CHAPITRE IV - De la déontologie des membres des juridictions administratives et financières
Section 1 Dispositions relatives aux juridictions administratives

Article 9 bis (art. L. 131-2, L. 131-3 et L. 131-4 à L. 131-7 [nouveaux] du code de justice administrative) - Règles déontologiques et obligations déclaratives en matière d'intérêts et de patrimoine applicables aux membres du Conseil d'État

Issu de l'adoption d'un amendement par la commission des lois de l'Assemblée nationale, sur proposition de notre collègue députée Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure, en substitution d'une habilitation figurant à l'article 25 du projet de loi, l'article 9 bis du projet de loi vise à instaurer des principes et des règles déontologiques applicables aux membres du Conseil d'État, consacrant des pratiques existantes, et à leur étendre les obligations déclaratives en matière d'intérêts et de situation patrimoniale prévues par le législateur en 2013, tout en prévoyant certaines adaptations liées aux spécificités de leurs fonctions juridictionnelles.

Le présent article reprend, à peu de choses près, les dispositions qui figuraient à l'article 10 du projet de loi dans sa rédaction antérieure à la lettre rectificative du 17 juin 2015.

• Une exigence de cohérence des règles déontologiques applicables aux magistrats judiciaires, administratifs et financiers

S'appuyant sur les deux principes de séparation des pouvoirs et d'indépendance des juridictions, votre commission a veillé à la cohérence et à l'harmonisation des règles déontologiques prévues par le présent projet de loi pour les magistrats administratifs et financiers avec celles qu'elle a déjà adoptées pour les magistrats judiciaires, sur la proposition de notre collègue François Pillet, dans le cadre de l'examen du projet de loi organique relatif à l'indépendance et l'impartialité des magistrats, il y a quelques semaines, sans préjudice de la prise en compte des spécificités et pratiques de chaque ordre de juridiction, dans le respect de l'exigence constitutionnelle de protection de la vie privée.

À cet égard, votre rapporteur relève que le Conseil constitutionnel a encore très récemment rappelé 104 ( * ) que le principe de séparation des pouvoirs affirmé par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen garantit « le principe d'indépendance, qui est indissociable de l'exercice de fonctions juridictionnelles ». Il a ajouté que « le principe d'indépendance des juridictions » fait partie des « libertés constitutionnellement garanties ».

De tels principes concernent tant les juridictions judiciaires que les juridictions administratives ou financières. En conséquence, les principes déontologiques, qui concourent à garantir l'indépendance et l'impartialité des juridictions, doivent être similaires pour les magistrats judiciaires et pour les magistrats administratifs et financiers .

• Règles et pratiques actuelles en matière déontologique au sein du Conseil d'État

Selon l'article L. 131-1 du code de justice administrative, le statut des membres du Conseil d'État est régi par ce code et, pour autant qu'elles n'y sont pas contraires, par le statut de la fonction publique de l'État.

En matière déontologique, d'un point de vue législatif, le code de justice administrative ne fixe actuellement que deux principes pour les membres du Conseil d'État. D'une part, aucun membre du Conseil ne peut se prévaloir de sa qualité professionnelle à l'appui d'une activité politique 105 ( * ) . D'autre part, tout membre du Conseil doit « s'abstenir de toute manifestation de nature politique incompatible avec la réserve que lui imposent ses fonctions » 106 ( * ) .

Néanmoins, la pratique administrative du Conseil d'État a mis en place des outils déontologiques au cours des dernières années, que le présent article vise à consolider au niveau législatif : charte de déontologie, collège de déontologie et entretiens déontologiques.

• Principes déontologiques généraux applicables aux membres du Conseil d'État

En premier lieu, le présent article énumère les principes généraux que les membres du Conseil d'État seraient tenus de respecter en matière déontologique, reprenant les deux principes législatifs présentés supra . De plus, il affirme un principe général de prévention des conflits d'intérêts.

Ainsi, le texte dispose que tout membre du Conseil d'État exerce ses fonctions en toute indépendance, dignité, impartialité, intégrité et probité et se comporte de façon à prévenir tout doute légitime à cet égard. Il s'abstient de tout acte ou comportement à caractère public incompatible avec la réserve que lui imposent ses fonctions, ce qui élargit utilement l'obligation actuelle en matière de réserve, limitée aux manifestations politiques. Enfin, il ne peut se prévaloir à l'appui d'une activité politique de sa qualité de membre du Conseil d'État, ce qui correspond à la restriction actuelle.

