Rapport n° 59 (2015-2016) de M. Éric DOLIGÉ , fait au nom de la commission des finances, déposé le 14 octobre 2015

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N° 59

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 14 octobre 2015

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi autorisant l'approbation de l' accord multilatéral entre autorités compétentes concernant l' échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers ,

Par M. Éric DOLIGÉ,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Michèle André , présidente ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Yvon Collin, Vincent Delahaye, Mmes Fabienne Keller, Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. André Gattolin, Charles Guené, Francis Delattre, Georges Patient, Richard Yung , vice-présidents ; MM. Michel Berson, Philippe Dallier, Dominique de Legge, François Marc , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, François Baroin, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Jean-Claude Boulard, Michel Bouvard, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Carcenac, Jacques Chiron, Serge Dassault, Bernard Delcros, Éric Doligé, Philippe Dominati, Vincent Eblé, Thierry Foucaud, Jacques Genest, Didier Guillaume, Alain Houpert, Jean-François Husson, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Marc Laménie, Nuihau Laurey, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Hervé Marseille, François Patriat, Daniel Raoul, Claude Raynal, Jean-Claude Requier, Maurice Vincent, Jean Pierre Vogel .

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

651 (2014-2015) et 60 (2015-2016)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES FINANCES

Réunie le 14 octobre 2014 sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a examiné le rapport de M. Éric Doligé, rapporteur, sur projet de loi n° 651 (2014-2015) autorisant l'approbation de l'accord multilatéral entre autorités compétentes concernant l'échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers, signé à Berlin le 29 octobre 2014.

La commission a relevé que :

L'accord du 29 octobre 2014, qui prévoit le passage de l'échange à la demande à l'échange automatique d'informations fiscales, constitue un progrès majeur dans la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales des particuliers à l'échelle internationale. Quatre-vingt-quatorze États et territoires se sont engagés à le signer.

La mobilisation politique du G20 et de l'Union européenne en faveur de l'échange automatique doit beaucoup à la loi « FATCA » ( Foreign Account Tax Compliance Act ), adoptée par les États-Unis en 2010. Il s'agissait pourtant à l'origine d'un texte unilatéral, extraterritorial et non réciproque. Le standard OCDE et le standard FATCA ne sont toutefois pas pleinement compatibles.

La « norme commune de déclaration » élaborée par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) couvre un champ très large d'informations, de comptes déclarables (notamment les trusts et autres sociétés-écran) et d'institutions financières déclarantes. Elle prévoit de manière détaillée les « diligences raisonnables » que ces dernières doivent accomplir pour identifier les comptes de non-résidents.

La collecte des informations par les établissements financiers débutera au 1 er janvier 2016, en vue de premiers échanges entre États en septembre 2017.

Compte tenu des difficultés inhérentes à la mise en oeuvre technique de l'échange automatique, il est nécessaire d'adapter le droit interne français pour assurer que la « revue unique » des comptes par les établissements financiers se fasse en toute sécurité juridique, et de prévoir une « période pédagogique » transitoire pendant laquelle les erreurs ou omissions seraient corrigées mais pas sanctionnées.

Sous le bénéfice de ces observations, la commission des finances a adopté le projet de loi sans modification.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi en premier lieu du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord multilatéral entre autorités compétentes concernant l'échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers, signé à Berlin le 29 octobre 2014 sous l'égide de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Priorité politique majeure portée par les pays de l'OCDE et du G20, le passage à l'échange automatique d'informations fiscales est la clé de voûte de la lutte contre l'évasion fiscale des particuliers qui dissimulent leurs actifs à l'étranger, sur des comptes protégés par le secret bancaire.

Aujourd'hui, la coopération fiscale entre États repose sur l'échange à la demande : lorsqu'une administration s'interroge sur un contribuable, elle interroge une administration partenaire sur les actifs détenus par celui-ci, en application des conventions bilatérales, d'un traité multilatéral élaboré par l'OCDE, ou du droit de l'Union européenne. En dépit de son amélioration progressive depuis 2009 , l'échange à la demande souffre d'une faiblesse structurelle : il suppose de savoir a priori ce que l'on recherche, ce qui par définition est rarement le cas, et dépend de la bonne volonté des administrations partenaires, qui ne font pas toujours preuve d'un zèle excessif. Souvent, les réponses se perdent au gré des vices de procédures et d'opportunes complications administratives.

Conscients de cette faiblesse, les grands États européens sont longtemps restés dans l'incapacité de faire avancer le sujet , en raison de la difficulté à trouver un consensus international ou de réviser les directives européennes dans un domaine soumis à la règle de l'unanimité. L'échange automatique ne dépassait guère le stade du voeu pieu.

Il a fallu une initiative américaine unilatérale, extraterritoriale, et à vrai dire quelque peu cavalière, pour faire évoluer les choses . Adoptée en 2010, la loi « FATCA » ( Foreign Account Tax Compliance Act ) fait obligation aux banques et établissements financiers du monde entier de transmettre à l' Internal Revenue Service toutes les informations dont ils disposent sur les comptes des contribuables américains, sous peine d'une retenue à la source dissuasive de 30 % sur leurs flux financiers - équivalant à leur interdire l'accès au marché américains.

Poussés par l'aiguillon de la loi FATCA, plusieurs pays européens, puis les pays du G20 et de l'OCDE, se sont mobilisés pour organiser le passage à l'échange automatique d'informations à l'échelle internationale . La loi FATCA a fait l'objet d'accords bilatéraux avec les États-Unis pour faciliter son exécution, et centraliser les informations au niveau de chaque administration fiscale. Surtout, l'OCDE a présenté en 2015 une « norme commune de déclaration » ambitieuse , devant servir de base à la collecte d'informations par les banques et aux échanges entre États. Le présent accord multilatéral, que quatre-vingt-quatorze États et territoires se sont engagés à signer à Berlin le 29 octobre 2014, reprend cette norme commune de déclaration . Soixante-et-un d'entre eux l'ont signé à ce jour.

En parallèle, la révision de la directive 2011/16/UE sur la coopération administrative , intervenue le 9 décembre 2014 à l'issue de longues négociations, a permis d'achever l'adaptation du droit de l'Union au nouveau standard de l'OCDE.

La norme commune de déclaration de l'OCDE est un texte ambitieux, qui couvre un champ très large dans trois dimensions :

- les informations communiquées comprennent l'identité et le numéro d'identification fiscale (NIF) du contribuable, le numéro du compte, le solde et les revenus financiers qu'il produit (intérêts, dividendes etc.) ;

- les comptes déclarables comprennent les comptes des personnes physiques et des entités , ce qui inclut les trusts et autres structures pouvant correspondre à des sociétés-écrans. La norme requiert de regarder à travers les entités passives afin de déterminer et de déclarer les personnes physiques qui en détiennent le contrôle réel ;

- les institutions financières soumises à l'obligation déclarative comprennent non seulement les banques, mais aussi la plupart des sociétés d'assurance, les organismes de placement collectif et d'autres établissements financiers.

Aux termes de la norme OCDE, ces institutions financières doivent mettre en oeuvre une série de « diligences raisonnables » afin d'identifier les comptes déclarables . Celles-ci diffèrent en fonction de leur titulaire, de leur date d'ouverture et de leur valeur. Les comptes préexistants de personnes physiques inférieurs à un million de dollars se voient appliquer des procédures allégées, et un seuil de minimis de 250 000 dollars est prévu pour les comptes d'entités préexistants. Pour tous les nouveaux comptes, une auto-certification de résidence fiscale est demandée au titulaire.

Les établissements financiers devront commencer à collecter les données au 1 er janvier 2016, et les premiers échanges d'informations entre États auront lieu d'ici au 30 septembre 2017 . L'accord contient d'exigeantes stipulations en matière de confidentialité et de protection des données personnelles, qui seront évaluées par l'OCDE pour chaque État signataire.

Le passage à l'échange automatique d'informations constitue un progrès majeur dans la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales , qui doit beaucoup à la mobilisation de quelques grands États, au premier rang desquels figure la France.

Il a d'ores et déjà produit des effets tangibles. La seule perspective du recul du secret bancaire a conduit de nombreux contribuables disposant d'actifs dissimulés à se manifester auprès du « service de traitement des déclarations rectificatives » (STDR). Cette épée de Damoclès devrait permettre à l'État de collecter près de 2,7 milliards d'euros de droits et pénalités en 2015.

L'accord multilatéral de l'OCDE souffre toutefois d'une faiblesse importante par rapport à la loi FATCA : il n'a pas de caractère contraignant . Le choix est celui d'une approche multilatérale et volontaire, et l'accord ne prévoit aucune mesure de rétorsion ou retenue à la source pour les États qui refuseraient de se conformer à ses stipulations (les États signataires, en revanche, doivent prévoir des sanctions pour leurs propres établissements financiers). C'est pourquoi le maintien de la mobilisation internationale en faveur de l'échange automatique d'informations revêt un caractère crucial . En l'absence d'une adhésion de la majorité des États de la planète, certains établissements financiers pourraient tout simplement proposer à leurs clients de déplacer leurs comptes non déclarer dans les États non signataires, où le secret bancaire demeurerait intact.

