B. LE RENFORCEMENT DE LA COOPÉRATION EN MATIÈRE SÉCURITAIRE

C'est la coopération en matière sécuritaire, au sens large, qui fait l'objet des modifications et surtout, des ajouts, les plus importants. Si l'accord de 1999 ne mentionnait que la lutte contre la drogue et le blanchiment de capitaux comme axe de coopération, celui de 2009 a considérablement étoffé cet aspect des relations entre les deux parties, puisque huit articles ont été insérés, qui justifient une présentation plus détaillée.

1. Les raisons de cette nouvelle thématique

Le fait que l'Afrique du Sud s'engage à lutter contre la prolifération d'armes de destruction massive, à reconnaître la compétence de la Cour pénale internationale, à supprimer la peine de mort et à lutter contre le terrorisme, entre autres aspects, a permis à l'Union européenne de constater sa fréquente convergence de vues avec l'Afrique du Sud. De même, l'UE et l'Afrique du Sud ont une approche similaire du système multilatéral en matière de sécurité collective et du rôle du Conseil de sécurité en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationale.

Le fait qu'elles entretiennent un dialogue sur ces questions apparaissait insuffisant et justifiait que des actions concrètes soient définies pour développer une coopération efficace dans ces domaines et défendre leurs intérêts mutuels au niveau international.

2. Le détail des nouveaux articles

Un considérant a tout d'abord été ajouté au préambule, qui mentionne l'importance du système des traités multilatéraux sur le désarmement et la non-prolifération et annonce les articles qui seront insérés pour que les parties puissent mener un dialogue politique et une coopération en la matière. Dans le même esprit, l'article 2 est révisé et inclut désormais « la coopération sur les questions de désarmement et de non-prolifération des armes de destruction massive » au rang des éléments inspirant les politiques internes et internationales de l'UE et de l'Afrique du Sud, au même titre que le respect des principes démocratiques ou des Droits de l'Homme définis dans la Déclaration universelle.

L' article 90 est modifié et ne concerne désormais que « la coopération dans le domaine des drogues illicites » . Il se contente d'en tracer les grandes lignes en indiquant que l'ambition est « d'assurer une approche équilibrée et intégrée du problème des stupéfiants » , en visant la réduction de l'offre, du trafic, et de la demande, ainsi que la prévention du détournement des précurseurs chimiques.

Dans son plan stratégique pour la période 2010-2014, le Service de la police sud-africaine fait de la lutte contre le trafic de stupéfiants une de ses priorités. La problématique sud-africaine est double. D'une part, les autorités policières et judiciaires doivent faire face à un marché local important où le trafic génère des problématiques fortes en matière de sécurité et de santé publique. D'autre part, la position stratégique de l'Afrique du Sud, à la croisée de deux océans, en fait un pays de transit des drogues venant tant de l'Asie que de l'Amérique du Sud à destination de l'Europe.

En juin 2013, le gouvernement sud-africain a adopté le National Drug Master Plan (pour la période 2013-2017) qui prévoit notamment la création d'une base de données nationale pour toutes les infractions relatives à la législation sur les stupéfiants.

L'Afrique du Sud a ratifié de nombreuses conventions internationales sous l'égide de l'ONU 18 ( * ) .

La place de l'Afrique du Sud dans le trafic des drogues illicites

Dans le dernier rapport de l'ONUDC, l'Afrique du Sud est ciblée comme étant le premier exportateur de précurseurs chimiques en Afrique. Elle se classe au 5 e rang des pays ayant effectué les plus fortes saisines de cannabis dans le monde. Le Mozambique réceptacle de nombreuses drogues (herbe et résine de cannabis, héroïne et cocaïne) vers l'Europe est également un point de transit pour les drogues de synthèse comme le mandrax (méthaqualone) en direction de l'Afrique du Sud. Le port de Durban concentre l'attention des autorités sud-africaines depuis qu'il a été cité comme pouvant devenir un futur point d'accès majeur pour les drogues asiatiques à destination de l'Afrique australe.

L'Afrique du Sud est connue pour être un point de destination d'héroïne transportée par voie terrestre depuis la Tanzanie (porte d'entrée de cette drogue pour le continent africain), sans pour autant être réputée comme étape de transit pour l'Europe.

En parallèle, la cocaïne en provenance d'Amérique du Sud transite plutôt via l'Afrique de l'Ouest ou l'Angola.