Votre commission a approuvé ces dispositions, sous réserve d'un amendement COM-88 de simple cohérence rédactionnelle, présenté par son rapporteur.

De plus, le présent article dispose, de façon quelque peu redondante ou tautologique, que tout membre du Conseil d'État « respecte les principes déontologiques inhérents à l'exercice de ses fonctions ». Le projet de loi énonce déjà les principes déontologiques que les membres du Conseil d'État doivent respecter, lesquels pourront être explicités par la charte de déontologie de la juridiction administrative évoquée infra . À l'initiative de son rapporteur, votre commission a donc adopté un amendement COM-89 en vue de supprimer cette disposition à la portée juridique imprécise et de simplifier la rédaction du texte.

En cohérence avec les dispositions adoptées pour la déontologie des magistrats judiciaires, le présent article prévoit également que les membres du Conseil d'État doivent veiller à prévenir et faire cesser immédiatement les situations de conflits d'intérêts, en retenant la même définition de la notion de conflits d'intérêts que celle adoptée par le législateur en 2013 et reprise pour les magistrats judiciaires dans le projet de loi organique précitée.

• La reconnaissance législative de la charte de déontologie et du collège de déontologie de la juridiction administrative

Le projet de loi donne une reconnaissance législative au collège de déontologie de la juridiction administrative, créé par la pratique depuis 2012 pour exercer une mission d'avis, de conseil et de recommandation, sans rôle de décision ni de contrôle. La qualité du travail réalisé par le collège a été soulignée lors des auditions de votre rapporteur.

Le renvoi de cette mission à un collège de déontologie, interne à un ordre de juridiction, plutôt qu'à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), se justifie pleinement, selon votre rapporteur, par le principe constitutionnel d'indépendance des juridictions. Plus largement, ce principe explique, comme pour les magistrats judiciaires, que la HATVP ne reçoive pas compétence pour examiner les déclarations d'intérêts et les cas de conflits d'intérêts éventuels des membres des juridictions.

À titre de comparaison avec le régime déontologique envisagé pour les magistrats judiciaires, votre rapporteur rappelle que le projet de loi organique relatif à l'indépendance et l'impartialité des magistrats, adopté par le Sénat il y a quelques semaines, ne prévoit pas la mise en place d'un collège de déontologie des juridictions judiciaires. En effet, ce rôle pourrait logiquement revenir au Conseil supérieur magistrature (CSM). Toutefois, notre collègue François Pillet, rapporteur de ce projet de loi organique, y a vu un obstacle constitutionnel, dès lors que l'article 66 de la Constitution dispose simplement, en matière de déontologie, que le CSM se prononce, en formation plénière, « sur les questions relatives à la déontologie des magistrats ainsi que sur toute question relative au fonctionnement de la justice dont le saisit le ministre de la justice ». Cette formulation ne permet au CSM que d'exercer une mission générale d'avis en matière déontologique, mais ne semble pas lui permettre d'exercer une mission individuelle d'avis et de conseil auprès des magistrats ou des chefs de juridiction, sauf à réviser la Constitution 107 ( * ) . À ce stade, votre commission n'avait pas proposé de mettre en place un organe interne à l'ordre judiciaire compétent pour rendre des avis déontologiques.

S'agissant des missions du collège de déontologie , le projet de loi prévoit qu'il serait chargé de rendre des avis sur toute question d'ordre déontologique à caractère individuel, sur demande d'un membre de la juridiction administrative, concernant sa situation personnelle, ou bien sur demande d'une autorité au sein des juridictions administratives (vice-président du Conseil d'État, président de juridiction, président de la mission d'inspection des juridictions...), jouant un rôle de conseil dans des situations complexes. Le collège pourrait également formuler des recommandations à caractère général 108 ( * ) .

Pour assurer une meilleure diffusion de la culture déontologique au sein de la juridiction administrative, le collège pourrait publier ses avis, sous forme anonyme, et ses recommandations - pratique déjà suivie 109 ( * ) .

De plus, le collège serait aussi chargé d'examiner les déclarations d'intérêts qui lui seraient transmises, pour les membres du Conseil d'État et, en cas de doute, pour les magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel. Cette mission serait une novation par rapport à la pratique actuelle, qui ne comporte pas d'obligation déclarative.