De plus, la généralisation de l'échange automatique comme nouvelle norme mondiale se heurte aux incompatibilités entre le standard OCDE et la loi FATCA. La première différence est la non-réciprocité de FATCA : à ce jour, les États-Unis ne transmettent pas le solde des comptes bancaires à leurs partenaires, et aucune amélioration n'est espérée dans un avenir proche, en dépit des déclarations des États-Unis à ce sujet. La seconde différence est le champ d'application de la loi FATCA, qui définit les contribuables américains non seulement en fonction de la résidence, mais aussi en fonction de la nationalité et d'autres critères. Enfin, de nombreux seuils et définitions sont différents. Un comparatif détaillé des normes FATCA, OCDE et européenne, élaboré à la demande de la commission des finances par la direction de la législation fiscale (DLF), figure en annexe du présent rapport. À terme, l'échange automatique doit obéir à un standard mondial unique, multilatéral et pleinement réciproque .

L'avancée que représente la signature de l'accord multilatéral ouvre la période, tout aussi importante, de sa mise en oeuvre technique . À cette fin, les établissements financiers et la direction générale des finances publiques (DGFiP) ont mis en place une infrastructure informatique, qui se base sur le système élaboré pour l'application de la loi FATCA.

L'identification des comptes déclarables requiert toutefois de la part des banques un balayage complet de l'ensemble de leurs comptes, afin de déceler les indices de « non-résidence » dans le cadre des diligences prévues par le standard de l'OCDE. À cet égard, la base juridique prévue en droit interne semble insuffisante pour permettre aux établissements financiers de procéder à cette « revue unique » en toute sécurité : l'article 1649 AC du code général des impôts devra donc être modifié .

Par ailleurs, il serait souhaitable de prévoir une période transitoire « pédagogique » d'un ou deux ans, afin de permettre aux établissements financiers de perfectionner ce nouveau système. Pendant cette période, les éventuelles erreurs et omissions ne seraient pas sanctionnées en droit interne, pourvu qu'elles soient involontaires et promptement corrigées. Cela a d'ailleurs été accepté par les États-Unis pour la loi FATCA.

I. LE CONTEXTE : L'ÉCHANGE AUTOMATIQUE D'INFORMATIONS, DE LA LOI AMÉRICAINE À LA COOPÉRATION INTERNATIONALE

1. L'échange automatique, une réponse au secret bancaire

L'échange d'informations entre administrations fiscales, qui permet d'identifier les personnes titulaires de comptes non déclarés à l'étranger, constitue l'un des outils majeurs de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales internationales. À cet égard, le présent accord a pour vocation de permettre, au niveau international, le passage de l'échange à la demande à l'échange automatique de renseignements fiscaux.

Actuellement, la coopération fiscale entre États repose en effet sur le mécanisme de l'échange d'informations à la demande , qui peut avoir une triple base juridique :

- l'assistance administrative bilatérale , que ce soit en application des conventions fiscales signées par la France qui reprennent l'article 26 du modèle défini en 2010 par Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), ou en vertu d'accords spécifiques d'échange de renseignements (« Tax Information Exchange Agreements », ou TIEA), d'après le modèle défini en 2002 par l'OCDE ;

- la convention multilatérale du 25 janvier 1988 concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale, telle que modifiée par le protocole additionnel du 27 mai 2010. Cet accord est en vigueur pour la France depuis le 1 er avril 2012 ;

- le droit de l'Union européenne , en l'espèce la directive sur la fiscalité de l'épargne de 2003 et la directive sur la coopération administrative de 2011 (cf. infra ).

Toutefois, l'échange à la demande souffre de faiblesses structurelles . D'une part, cette procédure suppose par définition de savoir a priori ce que l'on cherche, puisque la demande doit être faite au cas par cas : il faut donc avoir une connaissance préalable des flux et des actifs suspects, ce qui protège de facto la plupart des comptes dissimulés. Ensuite, celle-ci demeure soumise à la bonne volonté des États et territoires partenaires , dont certains ne font pas preuve d'un zèle excessif. À titre d'exemple, l'article 238-0 A du code général des impôts fixe une liste des « États et territoires non coopératifs » (ETNC), qui se caractérisent par l'absence d'accord permettant un échange de renseignements avec la France, ou par une application défaillante de cet accord. La qualification d'ETNC emporte une série de mesures de rétorsion à caractère fiscal (retenues à la source, etc.). Aux termes de l'arrêté du 17 janvier 2014, la liste des ETNC pour 2014 compte huit États et territoires 1 ( * ) .

Le passage à l'échange automatique d'informations constitue une réponse à ces faiblesses . Dans la mesure où les États partenaires sont tenus de transmettre de leur propre initiative et de façon exhaustive les informations concernant les comptes détenus par des non-résidents, le système ne requiert plus ni connaissance préalable des comptes bancaires, ni bonne volonté particulière de la part des administrations fiscales.

À cet égard, le passage à l'échange automatique est longtemps resté un voeu pieux , bien que présent depuis des années dans le débat public. La crise économique de 2008 puis l'initiative américaine ont fait changer les choses.

2. L'initiative décisive des États-Unis : la loi FATCA

C'est en fait la loi américaine « FATCA » qui a rendu possible le passage à l'échange automatique d'informations au niveau international. Sans cette initiative unilatérale des États-Unis, le présent accord multilatéral n'aurait jamais vu le jour.

La loi « FATCA » (« Foreign Account Tax Compliance Act »), ou « loi relative au respect des obligations fiscales concernant les comptes étrangers », a été adoptée par les États-Unis le 18 mars 2010 dans le cadre du « Hire Act 2 ( * ) ». Destinée à lutter contre l'évasion fiscale des contribuables américains, cette loi oblige les banques et établissements financiers du monde entier à transmettre de façon automatique à l'administration fiscale américaine , l'IRS ( Internal Revenue Service ), un grand nombre d'informations sur les revenus et les actifs des contribuables américains. Le non-respect de cette obligation entraîne l'application d'une retenue à la source punitive de 30 % sur l'ensemble des flux financiers versés depuis les États-Unis sur les comptes susceptibles d'appartenir à des contribuables américains et qui n'ont pas apporté la preuve du contraire.

À l'origine, la loi FATCA est donc un instrument unilatéral 3 ( * ) , extraterritorial et non-réciproque , qui s'impose aux États et aux banques du monde entier : de fait, compte tenu de l'importance du marché américain pour les grandes banques étrangères, aucune ne peut se permettre de refuser la mise en oeuvre des dispositions de la loi.

Toutefois, afin de faciliter la mise en oeuvre de l'échange automatique et d'atténuer les contraintes pesant sur les établissements financiers, les États-Unis ont accepté le 7 février 2012 que la loi FATCA puisse être mise en oeuvre sur la base d'accords intergouvernementaux négociés entre États souverains. Ces accords bilatéraux peuvent être conclus selon deux modèles élaborés par le Trésor américain :

- l'accord de type « FATCA 1 » prévoit que les informations seront centralisées et transmises par voie intergouvernementale . Concrètement, l'administration fiscale de l'État signataire collectera les données auprès de ses établissements financiers, et les transmettra une fois par an aux États-Unis. Ce système de transmission indirecte est moins lourd et plus sécurisant pour les établissements financiers. Par ailleurs, l'accord de type « FATCA 1 » prévoit une réciprocité des échanges d'informations , alors que la loi FATCA originale est à sens unique. Toutefois, cette réciprocité n'est pas complète, et ne comprend pas, notamment, le solde des comptes bancaires (cf. infra ) ;

- l'accord de type « FATCA 2 », qui s'adresse aux pays qui refusent la levée immédiate du secret bancaire , présente trois caractéristiques principales. Premièrement, les données sont transmises directement par les banques , conformément aux dispositions de la loi originale. Deuxièmement, la transmission des données nominatives n'est pas automatique : celle-ci n'a lieu qu'à condition d'obtenir le consentement exprès du client ; dans le cas contraire, la transmission n'a lieu que sous la forme de données agrégées. Ce n'est que dans un second temps que l'administration fiscale américaine peut demander, dans le cadre du droit commun de la coopération bilatérale, les données nominatives. Troisièmement, l'accord de type « FATCA 2 » ne prévoit pas de réciprocité de la part des États-Unis.

