EXAMEN DES ARTICLES
TITRE IER - DE LA DÉONTOLOGIE
CHAPITRE IER - De la déontologie et de la prévention des conflits d'intérêts

Article 1er (art. 25 de la loi n° 83-643 du 13 juillet 1983) - Obligations générales des fonctionnaires

Le présent article vise à consacrer les grands principes de la fonction publique dans le titre I er du statut général 30 ( * ) : dignité, impartialité, intégrité, probité et neutralité .

Ces principes s'appliquent déjà aux fonctionnaires car ils ont été consacrés de manière prétorienne par le juge administratif. Le fait de ne pas les respecter est passible de sanctions disciplinaires (Cf. infra) . Certains se traduisent également en droit pénal, le code pénal prévoyant par exemple des peines en cas de « manquements au devoir de probité » 31 ( * ) .

L'objectif du présent article est de réunir ces principes au sein de l'article 25 du titre I er du statut général afin de renforcer leur lisibilité.

Trois principes mentionnés par la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique sont repris 32 ( * ) : la dignité, la probité et l'intégrité.

L'obligation de dignité vise à s'assurer que le comportement du fonctionnaire ne porte pas atteinte à la réputation de son administration. Cette obligation s'applique lorsque l'agent exerce ses fonctions : constitue ainsi un manquement à la dignité le fait pour un commissaire de police de dénoncer le comportement de ses supérieurs dans le seul but de leur nuire 33 ( * ) . Le principe de dignité s'étend également à l'attitude des fonctionnaires en dehors de leur service, un agent de police pouvant faire l'objet d'une sanction disciplinaire pour avoir « créé du scandale au restaurant » alors qu'il était en état d'ébriété 34 ( * ) .

La probité correspond, selon le commissaire du Gouvernement Fernand Grévisse, à « l'honnêteté, au respect des biens et de la propriété d'autrui » 35 ( * ) . Il s'agit, pour le fonctionnaire, de ne pas utiliser ses fonctions pour en tirer un profit personnel : ne respecte pas une telle obligation le policier qui a tenté d'obtenir le classement de poursuites en échange d'une somme d'argent versée par la personne suspectée 36 ( * ) .

Le principe d' intégrité est proche de celui de probité car il nécessite également que l'agent public exerce ses fonctions de manière désintéressée. Comme le soulignait notre collègue Jean-Pierre Sueur en 2013, « l'intégrité (...) des agents publics est une préoccupation constante du pouvoir et la condition même de son maintien et de sa légitimité » 37 ( * ) . Contrevient par exemple à ce principe un gardien de la paix ayant prélevé quatre-vingt litres d'essence pour son usage personnel à la pompe de sa compagnie 38 ( * ) .

Le présent projet de loi comporte également deux principes non mentionnés par la loi du 11 octobre 2013 précitée : l'impartialité et la neutralité. Dans les deux cas, il s'agit de notions qui ont été considérées comme « antinomiques » par rapport à des fonctions électives (mandats parlementaires par exemple) ou politiques (postes de ministre) 39 ( * ) mais qui s'appliquent d'ores-et-déjà aux fonctionnaires.

Pour traiter leurs dossiers, les agents publics doivent en effet se départir de tout préjugé d'ordre personnel et adopter une attitude impartiale . Comme l'écrit M. Christian Vigouroux, « le chargé de fonctions publiques sert la loi et non ses propres convictions ou préférences. Nul ne demande d'y renoncer mais chacun attend de lui que ses convictions, ses impressions, ses intérêts ou ses habitudes ne le guident pas dans ses fonctions » 40 ( * ) .

Le fait pour un agent de siéger au conseil de discipline réuni pour sanctionner une infirmière stagiaire puis dans la commission des recours en charge d'examiner l'appel concernant cette même affaire est ainsi « de nature à faire naître un doute sur son impartialité » 41 ( * ) .

Le principe de neutralité est proche de celui d'impartialité mais concerne plus particulièrement les opinions personnelles : il impose aux fonctionnaires en service de ne pas faire état de leurs convictions et de ne pas utiliser leurs fonctions pour les répandre.

Parallèlement, les fonctionnaires ne doivent pas distinguer les administrés en fonction de leurs opinions. La neutralité a donc pour corolaire le principe d'égalité comme l'a souligné le Conseil constitutionnel 42 ( * ) . Le présent article précise, en ce sens, que « le fonctionnaire traite de façon égale toutes les personnes et respecte leur liberté de conscience et de dignité ».

Dans sa lettre rectificative du 17 juin dernier, le Gouvernement a souhaité expliciter l'une des composantes du principe de neutralité : la laïcité .

Le présent article dispose ainsi que « le fonctionnaire exerce ses fonctions dans le respect du principe de laïcité. À ce titre, il doit s'abstenir de manifester, dans l'exercice de ses fonctions, ses opinions religieuses ». Cet article reprend ainsi la jurisprudence selon laquelle un enseignant « portant un signe destiné à marquer son appartenance à une religion » manque à ses obligations.

À l'initiative de M. René Vandierendonck et des membres du groupe socialiste et républicain, votre commission a ajouté à ces principes le devoir de réserve (amendement COM-26) qui implique la nécessité, pour un fonctionnaire, de s'exprimer avec tact et retenue. Pour mémoire, ce principe est reconnu de longue date par la jurisprudence, le Conseil d'État ayant admis dès 1935 qu'un employé de la chefferie du Génie à Tunis ayant tenu des propos publics jugés trop critiques envers le Gouvernement puisse être sanctionné 43 ( * ) .

Le respect de ces principes de la fonction publique incombe à chaque fonctionnaire mais également au chef de service, chargé de « veiller à (leur) respect dans les services placés sous son autorité » comme la jurisprudence l'a explicité 44 ( * ) et comme le présent article le rappelle. Par mesure de cohérence, la commission a inséré au sein de cet article 1 er les précisions relatives au rôle du chef de service (amendement COM-56) 45 ( * ) .

Le fonctionnaire n'observant pas ces principes est passible de sanctions disciplinaires.