Le Kenya et la Tanzanie sont deux pays de transit importants sur la côte Est africaine, ainsi une partie des drogues acheminées depuis l'Asie (Afghanistan, Pakistan) est destinée au marché local croissant sud-africain, Le marché local sud-africain se densifie aujourd'hui autour de la consommation de Tik, de Cat, de Nyaope et d'héroïne qui ne cesse de croitre depuis 2012. Malgré le démantèlement de plusieurs laboratoires clandestins de methcathinone et de methamphetamine, la production de ces drogues de synthèse reste intense et s'exporte vers les pays du Golfe vers l'Asie.

Les articles suivants ont été ajoutés et constituent de nouveaux champs de coopération et de dialogue.

L' article 91 A traite des armes de destruction massive et de leurs vecteurs. Il prévoit que les parties coopèrent et contribuent au renforcement du système multilatéral de désarmement et de non-prolifération. À cette fin, elles signent et ratifient tous les instruments internationaux pertinents ou y adhèrent, et élaborent et maintiennent un système de contrôles nationaux efficaces en matière d'exportation et de transit de marchandises liées aux armes de destruction massive. Ces actions font aussi l'objet d'un dialogue politique spécifique.

Selon les précisions qui ont été communiquées à votre Rapporteure, l'Afrique du Sud a abandonné, au début des années 1990, son programme d'armes nucléaires et l'a démantelé. Elle a pris des engagements solides en matière de désarmement et de non-prolifération nucléaires : elle a adhéré au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires en 1991, conclu la même année un accord de garanties généralisées avec l'AIEA, souscrit un protocole additionnel (en vigueur depuis 2002), qui permet à l'Agence de vérifier l'absence d'activités nucléaires non-déclarées. Elle est également partie au traité de Pelindaba (signé en 1996 et ratifié en 1998) qui crée une zone exempte d'armes nucléaires en Afrique 19 ( * ) .

L'Afrique du Sud est également partie à la convention sur l'interdiction des armes biologiques. Elle avait développé un programme biologique dans les années 1980, qu'elle a présenté en 1994 et qu'elle a arrêté, ainsi qu'un programme chimique de petite échelle auquel elle a renoncé au début des années 1990. Elle est désormais partie à la convention sur l'interdiction des armes chimiques.

L' article 91 B concerne la lutte contre le terrorisme . Après un rappel de la condamnation ferme portée sur toutes les formes de terrorisme, les deux parties inscrivent leur stratégie dans le respect du droit international, des droits de l'homme et des droits des réfugiés, dont il est précisé qu'ils ne sont pas contradictoires avec des mesures efficaces contre le terrorisme. Soulignant l'importance de la stratégie mondiale des Nations unies en la matière, elles s'engagent à lutter et à coopérer sur ce terrain conformément à la Charte des Nations unies et dans le cadre de la législation internationale, notamment de la résolution 1373 du Conseil de sécurité du 28 septembre 2001, à échanger leurs informations et à confronter leurs vues et leurs méthodes.

L'Afrique du Sud a ratifié nombre de conventions internationales signées sous l'égide de l'ONU 20 ( * ) .

Pour autant, le risque terroriste paraît insuffisamment pris en compte 21 ( * ) . La réticence du gouvernement sud-africain à envisager le risque terroriste sur son territoire peut s'expliquer, d'une part, par une volonté de se démarquer du régime de l'Apartheid qui par une loi de 1967 dite anti-terroriste s'était donné les moyens d'utiliser des moyens exorbitants du droit commun pour lutter contre les activités de l'ANC ( African National Congress ), et, d'autre part, parce que l'Afrique du Sud, se considère éloignée des problématiques européennes concernant l'Islam radical et estime avoir parfaitement intégré la communauté musulmane. Pourtant la réalité est aujourd'hui plus complexe. Des cas de départ de djihadistes sud-africains sont rapportés dans la presse nationale, sans que l'on puisse obtenir de confirmation de la part des services spécialisés 22 ( * ) .

Pour de nombreux analystes, l'Afrique du Sud présente de nombreuses facilités et un intérêt stratégique pour les organisations terroristes, en raison notamment de facilités aéroportuaires, d'une connexion forte avec le trafic de stupéfiants en provenance d'Asie, de frontières poreuses et d'un niveau élevé de corruption. En ce qui concerne la menace terroriste domestique, on rappellera que l'Afrique du Sud a connu des formes variées d'activisme national, principalement liées à la communauté musulmane du Western Cape à la fin des années 1990.