À l'initiative de son rapporteur, votre commission a voulu clarifier et simplifier les dispositions relatives aux missions du collège, par l'adoption notamment d'un amendement COM-92 . Par ce même amendement, elle a aussi précisé les conditions dans lesquelles le collège de déontologie peut formuler des recommandations à caractère général, par analogie avec les dispositions du texte prévoyant les conditions dans lesquelles il peut rendre un avis sur un cas individuel : il pourrait formuler des recommandations à son initiative ou sur saisine des mêmes autorités compétentes pour le saisir d'une demande d'avis individuel, mais aussi d'une organisation syndicale ou d'une association de membres de la juridiction administrative - lesquelles ne peuvent pas solliciter un avis sur un cas individuel.

S'agissant de la composition du collège de déontologie , le projet de loi prévoit trois membres : un membre du Conseil d'État élu par l'assemblée générale, un magistrat des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel élu par le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et une personnalité qualifiée nommée en dehors des juridictions administratives par le Président de la République. Ce dernier désignerait également le président du collège. La durée du mandat serait de trois ans, renouvelable une fois.

L'intervention du Président de la République dans la composition du collège - formule également retenue pour le collège de déontologie des juridictions financières - a suscité un certain nombre de critiques de la part de personnes entendues par votre rapporteur. En effet, une telle désignation, au sein d'une instance consultative interne à un ordre de juridiction et chargée de veiller à sa déontologie et à son impartialité, ne paraît pas devoir relever de la responsabilité du Président de la République et pourrait, selon certains, soulever des soupçons quant à l'impartialité du collège voire des risques de politisation, alors qu'il est question de déontologie.

Par ailleurs, outre un membre du Conseil d'État et un magistrat des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, le collège de déontologie comprend aujourd'hui une personnalité extérieure désignée par le vice-président du Conseil d'État, actuellement un magistrat de la Cour de cassation, ce qui ne serait plus nécessairement le cas selon le projet de loi.

Afin de répondre à ces deux objections, votre commission a adopté un amendement COM-91 à l'initiative de son rapporteur, prévoyant que la nomination d'un membre par le Président de la République est faite sur proposition du vice-président du Conseil d'État, ce qui devrait conduire à un dialogue préalable, prévoyant également que le président du collège serait désigné par le vice-président du Conseil d'État et ajoutant un quatrième membre au collège, une personnalité extérieure désignée alternativement au sein de la Cour de cassation et de la Cour des comptes. Cet amendement a également apporté une clarification rédactionnelle.

Par ailleurs, le projet de loi dispose que le vice-président du Conseil d'État édicte une charte de déontologie de la juridiction administrative , qui serait commune aux membres du Conseil d'État et aux magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel. Cette charte serait édictée après avis du collège de déontologie. La charte actuelle a été élaborée en 2011 110 ( * ) .

Sur la base des principes généraux affirmés par le projet de loi, cette charte devrait préciser les principes déontologiques propres aux fonctions de membre de la juridiction administrative et énoncer les bonnes pratiques qui devraient en découler. La reconnaissance législative de cette charte devrait lui conférer un caractère opposable, susceptible éventuellement de motiver une action disciplinaire en cas de manquement grave. En tout état de cause, elle servirait de guide dans la gestion des situations déontologiques pour lesquelles les obligations ou les interdictions fixées par la loi ou le règlement ne seraient d'aucun secours.

Sur la proposition de son rapporteur, votre commission a adopté un amendement COM-90 pour simplifier et clarifier la rédaction des dispositions relatives à la charte, sans en altérer la portée.

• L'établissement d'une déclaration d'intérêts et l'organisation d'un entretien déontologique

Le projet de loi dispose que, dans les deux mois qui suivent son affectation, tout membre du Conseil d'État a un entretien déontologique avec le président de section dont il relève, à l'issue duquel il lui remet une déclaration d'intérêts. Un tel entretien fait partie des recommandations de la charte de déontologie actuellement. Toutes les déclarations seraient ensuite transmises au collège de déontologie, afin qu'il les examine sous l'angle des conflits d'intérêts, le président devant indiquer celles de ces déclarations « dont il ne s'estime pas en mesure d'apprécier » si elles recèlent une situation de conflit d'intérêts. Le résultat de cet examen des déclarations par le collège, quel qu'il soit, donnerait lieu à une information du vice-président du Conseil d'État.

