II. LA PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE, SON OBJET ET SES EFFETS PRÉVISIBLES

La proposition de loi constitutionnelle a un objet manifeste et un objet latent.

Son objet manifeste est de revenir à une fonction présidentielle moins conjoncturelle, axée sur le long terme, et laissant le Gouvernement se charger, avec le Parlement, de l'action à court terme. Cette conception de l'action présidentielle doit cependant tenir compte de l'ambivalence du septennat tel qu'il a pu être pratiqué jusqu'en 2002. En effet, si le Général de Gaulle, le premier, sut manier le long terme pour gérer les domaines qu'il jugeait essentiels (défense, politique étrangère, mais aussi planification et aménagement du territoire, qui furent confiés dix ans durant aux mêmes titulaires), il laissa pourtant d'autres secteurs évoluer de façon chaotique, avec de fréquents changements de ministres, notamment l'éducation qui fut son talon d'Achille. Quant à la vision à long terme des présidents sur leur septennat, elle fut constamment corrigée par la crainte de voir des élections législatives intermédiaires ruiner leur leadership : Charles de Gaulle s'en inquiète en 1967, Georges Pompidou en 1973, Valéry Giscard d'Estaing en 1978 avant que François Mitterrand (en 1986 et 1993) et Jacques Chirac (en 1997) ne parviennent pas à surmonter l'obstacle. Vision à long terme et pilotage à court terme ont constamment cohabité avant 2002.

Le fait de ne pas permettre au Président sortant de se représenter n'est pas secondaire : il introduit en effet une scansion définitive qui n'est pas susceptible de rebondissement. Jusqu'à présent, les présidents qui ont été réélus après un premier septennat se sont trouvés dans deux cas de figure : le premier est celui du Général de Gaulle, réélu en 1965 et remportant les élections législatives de 1967 et 1968, mais quittant le pouvoir sur l'échec référendaire de 1969 ; le second est celui de François Mitterrand et Jacques Chirac, réélus après un premier septennat mais après avoir vécu une cohabitation durant la deuxième partie de leur premier mandat. Cette cohabitation a permis aux deux présidents sortants de laisser aux premiers ministres avec qui ils avaient cohabité, devenus leurs adversaires de l'élection présidentielle, la charge d'endosser le bilan : leur réélection a été ainsi facilitée par ce changement de statut. En sortant le Président en fin de mandat de la compétition de la nouvelle élection présidentielle, comme le propose la présente proposition de loi, les compteurs politiques seraient en quelque sorte remis à zéro, qu'il y ait eu ou non cohabitation durant le mandat qui s'achève. De même, le Président, n'étant plus encombré par le souci de mener une nouvelle campagne et de se fabriquer une nouvelle posture, peut se consacrer totalement à sa charge durant tout son mandat, qu'il y ait ou non cohabitation et même concevoir autrement l'usage de celle-ci.

Mais ces avantages supposés du septennat non renouvelable ne doivent pas masquer que le but latent des auteurs de la proposition de loi constitutionnelle est d'abaisser la fonction présidentielle. La lecture des discours et propositions de loi constitutionnelle de la tradition radicale sous la V ème République, à commencer par ceux de notre regretté président Gaston Monnerville, montre une nostalgie du régime parlementaire à la française, un régime où le chef de l'État est cantonné dans un rôle secondaire, celui d'une magistrature d'influence, laissant Gouvernement et Parlement jouer l'essentiel de la partition. Faute de pouvoir abolir l'élection directe du chef de l'État par le peuple, élection qui est la dernière à susciter une forte participation parce que considérée par l'opinion comme dotée d'un réel enjeu, les auteurs de la proposition de loi s'en remettent à la version de la fonction présidentielle la plus susceptible de l'amoindrir : celle d'un septennat condamné à se terminer en cohabitation et celle d'un septennat non renouvelable qui ne permettrait pas au Président de sortir de la cohabitation en retrouvant sa toute-puissance.

Peut-on justifier cette proposition en l'enracinant dans ce qui était le projet initial de la V ème République, ou du moins dans la rédaction originelle de la Constitution avant 1962 ? Ce serait oublier que les auteurs de la Constitution sont aussi ceux qui ont imposé le tournant de 1962 et imprimé la pratique présidentialiste qui s'imposera par la suite. Et la comparaison avec la III ème République montre que la pratique ultra-parlementaire qui s'est imposée après 1879 - la fameuse « constitution Grévy » - a été suffisamment forte pour empêcher tout retour ultérieur au texte de la Constitution ; Alexandre Millerand en fit la cruelle expérience.

Il est intéressant de relever que la plupart des propositions de révision de la Constitution qui ont fleuri sur le rôle du Président de la République depuis 1958 ont concerné le mandat présidentiel, comme si c'était de lui que dépendait le pouvoir du chef de l'État, et que rares sont celles qui ont proposé de limiter plus directement ses prérogatives, par exemple en introduisant une vraie séparation des pouvoirs entre lui et le Parlement, afin de l'empêcher de cumuler ses fonctions avec celles de chef de la majorité parlementaire.

La présente proposition de loi constitutionnelle a le grand mérite d'ouvrir un débat sur cinquante ans de pratique présidentielle. Mais elle ne propose en fin de compte qu'un retour en arrière qui fait fi du sentiment dominant des citoyens, fortement attachés à l'élection d'un Président doté de vrais pouvoirs et si possible d'un vrai leadership. Elle va également à rebours de l'évolution générale du temps politique vers une scansion plus brève qui permet d'affirmer la responsabilité politique du principal détenteur du pouvoir. Dans ces conditions, votre rapporteur ne peut que conclure au rejet de la proposition de loi constitutionnelle.

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Votre commission n'a pas adopté la proposition de loi constitutionnelle visant à rétablir à sept ans la durée du mandat du Président de la République et à le rendre non renouvelable.

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