II. UNE TRAJECTOIRE BUDGÉTAIRE SUR LE « FIL DU RASOIR »

Alors que le projet de loi de finances pour 2016 porte le dernier budget de l'actuelle majorité gouvernementale qui pourra être complètement exécuté avant les élections de 2017, le temps est maintenant venu de dresser un premier bilan du quinquennat en cours . Force est de constater que celui-ci est décevant. En effet, aucun des objectifs budgétaires arrêtés au début de la présente législature n'a été respecté ; même, deux reports du délai de correction du déficit excessif fixé par les autorités de l'Union européenne ont dû être demandés par le Gouvernement. Ainsi, le déficit public ne devrait repasser, selon les prévisions gouvernementales, en deçà du seuil des 3 % du PIB qu'en 2017 .

Dorénavant, le véritable étalon des finances publiques semble résider dans la réalisation de 50 milliards d'euros d'économies au cours de la période 2015-2017 - un quantum d'économies qui demeure inchangé en dépit des annonces de dépenses supplémentaires et des nouvelles réductions de prélèvements obligatoires. Aussi la trajectoire budgétaire paraît-elle particulièrement fragile, le respect des engagements pris par la France auprès de ses partenaires européens reposant essentiellement sur la perspective d'un retour de la croissance économique , depuis que le solde structurel est devenu un élément secondaire, après avoir été présenté comme la nouvelle « norme » des finances publiques par l'actuel gouvernement lorsque que le contexte conjoncturel était moins favorable. Dans ces conditions, l'équilibre structurel serait atteint à l'horizon 2019, alors qu'il était initialement annoncé pour 2016 .

Quoi qu'il en soit, les difficultés rencontrées par le Gouvernement à engager des réformes permettant de ralentir durablement la progression de la dépense publique ont contraint ce dernier à faire reposer le redressement des comptes publics essentiellement sur une hausse des recettes fiscales, comme le montre la progression du taux de prélèvements obligatoires , qui a atteint 44,9 % du PIB en 2014 contre 42,6 % du PIB en 2011. À cet égard, il faut relever que l'effort a été concentré davantage encore sur les ménages après qu'a été prise la décision d'alléger les prélèvements sur les entreprises , à travers le déploiement du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et du Pacte de responsabilité. Dès lors, en cette fin de quinquennat, les ménages ont désormais à porter une part plus grande de la charge fiscale qu'il y a quatre ans, ce qui invite à relativiser les mesures engagées tendant à réduire, à la marge, l'imposition des revenus de ces derniers .

Au total, le projet de budget pour 2016 paraît être d'une ambition limitée . Comme l'a reconnu le ministre des finances, Michel Sapin, lors de son audition par votre commission des finances, « la surprise de ce budget, c'est qu'il n'y a pas de surprises. Ce budget met en oeuvre des orientations déjà fixées, respecte des engagements déjà pris » 99 ( * ) . Pourtant, eu égard aux enjeux, ce projet aurait pu afficher des visées plus élevées : la trajectoire de consolidation des finances publiques demeure fragile, le ralentissement de la dépense publique n'est pas assuré et le niveau des prélèvements obligatoires est plus élevé que jamais .

Tableau n° 10 : Principales données de la trajectoire pluriannuelle
des finances publiques

(en % du PIB)

2014

2015

2016

2017

2018

2019

Solde effectif

- 3,9

- 3,8

- 3,3

- 2,7

- 1,9

- 1,3

Solde structurel

- 2,0

- 1,7

- 1,2

- 0,7

- 0,2

0,0

Ajustement structurel

0,6

0,4

0,5

0,5

0,5

0,3

Ratio de dépense publique*

56,4

55,8

55,1

54,5

Ration de prélèvements obligatoires*

44,9

44,6

44,5

44,3

Dette publique

95,6

96,3

96,5

96,5

95,2

93,2

Source : commission des finances du Sénat (à partir du rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2016)

A. LE BUDGET 2016 ET LES ENGAGEMENTS EUROPÉENS DE LA FRANCE

Si le Gouvernement s'attache à mettre en évidence une amélioration continue du solde public - à défaut de pouvoir le faire pour ce qui est de la dette des administrations -, il convient, malgré tout, de relever le fait que celui-ci a reporté, à intervalles réguliers, l'atteinte de ses principaux objectifs budgétaires . Ainsi, au lendemain des élections présidentielles et législatives de 2012, dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017, l'exécutif annonçait un retour du déficit effectif en deçà de 3 % du PIB dès 2013, un engagement de la décrue de la part de la dette publique dans la richesse nationale la même année, ainsi que l'équilibre structurel des comptes publics à compter de 2016. Cependant, incapable de respecter ses engagements, certes desservi par une conjoncture moins favorable qu'anticipé, le Gouvernement a dû demander aux autorités de l'Union européenne un premier report du délai de correction du déficit excessif en 2013, puis un second en 2015 .

Tableau n° 11 : Les trajectoires successives des finances publiques

(en % du PIB)

2014

2015

2016

2017

2018

2019

Solde public

LPFP 2012-2017

- 2,2

- 1,3

- 0,6

- 0,3

LPFP 2014-2019

- 4,4

- 4,1

- 3,6

- 2,7

- 1,7

- 0,7

PStab. 2015-2018

- 4,0

- 3,8

- 3,3

- 2,7

- 1,9

PLF 2016

- 3,9

- 3,8

- 3,3

- 2,7

- 1,9

- 1,3

Solde structurel

LPFP 2012-2017

- 1,0

- 0,8

- 0,5

- 0,3

LPFP 2014-2019

- 2,4

- 2,1

- 1,8

- 1,3

- 0,8

- 0,2

PStab. 2015-2018

- 2,0

- 1,6

- 1,1

- 0,6

- 0,1

PLF 2016

- 2,0

- 1,7

- 1,2

- 0,7

- 0,2

0,0

Dette publique

LPFP 2012-2017

90,5

88,5

85,8

82,6

LPFP 2014-2019

95,2

97,1

97,7

97,0

95,1

92,4

PStab. 2015-2018

95,0

96,3

97,0

96,9

95,5

PLF 2016

95,6

96,3

96,5

96,5

95,2

93,2

Source : commission des finances du Sénat (à partir des documents cités)