Votre rapporteur s'étonne de ce que la remise de la déclaration ne précède pas l'entretien, mais le suive immédiatement. De la sorte, rien ne viendrait encadrer le déroulement de l'entretien et les différents sujets qui pourraient être abordés à l'initiative du président de section, au risque d'une pratique variable, arbitraire voire intrusive dans la vie privée. À cet égard, une solution inverse a été retenue par votre commission pour les magistrats judiciaires : de façon à encadrer l'entretien, qui doit au surplus donner lieu à un compte rendu écrit, la remise de la déclaration d'intérêts doit le précéder.

La déclaration d'intérêts est le support de l'entretien déontologique et non sa conséquence. L'idée que l'entretien pourrait servir à l'établissement de la déclaration, sous le contrôle du président de section, ne semble pas conforme à l'exigence de protection de la vie privée et à la responsabilité du déclarant.

Les déclarations d'intérêts établies par les présidents de section eux-mêmes, dans un délai qui n'est pas précisé par le texte, seraient aussi transmises au collège de déontologie, par le vice-président du Conseil d'État, sans que le texte prévoie expressément un entretien déontologique. Le vice-président, dans les deux mois de sa prise de fonctions, devrait quant à lui directement adresser au collège sa déclaration. Votre rapporteur considère ainsi quelque peu elliptique la procédure applicable au vice-président et aux présidents de section.

Les mêmes dispositions s'appliqueraient pour toute modification substantielle ultérieure des intérêts, avec une déclaration complémentaire dans les mêmes formes.

En outre, le collège de déontologie devrait ensuite transmettre au vice-président du Conseil d'État toutes les déclarations d'intérêts, en qualité de chef de corps, sans que celui reçoive de prérogatives particulières à leur égard : il s'agirait d'un élément d'information sur les membres du corps, qui pourrait faciliter la gestion de leur carrière et contribuer globalement à une meilleure prévention des conflits d'intérêts. Cette information s'ajouterait au fait que le collège devrait déjà informer le vice-président du résultat de son examen de toutes les déclarations.

S'il admet la logique de la transmission au collège de déontologie de la déclaration du vice-président, car celui-ci ne relève d'aucune autorité au sein de l'ordre administratif, votre rapporteur s'étonne de la transmission systématique au collège des déclarations de l'ensemble des 200 membres environ du Conseil d'État. Celle-ci lui semble une contrainte lourde et peu utile, qui tendrait à transformer le collège en organe de contrôle et plus seulement en instance de conseil et d'avis. À cet égard, votre rapporteur relève qu'une telle transmission systématique n'est pas prévue pour les magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel par l'article 9 ter du projet de loi, la sollicitation du collège n'étant envisagée qu'en cas de doute, à l'initiative du chef de la juridiction, destinataire de la déclaration d'intérêts.

Enfin, le projet de loi précise que la déclaration ne devrait comporter aucune mention des opinions ou activités politiques, syndicales, religieuses ou philosophiques de l'intéressé, « hormis lorsque la révélation de ces opinions ou de ces activités résulte de la déclaration de fonctions ou de mandats exercés publiquement ». Le projet de loi ajoute que la déclaration est versée au dossier de l'intéressé « selon des modalités permettant d'en garantir la confidentialité ». Si votre rapporteur comprend les modalités de la restriction sur les opinions, de façon à ne prévoir la déclaration que des activités à caractère public, il s'interroge sur la possibilité pratique de maintenir la confidentialité d'une déclaration au sein du dossier de l'intéressé, auquel doivent avoir accès les personnes chargées de la gestion de sa carrière. En d'autres termes, si cette déclaration est confidentielle, à quoi cela sert-il de la verser au dossier ? Pour les magistrats judiciaires, selon une exigence de protection de la vie privée
- exigence de valeur constitutionnelle -, votre commission avait prévu que la déclaration n'était pas versée au dossier, mais seulement conservée par l'autorité supérieure, dans des conditions précisées par voie réglementaire.

Pour lever ces interrogations et ces objections, votre commission a adopté un amendement COM-93 présenté par son rapporteur, en vue d'harmoniser les dispositions relatives à la déontologie des membres du Conseil d'État avec celles déjà adoptées par le Sénat pour les magistrats judiciaires, en matière de déclaration d'intérêts et d'entretien déontologique, tout en conservant un certain nombre de dispositions directement liées aux spécificités de la juridiction administrative, par exemple la transmission au chef de corps de toutes les déclarations d'intérêts ou l'intervention dans certains cas du collège de déontologie.