En pratique, la majorité des pays du monde, dont la France, a opté pour des accords bilatéraux conformes au modèle « FATCA 1 ». À ce jour, soixante-huit pays ont signé un accord de type « FATCA 1 » avec les États-Unis, et vingt-cinq envisagent de le faire 4 ( * ) . Seuls sept pays ont signé un accord de type « FATCA 2 » - la Suisse, le Japon, les Bermudes, le Chili, l'Autriche, Hong Kong et la Moldavie -, et six autres envisagent de le faire.

L'accord entre le la France et les États-Unis d'Amérique en vue d'améliorer le respect des obligations fiscales à l'échelle internationale et de mettre en oeuvre la loi relative au respect des obligations fiscales concernant les comptes étrangers (dite « loi FATCA ») a été signé le 14 novembre 2013 5 ( * ) . Les premières transmissions à la direction générale des finances publiques dans le cadre de FATCA ont eu lieu en juillet 2015 après une période de mise en place de l'infrastructure technique 6 ( * ) , et la DGFiP a procédé aux premières transmissions à l'IRS le 29 septembre 2015 . En revanche, les États-Unis n'ont à ce jour transmis aucune information , invoquant des difficultés internes dans la mise en place du système - ce qui est regrettable au regard des engagements de principe qui ont été pris.

La loi FATCA a donc changé de nature : à l'origine unilatérale et s'appliquant directement aux établissements financiers, est ainsi devenu un instrument bilatéral négocié sur la base d'accords entre États souverains . Dès lors, puisque tous les États allaient de toute façon devoir se conformer aux obligations de FATCA, il était possible d'envisager de donner à l'échange automatique une extension beaucoup plus large.

3. L'accord OCDE, signe d'une mobilisation internationale

Au lendemain de la crise de 2008 et à la suite de l'initiative prise par les États-Unis, la mobilisation politique en faveur du passage à l'échange automatique d'informations a pris une dimension internationale . Cet engagement figure notamment dans la déclaration finale du G20 de Saint-Pétersbourg des 5 et 6 septembre 2013 7 ( * ) . Le présent accord multilatéral entre autorités compétentes concernant l'échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers, signé à Berlin le 29 octobre 2014 sous l'égide de l'OCDE, constitue l'aboutissement de cette mobilisation.

Cet accord consiste essentiellement en un engagement de la part des États signataires à mettre en oeuvre la « norme commune de déclaration » (NCD) adoptée le 15 juillet 2014 par l'OCDE , et de précisions quant au calendrier et aux modalités de la mise en oeuvre de cette norme. Cette norme commune de déclaration et de diligence raisonnable, qui s'inspire largement du modèle d'accord intergouvernemental de type « FATCA 1 », contient le détail des règles applicables aux institutions financières pour l'échange d'informations , et notamment les données à communiquer, les institutions concernées et les comptes déclarables. Elle est accompagnée de commentaires et d'un schéma informatique. La norme commune de déclaration a été « endossée » par le G20 des ministres des finances des 20 et 21 septembre 2014 à Cairns puis par les chefs d'État et de Gouvernement lors du G20 des 15 et 16 novembre 2014 à Brisbane.

Lors de la réunion plénière du Forum mondial sur la transparence et l'échange d'informations à des fins fiscales du 29 octobre 2014 à Berlin, quatre-vingt-quatorze États et territoires, dont la France, se sont engagés à mettre en oeuvre l'échange automatique d'ici 2017 ou 2018 .

A l'heure actuelle, l'accord multilatéral a été effectivement signé par soixante-et-un États et territoires (cf. encadré ci-après). Le soutien politique des chefs d'État et de Gouvernement à la norme mondiale d'échange automatique devrait être réaffirmé à l'occasion du G20 d'Antalya de novembre 2015 8 ( * ) .

Signataires de l'accord multilatéral du 29 octobre 2014

Premiers échanges en 2017

(57 pays)

Afrique du Sud, Allemagne, Anguilla, Argentine , Barbade, Belgique, Bermudes , Bulgarie, Chypre, Colombie, Corée du Sud, Croatie, Curaçao, Danemark , Dominique, Espagne, Estonie, Finlande, France, Gibraltar, Grèce , Groenland, Guernesey, Hongrie, Îles Caïman, Île de Man, Îles Féroé, Îles Turques et Caïques, Îles Vierges Britanniques , Inde , Irlande, Islande, Italie, Jersey, Lettonie, Liechtenstein, Lituanie , Luxembourg, Malte, Maurice, Mexique, Montserrat , Niue, Norvège, Pays-Bas, Pologne , Portugal , République Tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Saint-Marin , Seychelles, Slovaquie, Slovénie, Suède , Trinidad et Tobago, Uruguay.

Premiers échanges en 2018

(37 pays)

Albanie , Andorre, Antigua et Barbuda, Arabie Saoudite, Aruba , Australie , Autriche , Bahamas, Belize, Brésil, Brunei, Canada , Chili , Chine, Costa Rica , Émirats Arabes Unis, Ghana, Grenade, Hong Kong, Îles Marshall, Indonésie , Israël, Japon, Macao, Malaisie, Monaco, Nouvelle-Zélande , Qatar, Russie, Saint-Christophe et Nevis, Sainte-Lucie, Saint-Martin (Royaume des Pays-Bas), Saint-Vincent et les Grenadines, Samoa, Singapour, Suisse , Turquie.

Source : OCDE (octobre 2015) et étude d'impact du projet de loi de ratification.
Les pays ayant effectivement signé l'accord sont signalés en gras.

Depuis l'initiative des « early adopters » lancée conjointement avec les pays du G5 le 9 avril 2013 (cf. infra ), la France a joué un rôle de premier plan dans la mobilisation internationale en faveur du passage à l'échange automatique d'informations. Les progrès en la matière ont été suivis avec attention par la commission des finances 9 ( * ) .

4. Une avancée coordonnée avec l'Union européenne

Saisissant l'opportunité ouverte par la loi FATCA, les ministres de l'économie de cinq États membres (le « G5 » : France, Allemagne, Royaume-Uni, Espagne, Italie) ont demandé, dans un courrier du 9 avril 2013 adressé au commissaire européen chargé de la fiscalité, Algirdas Semeta, l'instauration d'un système d'échange automatique d'informations à l'échelle de l'Union européenne , c'est-à-dire un « FATCA européen ».

Compte tenu de la dimension internationale prise ensuite par la mobilisation en faveur de l'échange automatique, les négociations entre États membres ont finalement porté sur l'élaboration d'un standard européen correspondant à la norme commune de déclaration de l'OCDE . La révision du droit interne de l'Union européenne ne s'est toutefois pas faite sans difficultés.

La directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011 sur la coopération administrative dans le domaine fiscal a été révisée par la directive 2014/107/UE, adoptée par le Conseil le 9 décembre 2014 . L'article 8 de la directive, dans sa version d'origine, prévoyait le passage à l'échange automatique à partir du 1 er janvier 2015, mais seulement pour cinq catégories de revenus : revenus professionnels, jetons de présence, produits d'assurance-vie (non couverts par d'autres directives), pensions, propriété et revenus de biens immobiliers.

La révision du 9 décembre 2014 consiste à étendre cette obligation aux dividendes, aux plus-values, aux autres revenus financiers et surtout au solde des comptes, afin de l'aligner sur le standard OCDE . Les procédures de collecte et de transmission ainsi que le champ des institutions concernées sont également alignés sur la norme commune de déclaration.

Par ailleurs, la directive 2003/48/CE du Conseil du 3 juin 2003 sur la fiscalité de l'épargne, dite « directive épargne » , avait précédemment été révisée par la directive 2014/48/UE du Conseil 24 mars 2014.

Le texte initial prévoyait un mécanisme d'échange automatique, mais limité aux revenus perçus sous forme d'intérêts par les non-résidents. Son extension à d'autres catégories de revenus, proposée dès 2013, est longtemps restée impossible du fait du veto opposé par le Luxembourg et l'Autriche - les décisions en matière de fiscalité étant soumises à la règle de l'unanimité. Ces deux pays conditionnaient leur accord à l'engagement de négociations visant à mettre en place un dispositif similaire avec cinq États tiers : la Suisse, le Lichtenstein, Monaco, Andorre, et Saint-Marin. Il s'agissait pour le Luxembourg et l'Autriche de ne pas abandonner « seuls » le secret bancaire. Le veto du Luxembourg et de l'Autriche a été levé le 20 mars 2014, suite à l'engagement de ces négociations avec les cinq États tiers, qui sont par ailleurs signataires de l'accord OCDE du 19 octobre 2014.

La révision a permis d'étendre le champ de l'échange automatique prévu par la directive épargne à d'autres catégories de revenus , notamment les revenus d'assurance-vie, les revenus de l'ensemble des fonds de placement, et les revenus perçus via l'interposition d'une structure juridique faisant obstacle à l'application de la directive - c'est-à-dire, pour l'essentiel, les fiducies, les trusts et les fondations.

Les nouvelles règles devront être transposées par les États membres avant le 1 er janvier 2016, conformément à l'accord de l'OCDE .