En amont de la sanction, le présent projet de loi prévoit des mécanismes préventifs et notamment :

- des règles de déport du fonctionnaire en cas de conflits d'intérêts (article 2) ;

- l'établissement de déclarations d'intérêts et de déclarations de situation patrimoniale pour certains fonctionnaires (article 4) ;

- un contrôle plus efficace des départs vers le secteur privé (article 8) ;

- la création d'un référent déontologue pouvant être consulté par les agents en cas de doute sur le comportement à adopter (article 9).

Votre commission a adopté l' amendement rédactionnel COM-8 ainsi que l'article 1 er ainsi modifié.

Article 2 (art. 25 bis [nouveau] de la loi n° 83-643 du 13 juillet 1983) - Définition et prévention des conflits d'intérêts dans la fonction publique

Cet article vise à définir la notion de conflits d'intérêts dans la fonction publique et à expliciter la procédure à suivre pour les éviter. Il crée, pour ce faire, un nouvel article 25 bis au sein du titre I er du statut général.

Le respect des principes d' impartialité , d' intégrité et de probité implique en effet la mise en place d'un dispositif cohérent de prévention des conflits d'intérêts.

Or, comme le soulignait la commission Sauvé en 2011, « les agents publics (...) ne disposent guère de référentiels précis susceptibles de les aider à éviter ou à faire face aux conflits d'intérêts dans l'exercice quotidien de leurs fonctions » 46 ( * ) . Les sanctions disciplinaires et pénales semblent prévaloir sur une approche préventive dans laquelle les fonctionnaires évitent ou font cesser d'eux-mêmes une situation de conflits d'intérêts .

Le présent article tend à surmonter cette difficulté en rappelant, en premier lieu, que le fonctionnaire « veille à faire cesser immédiatement ou à prévenir les situations de conflits d'intérêts dans lesquelles il se trouve ou pourrait se trouver ».

Il précise également que « le fonctionnaire respecte les principes déontologiques inhérents à l'exercice d'une fonction publique ». Suivant son rapporteur, votre commission a supprimé cette précision redondante, l'obligation de respecter ces principes étant déjà prévue à l'article 1 er du présent projet de loi ( amendement COM-58 ).

Le Gouvernement propose, en second lieu, d' expliciter la définition des conflits d'intérêts dans la fonction publique. Par souci de cohérence, il reprend l'article 2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique 47 ( * ) : constituerait un conflit d'intérêts « toute situation d'interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif d'une fonction » 48 ( * ) .

Cet article établirait, en troisième lieu, une procédure préventive en prévoyant cinq catégories d'obligations pour le fonctionnaire qui « estime » se trouver dans une situation de conflit d'intérêts :

a) saisir son supérieur hiérarchique qui apprécierait si le dossier doit être confié à une « autre personne ». À l'initiative de son rapporteur, votre commission a précisé que le supérieur hiérarchique peut également « s'autosaisir » en présence d'un risque de conflits d'intérêts et demander de lui-même au fonctionnaire concerné de se décharger du dossier ( amendement COM-59 ) ;

b) ne pas user d'une délégation de signature ;

c) déléguer ses compétences lorsque celles-ci ont été « dévolues en propre » au fonctionnaire, c'est-à-dire hors de toute instance collégiale ;

d) s'abstenir de siéger dans ce type d'instances. Dans sa lettre rectificative du 17 juin dernier, le Gouvernement a souhaité préciser que le fonctionnaire pouvait, « le cas échéant », continuer de siéger dans l'instance collégiale mais qu'il devait alors s'abstenir de délibérer. D'après l'étude d'impact, cette hypothèse a été prévue pour les jurys de concours : si un membre du jury doit s'abstenir de délibérer sur un candidat en cas de conflit d'intérêts, l'interdiction de siéger pour statuer sur les candidats restant à évaluer « serait manifestement disproportionnée (...) et nuirait à la sécurité juridique des procédures » 49 ( * ) . Il convient ainsi de concilier la prévention des conflits d'intérêts et le principe d'unicité du concours qui implique que « les résultats des épreuves soient appréciés par un jury unique » 50 ( * ) et donc que la composition du jury n'évolue pas au cours de la procédure de recrutement ;

f) être suppléé selon les règles propres à sa juridiction lorsque le fonctionnaire exerce des fonctions juridictionnelles. Une telle obligation est par exemple prévue par l'article R. 721-1 du code de justice administrative, le juge administratif estimant « en conscience devoir s'abstenir (se faisant) remplacer par un autre membre que désigne le président de la juridiction ».

À l'initiative de son rapporteur, votre commission a renvoyé à un décret en Conseil d'État les modalités d'application du présent article afin de sécuriser ces procédures de prévention des conflits d'intérêts ( amendement COM-57 ). Il s'agira par exemple de préciser les moyens par lesquels un fonctionnaire informe sa hiérarchie dès lors qu'il estime se trouver dans une situation de conflits d'intérêts.

L'objet principal de cet article est donc de responsabiliser les fonctionnaires en leur précisant les outils à leur disposition pour prévenir les conflits d'intérêts. Aucune sanction spécifique n'est prévue dans l'hypothèse où ces procédures préventives ne seraient pas suivies. Votre rapporteur rappelle toutefois que cela pourrait conduire à :

- l'annulation pour vice de forme des décisions prises en violation de ces procédures 51 ( * ) ;

- des sanctions disciplinaires mises en oeuvre par le chef de service ;

- des sanctions pénales prévues aux articles 432-10 à 432-16 du code pénal pour manquements au devoir de probité. Tel serait par exemple le cas d'un acheteur public n'ayant pas résolu un conflit d'intérêts remettant en cause l'égalité entre les entreprises candidates à un marché. L'acheteur serait alors passible de deux ans d'emprisonnement et de 200 000 euros d'amende au titre du délit de favoritisme prévu à l'article 432-14 du code pénal.

Votre commission a adopté l'article 2 ainsi modifié.

Article 3 (art. 6, 6 bis, 6 ter A, 6 quinquies et 25 ter [nouveau] de la loi n° 83-643 du 13 juillet 1983) - Protection des lanceurs d'alerte

Le présent article tend à créer un dispositif de protection des fonctionnaires « lanceurs d'alerte » qui relatent ou témoignent de « bonne foi » de faits susceptibles d'être qualifiés de conflits d'intérêts 52 ( * ) . Il reprend la proposition n° 19 du rapport de la commission Sauvé de 2011 53 ( * ) .