Votre commission a ainsi prévu que l'entretien déontologique avec le supérieur se déroulerait après la remise à ce dernier de la déclaration d'intérêts, celle-ci fixant le cadre de cet entretien et permettant ainsi de prévenir toute intrusion excessive dans la vie privée. Si l'entretien fait apparaître des éléments qui ne sont pas mentionnés dans la déclaration, celle-ci pourrait à l'évidence être modifiée par le déclarant.

Dans le même souci d'encadrement au nom de la protection de la vie privée, l'entretien ferait l'objet d'un compte rendu et la déclaration d'intérêts ne serait pas versée au dossier du membre du Conseil d'État. Le compte rendu écrit et la déclaration seraient conservés par le supérieur dans des conditions précisées par voie réglementaire.

En outre, conformément à son rôle consultatif et compte tenu de ses moyens de fonctionnement, le collège de déontologie de la juridiction administrative ne serait saisi que des seules déclarations d'intérêts suscitant un doute pour le supérieur, pour rendre un avis, et non de l'ensemble des déclarations d'intérêts, pour les contrôler. Votre commission considère que le premier garant du respect des obligations déontologiques et de la prévention des éventuels conflits d'intérêts est le supérieur sous l'autorité duquel le membre exerce ses fonctions. Cet avis du collège éclairerait le supérieur dans sa responsabilité et serait, en tout état de cause, transmis au vice-président du Conseil d'État, comme le prévoit le projet de loi.

Par ailleurs, l'Assemblée nationale a instauré, sur la proposition de notre collègue députée Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure du texte, des sanctions pénales en cas de déclaration incomplète : le fait d'omettre de déclarer une partie substantielle des intérêts devrait être puni de trois ans de prison, de 45 000 euros d'amende et, à titre complémentaire, de l'interdiction des droits civiques et de l'interdiction d'exercer une fonction publique, par assimilation au régime général prévu pour les agents publics à l'article 4 du projet de loi. En revanche, le manquement à l'obligation d'établir la déclaration ne serait pas pénalement sanctionnée, sans doute parce que la déclaration devrait être remplie lors de l'entretien, selon le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale.

Une telle sanction semble inadaptée à votre rapporteur. Au surplus, votre commission n'a pas prévu une telle sanction dans le dispositif similaire pour les magistrats judiciaires.

En effet, dès lors que le manquement serait d'ordre professionnel, résultant d'une obligation déontologique établie dans le cadre professionnel d'une juridiction, la sanction devrait être disciplinaire, par application du droit commun en matière disciplinaire. De plus, puisque la déclaration d'intérêts n'est pas transmise à une autorité extérieure, à l'instar de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), ni publiée, il est extrêmement peu probable qu'un tel manquement, s'il était constaté, donne lieu à une saisine du parquet aux fins de poursuite par le vice-président du Conseil d'État à l'encontre d'un membre du Conseil d'État.

Considérant que le bon niveau de sanction en cas de manquement aux obligations déclaratives en matière d'intérêts détenus était le niveau disciplinaire et par cohérence avec ce qu'elle a adopté pour les magistrats judiciaires, votre commission a adopté un amendement COM-94 de son rapporteur pour supprimer les sanctions pénales.

Les conditions d'application de l'obligation de déclarer ses intérêts seraient précisées par un décret en Conseil d'État, notamment le modèle, le contenu et les conditions de remise, de mise à jour et de conservation des déclarations, ainsi que le modèle, le contenu et les conditions de conservation du compte rendu de l'entretien déontologique.

• L'organisation du déport en cas de conflit d'intérêts

Le projet prévoit, de façon bienvenue, un mécanisme de déport en cas de situation de conflit d'intérêts d'un membre du Conseil d'État, dans le cadre de l'exercice de fonctions juridictionnelles. Un mécanisme de déport en cas de conflit d'intérêts a également été prévu pour les magistrats judiciaires, dans le cadre du projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXI ème siècle, examiné parallèlement au projet de loi organique relatif à l'indépendance et l'impartialité des magistrats.

D'une part, le membre qui s'estime en situation de conflit d'intérêts doit s'abstenir de participer au jugement de l'affaire concernée.

D'autre part, le président de la formation de jugement peut inviter, de façon motivée, le membre dont il estime qu'il se trouve en situation de conflit d'intérêts à ne pas siéger.