Si les normes UE et OCDE sont à quelques détails près identiques et compatibles entre elles, il n'en va toutefois pas de même avec la loi FATCA (cf. infra ). Un comparatif des trois normes - FATCA, directives européennes et standard OCDE -, réalisé par la direction de la législation fiscale (DLF) à la demande de la commission des finances du Sénat, figure en annexe du présent rapport.

II. LE TEXTE : UN STANDARD À VOCATION MONDIALE POUR L'ÉCHANGE AUTOMATIQUE D'INFORMATIONS

L'accord multilatéral entre autorités compétentes du 29 octobre 2014 concernant l'échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers est composé de huit sections, dix considérants et six annexes.

1. La norme commune de déclaration de l'OCDE

Les États et territoires signataires de l'accord multilatéral devront obtenir de leurs institutions financières qu'elles collectent auprès de leurs clients non-résidents un large éventail d'informations relatives à l'identification de ces derniers et de leurs actifs et revenus financiers , et qu'elles transmettent ces informations à leur administration fiscale. Cette administration fiscale transmettra ensuite ces informations aux autorités de l'État ou du territoire dont le client est résident fiscal, pour qu'elles puissent les utiliser afin d'appliquer leur législation fiscale, notamment dans le cadre de contrôles fiscaux.

Après une Section 1 réservée aux définitions, la Section 2 du présent accord définit le champ des informations qui doivent être échangées, ainsi que les règles de diligences que doivent réaliser les institutions financières, conformément à la norme commune de déclaration de l'OCDE.

Le champ couvert par la norme commune de déclaration est très large, dans ses trois dimensions : informations devant être échangées, comptes déclarables, et institutions financières déclarantes.

Les renseignements qui doivent être échangés sont les suivants :

- le nom, l'adresse et le numéro d'identification fiscale (NIF) du titulaire du compte, qu'il s'agisse d'une personne physique ou d'une personne morale. S'y ajoutent, pour les personnes physiques, la date et le lieu de naissance, et pour les personnes morales, ces mêmes informations au sujet des personnes physiques qui en détiennent le cas échéant le contrôle ;

- le numéro du compte bancaire ou du contrat d'assurance-vie ;

- le nom et le numéro d'identification de l'institution financière déclarante ;

- le solde du compte , y compris la valeur de rachat dans le cas d'un contrat d'assurance-vie ;

- les revenus financiers produits par les actifs détenus sur le compte, selon la nature de celui-ci : intérêts, dividendes, revenus d'assurance-vie etc.

Les comptes déclarables comprennent les comptes des personnes physiques et des entités , ce qui inclut les trusts , fiducies, fondations et autres structures analogues correspondant à de possibles sociétés-écrans. La norme requiert de regarder à travers les entités passives afin de déterminer et de déclarer les personnes physiques qui en ont le cas échéant le contrôle.

Les institutions financières soumises à l'obligation déclarative comprennent non seulement les banques et établissements gérant des dépôts de titres, mais aussi les courtiers, les sociétés d'assurance et des organismes de placement collectif. Sont notamment dispensées d'obligation déclarative les banques centrales, les caisses de retraite, les fonds de pension publics, ou encore les organismes de placement collectif publics. Il appartient à l'État signataire de l'accord multilatéral de contrôler le respect de ces obligations (cf. infra ).

Les institutions financières doivent mettre en oeuvre des « diligences » prévues par la norme OCDE afin d'identifier les comptes déclarables , c'est-à-dire les comptes dont le titulaire est résident d'une juridiction partenaire. Ces diligences diffèrent en fonction de leur titulaire, de leur date d'ouverture et de leur valeur :

Règles de diligence prévues par l'accord OCDE

Comptes de personnes physiques

Comptes d'entités

Comptes préexistants

Aucun seuil de minimis .

Comptes de faible valeur (< 1 M$) : procédures de diligence simples . Test fondé sur l'adresse de résidence au moyen de pièces justificatives et, à défaut, recherche électronique d'indices.

Comptes de haute valeur (> 1M$) : procédures de diligence renforcées . Examen des dossiers papier et prise en compte des éléments connus du chargé de clientèle.

Seuil de minimis de 250 000 $ :
pas d'examen pour les comptes inférieurs à ce montant.

L'institution financière doit d'abord déterminer si l'entité est une personne soumise à déclaration , notamment à partir des informations dont elle dispose dans le cadre de la lutte anti-blanchiment.

Dans le cas d'une entité financière passive , donc non soumise à déclaration, l'institution financière doit ensuite déterminer si la ou les personnes qui en détiennent le contrôle sont soumises à déclaration.

Nouveaux comptes

Aucun seuil de minimis .

Pour les comptes ouverts à compter du 1 er janvier 2016 , la résidence fiscale est déterminée par une auto-certification du titulaire , dont la vraisemblance est confirmée par les informations dont dispose l'institution financier.

Aucun seuil de minimis .

La résidence fiscale est déterminée par une auto-certification à l'ouverture du compte.

Les règles de diligence sont les mêmes que pour les comptes préexistants.

Source : commission des finances du Sénat.

2. Le calendrier et les modalités des échanges d'informations

S'agissant du calendrier et des modalités des échanges , la Section 3 du présent accord prévoit que les autorités compétentes procèderont aux échanges d'informations selon un schéma informatique sécurisé, de manière annuelle, dans les neuf mois qui suivent la fin de l'année civile à laquelle les informations se rapportent - c'est-à-dire avant le 30 septembre de l'année N+1.

L'annexe F du présent accord précise le calendrier de mis en oeuvre pour chaque pays signataire . S'agissant de la France, les institutions financières devront appliquer les règles de diligence permettant d'identifier les comptes de non-résidents à partir du 1 er janvier 2016 , en vue de transmettre les informations à la direction générale des finances publiques à partir de 2017. Les premiers échanges de renseignements avec les autres parties de l'accord auront lieu avant le 30 septembre 2017 .

On notera que la Section 2 de l'accord prévoit une exception volontaire au principe de réciprocité : les juridictions citées à l'annexe A du présent accord transmettront, mais ne recevront pas, les renseignements ci-dessus. Cette annexe n'est pas encore disponible (cf. infra ), mais les États et territoires susceptibles d'y figurer sont surtout ceux qui ne possèdent pas de fiscalité directe sur les personnes, par exemple dans les Caraïbes.

La Section 4 prévoit une procédure de notification entre les États signataires permettant à l'une des parties qui a des raisons de croire que les informations communiquées sont erronées ou incomplètes ou qu'une institution financière ne respecte pas les règles de diligence de demander à l'autre partie de corriger ces erreurs ou de remédier aux manquements.

La Section 5 renvoie aux règles de stricte confidentialité et de protection des données échangées, telles que les prévoit la norme OCDE . Ces règles sont ambitieuses dans leur principe. Elles sont conformes aux règles internationales et européennes 10 ( * ) relatives à la protection des données personnelles, ainsi qu'aux dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux libertés et aux fichiers - à cet égard, la direction générale des finances publiques a engagé des travaux avec la commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) afin de garantir une protection adéquate. L'annexe D du présent accord multilatéral consiste en un questionnaire auquel chaque partie doit répondre afin de détailler les garanties qu'il apporte en matière de confidentialité des données envoyées et reçues. Surtout, l'annexe C permet à chaque État signataire de préciser les garanties spécifiques qu'il exige de ses partenaires en matière de protection des données personnelles . Le respect de ces garanties sera suivi par le Forum mondial de l'OCDE dans le cadre du contrôle de l'application de l'accord (cf. infra ). Par ailleurs, la récente décision de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), qui a suspendu le 6 octobre 2015 l'application de la décision « Safe Harbor 11 ( * ) » au motif que les données personnelles des Européens ne bénéficiaient pas aux États-Unis d'une « protection adéquate », en raison de leur mise à disposition des services secrets et de l'absence de recours effectif, rappelle qu'une grande vigilance est exercée à ce sujet.

La Section 6 prévoit les modalités de consultation entre partenaires afin d'améliorer l'exécution de l'accord et d'y apporter d'éventuelles modifications. Il est précisé que « le présent accord peut être modifié, par consensus, par accord écrit entre toutes les autorités compétentes pour lesquelles l'accord a pris effet ».

