CHAPITRE V - Assurer la continuité de la vie des entreprises
Section 1 - Spécialisation de certains tribunaux de commerce

Article 66 (art. L. 721-8 [nouveau] du code de commerce) - Instauration de tribunaux de commerce spécialisés compétents pour traiter des procédures de prévention et de traitement des difficultés des entreprises les plus importantes

Objet : cet article vise à instaurer des tribunaux de commerce spécialisés, avec compétence exclusive pour traiter des procédures de prévention et de traitement des difficultés des entreprises les plus importantes, ainsi que des procédures transfrontalières.

I - Le texte adopté par le Sénat en première lecture

Admettant dans son principe la spécialisation de certains tribunaux de commerce pour traiter des procédures collectives les plus complexes, le Sénat avait modifié, en première lecture, à l'initiative de votre rapporteur, l'équilibre de cette réforme figurant à l'article 66 du projet de loi, sans pour autant en remettre en cause les finalités, afin de la rendre plus acceptable.

Le Sénat avait restreint la compétence des tribunaux de commerce spécialisés (TCS) aux procédures collectives uniquement - sauvegarde, redressement judiciaire et liquidation judiciaire - à l'exclusion des différents mécanismes de prévention, y compris la procédure de conciliation, afin de préserver les impératifs de proximité et de confidentialité de ces dernières.

Alors que le Gouvernement envisageait de fixer par décret les seuils de 150 salariés et 20 millions d'euros de chiffre d'affaires, le Sénat avait prévu une compétence de droit des TCS pour les procédures concernant les entreprises d'au moins 250 salariés et 50 millions d'euros de chiffre d'affaires ou 43 millions d'euros de total de bilan, à savoir les catégories objectives des entreprises de taille intermédiaire (ETI) et des grandes entreprises, telles qu'elles résultent de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie. En outre, sans préjudice de la procédure actuelle permettant déjà de délocaliser une affaire, il avait prévu un examen obligatoire par la cour d'appel de l'opportunité de renvoyer une procédure devant un TCS lorsque l'entreprise excède 150 salariés et 20 millions d'euros de chiffre d'affaires, soit les seuils de constitution obligatoire des comités de créanciers.

S'agissant du nombre et de l'implantation des TCS, pour prendre en compte à la fois l'exigence de proximité et de rapidité de la juridiction commerciale et la réalité de la carte des tribunaux de commerce et de leur activité, le Sénat avait prévu la désignation d'au moins un TCS par cour d'appel, après avis du conseil national des tribunaux de commerce, soit un total possible d'une quarantaine de TCS à carte des cours d'appel constante.

Par ailleurs, il avait prévu un dispositif procédural de regroupement de l'ensemble des procédures concernant les sociétés d'un même groupe, systématisant une disposition partielle adoptée par l'Assemblée nationale, dans un souci d'efficacité et de cohérence économique du traitement des difficultés du groupe. Il avait également prévu la consultation de l'Autorité des marchés financiers (AMF) dans les procédures concernant les sociétés cotées.

Enfin, le Sénat avait adopté, à l'initiative de votre rapporteur, un certain nombre de clarifications et d'améliorations rédactionnelles comme procédurales, en cohérence avec le droit des procédures collectives et dans le sens d'une meilleure codification dans le code de commerce.

II - Le texte adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture

Votre rapporteur rappelle que le ministre de l'économie, lors des débats devant le Sénat, n'avait pas écarté l'idée de revoir les contours de la compétence des TCS, en particulier le seuil de nombre de salariés, sans pour autant que cette ouverture dans les paroles se traduise dans un amendement. À la suite de l'examen devant le Sénat, les juges consulaires ont engagé un mouvement de grève d'une dizaine de jours, pendant le mois de mai, lequel a conduit le Gouvernement à concrétiser cette ouverture dans ses discussions avec la conférence générale des juges consulaires, tant sur la question du seuil de compétence que sur celle des règles d'implantation et du nombre des TCS, avec un engagement d'une quinzaine de juridictions spécialisées.

En conséquence, en nouvelle lecture, à l'initiative de ses rapporteurs, l'Assemblée nationale a adopté un amendement visant à traduire l'équilibre du compromis ainsi intervenu : une compétence de droit pour les entreprises ou les groupes, d'une part, d'au moins 250 salariés et 20 millions d'euros de chiffre d'affaires et, d'autre part, d'au moins 40 millions d'euros de chiffre d'affaires, s'agissant des procédures collectives, ainsi qu'une compétence à la demande du parquet ou du président du tribunal pour les procédures de conciliation concernant ces mêmes entreprises ; une désignation des TCS en tenant compte des bassins d'emplois et des bassins d'activité économique, sans règle particulière en fonction des cours d'appel.

Votre rapporteur considère que la position du Sénat en première lecture, qui a accepté de discuter de la réforme, a contribué à cette issue. Il relève également que le texte issu de la nouvelle lecture devant l'Assemblée nationale conserve de nombreuses améliorations dans la rédaction du texte apportées par le Sénat.

