II. LES DÉPENSES DE L'ÉTAT : UN BUDGET INCOMPLET AU REGARD DES ANNONCES GOUVERNEMENTALES ET QUI NE RESPECTE PAS LA PROGRAMMATION TRIENNALE

En 2016, les dépenses du budget général de l'État (hors remboursements et dégrèvements) devraient s'élever à 306,2 milliards d'euros en 2016 , soit une hausse de 10,6 milliards d'euros par rapport à la prévision révisée pour 2015 (9,1 milliards d'euros par rapport à la loi de finances de finances initiale).

Tableau n° 62 : Évolution des dépenses du budget général de l'État (à périmètre courant)

(en milliards d'euros)

LFI 2015

PLF 2016

Écart PLF 2016/LFI 2015

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Dépenses du budget général

411,14

395,57

413,63

406,33

2,49

0,61 %

10,76

2,72 %

Dépenses du budget général hors remboursements et dégrèvements

311,66

296,10

313,46

306,16

1,80

0,58 %

9,14

3,09 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Cette hausse s'expliquerait principalement, selon le Gouvernement, par le montant élevé des mesures de périmètre et de transfert (9,3 milliards d'euros) liées à la reprise sur le budget général des aides au logement , des moyens précédemment dévolus à la prime pour l'emploi fusionnée avec le RSA-activité et à la re- budgétisation des crédits du ministère de la défense en lien avec la suppression du compte d'affectation spéciale retraçant les cessions de fréquences hertziennes.

Hors ces effets, les dépenses totales de l'État baisseraient de 2,1 milliards d'euros. Les développements qui suivent s'attachent à analyser les dépenses de l'État sous trois principaux angles : l'évolution d'un exercice à l'autre, posant notamment la question du quantum prévu d'économies tendancielles, la comparaison de la budgétisation avec les normes pluriannuelles régissant l'évolution des dépenses de l'État et enfin la répartition des crédits par destination (fonctionnement, investissement...).

A. DES ÉCONOMIES TENDANCIELLES DE 5,1 MILLIARDS D'EUROS PEU DOCUMENTÉES ET DE NOMBREUSES ANNONCES NON FINANCÉES

1. La révision à la baisse de l'évolution tendancielle des dépenses en lien avec la faiblesse de l'inflation

L'évolution tendancielle des dépenses de l'État en 2016 est revue à la baisse par rapport à la prévision retenue dans la loi de programmation des finances publiques, en raison de l'ajustement des hypothèses d'inflation : initialement prévue à 1,35 % par an, la croissance des prix est désormais estimée à 0,8 % par an en moyenne sur la durée de la programmation.

Hors charge de la dette, pensions et transferts aux collectivités locales et à l'Union européenne, l'évolution tendancielle est ainsi estimée à 5,0 milliards d'euros par an , contre une évaluation à 5,4 milliards d'euros par an dans la loi de programmation des finances publiques. C'est la composante relative à la masse salariale qui explique cette baisse : son évolution tendancielle est ramenée de 1,9 milliard d'euros à 1,5 milliard d'euros par an. Les autres termes restent identiques : évolution à hauteur de 0,5 milliard d'euros de fonctionnement et en investissement, 0,8 milliard d'euros de contributions aux agences et 1,7 milliard d'euros de dépenses d'intervention.

2. Des économies peu documentées et qui suffisent à peine à contenir l'augmentation des dépenses de l'État

Pour 2016, les économies annoncées sur le champ de l'État et de ses opérateurs par rapport à cette hausse tendancielle s'élèveraient à 5,1 milliards d'euros portant principalement sur les opérateurs (1 milliard d'euros) et les dépenses d'intervention (2,7 milliards d'euros).

Graphique n° 63 : Décomposition des économies de l'État prévues en 2016

par rapport à l'évolution tendancielle des dépenses

(en milliards d'euros et en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Beaucoup de ces économies ne sont pas documentées : ainsi, sur le total de 2,7 milliards d'euros d'économies sur les dépenses d'intervention annoncé par le Gouvernement, seuls 375 millions sont précisés par référence à des mesures précises (185 millions d'euros du fait de la réforme des aides personnelles au logement et 190 millions d'euros en lien avec l'uniformisation des règles d'indexation des prestations sociales).

En outre, les économies annoncées dans le projet de loi de finances pour 2016 - à supposer qu'elles soient tenues - compenseraient à peine l'évolution tendancielle des dépenses . En effet, si les dépenses totales de l'État devraient baisser de 2,1 milliards d'euros, cette diminution inclut celle de la charge de la dette, du CAS « Pensions » et des prélèvements sur recettes, qui ne correspondent pas à un réel effort de l'État.

En réalité, les crédits des ministères continuent d'augmenter entre 2015 et 2016 et devraient connaître une hausse, à périmètre constant, de 200 millions d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2015. Celle-ci est compensée par la diminution du plafonnement des taxes affectées (- 1,2 milliard d'euros).

3. Les revues de dépenses, un nouveau dispositif qui souligne l'échec de la MAP et qui peine à porter pleinement ses fruits

L'article 22 du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 a instauré des « revues de dépenses » annuelles , qui portent sur l'ensemble des moyens et des dépenses, y compris les niches fiscales et sociales , de toutes les administrations publiques , et visent à identifier des sources d'économies. Les revues menées et leurs conclusions doivent faire l'objet d'une communication au Parlement .