Concrètement, cet article interdirait toute discrimination ou toute sanction dans le champ professionnel contre les fonctionnaires relatant ou témoignant de ce type de faits à leurs autorités hiérarchiques puis, le cas échéant, à leur référent déontologue ou aux autorités judiciaires ou administratives. Il s'agit donc de leur octroyer une garantie de protection dans l'optique de faciliter l'identification des conflits d'intérêts au sein de la fonction publique.

Votre rapporteur a particulièrement veillé à l'articulation entre ce nouveau dispositif et les régimes existants de protection des lanceurs d'alerte.

1. La protection des lanceurs d'alerte en l'état du droit : des mécanismes épars

Le droit positif comprend six dispositifs sectoriels pour protéger les lanceurs d'alerte, dont quatre sont susceptibles de concerner les fonctionnaires. Ces derniers font également l'objet de dispositifs de protection propre.

1.1. Six dispositifs sectoriels de protection des lanceurs d'alerte

Les mécanismes sectoriels de protection des lanceurs d'alerte se sont multipliés depuis 2013 et concernent des domaines comme la lutte contre la corruption ou la protection de l'environnement.

La protection des lanceurs d'alerte en l'état du droit

Secteur d'alerte

Public visé

Canal d'alerte (destinataires
de l'information)

Applicabilité aux fonctionnaires

Base juridique

Corruption

Salariés

Employeurs, autorités judiciaires ou administratives

Non

Article L. 1161-1
du code du travail
(loi n° 2007-1598
du 13 novembre 2007)
54 ( * )

Crimes ou délits

Salariés

Non précisé

Non

Article L. 1132-3-3
du code du travail
(loi n° 2013-1117
du 6 décembre 2013)
55 ( * )

Médicaments

Toute personne

Employeurs, autorités judiciaires ou administratives

Oui

Article L. 5312-4-2
du code
de la santé publique
(loi n° 2011-2012
du 29 décembre 2011)
56 ( * )

Risques graves pour la santé publique et l'environnement

Toute personne

Employeurs, autorités judiciaires ou administratives

Oui

Article L. 1351-1
du code
de la santé publique
(loi n° 2013-316
du 16 avril 2013)
57 ( * )

Conflits d'intérêts des personnes 58 ( * ) visées par la loi n° 2013-907 59 ( * )

Toute personne

Employeurs, autorités de déontologie, associations de lutte contre la corruption, autorités judiciaires ou administratives

Oui

Article 25 de la loi n° 2013-907 précitée

Renseignement

Services de renseignement

CNCTR 60 ( * )

Oui

Article L. 861-3
du code de la sécurité intérieure
(loi n° 2015-912
du 24 juillet 2015)
61 ( * )

Source : commission des lois du Sénat

Quatre de ces six dispositifs sectoriels sont applicables aux fonctionnaires . Un agent signalant de bonne foi aux autorités administratives ou judiciaires un risque de conflits d'intérêts concernant un ministre pourra par exemple recevoir la garantie que son témoignage n'entraînera aucune sanction professionnelle à son encontre 62 ( * ) .

1.2. Des mécanismes propres aux fonctionnaires

Outre ces dispositifs sectoriels, les fonctionnaires font l'objet de mécanismes propres les obligeant ou les incitant à divulguer certaines informations.

L' article 40 du code de procédure pénale dispose ainsi que tout fonctionnaire « qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République ». Si cette infraction concerne un acte de corruption, le fonctionnaire qui le demande peut saisir pour avis le Service central de la prévention de la corruption (SCPC) 63 ( * ) .

En 2013 64 ( * ) , un dispositif global de protection des fonctionnaires relatant ou témoignant d'un délit ou d'un crime a été inséré dans un nouvel article 6 ter A du titre I du statut général.

La mise en oeuvre de ce dispositif de l'article 6 ter A pose toutefois des difficultés car il n'explicite pas les « canaux d'alerte » 65 ( * ) , c'est-à-dire les personnes à qui le lanceur d'alerte peut divulguer ses informations. Notre collègue Alain Anziani et notre ancienne collègue Virginie Klès avaient d'ailleurs souligné cette lacune lors des débats parlementaires et proposé un meilleur encadrement du dispositif 66 ( * ) , sans être suivis par l'Assemblée nationale.

2. La création d'un dispositif de prévention des conflits d'intérêts dans la fonction publique

2.1. Un régime supplémentaire de protection des lanceurs d'alerte

Le Gouvernement propose de créer un nouveau régime de protection des lanceurs d'alerte, en sus des dispositifs précités, et de l'insérer dans un nouvel article 25 ter de la loi du 13 juillet 1983 précitée.

L'objectif de cette mesure est de protéger les fonctionnaires relatant ou témoignant de bonne foi de faits « susceptibles d'être qualifiés de conflit d'intérêts » . Tel serait par exemple le cas d'un membre du service achat d'une collectivité territoriale qui divulguerait qu'un de ses collègues possède un intérêt personnel dans une entreprise candidate à un marché public de la collectivité.

Dans une telle hypothèse, toute discrimination ou sanction professionnelle 67 ( * ) prise contre le lanceur d'alerte du fait de cette divulgation serait interdite.

2.2. La mise en oeuvre concrète de ce nouveau dispositif

• Les canaux d'alerte

Dans le cadre de ce nouveau régime, le fonctionnaire souhaitant alerter d'un risque de conflit d'intérêts devrait s'adresser en priorité à « l'une des autorités hiérarchiques dont il relève » 68 ( * ) .

Si ses supérieurs hiérarchiques ne mettent pas un terme au conflit d'intérêts, le fonctionnaire pourrait s'adresser :

- aux autorités administratives (et notamment à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique) ou judiciaires ;

- au référent déontologue créé par l'article 9 du présent projet de loi afin d'apporter « tout conseil utile au respect des obligations et des principes déontologiques » 69 ( * ) .

• La charge de la preuve

La charge de la preuve serait aménagée au profit du lanceur d'alerte. Concrètement, en cas de litige relatif à sa protection, il lui suffirait de présenter des faits permettant de « présumer » l'existence d'un conflit d'intérêts. Ce serait alors à la partie défenderesse 70 ( * ) qu'il incomberait d'apporter des « éléments objectifs » démontrant l'absence d'un tel conflit.