Dorénavant, selon la nouvelle trajectoire gouvernementale, le déficit ne reviendrait en deçà de 3 % du PIB qu'en 2017, alors que l'atteinte de l'équilibre structurel est repoussée à 2019 . Il faut dire qu' après avoir présenté le solde structurel comme le principal levier de pilotage des finances publiques, le Gouvernement a fait passer celui-ci au second plan dès lors que se dessinait un éclaircissement de l'horizon conjoncturel, lui permettant d'espérer une amélioration du déficit effectif portée par la croissance économique. Ceci ne l'a, toutefois, pas empêché de modifier les modalités de calcul du solde structurel dans un sens qui lui était plus favorable.

En tout état de cause, cette focalisation sur le solde public effectif expose la trajectoire des finances publiques définie par le Gouvernement à des risques de « dérapage » en cas de mauvaise fortune , en particulier si la reprise économique venait à être moins prononcée qu'anticipé.

1. Les nouveaux objectifs budgétaires de la France

Ainsi que cela a été indiqué, le Gouvernement a dû demander aux autorités européennes un second report du délai de correction du déficit excessif en 2015 . Aussi ce dernier a-t-il été repoussé de 2015 à 2017 par une recommandation du Conseil de l'Union européenne du 10 mars dernier.

Conformément au droit de l'Union européenne, un report du délai de correction du déficit excessif peut être accordé, d'une part, si l'État membre concerné a engagé une action suivie d'effets afin de corriger son déficit excessif et, d'autre part, si des évènements négatifs et inattendus ayant des conséquences défavorables majeures pour les finances publiques se produisent après l'adoption de la première recommandation. À ce titre, s'agissant de la France, il a tout d'abord été considéré que « les éléments de preuve disponibles ne permett[aient] pas de conclure à l'absence d'action suivie d'effets ». Ensuite, si les prévisions macroéconomiques pour 2013 publiées par la Commission européenne en mai 2013 se sont révélées inférieures au réalisé, tel n'est pas le cas pour ce qui est de l'exercice 2014. En effet, la Commission prévoyait une croissance de 1,1 % et une inflation de 1,7 % en 2014 ; cependant, les données publiées en février 2015 ont fait apparaître, pour 2014, une progression du PIB de 0,4 % et une inflation de 0,6 %.

Tableau n° 12 : Comparaison entre les prévisions macroéconomiques de la Commission européenne et le réalisé

(évolution en %)

Prévisions de mai 2013 (1)

Prévisions de février 2015 (2)

2013

2014

2013

2014

PIB

- 0,1

1,1

0,3

0,4

Prix à la consommation

1,2

1,7

1,0

0,6

(1) Commission européenne, « European Economic Forecast. Spring 2013 », European Economy 2/2013 , mai 2013.

(2) Commission européenne, « European Economic Forecast. Winter 2015 », European Economy 1/2015 , fév. 2015.

Source : commission des finances du Sénat (à partir des documents cités)

Si les deux conditions prévues par le droit de l'Union européenne pour l'octroi d'un report du délai de correction du déficit excessif paraissaient globalement respectées, il semble que la France a, avant tout, bénéficié des principes figurant dans la communication de la Commission du 13 janvier 2015 , intitulée « Utiliser au mieux la flexibilité offerte par les règles existantes du pacte de stabilité et de croissance » 100 ( * ) ; la recommandation du Conseil du 10 mars relève, à ce titre, que « les informations fournies et les engagements pris par les autorités françaises en ce qui concerne les réformes structurelles vont dans la bonne direction pour être considérés comme un facteur pertinent permettant à la France de bénéficier d'une prolongation de plus d'un an du délai pour la correction du déficit excessif ».

La recommandation du Conseil de l'Union européenne du 10 mars 2015 a accompagné le report du délai de correction d'objectifs de déficit effectif et d'amélioration du solde structurel pour les années 2015 à 2017 . Ainsi, selon la recommandation, le déficit effectif devrait être de 4 % en 2015, de 3,4 % en 2016 et de 2,8 % en 2017. L'amélioration annuelle sous-jacente du solde structurel serait, quant à elle, de 0,5 % du PIB en 2015, de 0,8 % du PIB en 2016 et de 0,9 % du PIB en 2017.

Tableau n° 13 : La recommandation du Conseil de l'Union européenne
du 10 mars 2015

(en % du PIB)

2015

2016

2017

Objectifs de solde public effectif

4,0

3,4

2,8

Objectifs d'amélioration du solde structurel

0,5

0,8

0,9

Source : commission des finances du Sénat (d'après la recommandation du Conseil de l'Union européenne du 10 mars 2015 visant à ce qu'il soit mis fin à la situation de déficit public excessif en France)

2. Le retour en grâce du solde public effectif

Fort de résultats au titre de l'exercice 2014 plus favorables qu'initialement prévu, le déficit public s'élevant à 3,9 % du PIB et non à 4,4 % comme l'anticipait la loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2018, le Gouvernement a retenu une cible de déficit effectif légèrement inférieure à l'objectif arrêté par le Conseil de l'Union européenne, de 2,7 % du PIB au lieu de 2,8 % du PIB en 2017 .

