EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

La proposition de loi constitutionnelle n° 779 (2013-2014) déposée le 23 juillet 2014 par notre collègue Jacques Mézard et plusieurs membres du groupe RDSE vise à rétablir le septennat présidentiel, mais en interdisant son renouvellement. Elle rouvre un débat provisoirement clos en 2008, lorsque la révision constitutionnelle adoptée alors a interdit plus d'un renouvellement consécutif d'un mandat que la révision de 2000 avait ramené à cinq ans.

En fait, depuis 1958, ce débat n'a jamais cessé puisque la fonction présidentielle a vu son mandat modifié à trois reprises :

- la conception initiale de la Constitution du 4 octobre 1958 (article 7 de la Constitution) est celle d'un Président élu pour sept ans et rééligible, mais dont le corps électoral est celui des sénateurs : les élus locaux ;

- en 1962, le référendum du 28 octobre modifie l'article 7 en introduisant l'élection au suffrage universel direct ;

- en 2000, le mandat présidentiel est ramené à cinq ans à la suite du référendum constituant du 24 septembre ;

- en 2008, la révision constitutionnelle du 23 juillet a limité à deux le nombre de mandats présidentiels consécutifs.

Ces changements dans la rédaction de la Constitution ont traduit des changements importants dans l'exercice de la fonction présidentielle.

I. UN DEMI-SIÈCLE DE PRATIQUE PRÉSIDENTIELLE

Dans sa version initiale, la fonction présidentielle était définie comme celle d'un « arbitre » (article 5 de la Constitution), au-dessus des partis, qui veille à la continuité de l'État mais qui exerce des fonctions éminentes en cas de crise (articles 12 et 16 de la Constitution) et en tant que chef de l'État (défense et politique étrangère).

Cette conception n'a jamais été vraiment celle du Général de Gaulle, qui est intervenu d'entrée dans les décisions de politique intérieure en donnant ses directives au Gouvernement, qui a interdit au Premier ministre de se faire qualifier de chef du Gouvernement et qui a suppléé à l'absence d'élection au suffrage direct en recourant fréquemment au référendum (1961 et 1962).

La révision de 1962 n'a fait que concrétiser cette pratique en y ajoutant la légitimité donnée par l'élection populaire du chef de l'État. Pour autant, la conception gaullienne de la fonction n'a pas été infléchie : celle d'un chef d'État en charge du long terme (d'où le mandat de sept ans) mais qui vérifie qu'il bénéficie du soutien populaire en recourant régulièrement au référendum. Si ce soutien disparaît, le Président doit en tirer les conséquences en démissionnant, ce qui fut le cas à la suite de l'échec du référendum du 27 avril 1969.

Cette conception, charismatique pour les uns, plébiscitaire pour les autres, de la fonction présidentielle, n'a été partagée par aucun des successeurs du Général de Gaulle, qui se sont bien gardés de remettre en jeu leur mandat à l'occasion d'un référendum ou d'une dissolution. Le mandat présidentiel a donc été conçu et appliqué comme un mandat de sept ans exercé par celui qui est devenu, du fait du choix des partis de présenter leur leader à l'élection présidentielle d'une part, de la consolidation de la conception gaullienne du Président chef incontesté de l'exécutif et de la majorité parlementaire (car c'est le Général qui, dès la dissolution de 1962, puis lors de la dissolution de 1968, demande aux électeurs de lui donner une majorité pour agir) de l'autre, la « clé de voûte des institutions ».

Dès 1973, la question de la durée du mandat présidentiel a été soulevée par Georges Pompidou. Celui-ci avait compris que le risque pour le Président de se retrouver sans majorité parlementaire en cours de mandat, du fait de la durée inégale du mandat présidentiel et du mandat législatif, pouvait mettre en péril la primauté présidentielle. Son projet de réduction à cinq ans du mandat allait dans ce sens mais, bien qu'ayant une majorité dans les deux Chambres pour cette révision, il y renonça, craignant de ne pas atteindre les trois cinquièmes des suffrages exprimés au Congrès.