Le présent article reprend ainsi un mécanisme d'aménagement de la preuve prévu dans d'autres dispositifs de lanceurs d'alerte 71 ( * ) .

• Les mesures contre les alertes abusives

Pour éviter les alertes infondées ou divulguées avec une simple intention de nuire, il serait exigé que le lanceur d'alerte soit « de bonne foi ». Comme le précisait notre collègue député Jean-Louis Roumégas, ce critère correspond à la « conviction (du lanceur d'alerte) de se trouver dans une situation conforme au droit, avec la conscience d'agir sans léser les droits d'autrui » 72 ( * ) .

Dans le cas contraire, les peines relatives à la dénonciation calomnieuse seraient applicables (article 226-10 du code pénal, cinq ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende).

• Une conciliation, sous le contrôle du juge, avec les autres obligations de la fonction publique

En tout état de cause, le lanceur d'alerte resterait soumis à ses obligations professionnelles et notamment :

- au devoir d'obéissance par rapport aux instructions données par son supérieur hiérarchique, sauf si celles-ci sont manifestement illégales et de nature à compromettre gravement un intérêt public (article 28 du titre I du statut général) ;

- à la discrétion et au secret professionnels s'agissant des informations dont il a pris connaissance dans l'exercice de ses fonctions (article 26).

La conciliation entre ces obligations et le nouveau régime des lanceurs d'alerte serait contrôlée par le juge administratif.

À titre d'exemple, le Conseil d'État considère qu'un gendarme critiquant dans la presse le rattachement de son service au ministère de l'intérieur manque à son devoir de discrétion professionnelle 73 ( * ) . À l'inverse, la directrice générale d'un Office public municipal d'habitations à loyer modéré (OPHLM) qui a communiqué à son conseil d'administration des informations 74 ( * ) relatives à un manquement aux règles de la commande publique ne peut être sanctionnée sur ce motif 75 ( * ) .

2.3. Une articulation des dispositifs perfectible

Votre rapporteur ne peut que déplorer la création par des textes épars de dispositifs de lanceurs d'alerte non coordonnés . Il considère, à l'instar du vice-président du Conseil d'État, M. Jean-Marc Sauvé, qu'il est nécessaire d'« oeuvrer à une simplification des multiples dispositifs sectoriels en vigueur » 76 ( * ) .

Si une coordination complète de ces dispositifs dépasse l'objet du présent projet de loi, il convient, à tout le moins, de mieux articuler ceux insérés dans le statut général de la fonction publique.

À l'initiative de son rapporteur ( amendement COM-60 ), votre commission a ainsi coordonné au sein du même article 6 ter A du titre I du statut général le dispositif (existant) de lanceurs d'alerte en matière pénale et celui relatif aux conflits d'intérêts (créé par le présent texte).

Cette coordination permet, en outre, de répondre aux lacunes du mécanisme de protection des lanceurs d'alerte en matière pénale en précisant le canal par lequel doit transiter l'alerte (autorités administratives et judiciaires), ce qui n'était pas le cas en l'état du droit.

Votre commission a adopté l'article 3 ainsi modifié.

Article 4 (art. 25 quater, 25 quinquies, 25 sexies et 25 septies A [nouveaux] de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983) - Obligations déclaratives des fonctionnaires

L'article 4 introduit quatre nouveaux articles - articles 25 quater à 25 septies A - au sein du chapitre V du statut général de la fonction publique, consacré aux obligations et à la déontologie des fonctionnaires.

De nouvelles obligations déclaratives seraient prévues avec le dépôt d'une déclaration d'intérêts et d'une déclaration de situation patrimoniale ainsi que l'obligation de confier la gestion de ses instruments financiers, sans droit de regard, à un tiers. Ces obligations ont été introduites par la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique. Il s'agit de les étendre aux fonctionnaires avec néanmoins des différences.

En effet, si lors de l'examen de la loi du 11 octobre 2013, le Parlement avait souhaité inscrire dans la loi plusieurs éléments constitutifs de ces obligations déclaratives, ainsi que du contenu des déclarations, le projet de loi renvoie la majeure partie du régime de ces obligations déclaratives à un décret en Conseil d'État. Le pouvoir règlementaire serait ainsi chargé de déterminer, notamment :

- le modèle et le contenu de la déclaration d'intérêts et celle de situation patrimoniale ;

- leurs modalités de transmission, de mise à jour et de conservation ;

- la liste des fonctionnaires assujettis à ces obligations.

De manière générale, votre commission s'est attachée à rapprocher, dans le respect des spécificités des fonctions exercées par les fonctionnaires, les dispositions du présent article de celles existantes au sein de la loi du 11 octobre 2013 applicable notamment aux fonctionnaires nommés sur des emplois à la discrétion du Gouvernement pourvus en conseil des ministres (préfets, ambassadeurs, directeurs d'administration centrale, etc.). Elle a ainsi prolongé le travail important d'harmonisation auquel a procédé la commission des lois de l'Assemblée nationale. Dans cet esprit, votre commission a adopté un amendement COM-62 d'harmonisation rédactionnelle présenté par son rapporteur. De même, soucieuse de la qualité normative des textes, votre commission a supprimé, par l'adoption de l' amendement COM-64 de son rapporteur, une disposition inutile et équivoque reconnaissant aux fonctionnaires la liberté de détention de parts sociales au sein de sociétés civiles ou commerciales et la libre gestion de leur « patrimoine personnel et familial ». Outre que ces dispositions rappellent des droits découlant de règles constitutionnelles, elles recèlent des ambiguïtés. Ainsi, n'est visé que le droit de percevoir les bénéfices des parts sociales et non le droit de vote qui y est lié, ce qui ne manquerait pas de soulever la question de l'exclusion ou non de ce droit. En outre, la formule maladroite de « patrimoine personnel ou familial » du fonctionnaire paraît surprenante au regard de l'unité du patrimoine d'une personne, suggérant au contraire qu'il existe plusieurs formes de patrimoine.

