II. UN PROJET INNOVANT PORTÉ PAR LE MONDE ASSOCIATIF ET FORTEMENT ENRICHI EN COURS D'EXAMEN PARLEMENTAIRE

A. UN PROJET INNOVANT PORTÉ PAR LE MONDE ASSOCIATIF

1. Un projet original

Le projet « Territoires zéro chômeur de longue durée », porté par l'association ATD Quart Monde, est soutenu par un grand nombre d'associations, comme Emmaüs, le Secours catholique, ou encore la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS), même si ces dernières s'interrogent sur les modalités pratiques de l'expérimentation et son équation financière.

Votre rapporteure constate avec satisfaction que la proposition de loi, bien loin de créer un nouveau dispositif de la politique de l'emploi conçu et piloté par l'administration centrale, promeut une initiative pensée dans et par les territoires.

La philosophie du texte est originale. Comme l'indique le Conseil d'Etat dans l'avis qu'il a rendu le 12 novembre 2015 sur ce texte, « l'approche qui sous-tend la proposition de loi se situe au croisement de deux composantes de la politique de l'emploi : l'aide à l'embauche de personnes rencontrant des difficultés particulières de retour et d'accès à l'emploi sans être les plus éloignées de l'emploi, et le développement, sur une base locale d'analyse des besoins, d'une offre de services socialement utiles ».

Le projet repose de fait sur un nouveau paradigme en matière d'offre et de demande de travail , car il vise à faire émerger de nouveaux emplois partiellement solvables grâce à une mobilisation de tous les acteurs d'un territoire. Le rapporteur de l'Assemblée nationale comparait avec raison les futures entreprises conventionnées à des « start-up de l'innovation sociale ».

Le projet comporte également une troisième logique, celle de l' activation des dépenses passives , car l'ambition est de réallouer l'ensemble des dépenses publiques bénéficiant aux demandeurs d'emploi de longue durée, comme l'allocation de retour à l'emploi (ARE), l'allocation de solidarité spécifique (ASS), ou encore le revenu de solidarité active (RSA), à des entreprises qui recruteraient ces personnes.

Ainsi, à titre expérimental pendant cinq ans , et sur au plus dix territoires volontaires , des entreprises à but d'emploi relevant de l'économie sociale et solidaire (ESS), conventionnées par un fonds national spécifique, embaucheraient en CDI des demandeurs d'emploi de longue durée et les rémunéreraient au moins au Smic, pour effectuer des prestations répondant à des besoins sociaux locaux, avec pour objectif de les rendre solvables grâce à une réallocation à budget constant des dépenses publiques existantes.

Au stade de l'expérimentation, le choix a été fait de réserver aux seules entreprises de l'économie sociale et solidaire la possibilité d'être conventionnées, car ce sont elles qui connaissent le mieux le public concerné et ses spécificités. Toutefois, les autres entreprises du secteur privé pourraient participer à terme à ce projet si le législateur les y autorise.

L'économie sociale et solidaire

La loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 a clarifié les critères d'appartenance à l'économie sociale et solidaire (ESS).

Les coopératives , mutuelles , fondations et associations appartiennent de plein droit , du fait de leur nature juridique, au champ de l'ESS.

En revanche, les sociétés commerciales , à l'instar des entreprises d'insertion (EI), qui souhaitent se prévaloir de cette appartenance doivent remplir trois séries d'obligations .

En premier lieu, elles doivent suivre les principes généraux de l'ESS, comme ne pas rechercher uniquement le partage des profits, consacrer leurs bénéfices au maintien ou au développement de la structure, mettre en place une gouvernance démocratique et ne pas distribuer les réserves obligatoires.

En deuxième lieu, elles sont invitées à poursuivre une utilité sociale au sens de la loi, c'est-à-dire aider les personnes fragiles, lutter contre les exclusions et différentes formes d'inégalités, ou encore promouvoir le développement durable.

En dernier lieu, elles doivent respecter certaines règles de gestion précisées par voie réglementaire, en matière par exemple d'amortissement ou de réduction du capital.

En 2015, selon les chiffres du Conseil national des chambres régionales de l'économie sociale (CNCRES) 16 ( * ) , l'ESS regroupait 221 325 établissements employeurs pour un effectif salarié de 2,37 millions d'emplois, soit environ 10,5 % du total de l'emploi salarié public et privé en France.

Votre rapporteure considère par ailleurs que le recours à l' expérimentation est salutaire car l'un des maux français est d'appliquer uniformément et immédiatement de nouvelles politiques publiques de l'emploi sans les avoir testées au préalable.