Deux remarques doivent cependant être formulées à cet égard. Tout d'abord, la trajectoire de solde effectif n'a pas été modifiée depuis la présentation du programme de stabilité pour les années 2015-2018 en avril dernier, en dépit d'une révision du déficit public pour 2014 de 4 % du PIB à 3,9 % du PIB , selon les données les plus récentes de l'Insee.

Ensuite, dans ces conditions, le solde effectif n'afficherait qu'une amélioration modeste au cours de l'exercice 2015, de 0,1 point, pour s'établir à - 3,8 % du PIB cette année . Aussi un tel résultat vient-il interroger quant à la capacité du Gouvernement à gravir les deux marches nécessaires à l'atteinte de l'objectif de déficit effectif de 2,7 % du PIB en 2017, soit à procéder à une amélioration du solde public de 0,5 point de PIB en 2016, puis de 0,6 point en 2017 .

En tout état de cause, espérant bénéficier d'un rebond de la croissance économique, qui permettrait une amélioration « mécanique » du solde public, le Gouvernement a fait du retour du déficit effectif en deçà de 3 % du PIB le principal objectif de sa trajectoire budgétaire , délaissant peu à peu la notion de solde structurel à laquelle il était auparavant accordé une importance centrale.

Tableau n° 14 : La trajectoire de solde public effectif

(en % du PIB)

2014

2015

2016

2017

2018

2019

Solde public

LPFP 2012-2017

- 2,2

- 1,3

- 0,6

- 0,3

LPFP 2014-2019

- 4,4

- 4,1

- 3,6

- 2,7

- 1,7

- 0,7

PStab. 2015-2018

- 4,0

- 3,8

- 3,3

- 2,7

- 1,9

PLF 2016

- 3,9

- 3,8

- 3,3

- 2,7

- 1,9

- 1,3

Source : commission des finances du Sénat (à partir des documents cités)

3. Un respect artificiel des cibles de solde structurel
a) Une révision opportune des hypothèses de calcul du solde structurel...

Le projet de loi de finances pour 2016 prévoit un recul du déficit structurel de 2 % du PIB en 2014 à 0,2 % du PIB à 2018 , correspondant à un ajustement structurel de 0,4 point de PIB en 2015 et de 0,5 point de PIB par an entre 2016 et 2018. Cet ajustement serait supérieur à celui figurant dans la dernière loi de programmation des finances publiques, qui prévoyait un ajustement structurel de 1,6 point de PIB sur la période 2015-2018. Il en résulterait, comme le fait apparaître l'article liminaire du présent projet de loi, que le solde structurel s'élèverait à - 1,2 % du PIB en 2016, contre une prévision de - 1,8 % du PIB dans la loi de programmation .

Tableau n° 15 : La trajectoire de solde public structurel

(en % du PIB)

2014

2015

2016

2017

2018

2019

Solde structurel

LPFP 2012-2017

- 1,0

- 0,8

- 0,5

- 0,3

LPFP 2014-2019

- 2,4

- 2,1

- 1,8

- 1,3

- 0,8

- 0,2

PStab. 2015-2018

- 2,0

- 1,6

- 1,1

- 0,6

- 0,1

PLF 2016

- 2,0

- 1,7

- 1,2

- 0,7

- 0,2

0,0

Source : commission des finances du Sénat (à partir des documents cités)

Ces dernières données pourraient laisser penser que la consolidation des finances publiques actuellement affichée par le Gouvernement serait supérieure à ce que prévoyait la loi de programmation. Cependant, les éléments relatifs au solde structurel et à l'ajustement structurel sont difficilement comparables dans la mesure où le Gouvernement a fait le choix, dans le cadre du programme de stabilité 2015-2018, de modifier les hypothèses de produit intérieur brut (PIB) potentiel et de croissance potentielle 101 ( * ) (cf. infra ). Or, le PIB potentiel constitue une variable essentielle dans le calcul du solde structurel et de l'ajustement structurel - comme s'était attaché à le mettre en évidence votre rapporteur général dans son rapport sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 102 ( * ) .

Graphique n° 16 : Comparaison des trajectoires de solde et d'ajustement structurels de la LPFP 2014-2019 et du projet de loi de finances pour 2016

(en points de PIB)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des documents cités)

Une telle modification des hypothèses de PIB potentiel a été critiquée par le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) qui y a vu un « problème de principe » 103 ( * ) . En effet, il convient de rappeler qu'en application de l'article 23 de la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques 104 ( * ) , le Haut Conseil examine, dans le cadre du mécanisme de correction, le respect des objectifs de solde structurel « en retenant la trajectoire de produit intérieur brut potentiel figurant dans le rapport annexé » à la loi de programmation.

Cette disposition, adoptée par le Sénat à l'initiative de notre collègue Jean-Pierre Caffet, visait à ce que les hypothèses de PIB potentiel soient communes au Gouvernement, au Haut Conseil, mais également au Parlement, qui ratifie la trajectoire, et ce tout au long de la période de programmation. Par conséquent, en modifiant les hypothèses de croissance potentielle, le Gouvernement « gêne » considérablement le contrôle qui peut être exercé sur le respect de la trajectoire des finances publiques . Par ailleurs, cela signifie que plusieurs trajectoires de solde structurel ont vocation à coexister : celle de la loi de programmation et celle du dernier programme de stabilité - qui se retrouve dans ce projet de loi de finances.

Dans le programme de stabilité 2015-2018, le Gouvernement justifiait la révision de ses hypothèses de croissance potentielle par les effets du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et du Pacte de responsabilité et de solidarité 105 ( * ) . Toutefois, ces différentes mesures étaient déjà connues lors de l'élaboration et du vote de la dernière loi de programmation. Aussi votre rapporteur général a-t-il demandé au ministre des finances et des comptes publics, Michel Sapin, que lui soient transmis les documents produits par ses services concernant l'évaluation de la croissance potentielle française .