• Le périmètre des fonctionnaires concernés

Selon les indications données à votre rapporteur par la direction générale de l'administration et de la fonction publique, la détermination des fonctionnaires concernés devrait conduire à former des cercles concentriques : la déclaration de situation patrimoniale devrait être obligatoire pour un nombre de fonctionnaires plus restreint que pour les déclaration d'intérêts, le cercle des fonctionnaires devant confier leurs instruments financiers à un tiers sans droit de regard formant eux-mêmes le cercle le plus étroit. Contrairement à la règle qui prévaut avec la loi du 11 octobre 2013, une déclaration d'intérêts ne serait pas systématiquement accompagnée d'une déclaration de situation patrimoniale.

Plus précisément, sont visés :

- pour la déclaration d'intérêts et celle de situation patrimoniale, les fonctionnaires « dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions le justifient », sachant que pour les déclarations de situation patrimoniale cette condition alternative devrait être entendue de manière plus restrictive ;

- pour l'obligation de confier à un tiers la gestion de ses instruments financiers, les fonctionnaires « dont les missions ont une incidence en matière hiérarchique et dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions le justifient ».

Dans ce dernier cas, et malgré la condition cumulative, votre commission a estimé que cette formulation pourrait donner lieu, même si telle n'est pas l'intention affichée par le Gouvernement, à une interprétation extensive. C'est pourquoi, afin d'éviter une conciliation manifestement déséquilibrée entre l'objectif de probité des responsables publics et le droit au respect de la vie privée qui serait sanctionnée par le Conseil constitutionnel, elle adopté un amendement COM-65 présenté par son rapporteur afin de ne retenir que les fonctionnaires « exerçant des responsabilités » en ce domaine.

Parallèlement, pour lever toute incertitude sur le périmètre, votre commission a adopté un amendement COM-12 de M. René Vandierendonck et de ses collèges du groupe socialiste et républicain visant également le domaine financier.

• Les modalités de transmission de ces déclarations

Une différence notable porte sur le moment du dépôt de ces déclarations. La loi du 11 octobre 2013 prévoit pour les personnes qui y sont assujetties un dépôt dans le délai de deux mois à compter du début de l'exercice du mandat ou des fonctions au titre duquel elles y sont tenues.

Pour les fonctionnaires soumis à l'article 25 quater , la transmission à l'autorité de nomination de la déclaration d'intérêts serait « préalable » à la nomination. Son absence de transmission ferait ainsi obstacle à la nomination et pourrait entacher la nomination d'illégalité s'il y était toutefois procédé. Selon les indications de la direction générale de l'administration et de la fonction publique, si tous les candidats ne sont pas appelés à transmettre leur candidature accompagnée d'une déclaration d'intérêts avec toute candidature spontanée, cette dernière pourrait être exigée à un stade plus avancé après une première sélection des candidats. Cette formalité a pour finalité de mettre l'autorité de nomination en mesure d'apprécier les éventuels conflits d'intérêts qui pourraient s'opposer à la nomination d'un fonctionnaire ou d'anticiper les mesures de prévention de tels conflits que la nomination de ce fonctionnaire devrait appeler. Une fois le fonctionnaire nommé, sa déclaration d'intérêts serait transmise par l'autorité de nomination à l'autorité hiérarchique dont il relève afin de la mettre également en mesure de prévenir ou faire cesser les éventuels conflits d'intérêts.

Il en serait de même pour la déclaration de situation patrimoniale. Or, dans ce cas, la justification de la transmission préalable n'apparaît pas avec évidence. En effet, contrairement à la déclaration d'intérêts, elle n'est ni transmise à l'autorité de nomination - puisque la HATVP est seule destinataire -, ni connue d'elle. En outre, la finalité du contrôle de la déclaration de situation patrimoniale repose sur la vérification ex post de l'absence d'enrichissement anormal du fonctionnaire et non sur un contrôle ex ante . En tout état de cause, il n'est pas raisonnable d'envisager que la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique puisse procéder à un contrôle complet de l'exactitude, de l'exhaustivité et de la sincérité de la déclaration transmise, avant la nomination. Enfin, cette règle a l'inconvénient d'obliger tous les candidats sérieux à la nomination à déposer préalablement une telle déclaration auprès de la Haute Autorité qui se trouverait saisie de plusieurs déclarations sans que soit précisé le sort à réserver à celles déposées par des candidats finalement non retenus.

Dès lors, adoptant un amendement COM-66 de son rapporteur, votre commission a prévu que la déclaration de situation patrimoniale serait adressée à la Haute Autorité dans le délai de deux mois suivant la nomination. Cette modification correspond d'ailleurs à une suggestion formulée par les représentants de la Haute Autorité lors de leur audition par votre rapporteur.

Par un alignement sur la loi du 11 octobre 2013, la commission des lois de l'Assemblée nationale a adopté un amendement de sa rapporteure précisant que toute modification substantielle des intérêts ou de la situation patrimoniale doit conduire à une modification de la déclaration correspondante dans le délai de deux mois.

• Les destinataires des déclarations adressées

Dans sa version déposée, y compris après l'intervention de la lettre rectificative, ces déclarations ne relevaient pas exclusivement de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique instituée par la loi du 11 octobre 2013 essentiellement pour contrôler les déclarations d'intérêts et de situation patrimoniale des responsables politiques. La lettre rectificative s'est bornée à confier à la Haute Autorité, créée postérieurement au dépôt initial du projet de loi, le soin de contrôler les déclarations de situation patrimoniale et la gestion par un tiers sans droit de regard des instruments financiers. En revanche, le contrôle des déclarations d'intérêts restait confié à la commission de déontologie. Contre l'avis du Gouvernement et de sa rapporteure, la commission des lois de l'Assemblée nationale a adopté un amendement du groupe socialiste confiant cette compétence à la Haute Autorité. Au soutien de cet amendement, M. René Dosière indiquait : « Pourquoi vouloir confier cette mission à une autre commission, dont l'indépendance est moins grande que celle de la Haute Autorité ? [...] Il me semble préférable de concentrer les tâches entre les mains de la Haute Autorité qui aura la compétence, la technicité et la pédagogie nécessaires. » Lors de son audition, M. Roland Peylet, président de la commission de déontologie, n'a pas remis en cause le choix des députés. De même, votre commission a partagé le bien-fondé de cette solution qui présente l'avantage d'unifier au sein d'une seule instance le savoir-faire requis et de favoriser l'égalité de traitement des personnes soumises à ce contrôle.