La coopération opérationnelle s'est avérée jusqu'à maintenant peu fructueuse pour les raisons invoquées ci-dessus. Cet Accord pourrait revêtir un caractère d'incitation au développement d'une coopération plus importante.

L' article 91 C reprend pour partie l'un des thèmes de l'ancien article 90, quant au blanchiment et au financement du terrorisme, et prévoit une coopération qui peut comporter une assistance technique et administrative, suivant notamment les recommandations du Groupe d'action financière, GAFI.

Sur ces questions, il a été précisé à votre Rapporteure que l'Afrique du Sud avait ratifié la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme (New York, 9 décembre 1999), signée sous l'égide de l'ONU. Membre du GAFI depuis 2003, elle a produit de véritables efforts dans la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, et met notamment en oeuvre un certain nombre d'instruments juridiques dédiés 23 ( * ) .

L'Afrique du Sud fait toujours l'objet d'une procédure de suivi du GAFI. Dans le cadre de ce suivi, deux aspects retiennent l'attention : l'incrimination du financement du terrorisme sans lien avec l'existence d'un acte de terrorisme et le devoir de vigilance imposé aux banques à l'égard de leur clientèle.

En ce qui concerne l'évasion fiscale , l ' Afrique du Sud a fait l'objet d'une revue en 2011 et a obtenu une notation globale « conforme », ce qui signifie qu'elle a été jugée comme un partenaire sérieux et coopératif en matière d'échange d'informations sur demande.

Elle a signé un grand nombre d'accords fiscaux, que ce soit des conventions de double imposition ou des accords d'échanges de renseignements fiscaux ; elle est notamment liée avec de nombreux pays africains voisins, y compris Maurice, les Seychelles, le Botswana, le Mozambique. Elle est enfin partie à la Convention concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale, entrée en vigueur en Afrique du Sud le 1 er mars 2014. Il s'agit d'une avancée importante qui témoigne de la volonté de l'Afrique du Sud de s'engager davantage en faveur de la transparence fiscale. Elle s'est d'ailleurs jointe à l'initiative lancée dans le cadre du G20 et du G7, par l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie, la France et le Royaume-Uni pour mettre en oeuvre l'échange automatique d'informations selon un calendrier accéléré qui vise les premiers échanges automatiques en 2017. Elle fait partie des quelque cinquante juridictions qui ont concrétisé rapidement cet engagement en signant en octobre 2014, en marge de la 7 e réunion plénière du Forum mondial, l'accord multilatéral entre autorités compétentes, qui activera dans les faits l'échange automatique de renseignements.

La lutte contre la criminalité organisée est l'objet de l' article 91 D , qui indique simplement que cette coopération vise notamment à promouvoir les instruments internationaux pertinents.

Un nouvel article 91 E traite des armes légères et de petit calibre , considérées comme contribuant « de manière importante à l'instabilité et à menacer la sûreté, la sécurité et le développement durable. » Les parties s'engagent en conséquence à coopérer, notamment en vue d'en combattre le trafic illicite. L'Afrique du Sud est le premier exportateur d'armements africain. Pretoria a mis en place un système de contrôle des transferts d'armes répondant aux normes internationales. Elle fait partie des six Etats africains ayant ratifié le traité sur le commerce des armes et joue un rôle moteur dans ce domaine à l'échelle du continent.

La loi sur le contrôle des armes à feu de 2004 et ses décrets d'application impose des procédures strictes pour l'obtention d'un certificat de compétence, d'une licence pour les ventes d'armes, d'un permis ou une autorisation de possession d'arme à feu.

L' article 91 F annonce un dialogue politique régulier entre les parties sur la prévention des activités des mercenaires .

Avec l' article 91 G , les parties réaffirment leur soutien à la Cour pénale internationale et s'engagent à coopérer pour renforcer l'universalité et l'intégrité du traité de Rome, et à accroître leur coopération avec la Cour.