III - La position de votre commission

Reconnaissant les avancées réalisées par nos collègues députés, en nouvelle lecture, au vu du compromis qui semble avoir été trouvé entre le Gouvernement et les juges consulaires, votre rapporteur n'a donc pas proposé le rétablissement pur et simple du texte adopté par le Sénat en première lecture. Pour autant, à son initiative, votre commission a souhaité s'en tenir à un équilibre global de la réforme respectueux de ce compromis mais plus cohérent et plus proche de celui déjà approuvé par le Sénat.

S'agissant des seuils de compétence automatique des tribunaux de commerce spécialisés (TCS), votre rapporteur rappelle que, lors des débats en première lecture devant le Sénat, le ministre de l'économie avait admis la possibilité d'un seuil de 250 salariés, sans pour autant que cette ouverture se traduise dans un amendement du Gouvernement. Ce seuil du nombre de salariés était l'un des critères retenus par votre commission, mais dans le cadre d'une compétence automatique des TCS pour les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les grandes entreprises.

Or le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, s'il retient, certes, le seuil de 250 salariés, l'assortit d'un unique seuil de chiffre d'affaires de seulement 20 millions d'euros. De plus, il prévoit une compétence automatique pour les entreprises réalisant au moins 40 millions d'euros de chiffre d'affaires, sans critère de nombre de salariés. Ce schéma s'éloigne donc largement des échanges intervenus sur la question du seuil de 250 salariés et des catégories objectives de taille des entreprises issues de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 précitée. Il est important de fixer des critères objectifs et non arbitraires pour déterminer la compétence de droit des tribunaux de commerce.

S'agissant de la prise en compte des groupes de sociétés dans le cadre de la compétence de droit des TCS, votre rapporteur a proposé de la conserver.

Par conséquent, à l'initiative de son rapporteur, votre commission a adopté un amendement (COM-300) pour ajuster les seuils de compétence de droit des TCS. Relèveraient des TCS les procédures collectives concernant une entreprise ou un groupe de sociétés employant au moins 250 salariés et réalisant au moins 50 millions d'euros de chiffre d'affaires ou 43 millions de total de bilan. Votre commission a écarté une compétence de droit pour les entreprises de plus de 40 millions d'euros de chiffre d'affaires sans aucun critère de nombre de salariés, qui serait justifiée par la prise en compte de sociétés holdings : en effet, si cette holding emploie de nombreux salariés au travers des sociétés qu'elle contrôle, elle relèvera de la compétence d'un TCS. L'emploi est bien l'enjeu de l'instauration de ces juridictions spécialisées, de sorte que votre rapporteur discerne mal l'intérêt de faire relever des TCS une holding sans salarié. Au surplus, le critère de chiffre d'affaires n'est pas nécessairement le plus pertinent pour apprécier le poids économique d'une holding, par rapport au critère de total de bilan.

Par ailleurs, par cohérence avec la position arrêtée par le Sénat en première lecture, votre commission a exclu toute compétence de droit des TCS en matière de prévention, en l'espèce les procédures de conciliation à la demande du ministère public ou du président du tribunal lui-même.

En réalité, la procédure actuelle de délocalisation des affaires, telle qu'elle résultera de l'article L. 662-2 du code de commerce une fois modifié par l'article 67 du présent projet de loi et telle qu'elle est mise en oeuvre par l'article R. 662-7 du même code, permettra déjà au parquet ou au président du tribunal de demander la délocalisation d'une procédure de délocalisation devant un TCS, et même d'un mandat ad hoc . Ainsi, en tout état de cause, la disposition prévue sur ce point par le texte de l'Assemblée nationale en nouvelle lecture est inutile selon votre rapporteur.

Pour ces motifs, votre commission a adopté un amendement (COM-302) pour supprimer la disposition prévoyant la compétence des TCS pour les procédures de conciliation.

Par ailleurs, sur proposition de son rapporteur, votre commission a apporté trois modifications de nature rédactionnelle ou de coordination.

Par un premier amendement (COM-301) , elle a assuré une meilleure coordination entre les articles 66 et 67 du projet de loi, pour affirmer plus clairement la compétence des TCS lorsqu'une affaire est renvoyée devant une telle juridiction spécialisée par la cour d'appel au titre de la procédure de délocalisation prévue à l'article L. 662-2 précité.

Par un deuxième amendement (COM-303) , elle a ensuite supprimé une disposition inutile, précisant la règle de compétence territoriale du TCS à l'égard des sociétés-mères dans le cadre de sa compétence sur les groupes. En tout état de cause, cette disposition est déjà satisfaite par l'état du droit, à savoir l'article R. 600-1 du code de commerce. Au surplus, la rédaction du projet de loi est sur ce point juridiquement imprécise, puisqu'elle évoque le tribunal dans le ressort duquel « se situe » la société-mère, sans évoquer la notion de siège de la société. Votre rapporteur juge préférable de s'en tenir aux règles actuelles, qui s'appliqueront sans ambiguïté aux TCS 27 ( * ) .

