PREMIÈRE PARTIE
UN DÉFICIT D'INVESTISSEMENT DANS L'UNION EUROPÉENNE

Le plan d'investissement pour l'Europe, annoncé en juillet 2014 par l'actuel président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, intervient dans un contexte marqué par une indéniable apathie de l'investissement dans l'Union européenne , après une période de fort recul à la suite de la crise économique et financière. Une telle situation n'est pas sans lien avec la faiblesse de la reprise économique européenne , relativement aux autres régions du monde, l'insuffisance actuelle de l'investissement venant peser sur les perspectives de croissance des économies des États membres.

I. UN FORT RECUL DE L'INVESTISSEMENT AU LENDEMAIN DE LA CRISE ÉCONOMIQUE...

Les données d'Eurostat relatives à la formation brute de capital fixe (FBCF) font apparaître un net recul des dépenses d'investissement dans l'Union européenne (UE-28) , celles-ci étant passées de 2 927,5 milliards d'euros à 2 609,6 milliards d'euros entre 2008 et 2013, soit une diminution de 10,9 % en valeur (cf. graphique n° 1).

Graphique n° 1 : Évolution de l'investissement dans l'UE-28

(en milliards d'euros, prix courants)

Source : Eurostat (SEC 2010)

De même, le poids des investissements dans le produit intérieur brut (PIB) des États membres de l'Union européenne a reculé de 22,5 % en 2008 à 19,3 % en 2013 , soit une variation de - 14 %. Cette baisse des dépenses d'investissement au lendemain de la crise a concerné l'ensemble des économies européennes, de manière toutefois plus ou moins prononcée.

Parmi les cinq principales économies de l'Union européenne, trois « profils » d'évolution de l'investissement peuvent être distingués. Le premier concerne la France et le Royaume-Uni , pays dans lesquels les dépenses d'investissement ont reculé à la suite de la crise - et ce plus particulièrement au Royaume-Uni, où celles-ci ont chuté de 32,9 % entre 2007 et 2009 -, avant de revenir progressivement à niveau proche de celui constaté en 2008, puis de « stagner » entre 2012 et 2013. L' Italie et les Pays-Bas ont, quant à eux, également connu une diminution significative, suivie d'un léger rebond au début de la décennie 2010 et d'un nouveau recul ; au total les dépenses d'investissement sont inférieures de plus de 15 % à leur niveau de 2008. L' Allemagne , enfin, est parvenue à combler la baisse des dépenses d'investissement survenue en 2009, le niveau observé en 2008 ayant été dépassé dès 2011 (cf. graphique n° 2).

Graphique n° 2 : Évolution de l'investissement dans les principales économies de l'Union européenne

(base 100 en 2008)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données d'Eurostat, SEC 2010)

Les États membres dans lesquels le recul de l'investissement a été le plus prononcé entre 2008 et 2013 sont la Grèce (- 64 %), l' Espagne (- 40 %), le Portugal (- 37 %), l' Irlande (- 41 %) et Chypre (- 53 %), ainsi que le fait apparaître le graphique ci-après, ces derniers ayant, d'ailleurs, bénéficié des programmes d'assistance financière européens.

Graphique n° 3 : Évolution de l'investissement dans les États bénéficiaires de l'assistance financière européenne

(base 100 en 2008)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données d'Eurostat, SEC 2010)

Ceci ne saurait surprendre, et ce pour deux raisons. Tout d'abord, les États bénéficiaires des programmes d'assistance financière ont été parmi les pays les plus touchés par l'éclatement de la bulle immobilière - en particulier en ce qui concerne l'Espagne et l'Irlande -, la construction étant comptabilisée au sein des investissements 1 ( * ) . Ensuite, ces mêmes États sont ceux ayant consenti l'effort le plus significatif en termes de redressement des comptes publics. À cet égard, dans son rapport préparatoire au débat d'orientation des finances publiques (DOFP) pour 2015, François Marc, alors rapporteur général de la commission des finances, avait déjà relevé que « les ajustements budgétaires réalisés dans la zone euro se sont faits essentiellement au détriment de l'investissement public [...], dès lors que les dépenses de fonctionnement présentent une certaine inertie et que l'accroissement des prestations sociales dans un contexte de dégradation de la situation économique joue un rôle de stabilisation conjoncturelle » 2 ( * ) . Ainsi, les données disponibles à ce jour font apparaître que la formation brute de capital fixe (FBCF) des administrations publiques est passée de 3,5 % à 2,9 % du PIB entre 2010 et 2013 dans l'Union européenne et de 3,4 % à 2,8 % du PIB dans la zone euro au cours de la même période.