Il convient de rappeler sur ce sujet que l'Afrique du Sud a signé et ratifié le statut de Rome le 17 juillet 1998. Le Parlement sud-africain a adopté une loi de mise en oeuvre du statut en août 2002, qui a introduit pour la première fois, dans le droit sud-africain, les notions de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. L'Afrique du Sud a été le premier État africain à se doter d'une telle loi. Lors du sommet de l'Union africaine de janvier 2014, elle s'est opposée aux tentatives de certains États d'Afrique de l'Est de remettre en cause le statut de Rome.

Pour autant, l'Afrique du Sud n'a pas donné suite à la demande d'arrestation du président du Soudan Omar-el-Béchir, poursuivi pour génocide et crimes de guerre, invité au sommet de l'Union africaine en juin 2015 à Johannesburg, malgré une décision de la justice sud-africaine demandant à ce qu'il soit retenu sur le territoire, ce qui marque l'indépendance du pouvoir judiciaire dans ce pays. Cette situation a entraîné une crise de confiance avec la Cour pénale internationale qui a officiellement demandé des explications écrites.

Enfin, un très long article 91 H a été inséré sur la coopération en matière d'immigration 24 ( * ) . De fait, la plupart des dispositions de l'article 91 H sont des dispositions « standard » et trouveront peu à s'appliquer compte tenu de l'éloignement géographique des parties.

Selon les indications qui ont été données à votre Rapporteure, en 2013 à peine plus de 39 000 ressortissants sud-africains résidaient légalement sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne et le nombre de ressortissants sud-africains en situation irrégulière a été de 515 personnes, et le nombre de personnes éloignées du territoire européen de 635. Par ailleurs, en 2014, 175 ressortissants sud-africains ont sollicité l'asile dans l'ensemble des États membres de l'Union européenne. Ces chiffres mettent en évidence que l'enjeu migratoire entre les deux parties n'est pas majeur, au point que la Commission européenne prévoit, au second semestre de 2015, de proposer de placer l'Afrique du Sud sur la liste des pays dont les ressortissants sont exemptés de l'obligation de visa de court séjour. Reste que la situation intérieure sud-africaine, avec, au printemps dernier, des émeutes à caractère xénophobe a conduit à un durcissement des positions politiques, y compris, au sein de l'ANC, sur cette question et de la législation sur l'entrée et le séjour des étrangers qui peut affecter certains de nos ressortissants travaillant en Afrique du Sud.


* 18 La Convention unique sur les stupéfiants de 1961, telle que modifiée par le Protocole portant amendement de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961 (New York, 8 août 1975), la Convention sur les substances psychotropes (Vienne, 21 février 1971) et la Convention des Nations unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes (Vienne, 20 décembre 1988).

* 19 L'Afrique du Sud est, par ailleurs, membre du Groupe des fournisseurs nucléaires dont les directives régissent pour ses pays membres les exportations dans le domaine nucléaire. Elle ne participe pas à l'initiative de sécurité contre la prolifération. Dans le domaine balistique, elle est membre du MTCR et également signataire du Code de conduite de La Haye contre la prolifération des missiles balistiques (HCOC).

* 20 La Convention internationale contre la prise d'otages (New York, 17 décembre 1979), la Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l'explosif (New York, 15 décembre 1997)  et la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme (New York, 9 décembre 1999).

* 21 Dans le dernier plan stratégique du service de la police sud-africaine, le risque terroriste n'est pas évoqué une seule fois.

* 22 Par ailleurs, Samantha Lewthwaite, suspectée d'être l'organisatrice de la prise d'otage du centre commercial de Nairobi qui s'est soldée le 21 septembre 2013 par la mort de 67 personnes dont deux ressortissants français, a vécu dans un quartier de Johannesburg et s'était rendue au Kenya avec un passeport sud-africain falsifié.

* 23 Rapport publié en 2009 par le GAFI

* 24 Il est précisé en premier lieu que l'immigration fait l'objet d'un dialogue politique approfondi entre les parties, eu égard à l'importance qu'elles attachent à cette question. C'est la raison pour laquelle ce dialogue porte sur un grand nombre de domaines, notamment : le traitement équitable des ressortissants étrangers résidant sur le territoire d'une partie ; les conditions de travail, de rémunération, de licenciement ; les visas ; la sécurité des titres de transport ; les liens entre migration et développement ; le statut de réfugié ; la politique préventive en matière d'immigration illégale ; le contrôle des frontières ; les questions de retour et de réadmission. En matière d'immigration clandestine les parties conviennent de réadmettre leurs migrants illégaux sans formalité.

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