2. Un relai indispensable dans les territoires

Cinq territoires sont déjà engagés, à des degrés divers, dans cette expérimentation, à savoir :

- Pipriac et Saint-Ganton en Ille-et-Vilaine ;

- Colombey-les-Belles en Meurthe-et-Moselle ;

- Prémery dans la Nièvre ;

- Mauléon dans les Deux-Sèvres ;

- Jouques dans les Bouches-du-Rhône.

Tous ces territoires attendent l'adoption de la présente proposition de loi et la publication du décret d'application pour débuter l'expérimentation.

La ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, lors de l'examen du texte en séance publique à l'Assemblée nationale, a indiqué que « les zones de revitalisation rurale et les quartiers prioritaires de la politique de la ville figureront dans le cahier des charges du fonds d'expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée », conformément aux recommandations du Conseil économique, social et environnemental (Cese).

Elle a également indiqué que « de huit à dix territoires se sont portés volontaires » pour mener l'expérimentation.

3. Un dispositif complémentaire de ceux existants et qui n'entraînera pas de distorsion de concurrence

De nombreuses personnes auditionnées par votre rapporteure ont fait part de leurs interrogations quant à l'articulation entre le projet d'expérimentation et les dispositifs existants en matière de politique de l'emploi, notamment les structures d'insertion par l'activité économique (SIAE) .

Afin de dissiper les craintes à ce sujet, un amendement a été adopté à l'article 1 er en séance publique à l'Assemblée nationale indiquant que « l'expérimentation est, pour les collectivités concernées, complémentaire des politiques publiques en faveur du développement économique et de la lutte contre le chômage ». Autrement dit, l'expérimentation ne remettra pas en cause les dispositifs existants : il ne s'agit pas d'ajouter une nouvelle strate aux mille-feuilles de la politique de l'emploi, mais de tester un nouvel outil, qui pourra il est vrai entraîner à terme une révision profonde des dispositifs actuels s'il se révèle efficace.

Dans certains territoires candidats, des entreprises d'insertion pourraient d'ailleurs être retenues et conventionnées par le fonds national, mais le recours à une SIAE ne sera pas systématique, contrairement à la préconisation de l'Ansa dans son étude de faisabilité du projet 17 ( * ) .

Par ailleurs, les députés ont veillé à éviter que l'expérimentation ne contrevienne aux règles de la concurrence, en précisant que les entreprises conventionnées devraient assurer des activités « non concurrentes avec des activités économiques exercées sur le territoire ».

4. Un pilotage à la fois national et local

Au niveau national, un fonds d'expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée sera mis en place afin :

- de proposer au ministre du travail la liste des territoires retenus pour l'expérimentation ;

- d'élaborer le cahier des charges qui leur sera imposé ;

- de conclure des conventions avec les collectivités territoriales et les organismes publics et privés intéressés ;

- de conventionner les entreprises de l'économie sociale et solidaire souhaitant s'investir dans l'expérimentation ;

- de percevoir un financement équivalent au coût des différentes allocations auxquelles auraient eu droit les demandeurs d'emploi s'ils n'avaient pas participé au projet ;

- de distribuer une aide financière aux entreprises conventionnées, vraisemblablement sous la forme d'une aide au poste proche de celle versée aux SIAE ;

- de prendre en charge une partie du paiement de l'indemnité de licenciement des salariés des entreprises conventionnées à l'issue de la durée de l'expérimentation ou en cas de fin prématurée de celle-ci ;

- de réaliser un bilan de l'expérimentation.

La composition de son conseil d'administration est prévue par le texte et associe l'ensemble des parties prenantes.

Parallèlement, dans chaque territoire, un comité local de pilotage sera institué. Fédérant l'ensemble des acteurs, il aura pour mission de faire émerger les besoins sociaux et économiques non satisfaits dans son périmètre géographique et d'identifier les demandeurs d'emploi volontaires pour participer à l'expérimentation, de susciter des candidatures parmi les entreprises de l'économie sociale et solidaire, voire d'appuyer la création d'une ou plusieurs entreprises en vue d'un conventionnement.

Sa composition n'est pas fixée par la proposition de loi, afin de laisser aux acteurs locaux la possibilité de l'adapter à leurs besoins et spécificités.


* 16 CNCRES, Panorama de l'économie sociale et solidaire en France, édition 2015.

* 17 L'Ansa préconisait en effet de créer ou de s'appuyer systématiquement « sur une structure porteuse d'un atelier et chantier d'insertion (ACI) déjà présente sur le territoire ».
Source : Étude de faisabilité de l'agence nouvelle des solidarités actives, Accélération d'innovation sociale pour l'accès à l'emploi des chômeurs de longue durée, projet « Territoire 0 chômeur », 15 octobre 2015, p. 17.

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