées mesurées.

La Commission européenne a toutefois annoncé qu'elle souhaitait présenter un texte spécifique sur cette question. Ainsi, fin 2012, Michel Barnier, commissaire en charge des services financiers, a déclaré que « toutes les options sont sur la table, toutes sauf le statu quo et l'autorégulation ».

En conséquence, elle a lancé une procédure de consultation sur la réforme de l'ensemble des indices , au-delà des indices de taux. Sont ainsi concernés les indices boursiers, les indices de volatilité, les indices sur matières premières ou encore les indices immobiliers (indice du coût de la construction en France, par exemple).

La consultation est close mais aucune proposition législative n'a, à ce jour, été publiée.

S'agissant des indices de taux, la Commission européenne étudierait en particulier les points suivants :

- faire reposer les indices de référence sur des transactions réelles, pour lesquelles les manipulations sont moins faciles ;

- conserver la supervision des indices au niveau national, sauf pour ceux « d'importance européenne », à savoir le LIBOR et l'EURIBOR, dont la supervision pourrait être confiée à l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) ;

- instituer une contribution obligatoire des banques aux indices d'importance européenne. En effet, devant les contraintes juridiques nouvelles, les banques se retirent des panels : pour l'EURIBOR, le nombre de contributeurs a ainsi chuté de 44 à 32 lors de ces derniers mois.

Les autorités britanniques ont d'ores et déjà fait connaître leur scepticisme vis-à-vis d'une régulation européenne. En effet, elles entendent préserver l'influence du LIBOR, ce qui passe par une maîtrise, au niveau national, de l'ensemble des opérations qui sont lui relatives, qu'il s'agisse de sa production ou de sa régulation.


* 7 Article 4 nonies du projet de loi en cours d'examen.

* 8 La FCA est un des deux régulateurs financiers britanniques. Il a repris une partie des attributions de la FSA.

* 9 AEMF, ABE, Report on the administration and management of Euribor , 11 janvier 2013.

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