En troisième lieu, votre commission a aussi adopté un amendement (COM-304) pour préciser la rédaction de l'alinéa prévoyant la participation de droit du président du tribunal non spécialisé du siège de l'entreprise - ou d'un juge délégué par lui, précision utile apportée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture - à la formation de jugement du tribunal spécialisé ayant à connaître de l'affaire.

Votre commission spéciale a adopté cet article ainsi modifié.

Article 67 (art. L. 662-2 du code de commerce) - Prise en compte de la création des tribunaux de commerce spécialisés dans la procédure de délocalisation des affaires devant les tribunaux de commerce

Objet : cet article vise à assurer une coordination entre la procédure de délocalisation des affaires existant pour les tribunaux de commerce, relevant de la cour d'appel, lorsque les intérêts en présence le justifient, et la création des tribunaux de commerce spécialisés.

Tel qu'il résulte des travaux de l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, l'article 67 du projet de loi n'appelle pas d'observations de la part de votre rapporteur, compte tenu du nouvel équilibre trouvé à ce stade pour la spécialisation des tribunaux de commerce.

Cet article se borne à prévoir la possibilité de renvoi d'une affaire devant un tribunal de commerce spécialisé (TCS), sur décision de la cour d'appel, dans le cadre de la procédure existante de délocalisation prévue à l'article L. 662-2 du code de commerce, qui permet déjà le renvoi d'une affaire devant un autre tribunal de commerce.

Votre rapporteur n'a pas proposé de rétablir le niveau intermédiaire de compétence des TCS, avec saisine obligatoire de la cour d'appel en vue d'apprécier l'opportunité du renvoi devant un TCS des affaires concernant les entreprises de 150 à 250 salariés, que le Sénat avait adopté en première lecture.

Votre commission spéciale a adopté cet article sans modification.

Article 67 bis (art. L. 662-8 du code de commerce) - Instauration d'un dispositif procédural permettant de faire traiter par un même tribunal l'ensemble des procédures collectives concernant les sociétés d'un même groupe

Objet : cet article vise à instaurer un mécanisme prenant en compte de façon adaptée les groupes de sociétés dans le cadre des procédures collectives, en permettant un traitement unifié par le même tribunal, saisi de l'ouverture de la première procédure, de l'ensemble des procédures concernant les sociétés d'un même groupe.

Introduit en première lecture par votre commission, l'article 67 bis du projet de loi tend à instaurer un mécanisme procédural de regroupement devant un même tribunal des procédures collectives concernant des sociétés d'un même groupe, mécanisme qui n'était prévu, dans le texte transmis par l'Assemblée nationale en première lecture, que de façon partielle et uniquement devant les tribunaux de commerce spécialisés. En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a conservé ce progrès attendu dans le droit des procédures collectives, tout en ajustant sa rédaction.

Sur ce mécanisme, votre commission s'est donc bornée à adopter, à l'initiative de son rapporteur, un amendement (COM-306) de coordination et de simplification rédactionnelle concernant un alinéa.

En revanche, l'Assemblée nationale n'a pas retenu les dispositions que le Sénat avait introduites pour mieux articuler le droit des procédures collectives et le droit boursier, en cas de procédure concernant une société cotée, en raison de l'impact sur le marché d'une telle situation, en prévoyant expressément la consultation de l'Autorité des marchés financiers (AMF) dans plusieurs cas de figure, notamment à l'ouverture d'une procédure.

Convaincue de l'utilité d'une meilleure articulation entre ces deux branches du droit des entreprises, votre commission a rétabli, à l'initiative de son rapporteur, des dispositions en ce sens, avec toutefois un dispositif plus souple qu'en première lecture.

D'une part, elle a adopté un amendement (COM-305) , selon lequel le tribunal saisi d'une procédure concernant une société cotée peut entendre l'AMF, à sa demande, d'office ou à la demande du ministère public, à tout moment de la procédure. Votre commission n'a donc pas rétabli le caractère obligatoire de la consultation de l'AMF avant l'ouverture de la procédure, qui a pu sembler trop rigide.

D'autre part, elle a adopté un amendement (COM-307) prévoyant, en revanche, une consultation obligatoire de l'AMF en cas d'élaboration d'un plan de redressement prévoyant une modification dans la composition du capital d'une société, avec l'entrée de nouveaux actionnaires, dans le cadre d'une procédure de redressement judiciaire. Il s'agit d'une configuration très particulière pouvant justifier la consultation de l'AMF par le tribunal, pour apprécier l'impact de ce plan sur le marché. En outre, cette configuration est le préalable de la mise en oeuvre de la procédure exceptionnelle de « cession forcée » instaurée par l'article 70 du projet de loi : par coordination, ce même amendement prévoit aussi à l'article 67 bis du projet de loi la consultation obligatoire de l'AMF avant toute « cession forcée ».

Votre commission spéciale a adopté cet article ainsi modifié.


* 27 L'article R. 600-1 du code de commerce précise que « le tribunal territorialement compétent pour connaître des procédures prévues par le livre VI de la partie législative du présent code est celui dans le ressort duquel le débiteur, personne morale, a son siège ou le débiteur, personne physique, a déclaré l'adresse de son entreprise ou de son activité ».

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