Dans les deux cas, le remplacement serait assuré selon les modalités déjà prévues par le code de justice administrative 111 ( * ) .

Toutefois, dans le second cas, le projet de loi dispose que, « en cas de doute », il convient d'appliquer les règles prévues en matière de récusation 112 ( * ) , c'est-à-dire que la formation de jugement statue en l'absence de l'intéressé. Votre rapporteur estime que l'expression « en cas de doute » paraît peu claire - même si elle semble renvoyer à l'idée d'un désaccord entre le président et le membre intéressé. De plus, la récusation ne peut être sollicitée qu'à la demande d'une des parties, ce qui ne serait pas le cas ici. Votre rapporteur considère que l'application des règles de la récusation constituerait une lourdeur inutile et inadaptée, alors que le collège de déontologie pourrait aisément être saisi, dans un délai compatible avec le traitement des affaires, conformément à ses compétences déjà énoncées.

Votre rapporteur ajoute que cette disposition a suscité d'importantes critiques et des interrogations, craignant une atteinte à l'indépendance des fonctions juridictionnelles.

Par conséquent, à l'initiative de son rapporteur, votre commission a adopté un amendement COM-95 pour supprimer la disposition renvoyant aux règles applicables en matière de récusation en cas de doute lorsque le président d'une formation de jugement invite un de ses membres à s'abstenir de siéger sur une affaire pour un motif de conflit d'intérêts. En tout état de cause, en cas de désaccord entre le président de la formation de jugement et un de ses membres, une saisine du collège de déontologie serait tout à fait envisageable et souhaitable.

Dans le cadre des fonctions consultatives du Conseil d'État, le texte prévoit uniquement le déport à l'initiative de l'intéressé, sans intervention de la part du président de section. Votre rapporteur considère néanmoins que, dans l'exercice de ses responsabilités, le président de section pourrait aviser le membre concerné de tout risque de conflit d'intérêts.

• L'établissement d'une déclaration de situation patrimoniale par le vice-président et les présidents de section du Conseil d'État

Enfin, le projet de loi prévoit que le vice-président et les présidents de section du Conseil d'État sont tenus d'adresser une déclaration de leur situation patrimoniale au président de la HATVP, dans les deux mois de leur prise de fonctions, « à peine de nullité de leur nomination ». Pour fixer le régime de cette obligation déclarative, il est renvoyé aux dispositions prévues par le présent projet de loi pour l'ensemble des fonctionnaires 113 ( * ) .

Votre commission approuve le principe de cette obligation, comme elle l'a déjà approuvé pour les chefs des juridictions judiciaires, à raison de l'importance de leurs responsabilités, même si celles-ci ne les exposent guère à des risques de corruption et d'enrichissement illicite, contrairement aux magistrats directement chargés de juger, lesquels peuvent avoir à trancher des affaires comportant de forts enjeux financiers.

En revanche, votre rapporteur s'interroge sur la pertinence de la sanction de nullité de la nomination. En effet, la procédure permettant de constater la nullité de la nomination n'est pas précisée par le projet de loi, alors que sont en cause des fonctions juridictionnelles. Une telle sanction peut aussi créer un risque juridique concernant la régularité des décisions auxquelles l'intéressé aurait participé, du fait de la constatation ultérieure de la nullité de sa nomination.

En outre, l'article 11 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique ne prévoit la nullité de la nomination que pour une catégorie très particulière et limitée de responsables publics, les présidents et directeurs généraux des entreprises publiques et assimilées. Cette sanction n'est pas prévue pour les membres des cabinets ministériels, les membres des autorités administratives indépendantes ou encore les personnes nommées en conseil des ministres sur des emplois à la décision du Gouvernement.

Dans ces conditions, afin de surmonter ces difficultés, mais aussi afin de se conformer à son objectif d'harmonisation des dispositions propres à la déontologie des membres du Conseil d'État avec celles adoptées par le Sénat pour les magistrats judiciaires, concernant la déclaration de situation patrimoniale du vice-président et des présidents de section du Conseil d'État, votre commission a adopté un amendement COM-96 à l'initiative de son rapporteur, pour se référer au droit commun fixé en la matière par la loi du 11 octobre 2013 précitée et pour supprimer la sanction de nullité de la nomination en cas de manquement à l'obligation de déclaration à la HATVP, au bénéfice des sanctions pénales de droit commun.