La Section 7 définit les modalités de prise d'effet de l'accord . Une fois celui-ci signé, l'autorité compétente doit déposer auprès du secrétariat de l'OCDE une notification indiquant : la mise en place de la législation interne nécessaire et le calendrier d'application (annexe F) ; la méthode de transmission des données, y compris le cryptage (annexe B) ; les garanties spécifiques en matière de protection des données personnelles (annexe C) et de confidentialité de celles-ci (questionnaire figurant à l'annexe D) ; le choix, le cas échéant, de la non-réciprocité (annexe A), ainsi qu'une liste des juridictions à l'égard desquelles elle a l'intention de procéder à des échanges d'informations. L'accord prend effet entre deux parties une fois la dernière de ces notifications reçues. Le secrétariat de l'OCDE publie une liste des États et territoires pour lesquels l'accord a pris effet (annexe E). À l'exception de l'annexe F, déposée à l'occasion de la signature de l'accord par voie de déclaration - signée dans le cas de la France par Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics -, les annexes du présent accord n'étaient donc pas disponibles la signature de celui-ci. La France a d'ores et déjà répondu au questionnaire de l'annexe D sur les protections existantes en matière de données personnelles.

S'agissant enfin des coûts , la Section 8 prévoit que tous les signataires de l'accord multilatéral se partagent également les coûts annuels de l'administration de l'accord par le secrétariat de l'Organe de coordination, c'est-à-dire l'OCDE. Comme cela est expliqué dans l'étude d'impact, « ce coût devrait être relativement marginal ».

3. La place de l'accord dans la hiérarchie des normes

L'accord multilatéral s'inscrit dans le cadre de la convention multilatérale du 25 janvier 1988 concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale, telle que modifiée par le protocole additionnel du 27 mai 2010 (cf. supra ), dont l'article 6 stipule : « pour des catégories de cas et selon les procédures qu'elles déterminent d'un commun accord, deux ou plusieurs Parties échangent automatiquement les renseignements visés à l'article 4 ». En d'autres termes, la convention multilatérale de l'OCDE prévoit la possibilité de l'échange automatique, sans toutefois le rendre obligatoire ni en préciser les modalités . Le présent accord multilatéral demeure ainsi soumis aux autres stipulations de la convention multilatérale, notamment en ce qui concerne la protection des données personnelles (cf. supra ).

Le droit interne français est quant à lui déjà adapté à l'application de l'accord multilatéral sur l'échange automatique . En effet, afin de conférer une base légale à la collecte des informations par les établissements financiers, un nouvel article 1649 AC a été créé dans le code général des impôts (CGI) à l'occasion de l'examen par l'Assemblée nationale de la loi du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires 12 ( * ) , et modifié par la première loi de finances rectificative pour 2014 13 ( * ) (cf. encadré). Cet article vise à renforcer la sécurité juridique du cadre applicable à l'échange d'informations .

L'article 1649 AC du code général des impôts

« Les teneurs de compte, les organismes d'assurance et assimilés et toute autre institution financière mentionnent, sur une déclaration déposée dans des conditions et délais fixés par décret, les informations requises pour l'application des conventions conclues par la France organisant un échange automatique d'informations à des fins fiscales. Ces informations peuvent notamment concerner tout revenu de capitaux mobiliers ainsi que les soldes des comptes et la valeur de rachat des bons ou contrats de capitalisation et placements de même nature.

« Afin de satisfaire aux obligations mentionnées au premier alinéa, ils mettent en oeuvre, y compris au moyen de traitements de données à caractère personnel, les diligences nécessaires en matière d'identification et de déclaration des comptes, des paiements et des personnes.

« Ces traitements éventuels sont soumis à la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ».

En outre, le I de l'article 1736 du code général des impôts prévoit une amende fiscale de 200 euros par compte déclarable comportant une ou plusieurs informations omises ou erronées, afin de sanctionner les éventuels manquements des banques à cette obligation déclarative, sauf si ce manquement résulte d'un refus du client de transmettre les informations 14 ( * ) .

L'étude d'impact précise enfin que « l'accord multilatéral fera l'objet de textes d'application pour organiser la mise en oeuvre du dispositif. En tant que de besoin, un décret viendra préciser certaines modalités laissées ouvertes par la norme commune de déclaration. Une instruction commentera l'ensemble de l'architecture du dispositif ».

III. LA POSITION DE VOTRE RAPPORTEUR : UN TEXTE AMBITIEUX QUI DEMANDE UNE APPLICATION VIGILANTE

1. Un accord ambitieux aux effets déjà visibles

L'accord multilatéral sur l'échange automatique d'informations constitue une réussite à plusieurs égards . D'une part, en raison de son contenu lui-même : la norme commune de déclaration est un texte technique précis, applicable par les États et les établissements financiers, selon des modalités harmonisées. D'autre part, et surtout, en raison du large soutien international dont il bénéficie , et dont témoigne le grand nombre d'États et territoires signataires et sa place dans les déclarations finales successives des sommets du G20. On ne peut que se féliciter du chemin parcouru depuis l'initiative isolée et unilatérale des États-Unis avec la loi FATCA , à une époque où l'échange automatique restait une perspective très lointaine ailleurs dans le monde, et où le secret bancaire paraissait pouvoir perdurer encore longtemps.

La seule perspective de la prochaine entrée en vigueur de l'échange automatique d'informations a d'ores et déjà produit des résultats tangibles , alors même que le système n'est pas encore concrètement en place. De fait, la possible fin du secret bancaire, ou du moins la certitude de son recul, ont conduit plusieurs contribuables disposant de comptes non déclarés à l'étranger à régulariser leur situation. En France, ce mouvement est visible à travers les excellents résultats du service de traitement des déclarations fiscales rectificatives (STDR) : après 1,9 milliard d'euros de recettes en 2014, le STDR devrait rapporter près de 2,7 milliards d'euros de en 2015, et 2,1 milliards d'euros en 2016 d'après le projet de loi de finances.

Le service de traitement des déclarations rectificatives (STDR)

La circulaire du 21 juin 2013 signée par le ministre du budget Bernard Cazeneuve vise à inciter les contribuables français détenant des avoirs non-déclarés à régulariser leur situation, moyennant des pénalités allégées , avant le durcissement du dispositif de lutte contre l'évasion fiscale.

Ainsi, alors que le droit commun prévoit une majoration de 40 % et une amende annuelle de 5 %, la circulaire atténue ces montants en fonction de la catégorie à laquelle se rattache la fraude :

- les fraudeurs « actifs » (comptes ouverts récemment et/ou régulièrement alimentés) se voient appliquer une majoration de 30 % et une amende de 3 % ;

- les fraudeurs « passifs » (notamment les personnes ayant hérité d'un compte à l'étranger et n'en n'ayant pas fait usage) se voient appliquer une majoration de 15 % et une amende de 1,5 %.

Les dossiers sont pris en charge par le service de traitement des déclarations rectificatives (STDR) , rattaché à la direction nationale des vérifications des situations fiscales (DNVSF) et composé aujourd'hui d'une centaine d'agents. Sept « pôles régionaux » ont été ouverts en juin 2015 pour accélérer le traitement des dossiers aux enjeux modestes (moins de 600 000 euros d'actifs), à Strasbourg, Bordeaux, Lyon, Marseille, Vanves, Saint-Germain-en-Laye et Paris.

Fin septembre 2015, environ 45 000 dossiers avaient été déposés , dont près de 8 500 avaient été traités. Près de 85 % des dossiers proviennent de Suisse, et 7 % du Luxembourg. La « fraude passive » représentante près de 80 % des cas.

Source : commission des finances du Sénat.

2. La grande faiblesse de l'accord : son caractère non contraignant

L'approche multilatérale et consensuelle de l'accord OCDE est sa force, mais c'est aussi sa faiblesse.

En effet, contrairement à la loi FATCA qui prévoit une retenue à la source de 30 % pour les institutions financières qui ne respecteraient pas ses stipulations, l'accord OCDE ne prévoit aucune sanction pour les États qui refuseraient de l'appliquer : l'adhésion est purement volontaire , et repose donc sur la mobilisation politique internationale en faveur de l'échange automatique d'informations. Il faut toutefois préciser qu'une fois signé et ratifié par un État, l'accord emporte bien des sanctions pour les institutions financières non coopératives ; celles-ci sont prévues par le droit interne, à l'instar de l'amende de 200 euros par compte de l'article 1736 du code général des impôts pour la France (cf. supra ). Votre rapporteur estime d'ailleurs que ce montant est relativement faible compte tenu de l'enjeu financier que peut représenter chaque compte dissimulé.

Par conséquent, la fin effective du secret bancaire devra attendre l'hypothétique signature et application de l'accord par la totalité - ou du moins la grande majorité - des pays du monde . Seuls quatre-vingt-quatorze États et territoires s'y sont engagés à Berlin : c'est beaucoup, mais pas suffisant. Dans l'intervalle, on ne peut exclure que certains États et territoires non signataires se fassent une spécialité de l'hébergement de comptes offshore « déplacés » dans la perspective du passage à l'échange automatique. De plus, les États-Unis, du fait de la loi FATCA, ne sont pas signataires de l'accord multilatéral et n'en ont pas exprimé l'intention.