À la différence de celles imposées par la loi du 11 octobre 2013, les déclarations d'intérêts des fonctionnaires concernés ne seraient pas transmises directement à la Haute Autorité. Cette dernière ne serait destinataire d'une déclaration d'intérêts que « lorsque l'autorité hiérarchique ne s`estime pas en mesure d'apprécier si le fonctionnaire se trouve en situation de conflit d'intérêts ». Le rôle de filtre de l'autorité hiérarchique se justifie par la plus grande diversité des missions exercées par les fonctionnaires concernés, à la différence des responsables politiques visés au premier chef par la loi du 11 octobre 2013. Dans ce cas, l'autorité hiérarchique paraît la plus apte à déceler et prévenir les conflits d'intérêts par sa connaissance précise des missions du fonctionnaire, la Haute Autorité conservant, par son traitement des cas délicats ou litigieux, un rôle unificateur dans l'application des règles et l'interprétation qui en est donnée. C'est pourquoi votre commission a maintenu cette architecture institutionnelle, d'autant plus souhaitable que si le pouvoir élargissait ce périmètre, cette règle la placerait à l'abri d'un engagement.

• La protection des informations transmises

Le présent projet de loi innove s'agissant de la conservation des déclarations d'intérêts. Certes, les déclarations de situation patrimoniale sont conservées par la Haute Autorité. Elles ne sont ni versées au dossier du fonctionnaire, ni communicables à des tiers, excluant donc la propre autorité hiérarchique du fonctionnaire. Toutefois, la déclaration d'intérêts du fonctionnaire serait versée à son dossier. Ce choix a été critiqué par le Conseil d'État qui, dans son avis au projet de loi et à la lettre rectificative, a fait part de son opposition : « L'article 18 de la loi du 13 juillet 1983 proscrit de faire état, dans ce dossier, des opinions ou des activités politiques, syndicales, religieuses ou philosophiques du fonctionnaire et [...] ces mêmes dispositions, qui protègent notamment la liberté d'opinion constitutionnellement garantie aux fonctionnaires, font obstacle à ce que les déclarations d'intérêts prévues par le projet de loi figurent au dossier des agents publics et contiennent des éléments de cette nature. » Lors de son audition, M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'État a renouvelé ses réserves sur la constitutionnalité d'une telle disposition.

Adoptant un amendement COM-63 de son rapporteur, votre commission a donc écarté ce dispositif, en reprenant le régime applicable aux déclarations d'intérêts des magistrats de l'ordre judiciaire, dans la rédaction adoptée par le Sénat 77 ( * ) , ainsi qu'aux déclarations de situation patrimoniale des fonctionnaires soumis à cette obligation. Les conditions de conservation seraient ainsi déterminées par décret en Conseil d'État, comme le prévoit déjà le dernier alinéa du IV du futur article 25 quater .

À l'initiative de sa rapporteure, la commission des lois de l'Assemblée nationale a puni le fait pour un fonctionnaire d'omettre de déclarer une partie substantielle de son patrimoine ou de ses intérêts ou de fournir une évaluation mensongère de son patrimoine d'une peine de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. Pourraient, à titre complémentaire, être prononcées l'interdiction des droits civiques, selon les modalités prévues aux articles 131-26 et 131-26-1 du code pénal, ainsi que l'interdiction d'exercer une fonction publique, selon les modalités prévues à l'article 131-27 du même code. Ces sanctions pénales constituent la reprise de celles prévues à l'article 26 de la loi du 11 octobre 2013.

Parallèlement, reprenant une disposition existante au sein de l'article 26 de la loi du 11 octobre 2013, votre commission, par l'adoption de l' amendement COM-61 de son rapporteur, a institué une sanction pénale punissant d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende le fait de divulguer tout ou partie des déclarations ou des informations relatives à la gestion à un tiers des instruments financiers, de quelque manière que ce soit.

• Le contrôle exercé sur les déclarations et les suites données

S'agissant du contrôle des déclarations d'intérêts, le contrôle de la Haute Autorité est adapté au fait qu'elle ne connaît de ces déclarations que sur saisine de l'autorité hiérarchique, après la nomination du fonctionnaire.

Tout d'abord, il relève de la responsabilité de l'autorité hiérarchique, au cours de l'exercice des fonctions, d'identifier une situation de conflit d'intérêts et de prendre elle-même les mesures nécessaire pour y mettre fin. Elle peut également enjoindre le fonctionnaire de la faire cesser dans un délai qu'elle fixe.

En cas de transmission de la déclaration d'intérêts, la Haute Autorité dispose alors de deux mois pour se prononcer sur la situation au regard de la définition du conflit d'intérêts. Si un conflit d'intérêts est identifié, la Haute Autorité adresse une recommandation à l'autorité hiérarchique. Il appartient alors à cette dernière de prendre les mesures nécessaires pour mettre fin à cette situation ou d'enjoindre le fonctionnaire de le faire. La Haute Autorité n'adresse donc aucune injonction directement à un fonctionnaire.

Pour le contrôle des déclarations de situation patrimoniale, la commission des lois de l'Assemblée nationale a, sur la proposition de sa rapporteure, complété le dispositif initial du projet en loi en alignant les pouvoirs de la Haute Autorité sur ceux qui lui sont reconnus par la loi du 11 octobre 2013.

Pour assurer l'efficacité du contrôle, les déclarations de situation patrimoniale remises lors de la cessation des fonctions devront comporter une récapitulation de l'ensemble des revenus perçus par le fonctionnaire - et s'il est marié, le cas échéant, par la communauté - depuis le début de l'exercice de ses fonctions, ainsi qu'une présentation des événements majeurs ayant affecté la composition de son patrimoine depuis la précédente déclaration. Le fonctionnaire pourra joindre des observations à chacune de ses déclarations.

En revanche, si l'agent a déjà remis une déclaration de situation patrimoniale depuis moins de six mois, il serait, selon le cas, dispensé de déclaration préalable à sa prise de fonctions ou bien soumis, en fin de fonctions, à des obligations allégées (simple récapitulation des revenus perçus et présentation des événements majeurs ayant affecté la composition du patrimoine depuis la précédente déclaration).