Tableau n° 17 : Comparaison des trajectoires de croissance potentielle retenues dans la LPFP 2014-2019 et le projet de loi de finances pour 2016

(évolution en %)

2014

2015

2016

2017

2018

2019

Loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019

Croissance potentielle

1,0

1,1

1,1

1,3

1,2

1,1

Écart de production (en % du PIB potentiel)

- 3,3

- 3,4

- 3,1

- 2,5

- 1,7

- 0,9

Projet de loi de finances pour 2016 (programme de stabilité 2015-2018*)

Croissance potentielle

1,0

1,1

1,5

1,5

1,4

1,3

Écart de production (en % du PIB potentiel)

- 3,3

- 3,4

- 3,4

- 3,4

- 3,1

- 2,6

* Si les hypothèses de croissance potentielle retenues dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016 sont identiques à celles du programme de stabilité 2015-2018, les prévisions d'écart de production sont différentes en raison de la révision ultérieure des données conjoncturelles.

Source : commission des finances du Sénat (à partir des documents cités)

Dans le courrier accompagnant sa réponse à cette demande, en date du 24 juin 2015, Michel Sapin indiquait : « À l'automne, j'ai fait le choix d'aligner l'hypothèse de croissance potentielle de la nouvelle LPFP sur la prévision réalisée par la Commission européenne au printemps 2014 . Mon objectif était de nous prémunir de débats techniques sur l'évaluation de notre ajustement structurel afin de concentrer les discussions avec nos partenaires sur l'orientation de la politique économique et budgétaire, dans la perspective de l'obtention d'une recommandation » ; puis il ajoutait que « bien qu'elle s'impose dans nos discussions avec nos partenaires, la méthode communément agrégée de la Commission présente des limites importantes, soulignées par de nombreux États membres ».

Comme le rappelle l'une des notes transmises par le ministre, provenant de la direction générale du Trésor, quatre « limites » à la méthode d'estimation de la croissance potentielle de la Commission européenne sont généralement identifiées , toutes liées au fait qu'elle repose sur une approche exclusivement statistique :

- les estimations de croissance potentielle sont trop pro-cycliques , un ralentissement conjoncturel de l'activité se traduisant par une révision à la baisse de la croissance potentielle, ce qui peut avoir pour effet de demander aux États membres en phase basse du cycle d'accroître leurs efforts budgétaires afin de respecter leurs objectifs de solde structurel ;

- les estimations ne prennent pas en compte explicitement, ou le font avec retard, l'impact des réformes structurelles mises en oeuvre - cet impact n'étant visible que tardivement dans les statistiques, comme c'est, par exemple, le cas pour le CICE et le Pacte de responsabilité ;

- la méthode n'est pas adaptée à la prise en compte, au moment de la crise, d'un choc de productivité suivi d'une nouvelle croissance de la productivité , comme cela pourrait être le cas s'agissant de la France ;

- l'estimation de l'écart de production est particulièrement instable , dans la mesure où le PIB potentiel fait lui-même l'objet de révisions régulières ; or, l'écart de production constitue une donnée essentielle pour estimer le solde structurel (cf. supra ).

Eu égard à ces limites, Michel Sapin a indiqué, dans le courrier précité, « avoir demandé que la France porte l'ambition d'une révision de cette méthodologie commune d'évaluation de la croissance potentielle, en particulier pour mieux prendre en compte les effets des réformes ».

Si la méthodologie utilisée par la Commission européenne pour évaluer la croissance potentielle comporte sans doute des imperfections, ceci ne justifie en rien la modification de la trajectoire de PIB potentiel intervenue dans le cadre du programme de stabilité 2015-2018 , celle-ci étant clairement en contradiction avec la lettre et l'esprit de la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques. À supposer que la méthode de la Commission soit lacunaire, le Gouvernement aurait dû soit retenir des hypothèses de croissance potentielle différentes de celles proposées par cette dernière dans le cadre de la LPFP, soit ne modifier ces hypothèses qu'à l'issue de la période de programmation - l'important se trouvant dans la stabilité des méthodes afin d'assurer la cohérence et la lisibilité de la trajectoire de solde structurel proposée. En effet, en procédant ainsi, le Gouvernement aurait, notamment, pu éviter de s'exposer à l'une des critiques qu'il formule lui-même à l'encontre de la méthode de la Commission, à savoir l'instabilité de l'estimation de l'écart de production.

Par ailleurs, il convient de relever que les hypothèses gouvernementales s'inscrivent indiscutablement dans le haut de la « fourchette » des estimations retenues par les économistes , comme le montre le consensus de la croissance potentielle de la commission des finances d'octobre 2014 106 ( * ) .

Tableau n° 18 : Consensus de la croissance potentielle
de la commission des finances du Sénat

Prévisionnistes

2015

2016

2017

2018

2019

Moyenne

2015-2019

Axa AM

0,8 %

1,0 %

1,25 %

1,5 %

1,5 %

1,2 %

COE-Rexecode

1,2 %

1,2 %

Euler Hermes

1,5 %

1,5 %

Exane

1,1 %

1,1 %

1,1 %

1,1 %

1,1 %

1,1 %

Groupama AM

1,2 %

1,2 %

1,2 %

1,2 %

1,2 %

1,2 %

Natixis

0,8 %

0,9 %

0,9 %

0,9 %

0,9 %

0,9 %

Oddo Securities

1,0 %

1,0 %

Oxford Economics

0,9 %

1,1 %

1,2 %

1,2 %

1,3 %

1,1 %

PAIR Conseil

0,9 % (1)

1,0 % (1)

1,1 % (1)

1,2 % (1)

1,3 % (1)

1,1 % (1)

1,2 % (2)

1,3 % (2)

1,5 % (2)

1,6 % (2)

1,7 % (2)

1,5 % (2)

MOYENNE

1,1 %

1,1 %

1,2 %

1,2 %

1,3 %

1,2 %

Minimum

0,8 %

0,9 %

0,9 %

0,9 %

0,9 %

0,9 %

Maximum

1,5 %

1,5 %

1,5 %

1,6 %

1,7 %

1,5 %

(1) Scénario 1 de PAIR Conseil, dit « trajectoire fil de l'eau », soit à politique économique inchangée en zone euro.