Votre rapporteur général se félicite que soit mis en place un dispositif visant à identifier et réaliser des économies réelles et durables , par des réformes structurelles et non seulement des « rabots » au cas par cas. Il ne peut cependant éviter de remarquer qu'il aura fallu deux ans pour que le Gouvernement découvre, enfin, la nécessité d'identifier en amont des pistes crédibles d'économies structurelles et de les documenter.

Il semble ainsi que la création des « revues de dépenses » soit rendue nécessaire par l'échec des précédentes initiatives du Gouvernement pour réformer la dépense publique, et notamment de la procédure de « modernisation de l'action publique ».

L'échec de la modernisation de l'action publique (MAP)

Tout d'abord, l'association du Parlement, présentée au départ comme une innovation majeure par rapport à la révision générale des politiques publiques (RGPP), n'a pas été respectée . La simple information du législateur a fait défaut : si l'article 92 de la loi de finances pour 2013 159 ( * ) prévoyait plusieurs modalités d'information des chambres parlementaires au sujet de la MAP, en pratique les informations transmises ont été très rares et irrégulières. La MAP est largement, pour le Parlement, une « boîte noire ».

De plus, la MAP n'a pas permis d'identifier des mesures d'économies crédibles et durables. Comme le souligne la Cour des comptes dans son rapport de juin 2014 sur la situation et les perspectives des finances publiques, « les économies identifiées à ce jour dans le cadre de la modernisation de l'action publique (MAP) ne sont pas à la hauteur de l'enjeu ». La révision générale des politiques publiques (RGPP) avait été rejetée par l'actuelle majorité gouvernementale au motif que la réforme de l'État ne pouvait avoir pour principale ambition de réduire ses dépenses, mais il est possible de s'interroger sur l'intérêt d'une « modernisation de l'action publique » déconnectée des enjeux réels des finances publiques. Certes, la RGPP présentait quelques faiblesses : elle était sans doute trop exclusivement ciblée sur le fonctionnement de l'État et ses travaux faisaient l'objet d'une publicité limitée, qui n'a pas favorisé l'essor du débat public sur les pistes d'économies identifiées. Mais la RGPP a permis de réaliser 12 milliards d'euros d'économies 160 ( * ) , là où le dernier CIMAP 161 ( * ) n'évoque que 3 milliards d'euros d'économies liées aux évaluations de politiques publiques (EPP) déjà menées. Quant aux programmes ministériels de modernisation et de simplification (PMMS), d'après les informations transmises par le Gouvernement à votre rapporteur général, « aucun chiffrage des coûts et bénéfices de ces réformes n'est disponible ». Enfin, la MAP a été construire sur un calendrier inadapté, au point qu'un dispositif entièrement nouveau est apparu nécessaire pour assurer le chaînage des recommandations à la construction budgétaire.

Source : Sénat, rapport n° 108 (2014-2015) fait au nom de la commission des finances du Sénat par Albéric de Montgolfier sur le projet de loi de finances pour 2015.

On ne peut donc manquer de s'interroger au sujet de la mise en oeuvre effective et des résultats de ces « revues de dépenses » : après la communication des premiers rapports, il apparaît que les pistes d'économies concrètes restent limitées .

4. De nombreuses annonces non financées dans le projet de budget présenté au Parlement

La budgétisation initiale pour 2016 est d'ores et déjà rendue obsolète par de nombreuses annonces intervenues dans des délais ne permettant pas d'ajuster le projet de loi en vue de l'examen parlementaire du projet de loi de finances. Ainsi, des mesures nouvelles voire une réorientation des priorités ont été mises en avant sur plusieurs missions 162 ( * ) sans que la traduction budgétaire effective n'ait encore été déterminée. Outre la question de la réalité de l'autorisation parlementaire, qui se fait sur des plafonds de crédits dont les élus savent qu'ils ne seront probablement pas respectés, ce procédé nuit à la lisibilité du budget pour les gestionnaires et laisse craindre des impasses en cours d'année .

Le Premier ministre a par exemple annoncé à l'Assemblée nationale, le 16 septembre dernier, la création de 900 postes de policiers et de gendarmes supplémentaires pour faire face à la crise migratoire, principalement au profit de la police de l'air et des frontières (PAF). Ces effectifs supplémentaires pourraient coûter 40 millions d'euros en année pleine .

La méthode semble témoigner de l'absence de vision globale et stratégique du budget de l'État : aux arbitrages généraux sont préférées des mesures ponctuelles dont la lisibilité est faible et dont l'accumulation n'est pas sans risques pour la maîtrise du budget de l'État.


* 159 Loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013.

* 160 Inspection générale des finances (IGF), « Bilan de la RGPP et conditions de réussite d'une nouvelle politique de réforme de l'État » n° 2012-M-058-01, p. 3.

* 161 Relevé de décisions du CIMAP du 18 décembre 2013.

* 162 En particulier les missions « Aide publique au développement », « Immigration, asile et intégration », « Égalité des territoires et logement », « Sécurités », et « Politique des territoires ».

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page