DEUXIÈME PARTIE
LE PROJET DE PLAN D'INVESTISSEMENT POUR L'EUROPE

Face au déficit d'investissement qui touche actuellement l'Union européenne et pèse sur ses perspectives de croissance, dès le mois de juillet 2014, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a annoncé sa volonté de « mobiliser jusqu'à 300 milliards d'euros supplémentaires d'investissements publics et privés dans l'économie réelle au cours des trois prochaines années ». Il a ensuite présenté un plan d'investissement au Parlement européen le 26 novembre 2014, avalisé par le Conseil européen du 18 décembre suivant.

Ce plan d'investissement pour l'Europe, communément appelé « plan Juncker », comporte, selon la communication de la Commission du 26 novembre dernier 16 ( * ) , trois volets : la mobilisation d'au moins 315 milliards d'euros d'investissements supplémentaires au cours des trois prochaines années, et ce par l'intermédiaire d'un nouveau Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS), des financements pour l'investissement qui profitent à l'économie réelle , qui doivent résulter de la mise en place d'une réserve de projets à l'échelle de l'Union européenne et par la création d'une « plateforme de conseil en investissement » et, enfin, l'instauration d'un environnement plus propice à l'investissement . Si ce dernier volet constitue une ambition de plus long terme, l'institution du FEIS, mais également de la réserve de projets et de la plateforme de conseil est attendue, selon les voeux de la Commission européenne, pour juin 2015 - de manière à ce que le plan d'investissement puisse pleinement contribuer à la reprise économique en Europe.

I. PRÈS DE 315 MILLIARDS D'EUROS MOBILISÉS À TRAVERS LE FONDS EUROPÉEN POUR LES INVESTISSEMENTS STRATÉGIQUES (FEIS)

Dans la perspective d'une mise en oeuvre rapide du plan d'investissement pour l'Europe, la Commission européenne a rendu publique le 13 janvier 2015 une proposition de règlement sur le Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) 17 ( * ) . Examinée conformément à la procédure législative ordinaire 18 ( * ) , cette proposition est actuellement en cours d'examen par le Parlement européen, un vote étant prévu le 1 er avril prochain en commission puis le 24 juin en séance plénière, avant transmission au Conseil de l'Union européenne. Toutefois, de manière à s'assurer d'un accord entre le Parlement et le Conseil à l'issue de la première lecture, permettant une entrée en vigueur du règlement dès le mois de juin 2015, le Conseil de l'Union européenne a arrêté, le 10 mars dernier, une position de négociation commune aux vingt-huit États membres , devant servir de fondement aux échanges à venir avec les parlementaires européens 19 ( * ) .

Il convient également de préciser que, concomitamment à la proposition de règlement précitée, est examiné un projet de budget rectificatif 20 ( * ) afin de tirer les conséquences financières, au titre de l'année 2015, de la mise en place du FEIS .

Le Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) , dont il est proposé la création, constitue la « pierre angulaire » de la mobilisation d'au moins 315 milliards d'euros d'investissements supplémentaires au cours des trois années à venir. Si la mise en place du FEIS doit résulter d'un accord entre la Commission européenne et la Banque européenne d'investissement (BEI) 21 ( * ) , le cadre juridique du Fonds est précisé par la proposition de règlement précitée , portant sur le Fonds européen pour les investissements stratégiques. Aussi les développements qui suivent s'attachent-ils à préciser les modalités selon lesquelles seront mobilisés des investissements supplémentaires par le biais du FEIS, puis les conditions de fonctionnement de ce dernier.

A. UNE GARANTIE DE L'UNION EUROPÉENNE ET DE LA BEI

Le FEIS a vocation à être intégré au sein du groupe Banque européenne d'investissement (BEI) 22 ( * ) ; à cet égard, il est prévu que le Fonds soit créé sous la forme d'un fonds fiduciaire dédié. Le rattachement du Fonds européen pour les investissements stratégiques à la BEI a, avant tout, une finalité opérationnelle ; ainsi la mise en place du Fonds sera-t-elle plus rapide, bénéficiant du financement et de l'expertise de la Banque européenne d'investissement en matière d'opérations de prêts et de gestion des risques .

Le recours à une structure accolée à la Banque européenne d'investissement mais indépendante de cette dernière se justifie, à titre principal, par le fait que le nouveau Fonds aura vocation prendre davantage de risques que ne le fait actuellement la BEI ; en effet, comme l'a souligné lors de son audition par les commissions des affaires économiques et monétaires et des budget du Parlement européen le 2 mars 2015, Philippe Maystadt, ancien président de la Banque européenne d'investissement, une modification du profil de risque de celle-ci pourrait conduire à une dégradation de sa notation financière de nature à détourner les principaux acquéreurs des obligations qu'elle émet, à savoir les banques centrales. Par suite, le FEIS sera en mesure de soutenir des projets plus risqués, pour lesquels les financements font actuellement défaut alors même qu'ils présentent une valeur sociétale et économique importante .