(2) Scénario 2 de PAIR Conseil, dit « scénario policy mix européen adapté », retenant l'hypothèse du déploiement d'un policy mix en zone euro « plus adapté » en termes de politique monétaire, de politique budgétaire et fiscale ainsi que d'investissement public.

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données transmises par les instituts cités)

Il apparaît clairement, dans le courrier adressé à votre rapporteur général par le ministre des finances et des comptes publics, que l'objectif du Gouvernement était, dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques, de donner des gages de bonne volonté aux autorités européennes en retenant les estimations de croissance potentielle de la Commission, dans l'espoir d'obtenir un nouveau report du délai de correction du déficit excessif (cf. supra ). Une fois ce report acquis, le Gouvernement s'est, de toute évidence, senti libre de retenir une estimation de la croissance potentielle lui étant plus favorable.

b) ... qui permet d'accroître l'ajustement structurel affiché

Le relèvement des hypothèses de croissance potentielle de 0,2 point pour les années 2016 à 2018 interroge, en effet, d'autant plus que cette modification permet d'accroître mécaniquement l'ajustement structurel affiché. Dans le projet de loi de finances, l'ajustement structurel pour la période 2015-2018 atteint 1,9 point de PIB ; cependant, avec les hypothèses de croissance potentielle de la dernière loi de programmation, il ne serait que de 1,6 point de PIB environ - cet écart de 0,3 point de PIB correspond à un moindre ajustement d'un peu moins de dix milliards d'euros.

La révision de ces hypothèses permet donc au Gouvernement de présenter un ajustement structurel de 0,5 point de PIB par an au titre de la période 2016-2018 , soit le niveau minimal requis par le Pacte de stabilité et de croissance pour les États soumis à la procédure de déficit excessif.

Pour autant, cela ne permet aucunement d'atteindre les cibles d'ajustement structurel arrêtées par le Conseil de l'Union européenne dans sa recommandation du 10 mars dernier (cf. supra ) - sans même qu'il soit tenu compte des divergences d'estimation du PIB potentiel et de la croissance potentielle qui existent entre le Gouvernement et la Commission européenne. L'insuffisance des ajustements structurels programmés pour les exercices 2015 et 2016 a, d'ailleurs, été relevée par cette dernière dans sa communication du 1 er juillet 2015 évaluant les actions prises par la France en réponse à la recommandation du Conseil de l'Union européenne du 10 mars 2015 107 ( * ) .

Toutefois, même en considérant les effets induits par la révision des hypothèses permettant de calculer le solde structurel, la trajectoire définie par la loi de programmation des finances publiques serait respectée en 2016 . À cet égard, dans son dernier avis 108 ( * ) , le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) s'est attaché à examiner les estimations de solde structurel calculées avec les hypothèses de croissance potentielle figurant dans la loi de programmation, conformément aux dispositions précitées de la loi organique du 17 décembre 2012 ; sur cette base, celui-ci a relevé que « la trajectoire de solde structurel [était] en avance sur les objectifs de la loi de programmation ». En effet, le Haut Conseil a indiqué que « pour l'année 2014, le déficit structurel des administrations a été inférieur de 0,4 point à l'objectif de la loi de programmation, notamment en raison d'une augmentation de la dépense publique moins rapide que prévu. Cet écart se reporte en niveau les années suivantes : les déficits structurels présentés dans le projet de loi de finances sont également inférieurs en 2015 et 2016 à ceux fixés en loi de programmation (- 1,7 % du PIB en 2015 contre - 2,1 % en loi de programmation, et - 1,3 % du PIB en 2016 contre - 1,8 %) ».

Ainsi, en raison de l'exécution 2014, le déficit structurel pour l'année 2016 serait inférieur aux orientations pluriannuelles des finances publiques (- 1,8 % du PIB), que celui-ci soit calculé à partir des hypothèses de croissance potentielle de la dernière loi de programmation (- 1,3 % du PIB) ou de celles du projet de loi de finances pour 2016 (- 1,2 % du PIB) (cf. tableau ci-après).

Tableau n° 19 : Trajectoire du solde structurel calculée à partir
des hypothèses de la LPFP 2014-2019

(en % du PIB potentiel)

2014

2015

2016

LPFP 2014-2019

- 2,4

- 2,1

- 1,8

PLF pour 2016 (article liminaire)

- 2,0

- 1,7

- 1,2

PLF pour 2016 (croissance potentielle de la LPFP)

- 2,0

- 1,7

- 1,3

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données publiées par le Haut Conseil des finances publiques)

Quoi qu'il en soit, il faut relever le fait que l'ajustement structurel projeté pour la période 2015-2018 devrait reposer exclusivement sur des efforts en dépenses (cf. tableau ci-après). En effet, les mesures nouvelles en prélèvements obligatoires devraient avoir un effet négatif en 2015-2016, en lien avec la baisse des prélèvements annoncée par le Gouvernement.