Les conditions d'application de l'obligation de déclarer sa situation patrimoniale seraient précisées par un décret en Conseil d'État, notamment le modèle, le contenu et les conditions de mise à jour et de conservation des déclarations.

Votre commission a adopté l'article 9 bis ainsi modifié .

Article 9 ter (art. L. 231-1-1 [nouveau], L. 231-4 et L. 231-4-1 à L. 231-4-3 [nouveaux] du code de justice administrative) - Règles déontologiques et obligations déclaratives en matière d'intérêts et de patrimoine applicables aux magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel

Issu de l'adoption d'un amendement par la commission des lois de l'Assemblée nationale, sur proposition de notre collègue députée Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure, en substitution d'une habilitation figurant à l'article 25 du projet de loi, l'article 9 ter du projet de loi applique aux magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel les dispositions déontologiques prévues par le projet de loi pour les membres du Conseil d'État, avec des adaptations limitées : principes déontologiques, déclaration d'intérêts et entretien déontologique, mécanisme de déport, déclaration de situation patrimoniale. Conformément à l'article 9 bis du projet de loi, votre rapporteur rappelle que le collège de déontologie de la juridiction administrative serait également compétent à l'égard de ces magistrats et que la charte de déontologie leur serait également applicable.

Le présent article reprend, à peu de choses près, les dispositions qui figuraient à l'article 11 du projet de loi dans sa rédaction antérieure à la lettre rectificative du 17 juin 2015.

Actuellement, le code de justice administrative ne comporte aucune disposition législative relative à la déontologie des magistrats administratifs. L'article L. 231-1 du code dispose simplement que leur statut est régi par son livre II et, pour autant qu'elles n'y sont pas contraires, par les dispositions statutaires de la fonction publique de l'État.

Pour renforcer l'indépendance et la légitimité de cette catégorie de magistrats, votre commission a adopté un amendement COM-97 présenté par son rapporteur pour prévoir que ces magistrats devront prêter serment avant leur entrée en fonctions , en cohérence avec leur qualité de magistrat au sein de juridictions indépendantes. Cette obligation serait cohérente avec les règles applicables aux magistrats judiciaires 114 ( * ) comme aux magistrats financiers 115 ( * ) , dont seuls les magistrats administratifs sont exclus. Ainsi, les magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel devraient prêter serment de « remplir bien et fidèlement leurs fonctions, de garder le secret des délibérations et de se comporter en tout comme un digne et loyal magistrat », devant la cour administrative d'appel 116 ( * ) , et ne pourraient pas être relevés de ce serment.

Une telle prestation de serment pour les magistrats administratifs n'aurait pas qu'une portée symbolique, attestant de leur qualité de magistrat indépendant, mais elle serait constitutive d'obligations déontologiques, qui seraient susceptibles de sanctions disciplinaires en cas de manquement. Tout manquement au serment constitue en effet une faute professionnelle.

La déclaration d'intérêts devrait être remise par les magistrats des tribunaux et des cours au président de la juridiction, ce dernier remettant sa propre déclaration au président de la mission d'inspection des juridictions administratives, constituée au sein du Conseil d'État en application de l'article L. 112-5 du code de justice administrative.

Seules les déclarations d'intérêts des présidents de juridiction - qui sont des membres du Conseil d'État s'agissant des présidents des cours administratives d'appel 117 ( * ) - seraient systématiquement transmises au collège de déontologie de la juridiction administrative, par l'intermédiaire du président de la mission d'inspection, tandis que les autres déclarations ne seraient transmises au collège qu'en cas de doute, à l'initiative du président de la juridiction. L'ensemble des déclarations d'intérêts des 1200 magistrats environ des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel seraient également transmises au vice-président du Conseil d'État, en qualité de chef de corps 118 ( * ) , ce qui n'a pas suscité d'objections lors des auditions de votre rapporteur.

L'obligation d'établir une déclaration de situation patrimoniale ne concernerait, logiquement, que les présidents des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, périmètre cohérent avec celui que votre commission a prévu pour l'ordre judiciaire.