Il est prévu que le Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) s'appuie sur une garantie de 16 milliards d'euros 23 ( * ) établie dans le cadre du budget de l'Union européenne , complétée par une contribution de la BEI d'un montant de 5 milliards d'euros .

Afin d'assurer les paiements requis, le cas échéant, en cas d'appel à la garantie de l'Union européenne par la BEI, doit être institué un fonds de garantie - un « coussin de sécurité » -, dont le montant cible est fixé à 50 % des obligations de garantie totales 24 ( * ) , soit 8 milliards d'euros 25 ( * ) . Ce fonds de garantie serait abondé, notamment, par des versements du budget général de l'Union européenne. Néanmoins, il a été retenu pour principe que la garantie de l'Union serait financée au moyen de ressources existantes ; ceci doit permettre d'assurer le respect du dernier cadre financier pluriannuel (CPF), adopté à la fin de l'année 2013, qui couvre la période 2014-2020 26 ( * ) . Ainsi, des redéploiements de crédits en provenance des marges du budget général de l'Union , du Mécanisme pour l'interconnexion en Europe (MIE) et du programme-cadre pour la recherche et l'innovation « Horizon 2020 » au profit du fonds de garantie seront opérés progressivement jusqu'en 2020
- selon un échéancier précisé en annexe de la proposition de règlement du 13 janvier 2015 sur le Fonds européen pour les investissements stratégiques, dont les principaux éléments figurent dans le tableau ci-après.

Tableau n° 5 : Sources de financement du fonds de garantie
(crédits d'engagement)

(en millions d'euros)

2015

2016

2017

2018

2019

2020

Total

MIE

790

770

770

970

-

-

3 300

Programme Horizon 2020

70

860

871

479

150

270

2 700

ITER*

490

-

- 70

- 150

- 270

-

Marge non allouée

-

400

1 000

600

-

-

2 000

Total

1 350

2 030

2 641

1 979

-

-

8 000

* En raison de la reprogrammation des coûts inhérents au projet ITER, celui-ci contribuera à hauteur de 490 millions d'euros au fonds de garantie en 2015 ; toutefois, ce montant sera restitué à ITER au moyen d'une réduction équivalente des crédits d'engagements du programme « Horizon 2020 » pour la période 2018-2020.

Note de lecture : MIE : Mécanisme pour l'interconnexion en Europe ; ITER : International Thermonuclear Expertimental Reactor 27 ( * ) .

Source : Fiche financière législative annexée à la proposition de règlement sur le Fonds européen pour les investissements stratégiques.

Au titre de l'exercice 2015, le projet de budget rectificatif susmentionné prévoit la réallocation de 1 350 millions d'euros de crédits d'engagement , provenant du Mécanisme pour l'interconnexion en Europe, pour 790 millions d'euros, du programme « Horizon 2020 », pour 70 millions d'euros et du projet ITER, qui contribuerait à hauteur de 490 millions d'euros (cf. supra ). Toutefois, aucun crédit de paiement ne serait apporté au fonds de garantie en 2015 , conformément à l'échéancier avancé par la Commission européenne ; en effet, les premiers crédits de paiement seraient versés à compter de 2016, comme le montre le tableau ci-après 28 ( * ) .

Tableau n° 6 : Provisionnement du fonds de garantie
(engagements et paiements)

(en millions d'euros)

2015

2016

2017

2018

2019

2020

Total

Crédits d'engagement

1 350

2 030

2 641

1 979

-

-

8 000

Crédits de paiement

-

500

1 000

2 000

2 250

2 250

8 000

Source : Fiche financière législative annexée à la proposition de règlement sur le Fonds européen pour les investissements stratégiques.

Au total, le Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) bénéficierait donc d' un apport initial de 21 milliards d'euros , dont il est attendu qu'il découle au moins 315 milliards d'euros d'investissements supplémentaires - correspondant à un effet multiplicateur de 1:15, un euro mobilisé par le Fonds devant entraîner 15 euros d'investissements.

La communication de la Commission du 26 novembre dernier relative au programme d'investissement pour l'Europe prévoit que les États membres de l'Union auront la possibilité de contribuer au Fonds au moyen d'apports de capitaux . À ce titre, il est précisé que « dans le contexte de l'évaluation des finances publiques réalisée dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance, la Commission adoptera une position favorable à l'égard de ce type d'apports de capitaux au Fonds » 29 ( * ) - position qui a été confirmée dans une communication de la Commission du 13 janvier 2015 intitulée « Utiliser au mieux la flexibilité offerte par les règles existantes du Pacte de stabilité et de croissance » 30 ( * ) . À cet égard, la proposition de résolution formule un avis favorable à cette prise en compte spécifique des apports des États membres au Fonds dans le cadre du Pacte de stabilité et de croissance ( alinéa 17 ).