Tableau n° 20 : Variation du solde structurel des administrations publiques

(en points de PIB)

2014

2015

2016

Ajustement structurel, dont :

0,6

0,4

0,5

Effort structurel

0,5

0,6

0,5

Mesures nouvelles en prélèvements obligatoires

0,2

- 0,1

- 0,1

Effort en dépenses

0,4

0,7

0,5

Composante non discrétionnaire

0,1

- 0,2

0,0

Clef en crédit d'impôt

- 0,1

0,0

0,0

Source : commission des finances (à partir du rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2016)

4. Une trajectoire budgétaire exposée aux vents conjoncturels

Comme cela vient d'être indiqué, la trajectoire de solde structurel proposée par le Gouvernement ne permet aucunement de respecter les cibles arrêtées par le Conseil de l'Union européenne dans le cadre de sa recommandation du 10 mars dernier ; de même, l'ajustement structurel minimal requis par le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) pour les États soumis à la procédure de déficit excessif ne serait respecté pour les années 2015 à 2017 que grâce à la modification des hypothèses de croissance potentielle , qui a permis de relever « artificiellement » le niveau de l'ajustement affiché.

En réalité, la stratégie budgétaire gouvernementale consiste à faire reposer le respect du Pacte de stabilité et de croissance exclusivement sur l'amélioration du déficit effectif . En effet, les autorités européennes ne sont amenées à examiner les ajustements structurels réalisés que si les cibles de déficit nominal n'ont pas été respectées ; aussi, probablement, le Gouvernement escompte-t-il une nette réduction du déficit effectif grâce au rebond de la conjoncture économique afin de se conformer aux engagements européens de la France .

Néanmoins, une telle stratégie présente un certain danger, dans la mesure où le respect de ces engagements est totalement tributaire du rythme de la croissance économique ; or, si la reprise venait à être moins rapide que prévu, ralentissant l'amélioration du déficit effectif, notre pays ne serait pas en mesure de présenter les ajustements structurels demandés par le Conseil de l'Union européenne et s'exposerait à des sanctions.

Eu égard aux incertitudes nombreuses qui affectent l'évolution de l'environnement économique mondial, dans un contexte marqué notamment par le ralentissement des pays émergents (cf. supra ), une telle hypothèse ne saurait être écartée. Par conséquent, les développements qui suivent proposent de mesurer la sensibilité de la trajectoire de solde effectif et de la dette publique à la conjoncture économique .

À cet effet, il est proposé de retenir deux scénarii conventionnels , qui ne constituent aucunement des prévisions alternatives, dans lesquels la croissance du PIB est supposée être supérieure de ½ point à la prévision du Gouvernement dans un cas et inférieure de ½ point dans l'autre pour les années 2016 et 2017 .

Ainsi, sur l'ensemble de la période considérée, il apparaît que la trajectoire d'ajustement structurel proposée par le Gouvernement ne permettrait pas, en cas de croissance inférieure de ½ point aux prévisions, de faire revenir le déficit effectif en deçà de 3 % du PIB en 2017 . En outre, le taux d'endettement continuerait de croître sur toute la période, pour s'élever à plus de 98 % du PIB en 2017 .

Tableau n° 21 : Sensibilité du solde effectif et de la dette à la conjoncture

(en % du PIB)

2014

2015

2016

2017

Scénario du Gouvernement

Croissance (en %)

0,2

1,0

1,5

1,5

Solde effectif

- 3,9

- 3,8

- 3,3

- 2,7

Dette publique

95,6

96,3

96,5

96,5

Scénario du Gouvernement + ½ point de croissance

Croissance (en %)

0,2

1,0

2,0

2,0

Solde effectif

- 3,9

- 3,8

- 3,0

- 2,1

Dette publique*

95,6

96,3

95,8

94,8

Scénario du Gouvernement - ½ point de croissance

Croissance (en %)

0,2

1,0

1,0

1,0

Solde effectif

- 3,9

- 3,8

- 3,6

- 3,2

Dette publique*

95,6

96,3

97,2

98,2

* Il est supposé que seule la variation de la dette imputable au déficit est sensible aux évolutions du PIB (les éléments exogènes, soit ceux non pris en compte dans le calcul du déficit mais comptabilisés dans la dette publique, conformément aux règles européennes - dettes contractées par le FESF, apports au capital du MES, etc. -, sont déterminés en retenant les hypothèses du projet de loi de finances pour 2016).

Source : commission des finances du Sénat (à partir des hypothèses du projet de loi de finances pour 2016 appliquées aux données établies par l'Insee en mars et octobre 2015)

Une mauvaise fortune conjoncturelle n'est toutefois pas le seul risque concernant la trajectoire de solde effectif au cours des mois à venir ; entre autres, celle-ci pourrait être « déviée » dans l'éventualité où une réduction de la dette publique de la Grèce serait décidée .

5. La réduction de la dette grecque et le déficit public de la France
a) Une possible réduction de la dette publique grecque...

Si le 22 octobre 2015, lors de son déplacement en Grèce, le Président de la République, François Hollande, a plaidé en faveur d'une renégociation de la dette publique grecque - qui approchait déjà 180 % du PIB à la fin de l'année 2014 -, celui-ci a néanmoins écarté un allègement du « poids » de la dette en tant que tel, privilégiant un report dans le temps des charges d'intérêts . Aussi le chef de l'État semble-t-il opposé à l'annulation de tout ou partie de la dette de la République hellénique.

