B. LA RECHERCHE D'UNE CLARIFICATION DES COMPÉTENCES ENTRE COLLECTIVITÉS TERRITORIALES AU PROFIT DES RÉGIONS

« Les régions disposeront (...) de tous les leviers nécessaires pour assurer, aux côtés de l'État, dans les territoires, la responsabilité du développement économique, de l'innovation et de l'internationalisation des entreprises » 5 ( * ) .

Le projet de loi renforce en conséquence le niveau régional.

Il propose en particulier une rationalisation de la planification régionale en confiant à la région l'élaboration d'un schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation ( article 3 ) et d'un schéma régional de développement et d'aménagement durable du territoire ( article 6 ), ces deux schémas étant opposables.

1. Le renforcement des compétences des régions en matière de développement économique et d'aides aux entreprises

Conformément à l'intention du Gouvernement, les articles 2 et 3 du projet de loi tendent à donner à la région une compétence renforcée en matière de développement économique , sous réserve de la compétence de l'État en matière de politique économique et des compétences qui seraient conservées aux communes et intercommunalités, ainsi qu'aux métropoles, dont les compétences issues de la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 précitée ne seraient pas remises en cause. En revanche, les compétences économiques du département seraient quant à elles quasiment toutes supprimées. En conséquence, la mission de chef de file de la région dans le domaine économique est supprimée par le projet de loi.

Complétant la suppression de la clause générale de compétence, cette clarification des compétences dans le domaine économique se traduirait par l'élaboration d'un schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII), définissant les orientations de la région en matière économique et opposable aux autres collectivités et aux réseaux consulaires. L'articulation entre l'action des régions et celle des métropoles en matière de développement économique n'est toutefois pas complètement clarifiée par le projet de loi.

En outre, sous réserve du maintien de certaines compétences limitées aux autres niveaux de collectivités, la région se verrait confier le monopole de la définition des régimes d'aides aux entreprises et de l'octroi de ces aides sur son territoire. Toutefois, dans le respect du cadre fixé par le SRDEII, les communes et intercommunalités pourraient attribuer des aides contribuant à l'investissement immobilier des entreprises. La région aurait aussi pour mission explicite de soutenir les pôles de compétitivité.

Ces dispositions de clarification de l'exercice des compétences des collectivités territoriales en matière de développement économique, sous l'égide des régions, reprennent largement les recommandations formulées dans le rapport Pour des aides simples et efficaces au service de la compétitivité de juin 2013, établi à la demande du Premier ministre par MM. Jean-Jacques Queyranne, Philippe Jurgensen et Jean-Philippe Demaël. L'encadré ci-après présente une synthèse de ce rapport.

« Pour des aides simples et efficaces au service de la compétitivité »
Rapport établi par MM. Jean-Jacques Queyranne,
président de la région Rhône-Alpes,
Philippe Jurgensen, inspecteur général des finances,
et Jean-Philippe Demaël, directeur général de Somfy (extraits) 6 ( * )

Réalisé à la demande du Premier ministre, ce rapport publié en juin 2013 vise à évaluer les interventions économiques publiques en faveur des entreprises, dans le cadre de la modernisation de l'action publique. Étaient concernées principalement les interventions tant de l'État que des collectivités territoriales, sans oublier d'autres intervenants comme les chambres consulaires ou BPIFrance. L'objectif fixé par le Premier ministre était double : « simplifier l'accès des entreprises aux soutiens publics, pour améliorer l'environnement économique des entreprises, et réformer les interventions les moins efficaces » afin de réaliser des économies.

Au sein du périmètre de 46,5 milliards d'euros identifié par la mission (hors taux réduits de TVA, allègements de charges sociales, aides à la formation professionnelle, dépenses relatives au logement et au handicap ou encore crédit d'impôt recherche, entre autres), la part relevant des collectivités territoriales s'élève à 6,5 milliards d'euros.

Si les modalités d'intervention économique de l'État sont diverses (dépenses fiscales, interventions financières telles que prêts, garanties, interventions en fonds propres, subventions et taxes affectées), « les collectivités quant à elles ont majoritairement recours à des subventions budgétaires. Elles sont versées soit directement aux entreprises, soit à des organismes financés par les collectivités territoriales et qui offrent des prestations d'accompagnement aux entreprises. Les collectivités territoriales recourent toutefois de plus en plus fréquemment à des interventions financières. »

Les interventions économiques publiques sont « très nombreuses et fragmentées » et « résultent d'une sédimentation progressive », encore plus pour les collectivités territoriales que pour l'État. Les aides des collectivités se caractérisent par une grande dispersion, d'autant que « tous les niveaux de collectivités territoriales interviennent en matière de développement économique ». Le rapport avance un chiffre de 3000 dispositifs d'aides aux entreprises. Sur le total précité de 6,5 milliards d'euros, 2,7 milliards proviennent des communes et des intercommunalités, 2,1 milliards des régions et 1,7 milliard des départements. À cet égard, le rapport indique que « les chefs d'entreprises attendent avant tout plus de stabilité dans l'action publique, plus de lisibilité et plus d'accessibilité ».