La Haute Autorité pourrait demander au fonctionnaire toute explication sur sa situation patrimoniale. En cas de déclaration incomplète ou lorsqu'il n'aura pas été donné suite à une demande d'explications, elle pourrait adresser au fonctionnaire une injonction tendant à ce que la déclaration soit complétée ou que les explications lui soient transmises dans un délai d'un mois. L'absence de respect de cette injonction serait pénalement sanctionnée d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.

La Haute Autorité pourrait, pour contrôler les déclarations de situation patrimoniale, obtenir les déclarations de revenus ou d'impôt de solidarité sur la fortune du fonctionnaire ainsi que de son époux, de son partenaire de pacte civil de solidarité ou de son conjoint, le cas échéant auprès de l'administration fiscale. Cette dernière pourrait également exercer, sur demande de la Haute Autorité, son droit de communication en matière fiscale et, le cas échéant, mettre en oeuvre les procédures d'assistance administrative internationale.

En cas d'explications insuffisantes sur une évolution patrimoniale, la Haute Autorité serait tenue, après une procédure contradictoire, de transmettre le dossier à l'administration fiscale et d'en informer l'intéressé. La commission des lois de l'Assemblée nationale a rappelé l'obligation pour la Haute Autorité de dénonciation au ministère public des crimes et délits dont elle a connaissance, conformément à l'article 40 du code de procédure pénale. Malgré cet ajout, il n'en demeure pas moins que cette obligation de transmission à l'administration fiscale est sans équivalent dans la loi du 11 octobre 2013. Sa finalité reste obscure car une évolution inexpliquée de patrimoine est susceptible de dénoter un manquement à la probité d'un fonctionnaire sans nécessairement relever d'un manquement fiscal. Par exemple, des revenus acquis en contrepartie d'un avantage indûment consenti par un fonctionnaire peuvent être déclarés auprès de l'administration fiscale. Aussi, votre commission, jugeant, à l'instar des représentants de la Haute Autorité lors de leur audition, que cette procédure instituait une confusion sur la fonction du contrôle opéré sur la situation patrimoniale, a adopté un amendement COM-68 de suppression de ce dispositif, présenté par son rapporteur.

De même, votre commission a supprimé, par l'adoption d'un amendement COM-67 de son rapporteur, une disposition imposant à la Haute Autorité de statuer pour le contrôle de ces déclarations de situation patrimoniale dans un délai de six mois, dès lors que le dépassement de ce délai n'était assorti d'aucune sanction.

Enfin, votre commission a souhaité harmoniser les sanctions qui s'attachaient aux manquements à ces différentes obligations déclaratives. Aussi a-t-elle adopté l'amendement COM-176 de son rapporteur supprimant la nullité de la nomination d'un fonctionnaire lorsqu'il n'a pas, dans le délai de deux mois, confié la gestion de ses instruments financiers à un tiers, cette règle étant sans équivalent pour les autres obligations déclaratives des fonctionnaires. Elle y a substitué les sanctions pénales prévues en cas d'omission substantielle au sein d'une déclaration d'intérêts ou de situation patrimoniale, soit trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende.

Votre commission a adopté l'article 4 ainsi modifié .

Article 5 - Entrée en vigueur des obligations déclaratives des fonctionnaires

L'article 5 précise les conditions d'entrée en vigueur des déclarations d'intérêts et des déclarations de situation patrimoniales prévues à l'article 4.

Pour les déclarations d'intérêts et de situation patrimoniale, les fonctionnaires concernés disposeraient pour adresser la ou les déclarations auxquelles ils sont assujettis d'un délai de deux mois à compter du décret en Conseil d'État pris pour l'application de cette obligation déclarative.

Au regard de l'expérience rapportée par les représentants de la Haute Autorité pour la première mise en oeuvre des obligations déclaratives résultant de la loi du 11 octobre 2013, il a paru plus réaliste, pour assurer une mise en oeuvre sereine de ces nouvelles obligations déclaratives, d'allonger ce délai à six mois, en maintenant un point de départ mobile en fonction de la publication du décret. Votre commission a ainsi adopté un amendement COM-69 de son rapporteur en ce sens. Cet amendement introduit un délai similaire de six mois afin que les fonctionnaires concernés justifient auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique des mesures pour confier à un tiers, sans droit de regard, la gestion de leurs instruments financiers.

Par ailleurs, par l'adoption d'un amendement COM-70 présenté par son rapporteur, votre commission a précisé que, pour les fonctionnaires en fonction lors de la mise en oeuvre de l'obligation de dépôt d'une déclaration d'intérêts, cette déclaration serait directement adressée à l'autorité hiérarchique et non à l'autorité de nomination, comme le prévoit la procédure normale. En outre, pour les fonctionnaires déjà nommés, le fait de ne pas déposer cette déclaration ne serait pénalement sanctionné des mêmes peines qu'en cas d'omission substantielle au sein d'une déclaration d'intérêts.

Dans un souci d'harmonisation, la commission des lois de l'Assemblée nationale a supprimé, sur la proposition de sa rapporteure, la sanction prévue spécifiquement en cas de méconnaissance de ce délai pour le dépôt de la déclaration de situation patrimoniale. En effet, en ce cas, il aurait été mis fin aux fonctions du fonctionnaire concerné. Désormais, dans le silence du texte, le prononcé d'une sanction résulterait des poursuites disciplinaires qu'il appartiendrait à l'autorité hiérarchique de diligenter.

Votre commission a adopté l'article 5 ainsi modifié .


* 30 Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.

* 31 Articles 432-10 à 432-16 du code pénal. Est par exemple puni de cinq ans d'emprisonnement et d'une amende de 500 000 euros le fait, pour un fonctionnaire, d'exiger une somme qu'il sait ne pas être due (article 432-10).

* 32 Pour mémoire, la loi n° 2013-907 et le présent projet de loi ont un objectif commun (renforcer la transparence de la vie publique) mais un périmètre différent : la loi précitée concerne les membres du Gouvernement, les personnes titulaires d'un mandat électif local ainsi que celles chargées d'une mission de service public alors que le présent projet porte uniquement sur les fonctionnaires et les contractuels de droit public.