La bonne application des stipulations de l'accord multilatéral sera suivie par le Forum mondial de l'OCDE sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales, comme cela a été confirmé dans la déclaration finale du G20 de Saint-Pétersbourg des 5 et 6 septembre 2013. Cette instance, renforcée en septembre 2009, est chargée d'évaluer la réalité des engagements pris en matière de transparence par ses 125 pays membres ainsi que pour les pays dont l'examen a été jugé pertinent, par un processus d'examen par les pairs. Celui-ci porte d'une part sur l'existence de mesures législatives et réglementaires internes (phase 1), et d'autre part sur leur application effective (phase 2). L'examen du cadre législatif et réglementaire débutera dès 2016.

Compte tenu des incertitudes qui pèsent sur l'application de cet accord par ailleurs ambitieux, il est crucial d'entretenir la mobilisation internationale en faveur de l'échange automatique d'informations . La France a tout son rôle à jouer à cet égard.

3. La question de la compatibilité avec l'accord FATCA

Par ailleurs, les incompatibilités persistantes entre le standard OCDE et les accords FATCA constituent un obstacle à la généralisation de l'échange automatique d'informations comme norme mondiale unique, harmonisée et réciproque - d'autant que les États-Unis ne sont pas signataires de l'accord OCDE.

Un comparatif des trois normes d'échange automatique - FATCA, directives européennes et standard OCDE - élaboré à la demande de la commission des finances par la direction de la législation fiscale (DLF) figure en annexe du présent rapport.

Les principales différences sont les suivantes :

- l'accord FATCA ne prévoit pas de réciprocité complète, contrairement à l'accord OCDE . Aux termes du modèle « FATCA 1 » repris par l'accord franco-américain du 14 novembre 2013, les États-Unis ne transmettent pas le solde des comptes ni la valeur de rachat des contrats d'assurance-vie , qui constituent pourtant une information cruciale. Cette situation résulte d'un blocage institutionnel interne aux États-Unis, la transmission du solde des comptes bancaires étant soumise à l'autorisation du Congrès, et actuellement refusée par les élus républicains, qui invoquent une inconstitutionnalité. L'éclatement du paysage bancaire américain constitue une difficulté supplémentaire, d'ordre technique. L'article 6 de l'accord prévoit explicitement que « lorsque la législation des États-Unis autorisera la déclaration d'un quelconque renseignement eu égard auquel les États-Unis ont exprimé leur engagement de mettre en oeuvre la réciprocité (...), notamment le solde du compte , les États-Unis s'engageront à déclarer ce renseignement complémentaire à l'autorité compétente française ». Toutefois, et en dépit de la lettre du 24 avril 2013 par laquelle le secrétaire américain au Trésor Jack Lew a fait part de sa compréhension envers la demande de la France, il n'existe à ce jour aucune perspective d'avancée sur le sujet. Les termes de la loi FATCA demeurent donc fondamentalement inégaux 15 ( * ) ;

- l'accord FATCA s'applique aux « contribuables américains », définis à la fois par la citoyenneté et la résidence, alors que l'accord OCDE repose sur le seul critère de la résidence . Cette différence découle des spécificités de la législation fiscale américaine, fondé sur le principe de la nationalité, alors que le droit commun est celui du principe de résidence. Le champ très large de la loi FATCA a entraîné de nombreuses difficultés, par exemple pour les « Américains accidentels » nés par hasard aux États-Unis, ou les personnes y ayant temporairement étudié ou travaillé. Ces difficultés ont même conduit certaines banques comptant un faible nombre de clients soumis à la loi FATCA à se séparer de ces derniers plutôt que de supporter les coûts de mise en conformité 16 ( * ) .

- l'accord FATCA prévoit une retenue à la source de 30 % pour les institutions financières qui ne respecteraient pas ses stipulations (cf. supra ), alors qu'aucune retenue à la source n'est prévue dans l'accord OCDE ;

- l'accord FATCA, contrairement à l'accord OCDE, ne requiert pas de regarder à travers les entités d'investissement ( trusts etc.) implantées dans les États et territoires non partenaires , puisque la retenue à la source est de toute façon applicable ;

- l'accord FATCA et l'accord OCDE diffèrent quant aux seuils retenus pour les procédures de diligence allégées ou renforcées. Ainsi, l'accord FATCA prévoit un seuil de minimis de 50 000 dollars au-dessous duquel l'institution financière n'a pas à réaliser de procédures de diligence, pour les comptes nouveaux et préexistants de personnes physiques ainsi que pour les nouveaux comptes des entités. L'accord OCDE ne prévoit pas de seuil de minimis pour les personnes physiques , ce qui complique la tâche des établissements financiers, comme l'ont souligné les représentants de la Fédération bancaire française lors de leur audition par votre rapporteur : un compte d'un euro est un compte déclarable. En revanche, le seuil de minimis de 250 000 dollars prévu par l'accord FATCA pour les comptes préexistants des entités est repris par l'accord OCDE. De plus, les deux accords prévoient un seuil commun de un million de dollars au-dessus duquel des procédures de diligence renforcée s'appliquent. L'accord OCDE, contrairement à l'accord FATCA, prévoit par contre des procédures de diligence allégées pour les comptes préexistants de faible valeur , inférieurs à un million d'euros. Les institutions financières peuvent appliquer les procédures des nouveaux comptes aux comptes préexistants, et celles des comptes de valeur élevée à celles des comptes de faible valeur ;

- enfin, certaines définitions retenues par l'accord FATCA diffèrent de celles retenues par l'accord OCDE , par exemple les entités d'investissement ou les comptes préexistants (cf. annexe).

Par ailleurs, l'accord OCDE et la directive 2014/107/UE présentent également quelques différences, quoique de moindre importance et d'ordre purement technique. Tous deux sont en effet fondés sur la norme commune de déclaration de l'OCDE et y renvoient explicitement. Les données à échanger - identification de l'institution financière déclarante, identification du contribuable et informations financières - sont en revanche identiques.

4. Le défi de la mise en oeuvre technique

D'après les informations communiquées à votre rapporteur par la Fédération bancaire française, le nombre de comptes non-résidents potentiellement concernés par l'échange automatique serait « d'au moins deux millions pour l'ensemble des établissements bancaires , bien supérieur à la cible FATCA ».

La mise en oeuvre de l'échange automatique implique donc la mise en place d'une infrastructure technique spécifique et importante , pour les institutions financières comme pour l'administration fiscale. Il faut toutefois signaler qu'il s'agit, à quelques ajustements près, de la même infrastructure que celle qui est utilisée pour la mise en oeuvre de l'accord FATCA - aussi les dépenses d'investissement et de fonctionnement devraient-elles être très largement partagées.

En ce qui concerne l'administration fiscale , l'étude d'impact annexée au projet de loi ratification évalue le coût total du développement de l'infrastructure informatique pour la mise en oeuvre des deux dispositifs - FATCA et la norme UE/OCDE - à « 1 058 jours/hommes et 50 000 euros », soit un montant relativement modeste.

En ce qui concerne les établissements financiers , le coût total de la mise en place de l'infrastructure pour FATCA a été évalué par la Fédération bancaire française (FBF) à 200 millions d'euros sur la période 2011-2017 pour les groupes français 17 ( * ) , auquel il faut ajouter le coût de mise en conformité pour la norme OCDE, compte tenu des différences entre les deux standards. S'y ajoutent également les dépenses supportées par les compagnies d'assurance, ces dernières étant confrontées à des enjeux différents : elles détiennent moins de comptes mais sont éclatées en de plus petites institutions.

Concrètement, la transmission des données aura pour support un fichier au format XML, unique pour chaque banque , contenant les données portant sur chacun des comptes concernés.

Toutefois, des incertitudes demeurent à ce stade quant à la base légale de la collecte d'informations par les établissements financiers, alors que celle-ci doit commencer au 1 er janvier 2016 . En effet, les « diligences » prévues par la norme commune de déclaration de l'OCDE impliquent d'identifier la résidence fiscale des titulaires de chaque compte bancaire, même si la transmission porte sur les seules informations relatives aux non-résidents. Les établissements financiers doivent donc procéder à une « revue unique » de l'ensemble des comptes , afin de relever de possibles indices de non-résidence - adresse, lieu de naissance etc. - et le cas échéant d'interroger les titulaires. D'après les informations transmises à votre rapporteur, d'autres pays européens, notamment l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Espagne ou encore les Pays-Bas, ont récemment accepté le principe de la « revue unique ». Or, actuellement, la rédaction de l'article 1649 AC du code général des impôts (cf. supra ) semble insuffisante pour permettre aux établissements financiers de mettre en oeuvre la « revue unique » en toute sécurité juridique.

Au-delà des textes d'application prévus (décret et instruction), votre rapporteur estime donc qu' une modification législative de l'article 1649 AC du code général des impôts est nécessaire . En raison du calendrier, celle-ci doit impérativement intervenir avant le 31 décembre 2015, c'est-à-dire dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016 ou du projet de loi de finances rectificative pour 2015. La Commission européenne a par ailleurs annoncé qu'elle contrôlerait la bonne transposition des directives de 2003 et de 2011, qui reprennent le standard de l'OCDE. Le Forum mondial fera de même.

