C. LES DÉPENSES DE PERSONNEL : LE MAINTIEN DES EFFECTIFS AU DÉTRIMENT DE L'ATTRACTIVITÉ DE LA FONCTION PUBLIQUE

1. Des effectifs élevés et un poste de dépenses important

L'État emploie plus de 1,9 million de fonctionnaires , chiffre élevé au regard de ceux de nos voisins compte tenu, notamment, de l'organisation très centralisée de la puissance publique en France.

Les dépenses de personnel constituent ainsi un poste de dépenses particulièrement important pour l'État : elles représentent près d'un tiers du total, soit un montant de l'ordre de 121 milliards d'euros .

2. Un dogme du maintien des effectifs au détriment du traitement des fonctionnaires et de l'attractivité de la fonction publique
a) Une fonction publique pléthorique que le Gouvernement se refuse de réduire

Le Gouvernement se refuse de réduire les effectifs de la fonction publique et prévoit de créer 60 000 postes sur l'ensemble de la législature, gagés par des suppressions d'un nombre de postes équivalent dans les ministères jugés non prioritaires. Les missions concernées par l'augmentation des effectifs sont d'abord l'enseignement scolaire et supérieur , avec à l'issue de l'exercice 2015, environ 37 300 emplois créés depuis le début du quinquennat, de façon beaucoup plus marginale, la sécurité et la justice (+ 2 700 postes environ sur la même période).

Ces postes peinent, de notoriété publique, à être pourvus, ce qui interroge sur l'attractivité de la fonction publique . Pour autant, l'État maintient sa politique de création d'emplois . Entre 2014 et 2015, ce sont ainsi 9 010 postes qui seront créés dans l'enseignement et plus de 1 500 dans les secteurs de la sécurité et de la justice.

b) La dégradation de l'attractivité de la fonction publique

L'attachement dogmatique du Gouvernement au maintien des effectifs de la fonction publique a nécessairement pour effet de réduire les perspectives salariales des fonctionnaires . En effet, dès lors que la masse salariale doit être maîtrisée , l'absence de suppressions de postes doit être compensée par la contrainte exercée sur les salaires. Le gel du point d'indice (qui permet de dégager une économie d'environ 1 milliard d'euros par an par rapport à une revalorisation à l'inflation 109 ( * ) ) et la réduction des enveloppes de mesures catégorielles 110 ( * ) (0,3 milliard d'euros d'économies par rapport au tendanciel) constituent la plus grande partie du 1,4 milliard d'euros d'économies prévues sur les dépenses de personnel en 2015.

Ces mesures conduisent à la stagnation des salaires : ainsi, d'après l'Insee 111 ( * ) , tandis qu'entre 2006 et 2011, la diminution des effectifs de la fonction publique d'État d'environ 215 000 personnes s'était accompagnée d'une augmentation des salaires du secteur public de 0,9 % en euros constants, les salaires ont diminué en euros constants de - 0,8 % entre 2011 et 2012 112 ( * ) et cette tendance s'est, selon toute vraisemblance, prolongée depuis.

La stabilisation des effectifs s'est également accompagnée d'un tassement des salaires : de 2012 à 2014, l'essentiel des mesures catégorielles est concentré sur les bas salaires (catégorie C) tandis que les catégories A et B ne voient pas leurs rémunérations évoluer dans les mêmes proportions. Les dernières données disponibles montrent que la réduction intervenue est en effet plus prononcée dans le haut de l'échelle salariale : le salaire médian s'est réduit de 1,1 % entre 2011 et 2012 et le phénomène s'est vraisemblablement amplifié depuis . À cet égard, on relèvera la déclaration du Premier ministre, à l'occasion de l'installation du conseil national des services publics, le 9 octobre dernier, alertant sur les conséquences d'une situation que l'actuelle majorité a pourtant largement contribué à créer : « Nous proposons d'ouvrir un vaste chantier sur plusieurs années de revalorisation des grilles indiciaires des fonctionnaires. Il nous faut répondre au très fort tassement des amplitudes de rémunération depuis 20 ans. Si rien ne change, en 2017, un cadre de catégorie A débutera sa carrière au SMIC soit au même niveau qu'un agent de catégorie C ».

Ces éléments conduisent à poser, et ce malgré l'ampleur du chômage, la question de l'attractivité de la fonction publique : elle est, de l'aveu de la ministre de la santé Marylise Lebranchu, un « problème » 113 ( * ) . Si les postes créés dans l'Éducation nationale peinent à être pourvus, c'est en partie parce qu' à trop vouloir préserver les effectifs, la rémunération des emplois publics en pâtit. Au-delà d'une crispation gouvernementale sur le nombre de fonctionnaires qu'il s'agirait de préserver coûte que coûte, c'est plutôt leurs missions et le contexte dans lequel ils sont amenés à les remplir qu'il faut repenser.

c) La maîtrise de la masse salariale sans réflexion sur les effectifs, un impossible défi ?

Le refus d'une diminution réelle des effectifs, outre qu'il dégrade les perspectives salariales des fonctionnaires, prive le Gouvernement d'un levier majeur pour réaliser des économies pérennes.