Le rapport ajoute que « la multiplication des intervenants dans le soutien aux entreprises, notamment avec l'émergence des collectivités comme acteurs du développement économique, contribue à la fragmentation des interventions ». Compte tenu de la nature de leurs compétences, « les régions ne peuvent véritablement remédier au foisonnement des dispositifs créés par les autres collectivités », souvent redondants, qui conduisent à l'existence de nombreux cofinancements. Une telle situation nuit à la lisibilité du système des aides publiques par les entreprises et traduit « des stratégies insuffisamment coordonnées entre collectivités ». Une telle prolifération s'explique en partie par « l'absence d'instruments de coordination » efficaces, dès lors que les instruments juridiques actuels ne sont pas réellement contraignants.

De plus, le rapport souligne des montants de frais de gestion « relativement élevés » pour les aides mises en oeuvre par les collectivités territoriales, « avec près de 15 000 agents consacrés au développement économique, soit (...) 11 % du total des interventions ».

Toutefois, il constate que, « malgré l'existence de nombreuses redondances », et donc de nombreux gisements d'économies, « les collectivités avaient adopté une certaine spécialisation de fait, même incomplète » : « les communes et EPCI ont développé une spécialisation en matière d'aménagement foncier et d'immobilier d'entreprises ; les départements, malgré une intensité d'intervention très variable selon les territoires, concentrent souvent leur soutien sur les TPE et PME des zones rurales ou semi-rurales » et « la région s'engage plus que les autres collectivités en faveur de la R&D et de l'innovation, de l'internationalisation des firmes et recourt proportionnellement plus aux outils d'ingénierie financière ».

S'agissant des interventions économiques territoriales de l'État, le rapport précise qu'elles sont aujourd'hui regroupées « autour de deux grands leviers : l'animation des filières et de la recherche et développement via les pôles de compétitivité, et le financement des entreprises et de l'innovation via BPIFrance ».

Globalement, les interventions publiques sont insuffisamment orientées vers les enjeux de la compétitivité, de l'innovation et de l'internationalisation des entreprises. Les secteurs d'avenir comme les secteurs soumis à la concurrence internationale ne sont pas aidés prioritairement. En outre, l'évaluation de l'efficacité des dispositifs est insuffisante.

Le rapport a formulé 12 propositions de soutiens à conforter, en raison de leur efficacité reconnue, 12 propositions d'économies, concernant des interventions coûteuses et inefficaces, et 12 propositions de simplification, permettant notamment d'assurer « une plus grande clarté dans la répartition des compétences ».

Parmi les propositions ainsi formulées, certaines concernent en tout ou partie les interventions des collectivités territoriales en matière de développement économique :

« Conforter les interventions des régions en faveur de l'innovation »

« Conforter les pôles de compétitivité qui structurent les filières et soutiennent les projets innovants »

« Conforter les interventions des régions en faveur de l'internationalisation des entreprises, en les articulant avec les soutiens de l'État »

« Rationaliser la carte des 110 agences économiques des collectivités territoriales pour n'en garder qu'une par région »

« Transférer toutes les compétences de développement économique des collectivités territoriales aux régions (à l'exception de l'immobilier d'entreprises, qui demeure de la compétence des communes et EPCI), qui pourront déléguer leurs compétences aux autres collectivités (notion de « chef de file complet des collectivités territoriales ») »

« Réunir dans un document stratégique régional unique (SRDEII) et public toutes les interventions des collectivités territoriales pour améliorer la cohérence, clarifier les compétences et accroître la lisibilité des interventions pour les entreprises »

« Fusionner et simplifier les aides des collectivités territoriales, prioritairement en matière de création/transmission (plus de 1100 dispositifs) et de tourisme (près de 500 dispositifs, en plus des comités départementaux et régionaux du tourisme), pour accroître la lisibilité des aides »

« Développer dans chaque région un guichet unique sur la base de la plateforme commune entre BPIFrance et la région, afin de mutualiser dans un même ensemble les interventions économiques »

S'agissant de la rationalisation des opérateurs des collectivités territoriales sur le champ du développement économique, le rapport propose plus précisément de regrouper « toutes les structures d'appui aux entreprises dans une agence régionale unique qui aurait vocation à servir d'opérateur pour toutes les collectivités », ce qui pourrait générer 70 millions d'euros d'économies budgétaires.