Cependant, il convient de relever l'hétérogénéité des États membres au regard de l'investissement public . Ainsi, aux côtés de pays où la formation brute de capital fixe (FBCF) des administrations publiques est restée relativement stable tout au long de la période 2008-2013, comme l' Allemagne (2 % du PIB) et la France (4 % du PIB), d'autres ont vu leur investissement public reculer fortement, à l'instar de l' Italie (2,4 % du PIB en 2013, contre 3 % en 2008), de l' Espagne (2,1 % du PIB, contre 4,6 %), du Portugal (2,2 % du PIB, contre 3,7 %), de la Grèce (2,7 % du PIB, contre 4,9 %), ou encore de Chypre (3,1 % du PIB, contre 4 %).

Il ne fait donc aucun doute que la crise économique et financière a fortement pesé sur l'investissement total. Pour autant, plus que l'intensité de la baisse de l'investissement, c'est la pérennité de l'atonie de ce dernier qui caractérise les pays européens . En effet, les données disponibles à ce jour montrent que la formation de capital fixe (FBCF) aux États-Unis a retrouvé son niveau de 2007 dès l'année 2012, ce qui n'est toujours pas le cas dans l'Union européenne, ni même dans la zone euro (cf. graphique n° 4).

Graphique n° 4 : Évolution de l'investissement dans l'Union européenne,
la zone euro et aux États-Unis

(base 100 en 2008)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données d'Eurostat, SEC 2010)

Ainsi, depuis quelques années, l'investissement dans l'Union européenne affiche un net « décrochage » en comparaison des États-Unis . Plusieurs causes peuvent venir expliquer ce phénomène, comme l'ampleur de l'ajustement budgétaire opéré en Europe, et plus particulièrement au sein de la zone euro en raison de la crise des dettes souveraines, l'importance du taux de chômage , qui atteignait encore 11,5 % en moyenne dans l'Union à la fin de l'année 2014 selon Eurostat 3 ( * ) , ou encore l'affaiblissement de la confiance des consommateurs, mais également des entreprises , qui ne peuvent accroître leurs investissements au vu de la faiblesse de la demande anticipée.

De même, une récente étude publiée par le cabinet d'audit et de conseil Ernst & Young a fait apparaître un fort recul de l'attractivité européenne pour les investisseurs étrangers ; ainsi la part des investissements directs étrangers (IDE) en Europe est passée de 50 % des IDE entrants mondiaux en 2002 à seulement 20 % en 2013 4 ( * ) . Si cette même étude semble montrer le retour d'un certain optimisme des investisseurs en ce qui concerne l'Europe - ce qui est cohérent avec le léger rebond de la formation brute de capital fixe (FBCF) observé au titre de l'année 2014 5 ( * ) -, il n'en demeure pas moins que le déficit d'investissement observé au cours des dernières années pèse sur les perspectives de croissance des pays européens à moyen et long termes .


* 1 Cela ne signifie en rien que le recul de l'investissement découle principalement de la diminution des dépenses de construction au lendemain du déclenchement de la crise économique et financière ; en effet, les données de la base AMECO de la Commission européenne font apparaître une diminution de la formation brute de capital fixe (FBCF), hors construction, de plus de 130 milliards d'euros, à prix courants, entre 2008 et 2013 dans l'Union européenne et de près de 112 milliards d'euros dans la zone euro. Ceci indique que la baisse des investissements en Europe a également concerné, et ce de manière significative, les investissements productifs et, en particulier, les équipements du secteur manufacturier et des services.

* 2 Rapport d'information n° 717 (2013-2014) préparatoire au débat d'orientation des finances publiques (DOFP) pour 2015 fait par François Marc au nom de la commission des finances du Sénat, p. 34.

* 3 Communiqué de presse d'Eurostat 1/2015 du 7 janvier 2015.

* 4 Ernst & Young, EY's attractiveness survey - Europe 2014. Back in the game , 2014.

* 5 Selon les données les plus récentes publiées par Eurostat, la formation brute de capital fixe (FBCF) a progressé de 3,2 % entre 2013 et 2014 dans l'Union européenne et de 1,4 % dans la zone euro.

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