C. LA MISE EN OEUVRE PEU SATISFAISANTE DES CRITÈRES D'ATTRIBUTION ACTUELS APPELLE LEUR SIMPLIFICATION

Conçue en référence à l'expérience des combats de la Grande Guerre, la carte du combattant a dès l'origine reposé sur un critère central d'attribution : l'appartenance à une unité combattante pendant au moins trois mois. Cette durée n'était pas requise pour les prisonniers de guerre ou les soldats évacués à la suite d'une blessure ou d'une maladie contractée en service. Enfin, les blessés de guerre étaient automatiquement considérés comme combattants.

Ces mêmes critères ont été très largement repris pour la Seconde Guerre mondiale. Des aménagements y ont néanmoins été apportés, en lien avec la nature particulière du conflit, en particulier pour la campagne de France et la Résistance. Ce régime a ensuite été transposé aux guerres d'Indochine et de Corée.

Si des lacunes dans le dispositif sont rapidement apparues pour répondre à la diversité des situations de combat rencontrées entre 1939 et 1945, l'ouverture de la carte du combattant aux hommes ayant participé à la guerre d'Algérie a mis en lumière l'inadéquation de critères vieux d'un demi-siècle. L'évolution des conditions d'octroi de la carte au fil des ans, codifiées à l'article R. 224 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre (CPMIVG) en est l'illustration.

La loi du 9 décembre 1974 et ses mesures d'application 14 ( * ) permettaient d'attribuer la carte du combattant pour trois mois d'affectation à une unité combattante ou, à titre dérogatoire, aux militaires et aux civils ayant participé à au moins six actions de combat. Le critère médical préexistant est resté valable, tandis que les prisonniers privés de la protection des conventions de Genève se sont vus reconnaître le droit à la carte.

La loi du 4 octobre 1982 15 ( * ) insère un critère supplémentaire : l'appartenance à une unité ayant connu au moins neuf actions de feu ou de combat. L'action de combat se caractérise par un engagement actif dans un affrontement, tandis que l'action de feu peut être le résultat du harcèlement exercé par un ennemi, comme des tirs ou l'explosion d'une mine. La loi du 4 janvier 1993 a ensuite abaissé de six à cinq le nombre d'actions individuelles demandées et a élargi celles prises en compte aux actions de feu.

Pour mettre en oeuvre ces règles, il appartenait aux services historiques des trois armées, qui ont été regroupés en 2005 pour former le service historique de la défense (SHD), d'examiner les journaux de marches et opérations (JMO) des unités pour déterminer les périodes durant lesquelles elles pouvaient être qualifiées de combattantes puis, pour chaque cas individuel, de recenser le nombre d'actions de feu ou de combat subies. Souvent lacunaires voire manquants, les JMO ne correspondent que rarement à ce que les soldats ont vécu sur le terrain. Les éplucher exhaustivement et les exploiter correctement représente une tâche immense. D'importantes inégalités entre soldats selon leur unité ou leur arme de rattachement sont rapidement apparues, bien qu'ils aient parfois participé au même engagement, en raison de la mauvaise tenue des JMO.

Pour répondre à de telles situations, et sous l'impulsion de nombreux parlementaires et des représentants du monde combattant, un critère d'un nouveau type a été introduit par le Gouvernement : la durée de présence en Afrique du Nord. D'abord fixée à 18 mois par la loi de finances pour 1998 16 ( * ) , elle fut abaissée à 15 mois 17 ( * ) , puis 12 mois 18 ( * ) avant d'être établie à 4 mois à compter du 1 er juillet 2004 19 ( * ) .

De plus, saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité 20 ( * ) , le Conseil constitutionnel a assoupli les critères d'éligibilité à la carte du combattant pour certaines populations. Il a estimé que la restriction touchant les membres des forces supplétives françaises jusqu'alors posée par l'article L. 253 bis du CPMIVG, en leur imposant de posséder la nationalité française à la date de la présentation de leur demande ou d'être domiciliés en France à la même date, était contraire au principe d'égalité.

Ce tâtonnement est à rapprocher de la difficile élaboration d'une mémoire partagée de la guerre d'Algérie et d'un consensus qui, dans la société française, n'est aujourd'hui encore pas universel. Plusieurs étapes furent nécessaires pour que les gouvernements successifs admettent tant la valeur de la troisième génération du feu que les spécificités du conflit auquel elle a participé. Dans une moindre mesure, le même phénomène s'est répété pour les Opex.

Au moment de l'adoption de la loi du 4 janvier 1993, l'armée française, qui débutait sa transformation à la suite de la fin de la guerre froide, était déjà engagée de longue date dans des opérations extérieures, en particulier en Afrique : au Tchad à partir de 1969 (opérations Limousin, Tacaud, Anabase, Manta puis Epervier, qui se poursuit aujourd'hui), en Mauritanie en 1977 (opération Lamantin) ou encore au Liban à compter de 1978 dans le cadre de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul). Conduites sous l'égide d'organisations internationales comme l'Onu ou dans le cadre d'accords bilatéraux de défense, ces Opex sont devenues la principale forme d'intervention de l'armée française en dehors de notre territoire.

Il était donc indispensable d'accorder à ces femmes et à ces hommes la même reconnaissance et les mêmes droits qu'aux générations du feu qui les ont précédés. Ce principe général est posé par l'article L. 253 ter du CPMIVG, selon lequel :

« Ont également vocation à l'attribution de la carte du combattant, dans les conditions prévues à l'article L. 253 bis , les militaires des forces armées françaises ainsi que les personnes civiles possédant la nationalité française à la date de présentation de leur demande qui, en vertu des décisions des autorités françaises, ont participé au sein d'unités françaises ou alliées ou de forces internationales soit à des conflits armés, soit à des opérations ou missions menées conformément aux obligations et engagements internationaux de la France [...] ».