5. La nécessité d'une période pédagogique pour les établissements financiers

Par ailleurs, si la collecte des informations pourra effectivement débuter au 1 er janvier 2016 (sous réserve d'une base légale adaptée), quelques difficultés et erreurs ne sont pas à exclure dans un premier temps , en raison de la complexité technique des opérations à accomplir, et en l'absence de véritable précédent sur lequel s'appuyer. Aussi votre rapporteur estime-t-il nécessaire de prévoir une période transitoire « pédagogique » permettant aux établissements financiers de perfectionner le système , pendant laquelle les éventuelles erreurs et omissions ne seraient pas sanctionnées, pourvu qu'elles soient involontaires et promptement corrigées dès lors qu'elles sont identifiées. Cette période transitoire pourrait être d'un ou deux ans.

C'est d'ailleurs ce qu'ont finalement accepté les États-Unis en juillet 2015 pour la loi FATCA : pendant une période de « rodage » de deux ans, c'est-à-dire jusqu'en juillet 2017, les incidents de transmissions, les erreurs et omissions ne donneront pas lieu à la retenue à la source, mais feront seulement l'objet d'une nouvelle demande. Initialement, aucune période de transition n'était pourtant prévue dans la loi FATCA ni dans les accords bilatéraux signés avec les autres États. Votre rapporteur estime qu'un tel assouplissement, limité dans le temps, est légitime.

EXAMEN DU RAPPORT

Au cours de sa réunion du mercredi 14 octobre 2015, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Éric Doligé, rapporteur, et à l'élaboration du texte de la commission, sur le projet de loi n° 651 (2014-2015) autorisant l'approbation de l'accord multilatéral entre autorités compétentes concernant l'échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers.

M. Éric Doligé , rapporteur . - Notre commission est saisie en premier lieu du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord multilatéral du 29 octobre 2014, signé à Berlin sous l'égide l'OCDE, concernant l'échange automatique de renseignements fiscaux.

Priorité politique majeure portée par les pays de l'OCDE et du G20, le passage à l'échange automatique d'informations fiscales est la clé de voûte de la lutte contre l'évasion fiscale des particuliers. Aujourd'hui, la coopération fiscale entre États repose sur l'échange à la demande, c'est-à-dire au cas par cas. Or l'échange à la demande présente une faiblesse importante : il suppose de savoir a priori ce que l'on recherche, et dépend de la bonne volonté des États partenaires. Pourtant, le passage à l'échange automatique est longtemps resté un voeu pieu, en raison de la difficulté à trouver un consensus international ou européen.

Il a fallu une initiative unilatérale, et à vrai dire quelque peu cavalière, de la part des États-Unis, pour faire évoluer les choses : c'est la loi « FATCA » ( Foreign Account Tax Compliance Act ), adoptée en 2010. Celle-ci fait obligation aux établissements financiers du monde entier de transmettre aux États-Unis toutes les informations dont ils disposent sur les comptes des contribuables américains, sous peine d'une retenue à la source dissuasive de 30 % sur leurs flux financiers. La loi FATCA a finalement fait l'objet d'accords bilatéraux avec les États-Unis pour faciliter son exécution, et centraliser les informations au niveau de chaque administration. Dans le cas de la France, nous devons beaucoup à l'analyse et à la présentation faite par Michèle André, alors rapporteure du projet de loi de ratification. Poussés par l'aiguillon de la loi FATCA, plusieurs pays européens, puis les pays du G20, se sont mobilisés en faveur de l'échange automatique et ont demandé à l'OCDE d'élaborer une « norme commune de déclaration ». C'est cette norme que reprend le présent accord multilatéral, que 94 États se sont engagés à signer à Berlin le 29 octobre 2014 - 61 l'ont fait à ce jour, les autres devraient suivre.

La norme commune de déclaration de l'OCDE est un texte ambitieux, qui couvre un champ très large dans trois dimensions. Premièrement, les informations communiquées comprennent l'identité et le numéro fiscal du contribuable, le numéro du compte, le solde et les revenus financiers qu'il produit. Deuxièmement, les comptes déclarables comprennent les comptes des personnes physiques et des entités. Troisièmement, les institutions financières soumises à l'obligation déclarative sont définies largement.

Ces institutions financières doivent mettre en oeuvre une série de « diligences raisonnables » afin d'identifier les comptes des non-résidents. Les établissements financiers devront commencer à collecter les données au 1 er janvier 2016, et les premiers échanges d'informations entre États auront lieu d'ici au 30 septembre 2017.

Le passage à l'échange automatique d'informations constitue un progrès majeur dans la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. Il a d'ores et déjà produit des effets tangibles : la seule perspective du recul du secret bancaire a conduit de nombreux contribuables disposant d'actifs dissimulés à se manifester auprès du « service de traitement des déclarations rectificatives » (STDR). Ceci devrait permettre à l'État de collecter près de 2,7 milliards d'euros de droits et pénalités en 2015.

L'accord multilatéral de l'OCDE souffre toutefois d'une faiblesse importante par rapport à la loi FATCA : il n'a pas de caractère contraignant. De plus, la généralisation de l'échange automatique comme nouvelle norme mondiale se heurte aux incompatibilités entre le standard OCDE et la loi FATCA. La première différence - et elle est de taille - est la non-réciprocité de FATCA. La seconde différence est le champ d'application de la loi FATCA, qui définit les contribuables américains non seulement en fonction de la résidence, mais aussi en fonction de la nationalité et d'autres critères. Enfin, de nombreux seuils et définitions sont différents. À la demande de notre commission, la direction de la législation fiscale a élaboré un comparatif détaillé des normes FATCA, OCDE et de l'Union européenne.

L'avancée que représente la signature de l'accord multilatéral ouvre la période, tout aussi importante, de sa mise en oeuvre technique. À cette fin, les établissements financiers et la direction générale des finances publiques (DGFiP) ont mis en place une infrastructure informatique, qui se base sur le système élaboré pour l'application de la loi FATCA : nous sommes donc déjà « rôdés » pour l'échange automatique.

L'identification des comptes déclarables requiert toutefois que les banques procèdent à un balayage complet de l'ensemble de leurs comptes, afin de déceler les indices de « non-résidence ». Or il semble que la base juridique prévue à l'article 1649 AC du code général des impôts soit insuffisante pour permettre ce balayage complet. Je me permettrai donc de demander en séance publique au Gouvernement de travailler aux ajustements nécessaires, afin de garantir la pleine sécurité juridique des opérations.

Par ailleurs, il serait souhaitable de prévoir une période transitoire « pédagogique » d'un ou deux ans, afin de permettre aux établissements financiers de perfectionner ce nouveau système. Cela a d'ailleurs été accepté par les États-Unis pour la loi FATCA. À terme, toutefois, on peut s'interroger sur le montant de l'amende de 200 euros par compte prévue par notre droit interne, qui semble bien faible au regard des enjeux financiers qui peuvent s'attacher à chaque compte non déclaré.

En conclusion, l'objectif de cet accord est bien de faire de l'échange automatique le nouveau standard mondial, multilatéral et pleinement réciproque. Sous le bénéfice des deux observations qui précèdent - clarification du droit interne et période pédagogique -, je vous propose donc d'adopter le présent projet de loi de ratification sans modification.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Le système mis en place par cet accord n'est pas une simple évolution mais constitue une véritable révolution. En effet, l'on passe d'un système d'entraide fiscale, où il faut interroger les administrations au cas par cas, à un système d'échange automatique. Il y a quelques années, avant l'entrée en vigueur de la loi FACTA, le bureau de la commission des finances a effectué un déplacement aux États-Unis ; nous étions alors très loin d'un tel système. Je le répète, cet accord constitue une révolution, même si des adaptations sont évidemment nécessaires.

Mes questions portent sur le champ de l'accord, qui est censé s'appliquer aux comptes financiers et aux institutions financières. Pourriez-vous nous préciser si l'ensemble des produits d'assurance-vie rentreront dans son champ ? Celui-ci semble très large et devrait donc, normalement, trouver aussi à s'appliquer aux assurances vie. Par ailleurs, cet accord s'appliquera-t-il aux trusts ?

M. Éric Bocquet . - Cet accord constitue une avancée qu'il faut apprécier à sa juste valeur, bien qu'il ne concerne, pour l'instant, que les comptes financiers des personnes physiques. Je souhaitais, comme le rapporteur général, évoquer la question des trusts. Il me semble en effet qu'il demeure des zones d'ombre.

On ne peut que se féliciter que cet accord mette fin au système d'échange à la demande prévu par les conventions bilatérales, dont nous connaissons tous les limites en termes d'efficacité des renseignements obtenus, lorsqu'ils étaient obtenus...