Pour autant, certains protagonistes, au premier rang desquels figure le Fonds monétaire international (FMI), insistent sur le besoin impérieux de restructurer la dette publique de la Grèce . Ainsi, quelques jours après qu'un accord a été trouvé entre le gouvernement grec et le

« groupe de Bruxelles » 109 ( * ) à l'été dernier, le FMI publiait une étude 110 ( * ) soulignant la nécessité de procéder à un allègement de la dette grecque eu égard à la détérioration « dramatique » de la soutenabilité de cette dernière . Le Fonds envisageait à cet effet trois options : une extension de dix à trente ans du délai de grâce pendant lequel la Grèce n'aurait pas à rembourser sa dette à ses créanciers, des transferts annuels au profit de la République hellénique, ou encore un effacement de dette. De même, lors d'une conférence de presse s'étant tenue à la fin du mois de juillet dernier, la directrice générale du FMI, Christine Lagarde, a déclaré que pour que « la Grèce réussisse et qu'un quelconque programme aboutisse, une restructuration significative de la dette doit intervenir » 111 ( * ) . À son tour, dans une interview donnée le 11 octobre 2015 au quotidien grec Kathimerini , Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne (BCE), a indiqué : « nous avons exprimé des préoccupations quant à la soutenabilité actuelle de la dette [grecque]. Selon nous, il devra y avoir un élément d'allégement de la dette » 112 ( * ) .

Par conséquent, bien que la déclaration de l'Eurogroupe du 12 juillet dernier ait clairement souligné « que l'on ne [pouvait] pas opérer de décote nominale sur la dette » 113 ( * ) de la Grèce, et en dépit de l'opposition affichée du chef de l'État français et du gouvernement allemand à une telle réduction, une mesure de cette nature ne saurait être totalement écartée alors qu'une renégociation de la dette grecque pourrait intervenir dans les mois à venir .

b) ... susceptible de dégrader le déficit public de la France

Dans ces conditions, il paraît essentiel de revenir sur les incidences budgétaires de l'annulation éventuelle d'une partie de la dette grecque, d'autant qu'elle pourrait affecter le déficit public français au titre de l'exercice 2016 . À titre de rappel, votre rapporteur général s'était attaché, en juillet dernier, à identifier les risques financiers pour la France inhérents à un éventuel défaut grec 114 ( * ) ; à cette occasion, il avait rappelé l'ensemble des programmes d'aide déployés en faveur de la Grèce, ainsi que les coûts supportés par la France au titre de l'assistance financière apportée à celle-ci.

À ce jour, il est possible de distinguer plusieurs types d'aides versées à la Grèce dans le cadre des différents programmes d'assistance qui se sont succédé depuis 2010. Viennent, tout d'abord, les prêts bilatéraux accordés par les États membres de la zone euro , dont le montant atteint 52,9 milliards d'euros. Ensuite, la République hellénique a bénéficié de prêts du Fonds européen de stabilité financière (FESF) dont le montant déboursé s'élève à 130,9 milliards d'euros. De même, le Fonds monétaire international (FMI) a apporté un soutien de 32,1 milliards d'euros. À ces différentes aides sont venus s'ajouter les prêts octroyés par le Mécanisme européen de stabilité (MES) en conséquence de l'accord intervenu en juillet dernier, les versements ayant débuté en août dernier, représentant 13 milliards d'euros à ce jour.

En définitive, au 30 septembre 2015, le total des programmes d'assistance établis au profit de la Grèce s'élevait à 301,9 milliards d'euros maximum , dont 228,9 milliards d'euros avaient été déboursés et 73 milliards d'euros au plus restaient à débourser, comme le montre le tableau ci-après.

Tableau n° 22 : Programmes d'assistance en faveur de la Grèce au 30 septembre 2015

(en milliards d'euros)

Total des programmes

Montants déboursés

Reste à débourser

Prêts bilatéraux

52,9

52,9

0,0

Fonds européen de stabilité financière (FESF)

130,9

130,9

0,0

Fonds monétaire international (FMI)

32,1*

32,1

0,0

Mécanisme européen de stabilité (MES)

Max. 86,0

13,0

Max. 73,0

Total

Max. 301,9

228,9

Max. 73,0

* La participation du Fonds monétaire international (FMI) dans le cadre du troisième programme d'assistance conclu en juillet 2015 n'a pas encore été annoncée.

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données transmises par le ministère des finances et des comptes publics)

Aussi, supportant une part significative de l'assistance financière apportée à la Grèce, la France serait-elle exposée à une réduction de la dette publique grecque . L'exposition de notre pays à ce titre est de deux ordres. Tout d'abord, la France a accordé à la République hellénique un prêt bilatéral de 11,4 milliards d'euros , dont l'intégralité du montant a d'ores et déjà été versée. Ensuite, la France est venue apporter des garanties au Fonds européen de stabilité financière (FESF) ; si cette opération n'a pas donné lieu à la mobilisation de crédits budgétaires, l'ensemble des fonds levés par le FESF sont venus accroître la dette publique française, à l'instar du prêt bilatéral précité .

En effet, dans un avis du 27 janvier 2011, Eurostat a estimé que les montants levés dans le cadre du Fonds européen de stabilité financière devaient être enregistrés dans la dette brute des États de la zone euro en proportion de leur part dans la garantie accordée . L'institut de statistiques a considéré que le FESF ne réunissait pas toutes les caractéristiques habituelles d'une unité institutionnelle au sens du système européen de comptes dit « SEC 95 », dans la mesure où il ne disposait pas d'une « capacité d'initiative et [avait] une autonomie de décision limitée dans l'exercice de sa fonction principale, l'octroi de prêts aux États en difficulté », les décisions relatives à cette mission principale étant soumises à l'approbation préalable des États de la zone euro 115 ( * ) .

Par conséquent, le montant de la dette publique de la France imputable aux prêts accordés par le FESF à la Grèce s'élevait à 31 milliards d'euros en 2014 et devrait représenter 28,6 milliards d'euros en 2015 - cette diminution s'expliquant par la restitution de 10,9 milliards d'euros au Fonds en raison de la révision des besoins de recapitalisation des banques grecques. L'assistance financière apportée à la Grèce représente donc 40 milliards d'euros de dette publique française en 2015, soit 1,8 % du PIB , comme le fait apparaître le tableau ci-après.