* 33 Conseil d'État, 15 mars 2004, M. Jean-Yves A, n° 255392.

* 34 Cour administrative d'appel de Nantes, 21 octobre 1999, Patrice Z., n° 96NT02209.

* 35 Conclusions sous l'arrêt « Monod » du Conseil d'État du 18 décembre 1957.

* 36 Conseil d'État, Préfet de Police c. Sieur Schweitzer, 15 octobre 1969, n° 76367.

* 37 Rapport n° 722 (2012-2013) fait au nom de la commission du Sénat concernant le projet de loi organique et le projet de loi relatifs à la transparence de la vie publique, p.9.

* 38 Conseil d'État, 28 juin 1999, Ministre de l'Intérieur, n° 178530.

* 39 Cf. le rapport précité n° 722 (2012-2013) de notre collègue Jean-Pierre Sueur, p. 57.

* 40 Christian Vigouroux, Déontologie des fonctions publiques, 2° édition, 2012-2013, p. 157.

* 41 Conseil d'État, 26 septembre 2008, Assistance publique - Hôpitaux de Paris, n° 306922.

* 42 Conseil constitutionnel, 18 septembre 1986, loi relative à la liberté de communication, décision n° 86-217 DC, considérant n° 15.

* 43 Conseil d'État, 15 janvier 1935, Bouzanquet.

* 44 Conseil d'État, 7 février 1936, Jamart, n° 43321. Il appartient aux chefs de service de « prendre les mesures nécessaires au bon fonctionnement de l'administration placée sous leur autorité ».

* 45 Dans le texte transmis au Sénat, ces précisions étaient insérées à l'article 9.

* 46 Commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique, Pour une nouvelle déontologie de la vie publique , 26 janvier 2011, p. 43-44.

* 47 Pour mémoire, la loi n° 2013-907 et le présent projet de loi ont un objectif commun (renforcer la transparence de la vie publique) mais un périmètre différent : la loi précitée concerne les membres du Gouvernement, les personnes titulaires d'un mandat électif local ainsi que celles chargées d'une mission de service public alors que le présent projet porte uniquement sur les fonctionnaires et les contractuels de droit public.

* 48 Pour une analyse terminologique de cette définition, voir le rapport n° 722 (2012-2013) de M. Jean-Pierre Sueur fait au nom de la commission des lois du Sénat concernant le projet de loi organique et le projet de loi relatifs à la transparence de la vie publique, p. 58.

* 49 Étude d'impact du 16 juin 2015, p. 8.

* 50 Conseil d'État, 30 mars 1968, ministère de l'éducation nationale c/ Schmitt et Dame Delmares, n° 68699.

* 51 Cf. par exemple l'annulation citée dans le commentaire de l'article 1 er d'une sanction contre une infirmière-stagiaire sur le motif qu'une même personne avait siégé au conseil de discipline puis dans la commission des recours et n'avait pas utilisé sa faculté de se déporter de cette dernière. Conseil d'État, 26 septembre 2008, Assistance publique - Hôpitaux de Paris, n° 306922.

* 52 Cf. le commentaire de l'article 2 pour la définition des conflits d'intérêts.

* 53 Commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique, « Pour une nouvelle déontologie de la vie publique », 26 janvier 2011.

* 54 Loi relative à la lutte contre la corruption.

* 55 Loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.

* 56 Loi relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé.

* 57 Loi relative à l'indépendance de l'expertise en matière de santé et d'environnement et à la protection des lanceurs d'alerte.

* 58 Soit les ministres, les membres des cabinets ministériels, les parlementaires européens, les présidents d'exécutifs locaux, les membres des autorités administratives indépendantes, etc.

* 59 Loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.

* 60 Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.

* 61 Loi relative au renseignement.

* 62 Art. 25 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 précitée.

* 63 Cf. l'article 40-6 du code de procédure pénale. Dans son rapport d'activité pour 2014, le SCPC précise toutefois qu'aucun lanceur d'alerte ne l'a sollicité à ce jour (p. 234).

* 64 Loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.

* 65 À la différence de cinq des six dispositifs sectoriels de protection des lanceurs d'alerte cités dans le tableau précédent.

* 66 Rapport n° 738 (2012-2013) fait au nom de la commission des lois et concernant le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, p. 10. Il était plus précisément proposé par les rapporteurs de circonscrire ce dispositif aux informations divulguées aux autorités administratives et judiciaires.

* 67 À l'instar d'un blâme par exemple.

* 68 Dans le projet de loi initial, seule l'autorité hiérarchique directe du fonctionnaire était visée. En adaptant un amendement de sa rapporteure, l'Assemblée nationale a toutefois choisi d'utiliser le pluriel pour permettre au fonctionnaire de divulguer ses informations même si celles-ci concernent son supérieur direct.

* 69 Ce canal alternatif du référent déontologue a été ajouté par l'Assemblée nationale à l'initiative de sa rapporteure.

* 70 Dans l'exemple précédent, un fonctionnaire du service achat d'une collectivité territoriale soupçonné de posséder un intérêt personnel dans une entreprise candidate à un marché public.

* 71 Cf. notamment les lanceurs d'alerte divulguant des informations relatives aux risques graves pour la santé publique et l'environnement (article L. 1351-1 du code de la santé publique).

* 72 Rapport n° 650 du 23 janvier 2013 fait au nom de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale sur la proposition de loi relative à l'indépendance de l'expertise en matière de santé et d'environnement et à la protection des lanceurs d'alerte.

* 73 Conseil d'État, 11 janvier 2011, M. Jean-Hugues Matelly, n° 338461.

* 74 Cette jurisprudence est antérieure au présent texte. Lorsque ce dernier sera entré en vigueur, les canaux d'alerte seront, pour mémoire, le référent déontologue et les autorités administratives et judiciaires.

* 75 Conseil d'État, 10 octobre. 2012, Office public de l'habitat de Châtillon c/ Mme Hamet, n° 347128.

* 76 Communication lors d'un colloque organisé le 4 février 2015 par la Fondation Sciences Citoyennes et Transparency International France.

* 77 Projet de loi organique n° 31 (2015-2016) relatif aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu'au Conseil supérieur de la magistrature, adopté par le Sénat le 4 novembre 2015.

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