Je souhaitais également évoquer la question des ports francs, qui émergent ici ou là : à Genève, Singapour, etc. ainsi que celle de la situation des personnes morales qui, je le sais, ne relève pas de ce texte. À cet égard, nous pourrons évoquer en séance les propositions et les limites du plan « BEPS » ( Base Erosion and Profit Shifting ) présenté par l'OCDE.

Enfin, je souhaitais connaître les raisons avancées par certains États pour ne pas s'engager dès maintenant, et de quels États il s'agit.

M. Éric Doligé . - En principe, l'ensemble des assurances vie sont couvertes par le texte. Seuls de très rares produits d'assurance sont exonérés de déclaration, notamment lorsqu'ils sont présents sur un marché exclusivement local ou dans d'autres cas particuliers définis. Il n'y a pas d'exemple en France.

En ce qui concerne les réticences de certains États, je rappelle que les premiers échanges débuteront en deux temps. Pour un premier groupe comportant cinquante-sept pays, ceux-ci débuteront à partir de 2017. Ils seront rejoints à partir de 2018 par un second groupe de trente-sept États, parmi lesquels figurent par exemple l'Andorre, l'Autriche, les Bahamas ou encore la Suisse. Ce décalage doit permettre à ces États de se mettre en conformité avec les règles prévues dans cet accord.

S'agissant des trusts, l'accord prévoit un contrôle à travers les entités passives afin de déterminer et de déclarer les personnes physiques qui en ont le cas échéant le contrôle. Cela constitue une avancée par rapport à la loi FATCA, qui ne permet pas ce type de contrôle.

Mme Michèle André , présidente . - Puisqu'Éric Bocquet a évoqué le projet BEPS, je rappelle que notre commission entendra le directeur du centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE, Pascal Saint-Amans, le 3 novembre prochain.

M. Éric Doligé . - J'ai rencontré la Fédération bancaire française, qui m'a indiqué qu'au-delà des deux observations que j'ai faites, les banques ne devraient pas rencontrer de difficultés pour répondre aux exigences prévues par cet accord dans la mesure où elles s'y sont déjà préparées lors de la mise en place de la loi FATCA. Le coût devrait aussi être plus faible que prévu.

La commission a adopté le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord multilatéral entre autorités compétentes concernant l'échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers.

ANNEXE

COMPARATIF DES NORMES FATCA, OCDE ET DE L'UNION EUROPÉENNE

Source : direction de la législation fiscale (DLF)


* 1 Nauru, Guatemala, Brunei, Iles Marshall, Montserrat, Botswana, Niue, et les Iles vierges britanniques. À noter que Jersey et les Bermudes ont été retirés en 2014 suite à l'amélioration des échanges. La liste des ETNC au titre de l'année 2015 n'est pas disponible. Par ailleurs, le rapport annuel du Gouvernement portant sur le réseau conventionnel de la France en matière d'échange de renseignements, annexé au projet de loi de finances, n'est plus disponible depuis le projet de loi de finances pour 2014.

* 2 Le « Hire incentives to restore employment act » , ou « Hire Act », comprend un ensemble de dispositifs législatifs destinés à favoriser la création d'emplois aux États-Unis.

* 3 Lors de son audition par la commission des finances du Sénat du 24 janvier 2012 sur l'exécution du budget de 2011 et les perspectives pour 2012, Valérie Pécresse, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État, sur l'exécution du budget de 2011 et les perspectives pour 2012, le 24 janvier 2012, avait qualifié la loi FATCA de « décision unilatérale d'un pays puissant, qui montre ainsi l'idée qu'il a de son importance ».

* 4 Source : United States Treasury : http://www.treasury.gov/resource-center/tax-policy/
treaties/Pages/FATCA-Archive.aspx .

* 5 Cf. rapport n° 751 (2013-2014) de Michèle André sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord du 14 novembre 2013 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des États-Unis d'Amérique en vue d'améliorer le respect des obligations fiscales à l'échelle internationale et de mettre en oeuvre la loi relative au respect des obligations fiscales concernant les comptes étrangers (dite « loi FATCA »), déposé le 17 juillet 2014.

* 6 Cf. audition de Bruno Parent, directeur général des finances publiques, devant la commission des finances du Sénat le 25 mars 2015 : « Les premiers échanges d'informations sont prévus pour 2017. Nous avons donc lancé les travaux visant à collecter les informations auprès du système bancaire français, et à les échanger avec nos partenaires. Nous travaillons dans le cadre de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et de l'Union européenne pour faire sorte que ces échanges soient fluides - et le moins coûteux possible, d'où la nécessité d'un dispositif commun et non pas spécifique aux relations bilatérales avec tel ou tel pays. Nous ne partons pas de rien : l'administration fiscale française a une vieille tradition de collecte d'informations auprès des banques, qui sont par la loi tenue de fournir un certain nombre de données - ce dont le contribuable profite également puisque ces données sont pré-imprimées sur les déclarations de revenu. Ce qui est nouveau, c'est donc moins la collecte auprès des banques que l'internationalisation, la réception des données envoyées par les autres pays, et le bon usage qui en sera fait. En bref : nous ne sommes pas prêts aujourd'hui, mais nous le serons demain dans les temps ».

* 7 Les chefs d'État et de Gouvernement s'y sont notamment engagés en faveur d'une mise en place de l'échange automatique d'informations « d'ici la fin 2015 », date qui paraît rétrospectivement ambitieuse mais qui témoigne d'une volonté politique forte.

* 8 Ce sommet sera aussi l'occasion de soutenir l'autre avancée phare de l'OCDE en matière de lutte contre l'évasion fiscale internationale, c'est-à-dire le projet « BEPS » (Base Erosion and Profit Shifting ), dont les quinze mesures visant à combler les failles de l'assiette de l'impôt sur les sociétés dont profitent les multinationales ont été présentées le 5 octobre 2015.

* 9 Cf. notamment l'audition conjointe du 12 février 2014 de Mathilde Dupré, chargée du Plaidoyer de CCFD-Terre Solidaire, d'Édouard Marcus, sous-directeur de la prospective et des relations internationales de la direction de la législation fiscale, de Patrick Suet, président du comité fiscal de la Fédération bancaire française (FBF), secrétaire général de la Société générale, et de Jean-Marc Vasseux, directeur risques, contrôle et conformité d'AXA Banque, sur les implications pour la France de la législation américaine « FATCA » et  perspectives de développement de l'échange automatique d'informations en matière fiscale, ainsi que l'audition de Bruno Parent, directeur général des finances publiques, le 25 mars 2015.

* 10 Notamment la convention du Conseil de l'Europe du 28 janvier 1981 pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personne, ainsi que la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données. Par ailleurs, les règles de la convention multilatérale de l'OCDE du 25 janvier 1988 concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale, dont l'article 6 sert de base juridique au présent accord multilatéral (cf. infra ), s'appliquent de plein droit, notamment son article 21 (respect des droits accordés aux personnes) et son article 22 (confidentialité des informations échangées).

* 11 Le « Safe Harbor » (« sphère de sécurité ») désigne la décision 2000/250/CE de la Commission européenne de du 26 juillet 2000, qui prévoit une présomption de protection adéquate des données personnelles des internautes européens transférées vers les États-Unis. Celle-ci a été mise à mal par les révélations d'Edward Snowden sur les programmes de surveillance de la National Security Agency (NSA). Il existe toutefois d'autres normes de transfert de données.

* 12 Article 7 de la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires.

* 13 Article 22 de la loi n° 2014-891 du 8 août 2014 de finances rectificative pour 2014.

* 14 Article 22 de la loi n° 2014-891 du 8 août 2014 de finances rectificative pour 2014.

* 15 Il convient toutefois de ne pas surestimer les conséquences de l'absence de réciprocité complète. D'une part, les comptes seront bien identifiés par l'IRS, et rien n'empêchera l'administration française d'obtenir, dans un second temps, communication du solde des comptes dans le cadre habituel de l'échange à la demande. D'autre part, la réciprocité est soumise à la « clause de la nation la plus favorisée » prévue à l'article 7 de l'accord : si les États-Unis venaient à accorder la réciprocité à un autre pays, la France serait en droit d'en réclamer le bénéfice pour elle-même.

* 16 C'est par exemple le cas d'Axa Banque, qui ne comptait qu'environ 150 clients « américains ». Source : audition conjointe organisée par la commission des finances le 12 février 2014 sur les implications pour la France de la législation américaine « FATCA » et  perspectives de développement de l'échange automatique d'informations en matière fiscale.

* 17 Source : audition conjointe précitée du 12 février 2014 sur les implications pour la France de la législation américaine « FATCA » et  perspectives de développement de l'échange automatique d'informations en matière fiscale.

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