En effet, le gel du point de la fonction publique et la forte réduction des mesures catégorielles ne suffiront probablement pas à assurer une maîtrise durable de la masse salariale. Comme le souligne la Cour des comptes 114 ( * ) , « dans le contexte nouveau d'une stabilisation des effectifs, les mesures salariales déjà mobilisées pourraient se révéler insuffisantes pour maintenir la stabilisation en valeur de la masse salariale. Les risques identifiés dans le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques de juin 2013 se sont matérialisés et pourraient se prolonger en 2014, en particulier les moindres départs en retraite qui compliquent la réalisation du schéma d'emplois, les dépassements de la mission Défense et le dynamisme des ?mesures diverses? ».

Ainsi, on note que le seul réel facteur de baisse de la masse salariale de l'État réside dans l'impact du schéma d'emploi , qui est cependant très limité (-31 millions d'euros) au regard du faible nombre de suppressions de postes. Il est prévu que le « glissement vieillesse technicité » (GVT) et les mesures catégorielles s'établissent à environ 250 millions d'euros chacun en 2015 - ce qui constitue une estimation très modérée, pour l'un comme pour l'autre facteur, au regard des montants constatés en exécution 2013. Au total, la masse salariale devrait augmenter de 725 millions d'euros en 2015 pour s'établir à 81,8 milliards d'euros. Cette estimation peut cependant être interrogée au regard des dépassements ayant eu lieu en exécution 2013 et en 2014.

Les facteurs de risques identifiés par la Cour des comptes comme pesant sur la maîtrise de la masse salariale pour 2014

1°). Des sous-estimations récurrentes du « glissement vieillesse-technicité » (GVT) : « le GVT solde a été plus proche de 0,3 milliard d'euros en 2012 et en 2013 que de 0,15 milliard d'euros 115 ( * ) . Il a été sous-estimé en prévision ces deux années, ce qui s'explique notamment pour 2013 par une sous-budgétisation du GVT au ministère de l'Éducation nationale et pourrait se reproduire en 2014 ».

2°). Les dépassements de crédits de la mission « Défense » : leurs causes demeurent en 2014 : « défaut de prévision, notamment du GVT, dysfonctionnements du système de paie Louvois, coûts du repyramidage et des OPEX ». En particulier, la provision de dépenses de personnel pour les opérations extérieures (OPEX) apparaît probablement insuffisante : elle « s'élève ainsi à 0,15 milliard d'euros alors que le coût des OPEX pour le titre 2 a été proche de 0,35 milliard d'euros chaque année en moyenne entre 2007 et 2013 ».

3°). Le dépassement des « mesures diverses » , qui sont « depuis plusieurs années source d'un dépassement des crédits votés, et ont pesé à la hausse sur la dynamique de la masse salariale. Leur solde reste donc très incertain, avec un aléa historiquement défavorable ».

« Au total, il existe un risque de dépassement des crédits de rémunérations inscrits en loi de finances initiale de l'ordre de 0,3 milliard d'euros, concentré sur les missions ?Enseignement scolaire? et ?Défense? ».

Ce risque s'est réalisé et le dépassement effectif va même au-delà des anticipations de la Cour des comptes : le projet de loi de finances rectificative de fin d'année fait état d'un besoin total de plus de 0,5 milliard d'euros, dont 0,3 milliard d'euros pour l'éducation nationale et 0,2 milliard d'euros pour la Défense (hors OPEX).

Source : Cour des comptes, rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, juin 2013, pp. 73-74.

Dans un contexte où le niveau de dette publique approche 100 % du PIB et où le déficit de l'État a été une fois de plus dégradé, c'est une approche pragmatique qui doit prédominer. Ainsi, des sujets tels que le nombre de fonctionnaires, leur temps de travail effectif, l'absentéisme, méritent de faire l'objet d'une réflexion approfondie permettant de dégager des pistes de réformes, peut-être douloureuses à court terme, mais qui permettront de remettre notre économie et nos comptes publics sur une trajectoire positive et soutenable.


* 109 Sur la base d'une inflation prévisionnelle de 1,35 % en moyenne sur la période 2015-2017.

* 110 Ces mesures catégorielles devraient représenter, en moyenne, 177 millions d'euros par an sur la période 2015-2017, dont 245 millions d'euros au seul titre de l'année 2015, contre environ 500 millions d'euros par an au cours de la précédente législature.

* 111 Insee Première, n° 1509, juillet 2014 et fiche thématique « Emplois et salaires », édition 2014, disponibles en ligne.

* 112 Les délais de collecte et de traitement des données ne permettent pas de disposer des chiffres postérieurs à l'année 2012.

* 113 Entretien paru dans le journal « Acteurs publics » en date du 30 septembre 2014 (disponible en ligne : http://www.acteurspublics.com/2014/09/29/marylise-lebranchu-nous-avons-un-probleme-d-attractivite-dans-la-fonction-publique ).

* 114 Cour des comptes, rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l'exercice 2013.

* 115 Estimation de la loi de finances initiale pour 2014.

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