III. UN ENGAGEMENT DANS LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE ET L'ÉVASION FISCALES

A. L'INTRODUCTION DE CLAUSES ANTI-ABUS

Les articles 10, 11, 12 et 22 de la nouvelle convention introduisent, conformément aux commentaires du modèle OCDE, une série de clauses anti-abus relatives, respectivement, aux dividendes, aux intérêts, aux redevances et aux autres revenus . Destinées à lutter contre l'optimisation fiscale « agressive », ces clauses prévoient que les avantages prévus par la convention ne sont pas applicables si « le principal objectif ou l'un des principaux objectifs » des transactions consiste à tirer indûment bénéfice de ces stipulations, contrairement à leur objet ou à leur motif. En d'autres termes, l'objet des opérations effectuées ne doit pas être principalement fiscal .

Ces différents dispositifs sont complétés par un dispositif anti-abus de portée générale prévu à l'article 24 de la convention , ce qui permet de couvrir toutes les réductions ou exonérations d'impôt prévues par celle-ci.

Ces clauses sont issues du modèle OCDE, et figurent également dans les accords conclus récemment avec Hong Kong 37 ( * ) et Panama 38 ( * ) , ou encore dans l'accord du 4 avril 2013 avec Andorre, en cours de ratification 39 ( * ) . Les travaux actuellement menés par l'OCDE dans le cadre du projet « BEPS » sur l'érosion des bases fiscales et le transfert de bénéfices ( Base erosion and profit shifting ), dont les premières conclusions ont été présentées le 16 septembre 2014, ont vocation à permettre la généralisation de ce type de clauses.

Ces clauses anti-abus se rapprochent dans leur principe de la procédure l'abus de droit qui existe en droit interne (cf. encadré).

L'abus de droit

Prévue par l'article L. 64 du livre des procédures fiscales et modernisée en 2008 40 ( * ) , la procédure de l'abus de droit permet de sanctionner les actes qui « n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ». En d'autres termes, l'abus de droit vise à sanctionner les opérations dont le but exclusif est d'échapper à l'impôt .

L'abus de droit est lourdement sanctionné : le contribuable s'expose en effet à une majoration de 80 % de l'impôt normalement dû , qui vient s'ajouter au redressement lui-même et au paiement des intérêts de retard (0,4 % par mois).

L'utilisation de l'abus de droit , qui relève principalement de la direction des vérifications nationales et internationales (DVNI), est toutefois délicate dans la mesure où l'administration doit apporter la preuve que le but du contribuable est exclusivement fiscal, critère qui peut aisément être contourné par l'introduction d'un petit élément économique. Par exemple, une entreprise pourrait justifier la création d'une holding dans un État à la fiscalité très faible par la nécessité de coordonner ses opérations internationale, ou de servir une - modeste - clientèle locale.

Face à cette difficulté, notre collègue Philippe Marini, alors président de votre commission des finances, avait proposé en 2013 d'élargir la notion d'abus de droit aux actes dont le motif est essentiellement fiscal , et non plus exclusivement fiscal 41 ( * ) . Cette proposition a été reprise dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014 sous une forme proche, retenant le critère d'un motif principalement fiscal suggéré par le rapport de nos collègues députés Pierre-Alain Muet et Éric Woerth sur l'optimisation fiscale des multinationales 42 ( * ) . Cette disposition a toutefois été censurée par le Conseil constitutionnel au motif que la définition retenue laissait une marge d'appréciation trop importante à l'administration fiscale, compte tenu notamment des sanctions pécuniaires très lourdes qui s'y attachent pour le contribuable.

L'abus de droit de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales apparaît toutefois plus restrictif que les clauses anti-abus de la présente convention , dans la mesure où le motif doit être exclusivement fiscal, et non pas principalement fiscal. En conséquence il faudra veiller à la manière dont, en pratique, l'administration française combinera l'application des clauses anti-abus de la convention avec la procédure et les critères de l'abus de droit de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales.


* 37 Accord du 21 octobre 2010 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la région administrative spéciale de Hong Kong de la République populaire de Chine en vue d'éviter les doubles impositions et matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales.

* 38 Accord du 30 juin 2011 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Panama en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu.

* 39 Accord du 4 avril 2013 autorisant entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d'Andorre en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu.

* 40 La rédaction actuelle de l'article L. 64 du LPF est issue de l'article 35 de la loi n° 2008-1443 de finances rectificative pour 2008 du 30 décembre 2008.

* 41 Cf. proposition de loi n° 726 (2012-2013) de Philippe Marini tendant à renforcer la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales des entreprises multinationales, 4 juillet 2013.

* 42 Cf. rapport d'information n° 1243 de Pierre-Alain Muet et Éric Woerth sur l'optimisation fiscale des entreprises dans un contexte international, 10 juillet 2013, proposition n° 1.

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