En dépit de cela, les différents États semblent privilégier une intervention par le biais de co-financements de projets plutôt qu'un apport au FEIS ; il ressort clairement des échanges de votre rapporteur avec Jeromin Zettelmeyer, directeur général de la politique économique au ministère fédéral de l'économie et de l'énergie, lors d'un déplacement conjoint avec les présidents des commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat au début du mois de mars 2015 à Berlin, que l'Allemagne ne souhaitait pas, à ce stade, réaliser un tel apport. Une position similaire semble avoir été retenue par le gouvernement français. En tout état de cause, les dernières informations disponibles font apparaître un engagement de participer au financement de projets dans le cadre du plan d'investissement pour l'Europe à hauteur de 15 milliards d'euros pour l'Allemagne, de 8 milliards d'euros pour l'Italie et la France, par le biais de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et de Bpifrance ; de même, l'Espagne a fait part de son souhait de consacrer 1,5 milliard d'euros au co-financement de projets .


* 16 Communication de la Commission européenne au Parlement européen, au Conseil et à la Banque centrale européenne, au Comité économique et social européen, au Comité des régions et à la Banque européenne d'investissement du 26 novembre 2014, « Un plan d'investissement pour l'Europe », COM(2014) 903 final.

* 17 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil du 13 janvier 2015 sur le Fonds européen pour les investissements stratégiques et modifiant les règlements (UE) n° 1291/2013 et (UE) n° 1316/2013, COM(2015) 10 final.

* 18 Cf. article 294 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).

* 19 Communiqué de presse du Conseil de l'Union européenne du 10 mars 2015 (103/15).

* 20 Projet de budget rectificatif n° 1 au budget général du 13 janvier 2015 accompagnant la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur le Fonds européen pour les investissements stratégiques et modifiant les règlements (UE) n° 1291/2013 et (UE) n° 1316/2013, COM(2015) 11 final.

* 21 Cf. articles 1 er et 2 de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil du 13 janvier 2015 sur le Fonds européen pour les investissements stratégiques et modifiant les règlements (UE) n° 1291/2013 et (UE) n° 1316/2013.

* 22 Le groupe Banque européenne d'investissement (BEI) est composé de la Banque européenne d'investissement (BEI) et du Fonds européen d'investissement (FEI).

* 23 Cf. articles 5 et 7 de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil du 13 janvier 2015 sur le Fonds européen pour les investissements stratégiques et modifiant les règlements (UE) n° 1291/2013 et (UE) n° 1316/2013.

* 24 Cf. article 8 de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil du 13 janvier 2015 sur le Fonds européen pour les investissements stratégiques et modifiant les règlements (UE) n° 1291/2013 et (UE) n° 1316/2013.

* 25 Ainsi que l'a indiqué Benjamin Angel, chef d'unité à la direction générale des affaires économiques et financières de la Commission européenne, lors de l'audition conjointe organisée par la commission des finances du Sénat du 11 mars 2015 sur le principe et les modalités de mise en oeuvre du plan d'investissement pour l'Europe, le risque inhérent aux investissements supportés par le Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) a été estimé à 6,5 milliards d'euros à moyen terme ; par suite, le « coussin de sécurité » prévu, de 8 milliards d'euros, est supérieur aux risques estimés.

* 26 Conformément à l'article 312 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), le cadre financier pluriannuel fixe, notamment, « les montants des plafonds annuels des crédits pour engagements par catégories de dépenses et du plafond annuel des crédits pour paiements » ; ce cadre financier s'impose au budget pluriannuel. Comme l'a rappelé Antoine Quero-Mussot, expert confirmé en instruments financiers innovants auprès de la direction générale du budget de la Commission européenne, lors de l'audition conjointe organisée par la commission des finances du Sénat du 11 mars 2015, le cadre financier pluriannuel a été institué afin de résoudre les crises institutionnelles et politiques relatives à l'adoption du budget de l'Union européenne au cours de la décennie 1980 ; ce rappel historique permet de mieux comprendre le souhait des acteurs européens d'éviter, dans le cadre du plan pour l'investissement, de remettre en question le cadre financier pluriannuel 2014-2020.

* 27 Le projet ITER, qui associe trente-cinq pays, dont l'ensemble des États membres de l'Union européenne, vise à « démontrer la faisabilité scientifique et technologique de l'énergie de fusion, et ouvrir ainsi la voie à son exploitation industrielle et commerciale ». La construction d'un réacteur thermonucléaire a débuté en 2010 à Saint-Paul-lès-Durance, près de Cadarache en France.

* 28 L'abondement progressif du fonds de garantie se justifie par le fait que les risques associés aux projets d'investissement ne se réaliseront, le cas échéant, qu'à moyen ou long termes eu égard à la durée des projets concernés.

* 29 Communication de la Commission du 26 novembre 2014, op. cit. , p. 7.

* 30 Communication de la Commission européenne au Parlement européen, au Conseil et à la Banque centrale européenne, au Comité économique et social européen, au Comité des régions et à la Banque européenne d'investissement du 13 janvier 2015, « Un plan d'investissement pour l'Europe », COM(2015) 12 final.

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