Le mandat présidentiel est donc resté à sept ans et la pratique des institutions n'a pas varié jusqu'à ce que trois « cohabitations » successives (1986-1988, 1993-1995 et 1997-2002) ne viennent réduire chaque fois aux acquêts constitutionnels la fonction présidentielle. Si pourtant la conception maximaliste de la fonction présidentielle a survécu à ces aléas, c'est que d'une part les partis (et notamment les partis dominants) sont restés fidèles à la primauté présidentielle en présentant leurs chefs à l'élection et surtout en organisant toute leur vie interne (calquée d'ailleurs sur les institutions de la V ème République) autour de la compétition pour la conquête et l'exercice du pouvoir présidentiel, et que d'autre part les premiers ministres de cohabitation (Jacques Chirac, Édouard Balladur et Lionel Jospin), qui ont été les seuls à bénéficier de tous les pouvoirs prévus par la Constitution, n'ont eu de cesse de devenir à leur tour Président de la République en étant candidat dès le lendemain de la cohabitation et en veillant durant celle-ci à préserver, même formellement, la fonction et les pouvoirs qu'ils aspiraient à exercer. Le fait qu'aucun d'entre eux n'ait réussi à être élu Président au lendemain de leur exercice du pouvoir gouvernemental n'a pas eu d'effet sur cette attraction.

C'est dans cet esprit qu'a été introduite la réduction à cinq ans du mandat présidentiel. Voulue par le Premier ministre de la plus longue cohabitation de la V ème République, cette réduction était une réponde directe à l'affaiblissement du pouvoir présidentiel afin d'éviter à l'avenir, autant que possible, de nouvelles cohabitations, en alignant la durée des mandats des députés et du Président de la République. Il est significatif que cette primauté présidentielle ait été assurée jusque dans les détails. En prolongeant la durée du mandat des députés élus en mai et juin 1997 (du fait de la dissolution d'avril) pour organiser désormais les élections législatives en juin, afin qu'elles se déroulent au lendemain de celle du Président et soient conditionnées par elle (ce qui était généralement réalisé par une dissolution comme en 1981 et en 1988 mais qui était difficilement concevable en 2002 à quelques mois de la fin du mandat), les initiateurs de cette double opération ont voulu garantir la primauté présidentielle et la fonction d'un Président à la fois chef de l'État et chef de la majorité parlementaire.

La pratique des institutions a parfaitement correspondu à leurs attentes puisqu'à trois reprises, le Président élu s'est trouvé conforté par l'élection d'une majorité de députés élus par le même mode de scrutin, sur son nom et son programme au terme d'un marathon électoral ponctué par quatre tours de vote en moins de trois mois.

La réduction à deux mandats consécutifs de l'exercice du pouvoir présidentiel lors de la révision constitutionnelle de 2008 (que Jacques Chirac avait refusée en 2000) n'a été qu'un ajustement destiné à éviter que la domination présidentielle ne prenne une dimension interminable. Pourtant, il ne faut pas oublier qu'à l'occasion de la révision de 2008, tant les travaux du « comité Balladur » que l'avant-projet de loi constitutionnelle prévoyaient un renforcement significatif des pouvoirs présidentiels, en attribuant au président « la détermination de la politique de la Nation » et en lui transférant l'intégralité de la politique de défense. Si la première hypothèse disparut dès le stade du projet de loi, la seconde ne franchit pas le stade des travaux parlementaires et ne fut pas soumise au Congrès.

Le renforcement du pouvoir présidentiel sur le Gouvernement n'a pas été consécutif à une modification des articles 5 et 20 de la Constitution, mais à l'affaiblissement des pouvoirs du Premier ministre dans ses rapports avec le Parlement (dans la procédure législative et l'engagement de responsabilité) : les pouvoirs nouveaux du Parlement bénéficiant essentiellement à la majorité parlementaire et celle-ci étant liée - à l'Assemblée nationale du moins - par une communauté de destin avec le Président de la République, il est inévitable que le dialogue entre le Président et la majorité parlementaire s'effectue par-dessus la tête du Premier ministre, comme la pratique des institutions l'a montré, notamment durant le deuxième quinquennat entre 2007 et 2012.

C'est dans ce contexte qu'est déposée la présente proposition de loi constitutionnelle de notre collègue Jacques Mézard, soumise à l'examen de votre commission.

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