Tableau n° 23 : Impact du soutien financier à la Grèce sur la dette publique de la France

(en milliards d'euros)

2010

2011

2012

2013

2014

2015 (p)

2016 (p)

2017 (p)

Prêts bilatéraux

4,4

11,4

11,4

11,4

11,4

11,4

11,4

11,4

FESF

-

-

23,6

29,2

31,0

28,6

28,6

28,6

Total

4,4

11,4

35

40,6

42,4

40,0

40,0

40,0

(p) : prévisions

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données transmises par le ministère des finances et des comptes publics)

Il convient de préciser qu'à la différence du Fonds européen de stabilité financière (FESF), les prêts accordés à la Grèce par le Mécanisme européen de stabilité (MES) sont sans incidence sur la dette publique française . En effet, en vertu d'une décision du 31 janvier 2013 d'Eurostat, la dette contractée par le MES ne vient pas accroître le niveau d'endettement des États de la zone euro , ce dernier ayant le statut d'institution financière internationale.

Les développements précédents permettent de mieux appréhender les conséquences d'une réduction éventuelle de la dette grecque pour les finances publiques. Du fait des règles comptables qui trouvent à s'appliquer, une restructuration du prêt bilatéral concédé à la Grèce viendrait dégrader le déficit public français, tout comme celle des prêts octroyés par le Fonds européen de stabilité financière (FESF), en proportion de la part de la France dans la garantie apportée - la perte observée correspondant, en comptabilité nationale, à un flux de dépense l'année où elle est constatée, la logique étant de constater l'« appauvrissement » suscité par l'abandon de créance.

À titre d'exemple, une réduction de 10 % de la dette publique grecque - touchant indifféremment tous les prêts accordés à la République hellénique par des institutions publiques - aurait pour effet, l'année où elle interviendrait, d'accroître le déficit public de 4 milliards d'euros, soit de près de 0,2 point de PIB . À cela viendraient s'ajouter les pertes de recettes du fait du non remboursement du capital et des intérêts devant débuter en 2020.

Sans qu'il soit question de l'accueil politique réservé à une réduction de la dette grecque eu égard à ses incidences budgétaires, il serait nécessaire de se préoccuper du traitement susceptible d'être réservé par les autorités européennes, dans le cadre du Pacte de stabilité et de croissance (PSC), à une telle dégradation des déficits publics des États de la zone euro . Ceci pourrait, à cet égard, conduire à ce que soit privilégiée une restructuration des seuls prêts octroyés par le Mécanisme européen de stabilité (MES), qui serait sans conséquence pour la situation budgétaire des pays membres de la zone euro.

Pour conclure, il convient de relever qu'un allongement de la période de grâce pour les prêts accordés à la Grèce, tel que proposé par le Président de la République, ne serait pas, à proprement parler, sans effet sur la situation budgétaire de la France. En effet, cette dernière serait privée des recettes afférentes au remboursement du prêt bilatéral consenti à la République hellénique pour toute la durée concernée par l'allongement de la période de grâce ; toutefois, les incidences sur les finances publiques d'une telle opération seraient d'une ampleur bien plus faible que celles inhérentes à une décote nominale de la dette grecque.


* 99 Audition de Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, et de Christian Eckert, secrétaire d'État chargé du budget, sur le projet de loi de finances pour 2016, le 30 septembre 2015 par la commission des finances du Sénat.

* 100 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, à la Banque centrale européenne, au Comité économique et social européen, au Comité des régions et à la Banque européenne d'investissement du 13 janvier 2015, « Utiliser au mieux la flexibilité offerte par les règles du pacte de stabilité et croissance », COM(2015) 12 final.

* 101 Rapport n° 417 (2014-2015), op. cit.

* 102 Rapport n° 55 (2014-2015) sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 fait par Albéric de Montgolfier au nom de la commission des finances du Sénat, p. 9-12.

* 103 Cf. avis du Haut Conseil des finances publiques n° HCFP-2015-01, op. cit.

* 104 Loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques.

* 105 Ainsi, une note figurant à la page 80 du programme de stabilité pour les années 2015 à 2018 précise que « la croissance potentielle a été revue de +0,2 pt par an à partir de 2016, afin de refléter les effets des réformes structurelles (CICE et Pacte de responsabilité et de solidarité) ».

* 106 Cf. rapport n° 55 (2014-2015), op. cit. , p. 20-21.

* 107 Communication de la Commission européenne du 1 er juillet 2015, « Assessment of action taken by France in response to the Council Recommendation of 10 March 2015 with a view to bringing an end to the situation of excessive government deficit », COM(2015) 326 final.

* 108 Avis du Haut Conseil des finances publiques n° HCFP-2015-03 du 25 septembre 2015, op. cit.

* 109 Le « groupe de Bruxelles » constitue la nouvelle désignation, depuis février dernier, de la Troïka, composée de la Commission européenne, du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque centrale européenne (BCE).

* 110 Fonds monétaire international, « Greece. An Update of IMF Staff's Preliminary Public Debt Sustainability Analysis », IMF Country Report No. 15/186, 14 juillet 2015.

* 111 Conférence de presse du 29 juillet 2015 de Christine Lagarde, directrice générale du Fonds monétaire international (FMI) [traduction de la commission des finances du Sénat].

* 112 A. Papahelas, interview de Mario Draghi, président de la Banque centrale européenne (BCE), Kathimerini , 11 octobre 2015 [traduction de la commission des finances du Sénat].

* 113 Déclaration du sommet de la zone euro du 12 juillet 2015.

* 114 Rapport d'information n° 599 (2014-2015) sur les risques financiers pour la France inhérents à un éventuel défaut grec fait par Albéric de Montgolfier au nom de la commission des finances du Sénat.

* 115 Communiqué de presse 13/2011 d'Eurostat du 27 janvier 2011.

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