Un arrêté fixe les théâtres d'opérations concernés ainsi que les périodes retenues. Datant du 12 janvier 1994 et mis à jour régulièrement depuis cette date, ce texte 21 ( * ) recense quarante-et-une opérations dont les plus anciennes remontent à l'insurrection malgache de 1947 et à la crise de Suez en 1956.

Néanmoins, le renvoi aux conditions d'attribution en vigueur pour la guerre d'Algérie a causé d'importantes difficultés. Les premières sont apparues à la suite de l'opération Daguet, la participation française à la première guerre du Golfe, qui fut pourtant une guerre conventionnelle mais dont la phase de combat fut très brève et à laquelle participèrent, au sein d'une division constituée pour l'occasion, de très nombreux éléments d'autres unités.

Le critère central, celui de la participation à des actions de feu ou de combat, est particulièrement inadapté aux activités des unités en Opex. Ne combattant pas un ennemi clairement identifié sur une ligne de front mais assurant la plupart du temps des missions de maintien de la paix ou de protection des populations, les soldats français servant à l'étranger ne peuvent souvent pas faire état d'un nombre suffisant d'actions de feu ou de combat pour recevoir la carte. Comme l'a expliqué à votre rapporteur le général de brigade Vincent Leroi, chef du SHD, sur les théâtres actuels tous les soldats sont combattants et exposés au danger. De plus, la délivrance de la carte pour 120 jours de présence en opération n'est pas applicable aux Opex.

Par un décret du 12 novembre 2010 22 ( * ) , une définition des actions de feu ou de combat plus adaptée aux réalités des Opex a été établie : sont désormais prises en compte les actions qui se sont déroulées « en situation de danger caractérisé ». Un arrêté 23 ( * ) est venu fixer la liste des actions concernées, qui sont celles rencontrées en Opex : ce sont, par exemple, les opérations de rétablissement de l'ordre, de déminage, de contrôle d'une zone terrestre, aérienne ou maritime, ou encore d'évacuation sanitaire. En conséquence, le nombre de cartes du combattant attribuées au titre des Opex est en forte progression puisqu'il est passé de 3 650 en 2011 à 8 900 en 2012 et devrait s'établir, pour 2013, à plus de 11 000. Un effort particulier a par ailleurs été consenti par le Gouvernement et le SHD puisque toutes les unités de l'armée de terre engagées en Afghanistan et au Mali ont été qualifiées de combattantes.

Il n'en reste pas moins que les critères complexes de qualification des unités obligent le SHD à mener un travail de recherche très long, sur la base de sources parfois peu fiables. La procédure peut durer plusieurs années. Le problème est le même que celui qui existait pour la guerre d'Algérie avant 2004. De plus, les moyens du SHD pour remplir cette mission sont très limités, puisque selon les informations recueillies par votre rapporteur seulement cinq personnes sont chargées à la fois de rédiger les arrêtés de qualification des unités combattantes et de répondre aux demandes, sur des dossiers individuels, en provenance des services départementaux de l'Onac, qui sont chargés de l'instruction des demandes de cartes du combattant. Plus de deux cents sont reçues chaque mois.

Ce constat est partagé. Dans un récent rapport réalisé dans le cadre de la modernisation de l'action publique (Map) sur les prestations en faveur des populations relevant du ministre délégué aux anciens combattants, le contrôle général des armées (CGA), l'inspection générale des finances (IGF) et l'inspection générale des affaires sociales (Igas) ont souligné le « degré de précision disparate » des archives des trois armées et les ressources limitées dont celles-ci disposent, ce qui a pour conséquence de retarder l'exploitation de ces documents jusqu'à 10 ans après les faits. Ils recommandent de rénover la politique archivistique et notamment d' « harmoniser les JMO et les documents équivalents dans l'ensemble des armées et de la gendarmerie nationale » et de les rendre « plus pertinents et plus exploitables ».

Au vu de cette situation, une simplification des critères d'attribution de la carte du combattant et de leur procédure de mise en oeuvre s'impose. Il n'est pas pour autant question de la banaliser ou d'en affaiblir la portée morale et symbolique. Au contraire, il s'agit de se montrer fidèle à la volonté des fondateurs du droit à réparation, au premier rang desquels André Maginot, premier titulaire du ministère des pensions entre 1920 et 1922, en assurant l'équité entre toutes les générations du feu et l'adaptation du droit aux nouvelles réalités de la guerre. Tel est bien l'objet de cette proposition de loi.


* 14 Décret n° 75-87 du 11 février 1975 précité.

* 15 Loi n° 82-843 du 4 octobre 1982 modifiant l'article L. 253 bis du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre.

* 16 Article 108 de la loi n° 97-1269 du 30 décembre 1997 de finances pour 1998.

* 17 Article 123 de la loi n° 98-1266 du 30 décembre 1998 de finances pour 1999.

* 18 Article 120 de la loi n° 99-1172 du 30 décembre 1999 de finances pour 2000.

* 19 Article 123 de la loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003 de finances pour 2004.

* 20 Conseil constitutionnel, décision n° 2010-18 QPC du 23 juillet 2010.

* 21 Arrêté du 12 janvier 1994 fixant la liste des opérations ouvrant droit au bénéfice de la carte du combattant au titre de l'article L. 253 ter du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, NOR : ACVP9320062A.

* 22 Décret n° 2010-1377 du 12 novembre 2010 relatif aux modalités d'attribution de la carte du combattant.

* 23 Arrêté n° 80066/DEF/DAJ/D2P/EGL du 10 décembre 2010 fixant la liste des actions de feu ou de combat définies à l'article R. 224 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, NOR DEFD1052806A, BOC n° 54 du 23 décembre 2010.

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