S'agissant du renforcement de la compétence économique des régions, le rapport préconise « la mise en place du chef de filat complet de la région en matière de développement économique », les collectivités infrarégionales ne pouvant plus intervenir en cette matière de leur propre initiative, sauf délégation de la région. Il s'agirait ainsi de donner à la région une compétence d'encadrement des interventions économiques des autres collectivités, sous réserve d'une compétence exclusive des métropoles, EPCI et communes « en matière de création, d'aménagement et de gestion des zones d'activités ainsi qu'en matière d'immobilier d'entreprise », sans préjudice d'abondements financiers par la région. L'intervention directe des départements ne serait plus possible, sauf délégation de la région ou substitution à une commune ou un EPCI à sa demande.

Pour concrétiser cette clarification des compétences sous l'autorité de la région, le rapport recommande la mise en place d'un « schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII) », qui détaillerait « toutes les interventions sur le territoire régional en faveur des entreprises ». Chaque région devrait adopter un tel schéma, qui serait « prescriptif et exhaustif, pour la durée de la mandature ». L'ensemble des interventions économiques des autres collectivités devrait se conformer au schéma. Afin de garantir la cohérence des actions de développement économique sur le territoire régional, le schéma devrait également servir de « cadre aux interventions économiques des métropoles ». En outre, les actions des chambres consulaires devraient également s'inscrire dans ce cadre.

Enfin, le rapport préconise de « clarifier les compétences entre l'État et les collectivités territoriales en matière économique », les projets d'intérêt national devant seuls être pilotés par l'État. « Les interventions territoriales de l'État auraient vocation à être rationalisées en étant transférées aux collectivités territoriales ou supprimées dès lors qu'elles ne contribuent pas à une mission régalienne ou ne sont pas le levier principal d'une politique d'intérêt manifestement national ». En effet, ces interventions sont souvent redondantes avec celles des collectivités, de sorte que celles-ci pourraient intervenir seules sur les domaines concernés, en particulier pour les dispositifs de soutien au commerce et à l'artisanat.

L' article 4 du projet de loi, quant à lui, vise à mieux organiser la compétence dans le domaine du tourisme, qui demeure partagée entre les différents niveaux de collectivités, en attribuant la fonction de chef de file à la région et en lui conférant la responsabilité d'élaborer un schéma régional de développement touristique en associant les collectivités concernées, au sein de la conférence territoriale de l'action publique (CTAP), en vue de préciser les actions des différentes collectivités. Des comités du tourisme communs à plusieurs régions ou plusieurs départements pourraient aussi être constitués.

2. L'opposabilité de la planification régionale

Le schéma régional d'aménagement et de développement durable du territoire (SRADDT), prévu à l' article 6 , succèderait au schéma régional d'aménagement et de développement du territoire (SRADT) dont le bilan apparaît modeste, en raison de son absence d'opposabilité aux schémas et plans infrarégionaux relevant de la compétence des autres échelons locaux et de son caractère facultatif. Le nouveau schéma regrouperait plusieurs schémas régionaux actuels afin d'en réduire le nombre. Ses dispositions seraient opposables aux schémas et plans d'urbanisme infra-régionaux. Cette opposabilité serait conférée par l'approbation du schéma par le représentant de l'État dans la région chargé de s'assurer de la prise en compte de la réglementation législative et règlementaire que doit respecter le conseil régional ainsi que les projets d'intérêt national ou d'utilité publique. Enfin, ce schéma s'imposant à l'ensemble des collectivités territoriales et de leur groupement sur le territoire régional, il serait co-élaboré par l'ensemble des acteurs du territoire, en particulier les collectivités territoriales du périmètre régional qui participeraient à son élaboration avec la région qui en assurerait le pilotage.

Les SRADT actuellement en vigueur continueraient d'être applicables selon des modalités définies par l' article 7 .

Enfin, l' article 5 prévoit un plan régional de prévention et de gestion des déchets, en remplacement des trois schémas actuels départementaux ou régionaux existants en matière de gestion de déchets. Cette disposition s'inscrit dans les recommandations de simplification et de réduction des coûts, étant précisé que ce nouveau plan régional aurait vocation à être intégré au SRADDT une fois celui-ci adopté.


* 5 Cf. exposé des motifs du projet de loi n° 636 (2013-2014).

* 6 Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

http://www.modernisation.gouv.fr/sites/default/files/fichiers-attaches/soutienentreprises_rapport.pdf

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