Sous réserve des adaptations limitées prévues par le projet de loi pour les magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel par rapport aux règles prévues pour les membres du Conseil d'État, votre commission a adopté cinq amendements COM-98, COM-99, COM-100, COM-101 et COM-102 , à l'initiative de son rapporteur, reprenant les modifications qu'elle a apportées à l'article 9 bis du projet de loi pour les membres du Conseil d'État. Par ces amendements, elle a aussi simplifié le circuit de transmission au vice-président du Conseil d'État de l'ensemble des déclarations d'intérêts et prévu un entretien déontologique pour les chefs de juridiction à la suite de leur prise de fonctions, avec le président de la mission d'inspection des juridictions administratives, ce que le projet de loi ne prévoyait pas.

Votre commission a adopté l'article 9 ter ainsi modifié .

Article 9 quater - Entrée en vigueur des règles déontologiques et des obligations déclaratives en matière d'intérêts et de patrimoine applicables aux membres des juridictions administratives

Issu de l'adoption d'un amendement par la commission des lois de l'Assemblée nationale, sur proposition de notre collègue députée Françoise Descamps-Crosnier, rapporteure, en substitution d'une habilitation figurant à l'article 25 du projet de loi, l'article 9 quater du projet de loi prévoit les conditions d'application des nouvelles obligations déclaratives aux membres des juridictions administratives en fonction à leur date d'entrée en vigueur.

Le présent article reprend, à peu de choses près, les dispositions qui figuraient à l'article 12 du projet de loi dans sa rédaction antérieure à la lettre rectificative du 17 juin 2015.

Ainsi, dans les deux mois de l'entrée en vigueur du décret devant préciser les conditions de mise en oeuvre de la déclaration d'intérêts, les membres des juridictions administratives devront établir une déclaration, le texte étant muet sur l'entretien déontologique. De même, les chefs de juridiction devront établir une déclaration de situation patrimoniale dans les deux mois de l'entrée en vigueur du décret devant préciser les conditions de mise en oeuvre de cette déclaration.

Pour laisser aux personnes concernées le temps suffisant pour établir leurs déclarations et permettre l'organisation d'un entretien déontologique selon les modalités prévues par le projet de loi, ainsi que pour laisser à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique le temps de préparer la réception des nouvelles déclarations de situation patrimoniale, votre commission a adopté un amendement COM-103 sur la proposition de son rapporteur, prévoyant un délai de douze mois à compter de la publication des décrets pour la transmission des déclarations d'intérêts, mais aussi pour l'organisation de l'entretien déontologique, ainsi qu'un délai de six mois pour la transmission des déclarations de situation patrimoniale. Ces délais sont conformes à ceux adoptés par votre commission pour les magistrats judiciaires. Ce même amendement a également apporté des modifications rédactionnelles et des coordinations.

Votre commission a adopté l'article 9 quater ainsi modifié .


* 104 Décision n° 2015-506 QPC du 4 décembre 2015.

* 105 Article L. 131-2 du code de justice administrative.

* 106 Article L. 131-3 du même code.

* 107 Pour mémoire, tel qu'adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 4 juin 2013, le projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature prévoyait que le Conseil pouvait « également être saisi par tout magistrat sur une question de déontologie qui le concerne ».

* 108 En juin 2012, le collège de déontologie a formulé une recommandation sur la situation des membres de la juridiction administrative retrouvant une affectation en juridiction après avoir fait partie d'un cabinet ministériel. En janvier 2014, il a formulé une recommandation sur la situation des membres de la juridiction administrative candidats à une élection politique.

* 109 Les avis et recommandations du collège de déontologie, de même que ses rapports d'activité, sont consultables à l'adresse suivante :

http://www.conseil-etat.fr/Conseil-d-Etat/Organisation/Deontologie-des-membres-de-la-juridiction-administrative

* 110 Cette charte est consultable à l'adresse suivante :

http://www.conseil-etat.fr/content/download/2391/7201/version/1/file/mep_charte_deontologie_web.pdf

* 111 Article R. 721-1 du code de justice administrative.

* 112 Articles R. 721-2 à R. 721-9 du même code.

* 113 Article 4 du présent projet de loi.

* 114 Article 6 de la loi organique n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.

* 115 En application de l'article L. 212-9 du code des juridictions financières, les magistrats des chambres régionales des comptes prêtent le même serment que les magistrats judiciaires.

* 116 Les magistrats judiciaires prêtent serment devant la cour d'appel.

* 117 Selon l'article L. 222-3 du code de justice administrative, « chaque cour administrative d'appel est présidée par un conseiller d'État en service ordinaire ».

* 118 Selon l'article R. 231-3 du même code, « le vice-président du Conseil d'État assure la gestion du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ».

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